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1. Le cadre professionnel

2.8. La documentation exploitée 164

2.8.2. La toponymie

La toponymie consiste en une représentation linguistique du paysage par les populations qui l’ont façonné. Les noms des reliefs, des cours d’eaux, de la nature du sol et des cultures qu’on pouvait y faire ont souvent été fossilisés, aussi bien que les industries, les réseaux de communication et de transport et les institutions, souvent matérialisées par des constructions plus ou moins monumentales. L’impact de celles-ci peut être frappant d’un point de vue purement visuel, mais son effet sur le paysage va bien au-delà de la simple apparence d’un bâtiment en lui-même. L’extraction des ressources du sous-sol et les lieux dédiés à leur transformation ont parfois modifié le paysage de manière importante – sable pour fabriquer du mortier et du verre, pierre pour la construction et la chaux, argiles pour les terres cuites, minerais pour le fer, le plomb, le cuivre, puis du bois pour la construction et surtout pour le combustible nécessaire pour la transformation des matières premières. Ces processus ont souvent nécessité des installations artisanales voire industrielles conséquentes : fours pour la production du charbon nécessaires pour les autres métiers du feu – métallurgie, céramiques, fabrication de chaux, et encore les infrastructures pour son transport que ce soit par la route ou par voie d’eau. Tous ces éléments ont laissé de manière variable des marqueurs dans la toponymie locale. L’analyse de celle-ci est donc potentiellement un bon outil pour l’étude des anciens sites d’extraction de la pierre de construction.

Comme toute source écrite, sa fiabilité par rapport à la réalité historique et archéologique est conditionnée par plusieurs facteurs. En premier lieu, il convient de considérer la survivance d’un toponyme à partir de sa création. Pour le sujet qui nous intéresse, prenons l’exemple d’une carrière de pierre à ciel ouvert. La taille de l’exploitation et la durée de son activité vont être les

premiers facteurs pour déterminer si le site va faire partie du paysage toponymique – une carrière importante exportant des pierres pour des constructions plus ou moins prestigieuses laissera plus de traces dans le paysage qu’une extraction localisée pour des habitations modestes. Elle devrait également laisser plus de traces dans la documentation de son époque – devis, quittances de paiement, mentions dans les comptes des commanditaires, … Néanmoins, une courte durée d’activité peut reléguer une carrière au rang d’un simple lieu-dit non précisé dans ces mêmes archives, tandis qu’une carrière de moindre envergure mais fonctionnant dans la durée aurait peut-être plus de chances à s’intégrer dans la mémoire locale.

Le passage d’un lieu-dit d’un état d’existence purement orale à celle d’une existence écrite sur une carte n’est pas la garantie de sa continuité jusqu’à nos jours. La rédaction de plans terriers a pu fossiliser certains lieux, tout comme la cartographie de la fin du XVIIIe siècle, mais seulement une partie des détails du paysage sont pas consignés « sur le papier ». A titre d’exemple, la carte dite de Cassini de la partie sud de l’Indre ayant fait l’objet des prospections complémentaires, le nombre de lieux dits faisant référence aux carrières ou aux mines est très faible par rapport aux lieux dits répertoriés sur l’actuelle carte IGN – un seul contre une dizaine aujourd’hui. Mais la carte n’était pas destinée à être une carte thématique des industries locales mais une représentation topographique générale. L’Atlas routier de Trudaine, réalisé plus ou moins à la même époque que la carte de Cassini, est nettement plus précis d’un point de vue géographique mais ne comporte que les lieux dits principaux, surtout des bourgs, des hameaux, des bois et des plans d’eau, d’autant plus quand il s’agissait de points de repère ou de composants du paysage ayant rapport avec la route, dont des carrières pouvant fournir des matériaux pour la création de la route.

La réalisation du cadastre ancien dit napoléonien à partir des années 1810 peut être considérée comme le premier véritable travail d’enregistrement des toponymes. Document administratif à but fiscal, la bonne transcription des toponymes est conditionnée par plusieurs facteurs : la diligence des équipes sous la direction de chaque ingénieur et leur évaluation de la pertinence des lieux dits par rapport à l’objectif du cadastre. En effet, le nombre de toponymes en cours sur une commune au moment T est sans doute bien supérieur à celui transposé sur le plan car les termes à usage purement local voire personnel ont sans doute été écartés. On peut également supposer l’existence de plusieurs vocables pour un seul lieu, utilisés en fonction d’un contexte donné ou par certaines personnes. Finalement, la transformation des dialectes ou des patois locaux en « bon Français » par les géomètres a sans doute induit des erreurs dans l’orthographe ou le sens de certains mots. On peut bien imaginer un « carroir » (carrefour) transformé en « carrière », ou vice-versa. C’est dans ce cas que l’archéologue doit s’appuyer sur le travail onomastique et étymologique des études topographiques publiées, mais toujours avec une petite dose de scepticisme !

Les erreurs et omissions peuvent intervenir à deux autres étapes dans la vie d’un toponyme : lors du passage du cadastre ancien à celui d’aujourd’hui et lors de la réalisation des cartes topographiques actuelles au 1 :25.000. Si les erreurs sont assez rares, les suppressions, sans compter des transformations et des déplacements, de certains lieux dits entre le cadastre ancien et la carte IGN sont assez fréquentes. A titre d’exemple, sur les vingt-et-un lieux dits « Carrière » et

ses dérivés dans une partie de la zone d’étude, seulement dix figurent sur la carte IGN au 1 :25.000174. Ces pertes sont donc des facteurs à prendre en compte lors des recherches.

Pour résumer, la perte et la transformation des toponymes lors des transcriptions sur les cartes et plans ont considérablement réduit leur intérêt en tant qu’outil d’étude pour notre propos.

En tout cas, même si la cartographie des toponymes peut donner des indices quant à l’éventuelle existence d’exploitations anciennes, elle ne peut nullement se substituer à des prospections sur le terrain destinées à détecter et à caractériser les sites d’exploitation, d’autant plus quand des matières autre que la pierre pouvaient être extraites. Si leur présence n’est pas la garantie de l’existence d’une carrière ancienne, leur absence n’est pas non plus la preuve de son absence175.

Les sources publiées ont fourni l’essentiel des données pour l’étude toponymique. Pour le Bas Berry, plus ou moins matérialisé par l’actuel département de l’Indre, nous disposons d’un outil précieux dans la forme des travaux publiés par Stéphane Gendron sur les noms des lieux de l’Indre et de la région Centre (Gendron 1998 et 2004). La publication sur l’Indre compte un dépouillement complet des noms de lieux avec une analyse des origines et des interprétations, même si ces dernières ne doivent pas être considérées comme étant « gravées dans la pierre ». Le classement thématique permet de retrouver facilement les lieux dits potentiellement intéressants pour l’archéologue. Un autre outil dans ce genre consiste en les Inventaires historiques et topographiques publiés entre la deuxième moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Ces ouvrages encyclopédiques furent produits par des archivistes ou des érudits encore fortement imprégnés d’une culture de droit et d’études classiques et englobent souvent des recherches historiques et généalogiques. Ils couvrent soit des territoires ou des pays historiques ou des départements. Pour les sites du corpus principal, ce sont ceux concernant le Vendômois (Barré de Saint-Venant 1969), l’Indre (Hubert (E) 1985) et la Touraine (Carré de Busserolle 1878-1884) qui ont servi pour les premières recherches sur plusieurs sites.

Pour le département du Cher, nous ne disposons pas d’un ouvrage aussi complet ni récent que celui de Stéphane Gendron, mais il faut citer le dictionnaire topographique d’Hippolyte Boyer, resté à l’état de manuscrit mais publié par Robert Latouche (Latouche 1926). Cet ouvrage est nettement moins détaillé que celui de Gendron et ne contient pas tous les lieux dits ni leurs dérivés, mais simplement les noms des lieux tels les hameaux, des villages ou des locatures mentionnées dans les archives dépouillées. Néanmoins, certaines mentions anciennes citées par l’auteur ont permis d’écarter des toponymes dont la forme actuelle ne dérive manifestement pas d’une origine inspirée par un lieu ou une activité d’extraction. L’ouvrage d’Auguste Longnon

174 D’après un dépouillement des toponymes dans Gendron 2004 : 351-352.

175 Voir Zadora-Rio 2001 pour l’historiographie de la toponymie en archéologie et le quasi abandon de celle-ci par les archéologues suite aux changements induits par les fouilles préventives et le développement des méthodes archéo-géographiques. Bien que pertinente à notre propos en ce qui concerne l’exploitation des ressources géologiques d’un territoire, l’auteur renvoi le lecteur sur la bibliographie spécifique à l’archeogéographie, dont Chouquer 1996 éd. et 2008, ainsi que sur le site de l’ArchéoGéographie.org : http://www.archeogeographie.org/index.php?rub=presentation/archeos/chouquer/bib et http://www.archeogeographie.org/index.php?rub=presentation/infos

(Longnon 1929) n’ servi que pour les orientations générales sur l’étymologie, notamment le chapitre sur les lieux-dits dérivés des industries (op. cit. 552-571). Ces chercheurs ont eu recours à des ouvrages antérieurs, dont des dictionnaires historiques, des répertoires de toponymie et des publications sur les dialectes locaux. Ces sources sont présentées dans la bibliographie de l’ouvrage de Stéphane Gendron.

Il en résulte donc un déséquilibre entre la précision du travail topographique pour le Cher et pour l’Indre. Pour le premier, le dépouillement toponymique à partir de la carte IGN et le cadastre ancien n’a été fait que pour les communes des édifices des deux corpus ou pour celles dans la partie sud de la zone d’étude avec des sources d’approvisionnement potentielles.

Le dépouillement et la cartographie de tous les toponymes ayant trait à l’extraction des matières premières et à la production des matériaux de construction est un travail énorme si l’on prend en compte toutes les formes de production et le réseau de chemins qui les relie aux centres de consommation ou d’utilisation. Une telle démarche trouve toute sa place dans une étude globale de l’évolution d’un paysage dans un territoire donné et peut orienter des travaux de prospection ou de fouille sur le terrain. Il ne serait pas réalisable dans le cadre de cette présente étude en raison de l’étendue du territoire concerné et du fait que beaucoup de ceux-ci ne concernent qu’indirectement la problématique de l’approvisionnement en pierre. Néanmoins, un bassin d’approvisionnement pour la pierre peut recouper celui de l’exploitation d’autres ressources, impliquant une certaine imbrication des infrastructures. C’est notamment le cas dans le sud du Berry où les activités sidérurgiques sont attestées depuis l’Antiquité. Il convient donc de faire un choix sur les lieux-dits à prendre en compte.

Pour l’Indre, le travail de Stéphane Gendron a permis de définir cinq groupes de toponymes, dans l’ordre :

- « Carrière », avec ses dérivés et ses formes composées.

- « Quaire », d’après Stéphane Gendron, il s’agit d’un dérivé du latin quadrus (lapis) ou pierre de taille. Dans le sud du Berry, il y a des influences de la langue occitane où le terme « le caire » veut dire pierre carrée (Gendron 2004 : 201). Il pourrait également faire référence à des ruines ou, peut-être, décrire un lieu retiré.

Le groupe le plus étendu est celui composé de tous les dérivés possibles du latin petra ou pierre. Le nombre en est tellement important qu’une sélection est nécessaire. Nous excluons d’office les lieux-dits ayant trait à des mégalithes comme les « Pierre Levée » ou « Pierre Bure ».

Ensuite, il faut s’appuyer sur les travaux onomastiques et étymologiques pour essayer d’écarter les toponymes qui font référence à la nature du sol d’un point de vue agricole ou aux éléments du paysage.

Dans ce groupe de toponymes, nous avons retenu les dérivés suivants :

- « Perrière », défini comme un lieu d’où on extrait des pierres ou de « Perrier », l’homme qui y travaille.

- « Pierroir » et « P(i)errot(te) », malgré la confusion possible avec des anthroponymes dérivés de « Pierrot », etc.

- « Pérouille »

- « Peur- » et « Périg- », un groupe de lieux-dits avec une origine plutôt occitane et qui se concentre dans les parties sud et sud-ouest du département, dont la zone d’étude approfondie.

Dans tous ces toponymes, il est très délicat de vouloir faire concorder un lieu-dit avec un site d’extraction, surtout quand on commence à regarder les dérivés du mot principal d’origine.

C’est surtout avec l’ouvrage d’Hippolyte Boyer que la prudence est de mise car l’esprit

« dictionnaire » donne des toponymes par ordre alphabétique avec des mentions anciennes, mais sans le travail critique réalisé par Stéphane Gendron pour l’Indre. Pour être juste, il y a aussi quatre-vingts ans qui séparent les deux publications !

En dernier lieu, il y a un groupe aussi important de toponymes dérivés de « Roc » ou de

« Roche ». Ils peuvent également faire référence à des éléments rocheux d’un paysage, surtout dans les zones escarpées et des vallées encaissées du sud de l’Indre, mais aussi à des grottes et à des cavernes naturelles ou anthropiques, dont des carrières. Le terme « Rochefort » s’applique surtout aux châteaux bâtis sur un pic rocheux.

Le tri de ce groupe de toponymes a été fait sur la base de la localisation géographique, privilégiant les exemples dans la zone d’étude, et en excluant les dérivés qui manifestement ne concerne pas un lieu d’extraction potentiel, comme les trois « Moulin Rochat », par exemple.

L’auteur s’est également appuyé sur le travail interprétatif accompli par Stéphane Gendron qui a permis de préciser le contexte de beaucoup des toponymes.

En plus des lieux-dits pouvant faire référence aux carrières de pierre, il y a ceux qui évoquent les sites annexes tels les fours à chaux. Ce groupe est plus difficile car en plus des toponymes laissant peu de doute à la fonction (« Four à Chaux » ou « Chaufour » et leurs dérivés, il y a toute une série de termes tels « Four », « Fourneau », « Fournière », « Fournioux » qui dénote l’existence d’un four ou d’un groupe de fours sans spécifier sa fonction exacte. Ils pouvaient être des fours métallurgiques, des fours à pain, des fours de potier… Dans ce cas, seuls les toponymes dans la zone d’étude approfondie ont été pris en compte. Une première analyse empirique indique sans surprise que la majorité des fours à chaux est située dans les communes situées sur le substrat calcaire des formations du Jurassique. Un petit nombre ont cependant suscité un intérêt particulier car situé dans les zones de substrat mixte ou avec des formations métamorphiques ou éruptives, comme le cas d’Aigurande par exemple.

Ces groupes de toponymes définis à partir du travail sur l’Indre ont été retenus pour les sites dans le département du Cher. En effet, le Berry reste assez homogène et les découpages administratifs actuels n’ont que peu de concordance avec les distributions géographiques des anciens parlers – on remarque plus de différences entre le nord et le sud du Berry, plus proche de la langue d’oïl, qu’entre le Cher et l’Indre. Pour les toponymes qui nous intéressent, on peut estimer que les différences sont négligeables.

Pour les édifices du corpus étudiés lors des interventions préventives, le travail sur la toponymie des lieux d’extraction a été généralement nettement moins approfondi. Il y a plusieurs raisons pour cela. En premier lieu, on peut évoquer le nombre de sites et leur éparpillement géographique qui couvrent des entités politiques et culturelles plus variées. Deuxièmement, on

doit considérer les conditions propres à chaque intervention. Réalisées dans le cadre préventif ou pour des commandes particulières, l’identification des catégories de pierre mises en œuvre et de leurs provenances ne figurait pas dans les cahiers des charges d’origine. L’intervention étant concentrée sur un site ponctuel, l’approche archéo-géographique n’était pas de mise. Dans beaucoup des cas, il s’agissait d’une problématique évoquée suite à des observations sur le terrain mais rarement poursuivie, faute de temps. Dans d’autres cas, notamment pour les sites dans la vallée de la Loire, les origines des matériaux étaient connues grâce aux travaux historiques et archéologiques existantes. La poursuite de cet axe de recherche n’aurait pas apporté plus de renseignements à la compréhension des édifices. Dans d’autres cas encore, le potentiel archéologique du site a poussé à une analyse plus poussée des matériaux mis en œuvre et à un questionnement sur les sources d’approvisionnement. Intéressant dans le cadre de certains édifices d’apparences homogènes, ce travail a révélé toute sa valeur dans l’analyse des édifices ayant subi des transformations majeures pendant leur utilisation.