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Jusqu’en , la visite médicale ainsi que toute rencontre entre l’industrie pharmaceutique et les médecins de toute spécialité était complètement libre ; aucun cadre législatif ni aucun regard sociétal n’avait été mis en place afin de formaliser cette rencontre. Le premier pas règlementaire a été défini en 2004 au travers de la « Charte de la Visite Médicale » (4) signée entre l’Etat au travers du CEPS (Comité Economique des Produits de Santé) et le LEEM (Les Entreprises du Médicaments) avec le concours des différentes organisations professionnelles médicales.

Les médecins généralistes rencontrés durant nos entretiens ont spontanément abordé le cadre législatif progressif de la réception de la visite médicale mis en place depuis ces vingt dernières années. Ils mettent en avant une nécessité de poser des limites sur cette rencontre, notamment suite aux abus et débordements des plus anciennes générations.

La Charte (4) de 2004, mise à jour en 2005, a ainsi redéfinit le rôle du visiteur médical pour les différents protagonistes : « La Charte reconnaît le rôle de la visite médicale comme moyen de favoriser le bon usage des médicaments grâce à la qualité de l’information délivrée aux médecins par les entreprises qui les créent, les produisent et les distribuent » et se définit elle-même comme s’inscrivant « ainsi pleinement dans le dispositif visant à préserver le système français

Page 60 sur 94 d’assurance maladie ». Ainsi, dans ce rôle, elle définit les premières règles déontologiques devant permettre la délivrance d’une information loyale pour limiter le mésusage médicamenteux et les dépenses de soins inutiles. Dans cette charte, la donation d’avantages en nature ou en espèces sont alors interdits : « don de petits matériels et mobilier de bureau, remise de bons d’achat divers chèque voyage, chèque cadeau, etc. » et que les seuls avantages autorisés type congrès scientifiques et manifestations ou activités de recherche doivent faire l’objet d’une convention avec l’Ordre des Médecins.

Une nouvelle Charte est signée entre le CEPS et le LEEM en 2014 (3), appelée « Charte de l’information promotionnelle », elle modifie et propose un encadrement plus strict de la rencontre entre le médecin et le délégué médical. Ces grandes modifications ont pour objectif de continuer à garantir la qualité de l’information délivrée aux médecins tout en renforçant le bon usage des médicaments (25,26) ; en premier lieu, par l’encadrement de tout travailleur pouvant faire l’usage de la promotion pharmaceutique pour l’industrie et non seulement les visiteurs médicaux. Ensuite, elle rappelle que l’information médicale délivrée doit être en strict adéquation avec l’AMM afin de garantir ce bon usage et une prise en compte de la dimension médico-économique. De plus, elle promeut le renforcement de la formation des visiteurs médicaux avec le développement de la formation continue ainsi qu’un durcissement des règles déontologiques de la profession. Enfin, elle demande la « création d’un observatoire national de l’information promotionnelle afin de mesurer annuellement la qualité des pratiques en conformité avec la charte ».

Cependant ce cadre règlementaire a des effets limités ; en effet, comme le souligne la revue Prescrire (27), ces documents sont des chartes qui dépendent alors de la bonne volonté des entreprises et ne concernent que celles qui signataires. Et, même si elles posent des limites notamment sur l’interdiction des cadeaux aux médecins rencontrés ou l’encadrement de la profession avec un cadre déontologique et la création d’un observatoire national, il n’y a aucun cadre juridique mettant en péril l’industriel ne souhaitant pas répondre à ces critères de promotion médicale.

C’est pourquoi, un cadre législatif plus rigoureux est juridiquement mis en place dès 2011 au travers de la valorisation de la transparence de la relation entre l’industrie pharmaceutique et les médecins via une déclaration obligatoire de tous les avantages reçus de l’industrie pharmaceutique et, dans le cadre de la LOI n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (28) : « la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire, prévoit que chaque « avantage » d’un montant égal ou supérieur à 10 euros octroyé par les entreprises pharmaceutiques à un professionnel de santé, doit être déclaré sur le site du ministère de la santé ». Ainsi, on assiste au développement du site gouvernemental de transparence.gouv (29) qui permet à n’importe quel citoyen d’avoir accès à

« l'ensemble des informations déclarées par les entreprises sur les liens d'intérêts qu'elles entretiennent avec les acteurs du secteur de la santé » avec une mise à jour bisannuelle et une accessibilité des données pendant 5 ans ; néanmoins, la limite de ce site repose sur le modèle déclaratif spontanée réalisées par les entreprises et donc le risque de sous-déclaration.

Au cours de nos entretiens, les médecins interviewés ont salué le souci initial d’encadrement de la profession. Cependant, au fil des mesures prises et devant la surveillance accrue des visites avec les délégués médicaux, les confrères rencontrés font part de leur épuisement devant un

Page 61 sur 94 cadre toujours plus rigide et contraignant, source de frustration voire d’infantilisation pour certains, limitant à leur sens la fluidité de la visite médicale.

Cet agacement des médecins rencontrés a été également majorée suite à la mise en place de la LOI n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (30) appelée également Loi Buzyn et qui explicite que « les cadeaux et autre remboursement de frais provenant de l’industrie pharmaceutique envers les étudiants sont maintenant interdits ». Cette loi tend alors à protéger l’étudiant en santé et donc l’interne de tout contact avec les délégués médicaux issus de l’industrie pharmaceutique et ainsi limiter toute influence pharmaceutique sur sa formation en soins de la santé. Pour certains de nos confrères interviewés, cette loi est avant tout une limitation de l’accessibilité aux données médicales factuelles à leur portée en sous-estimant leur capacité à faire la part des choses dans les informations données par ces délégués médicaux.

b. Des dérives de plus en plus médiatisées et des propositions législatives Les médecins rencontrés durant nos entretiens ont spontanément expliqué que la multiplication des réglementations et des cadrages juridiques a principalement fait écho à des débordements et des abus, provenant d’après eux, d’une ancienne génération plus en lien avec les entreprises pharmaceutiques dont l’influence sur les modalités de prescription étaient alors très grande. En effet, les problématiques sanitaires se sont multipliées au cours des années en trouvant son apogée dans le procès du MEDIATOR® (Benfluorex) des laboratoires Servier ouvert dans les années 2010 et qui trouve sa résolution dans la condamnation du laboratoire en 2021 (31), mettant en évidence un défaut d’information du laboratoire ayant porté préjudice aux patients.

Ces affaires et notamment celle du MEDIATOR® mettent alors au premier plan les connivences qui peuvent intervenir entre l’industrie pharmaceutique et les politiques, notamment ceux faisant les recommandations, ainsi que les médecins prescripteurs et qui ont alors des conséquences sur les prises en charge de nos patients.

C’est pourquoi l’ouverture de cette affaire très médiatisée a relancé, au début des années 2010, la question de la relation entre les médecins et les entreprises pharmaceutiques. Suite à cela, un rapport de l’)GAS en (8) met en évidence un défaut dans la formation initiale des médecins notamment dans la « pharmacologie théorique, de thérapeutique et de leur coût, de vigilance et de sécurité sanitaire, de lecture critique des publications scientifiques » et mettent en évidence un déséquilibre entre le poids des réglementations en vigueur par rapport à l’influence de l’industrie pharmaceutique et pointent du doigt la visite médicale qui n’est alors que peu contrôlée et source de dérives. Ce rapport évoque alors quatre grandes réformes à mettre en place pour améliorer notre système : la création d’un organisme d’information sur le médicament, issue des agences publiques telles que l’ANSM ancien AFSSAPS , la (AS et l’Assurance Maladie afin d’assurer une information objective et loyale aux professionnels de santé ainsi qu’au grand public sur les médicaments ; favoriser la transparence totale des méthodes d’actions promotionnelles des firmes pharmaceutiques ; ainsi que de poursuivre dans la décision absolue de non autorisation d’une promotion des médicaments vers le public.

Et, enfin, ce rapport propose l’interdiction totale de la visite médicale : « La mission estime qu’il n’y pas d’alternative à l’interdiction de la visite médicale comme les tentatives de régulation menées depuis quelques années l’ont montré. )l s’agit à cet égard d’un enjeu financier majeur de , milliards d’euros», avec le financement associé d’une politique d’information publique aux

Page 62 sur 94 professionnels de santé mais aussi au grand public ainsi que l’investissement dans la recherche privée et publique.

Dans cette même temporalité, un rapport d’information diligenté par le Sénat publié également en suite à la mission d’information de l’affaire du MED)ATOR® (9) s’est, entre autre, posé la question du bon usage du médicament et ainsi, dans cette problématique, la question de la place de la visite médicale et de ses évolutions possibles devant l’impact non négligeable de la visite médicale sur les prescriptions faite par les médecins la recevant, avec un risque de poly médication augmentant le risque iatrogénique. Ce rapport sénatorial renforce la proposition du rapport de l’)GAS que la (AS devienne «l’émetteur unique d’information sur le bon usage, notamment via l’utilisation de visiteurs médicaux relayant ses messages », en proposant des délégués issue de la CNAM ou de prestataires spécialisés privés. Il propose également la création d’un réseau sentinelle de médecin afin d’évaluer cette nouvelle visite médicale notamment sur la pertinence du contenu apporté.

Cette hypothèse de la refonte de la visite médicale par la création de délégués issue de la HAS a d’ailleurs été abordée par l’un de nos confrères interviewés. Il nous a signalé que cette possibilité pouvait avoir un versant intéressant à condition qu’ils soient en mesure de former et d’informer sur les nouvelles thérapeutiques disponibles ainsi que les études en cours. Cependant il souhaite rappeler que cette conversion serait faite dans l’objectif de limiter l’influence des laboratoires pharmaceutiques que l’on pense émaner de la visite médicale, et ainsi se montre dubitatif sur l’absence d’influence de ces mêmes firmes pharmaceutiques sur les instances scientifiques et ministérielles telles que la HAS, ce qui biaiserait alors également cette nouvelle visite médicale.