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LA PSYCHANALYSE AVEC LES ENFANTS : HISTOIRE, THÉORIE, CLINIQUE

II. Hermine Hug-Hellmuth

2. La technique de la psychanalyse avec les enfants

Entre 1912 et 1924, Hug-Hellmuth publie trente cinq travaux.

En 1912, elle fait part de ses premières observations concernant les enfants et commence sa pratique clinique après avoir été enseignante dans une école.

En 1920, elle communique ses positions sur la technique psychanalytique avec les enfants au Congrès international de l’Association de psychanalyse qui a lieu à La Haye

Hug-Hellmuth. Lors de ce Congrès Freud présente son texte Au-delà du principe de plaisir4, le discours analytique a alors à peine vingt cinq ans d’existence. D’un point de

vue conceptuel et historique, il est important de souligner qu’entre 1893 et 1915 Freud a

déjà écrit ses textes majeurs sur les formations de l’inconscient, sur la théorie de la

sexualité et le complexe d’Œdipe, sur la première topique et sur la technique

psychanalytique. Les fondations de la psychanalyse sont déjà fermement posées.

En 1921, Hug-Hellmuth donne une série de conférences destinées à un public

d’enseignants, d’éducateurs et de travailleurs sociaux. Elles reflètent son travail comme

directrice du Centre d’Éducation et de Conseil. La plupart d’entre-elles concernent

l’enfant, la famille, les rêves et les souvenirs ; quelques-unes sont des observations

cliniques sur son neveu. Ces conférences sont une nouvelle manière d’inclure le jeune

savoir psychanalytique dans l’éducation et le traitement des enfants. Dans son article De

4

Freud S., (1920 a). « Au-delà du principe du plaisir », dans Essais de psychanalyse, Paris, op.

la technique de l’analyse d’enfants5

, elle reconnaît la possibilité de l’enfant de travailler

de façon autonome durant le traitement analytique. La première partie de l’article est

néanmoins dominée par une orientation pédagogique. Elle souligne que l’objectif de

l’analyse d’un adulte ou d’un enfant est le même malgré quelques différences dues au

psychisme de l’enfant dont l’analyse requière une technique particulière liée à trois

facteurs : l’enfant vient chez un analyste selon le souhait des parents et ne vient pas de

son plein gré comme le fait un adulte ; l’enfant souffre d’expériences présentes qui

causent sa maladie alors que l’adulte souffre d’expériences passées ; l’enfant,

contrairement à l’adulte, n’a pas le désir de changer ou d’abandonner son attitude

vis-à-vis des éléments extérieurs.

L’enfant souffre sans aucun doute d’expériences plus récentes : mais la dimension

de l’infantile n’est-elle pas au cœur de toute analyse ? De plus, l’adulte et l’enfant

n’ont-ils pas la même attitude face au changement ? « La compulsion de répétition »6 ne les place-t-elle pas sur un plan identique ?

À partir de l’analyse du Petit Hans, Hug-Hellmuth soutient sa position clinique et

souligne que les conditions les plus favorables sont réunies lorsque l’analyste est une

femme et que l’enfant a au moins sept ou huit ans. Elle définit alors deux groupes

d’enfants : le premier qui connaît le but du traitement et le deuxième qui ne le connaît

pas. En dernier recours, l’analyste peut être introduit comme quelqu’un qui vient passer

quelques heures avec l’enfant pour jouer avec lui et lui communiquer un certain savoir.

Je tiens à souligner que cette ruse souvent utilisée est facilitée par le fait que l’enfant est

traité chez lui. En ces temps inauguraux de la psychanalyse avec les enfants ces pratiques sont tout à fait courantes et admises. J’ai retrouvé exactement les mêmes au

Vietnam ces dernières années, au moment des premières approches cliniques réalisées par quelques étudiants ou praticiens que je supervisais.

5

Hug-Hellmuth H., (1920 b). « Bibliography », International Journal of Psycho-Analysis, 20, p. 148-160.

6

L’approche de Hug-Hellmuth est nettement teintée de perspectives éducatives

marquant la formation qu’elle dispense à A. Freud. Néanmoins, lorsqu’elle présente des

cas cliniques pour illustrer certains points conceptuels, elle montre bien que le psychanalyste est quelqu’un qui sait écouter et incarner un certain désir. Elle présente

clairement la dimension du transfert chez l’enfant qui est le moteur du traitement, le

contre-transfert étant l’indice de la peur de la violation du secret professionnel. Selon

elle, le transfert favorisé par l’analyste permet le respect de la subjectivité de l’enfant7

. Certaines lignes de force de l’analyse du transfert sont alors en germe.

Il me semble intéressant de souligner que pour Hug-Hellmuth la parole est le moyen du traitement. Elle utilise aussi le modèle métapsychologique pour expliquer l’effet de l’inconscient sur les actes symboliques. Tout au long du traitement les jeux de

l’enfant sont très importants, mais elle ne donne pas d’explication particulière

concernant cette technique. Mac Lean et Rappen indiquent que l’expression play

therapy n’apparaît pas dans ses écrits. Hug-Hellmuth fait également des remarques

précieuses concernant les relations entre le jeune patient et sa famille. Elle est en faveur

d’une autonomie de l’enfant et contre une subordination aux dires parentaux et soutient

que l’analyse doit questionner les identifications et les idéaux parentaux. Pourtant, cela

ne l’empêche pas d’utiliser des stratagèmes pour amener l’enfant vers le traitement

analytique !

Hug-Hellmuth écrit également quelques articles sur la sexualité féminine, la psychopathologie et la famille. Dans les articles sur la famille de 1923 et 1924, elle fait des observations pertinentes sur les constellations familiales et les problèmes de celles-ci. Elle aborde en particulier les questions des enfants orphelins, abandonnés ou illégitimes.

7

Hug-Hellmuth H., (1920 b). « Bibliography », International Journal of Psycho-Analysis, 20,

op.cit.

Ces textes sont peut-être sa façon de faire avec ses conflits intimes. Son désir posthume de ne pas être présente dans l’histoire de la psychanalyse est d’autant plus

révélateur.

Hug-Hellmuth ouvre un champ nouveau et grâce à ses contributions originales tant théoriques que cliniques, elle est la pionnière de la psychanalyse avec les enfants.

III. Melanie Klein et « la relation d’objet » 1. Klein

Européenne avant l’heure, Klein est l’objet de biographies très intéressantes et

particulièrement détaillées1. Elle écrit également une autobiographie qui fait partie du Melanie Klein Trust Fund. Des études précises concernant son travail théorique sont également disponibles2. Après Vienne où elle est née en 1882, Klein et sa famille déménagent à Budapest en 1910.

En 1914, elle commence une analyse avec Ferenczi qui l’encourage vivement à

travailler avec les enfants. Klein se réfère toujours à l’œuvre freudienne et s’oriente vers

la psychanalyse à partir de sa lecture de L’interprétation des rêves.

En 1918, elle assiste au Congrès de Budapest et suit l’orientation donnée par

Freud concernant la position éthique de l’analyste3

.

En 1919, elle obtient sa nomination comme membre de la Société hongroise de psychanalyse après la présentation d’un premier article sur la psychanalyse d’un enfant

qui concerne son jeune fils Erich. Dans les publications ultérieures, elle le nomme Fritz4.

1

Grosskurth P., (1986). Melanie Klein. Son monde et son œuvre, Paris, P.U.F., 1990. Segal H., (1969). 1. Introduction à l’œuvre de Melanie Klein, Paris, P.U.F., 9e

édition, 2000. Segal H., (1982). 2. Melanie Klein, Développement d’une pensée, Paris, P.U.F., 3e

édition, 2000.

2

Meltzer D., (1994). Le développement kleinien de la psychanalyse, Freud - Klein - Bion, Paris, Bayard.

3

Freud S., (1919 a). La technique psychanalytique, op. cit.

4

Klein M., (1921). « Le développement d’un enfant », dans Essais de psychanalyse, Paris,

Payot, 1968, p. 29-89.

Klein M., (1923 a). « Les fondements psychologiques de l’analyse des enfants », dans La

En 1920, au cours d’un Congrès, elle rencontre Hug-Hellmuth qui l’accueille

assez froidement. Elle fait également la connaissance d’Abraham qui s’intéresse

beaucoup à ses travaux.

En 1921, Klein s’installe à Berlin encouragée par Abraham et par la crise

naissante de la Société psychanalytique de Budapest. Elle pratique déjà la psychanalyse et tout au long de sa vie son approche des enfants névrosés ne change pas. Ses intérêts cliniques et théoriques l’amènent à explorer le champ méconnu de la psychose et à

formuler ses premières hypothèses concernant les formes primitives de l’organisation

psychique. Sous l’impulsion d’Abraham, Sachs, Reik, Horney et Simmel, la ville de

Berlin devient un centre actif et innovateur du mouvement psychanalytique en Europe. Pour de courtes périodes, les rejoignent Deutsch de Vienne, Rado et Alexander de Budapest, et selon des périodes variables les époux Strachey et les frères Glover de Londres.

En 1922, au Congrès international de psychanalyse de Berlin, auquel Freud assiste, Klein présente Le développement et l’inhibition des aptitudes chez l’enfant,

qu’elle intitulera plus tard Les fondements psychologiques de l’analyse des enfants5

. Après l’analyse de Fritz6

, celle de Rita lui permet de mettre en place la « play technique ».

En 1923, Klein est élue membre de la Société psychanalytique de Berlin et elle poursuit sa pratique analytique avec les enfants.

En 1924, au VIIIe Congrès international de Salzbürg, elle présente une contribution théorique concernant Les premiers stades du conflit œdipien et la formation du surmoi7 qui entraîne de vives critiques, car elle met en question la datation freudienne du complexe d’Œdipe. Lors de la Première conférence des psychanalystes de

Würzburg, Klein est déjà reconnue comme psychanalyste d’enfants. Elle présente Une

5

Ibid.

6

Klein M., (1921). « Le développement d’un enfant », dans Essais de psychanalyse, op. cit.

7

Klein M., (1924 a). « Les premiers stades du conflit œdipien et la formation du surmoi », dans

névrose obsessionnelle chez une petite fille de six ans8 et montre que la petite Erna possède un Surmoi excessivement cruel, et cela bien avant la résolution du complexe

d’Œdipe dont, selon Freud, le Surmoi est l’héritier. Abraham souligne l’importance de

cette découverte et déclare à l’assistance que l’avenir de la psychanalyse est dans

l’analyse des enfants9

. La même année, elle se rend à Vienne pour une conférence devant la Société viennoise de psychanalyse en présence de Freud et de sa fille qui la reçoivent de façon distante. Freud est alors préoccupé par la publication de Rank intitulée : Le traumatisme de la naissance10 qui remet en cause de façon dangereuse la théorie psychanalytique des névroses. À ce moment-là, l’assassinat de Hug-Hellmuth

est encore très présent à l’esprit des Viennois. Klein commence aussi une nouvelle

analyse avec Abraham qu’elle interrompt soudainement à la mort tragique de celui-ci en

mai 1925. L’influence d’Abraham11

est déterminante, Klein lui reste éternellement reconnaissante pour son analyse, son enseignement, son soutien et son inspiration pour de nombreux concepts qu’elle développe par la suite.

Dès 1925, Klein est invitée par la British Psychoanalytical Society (BPS) pour donner trois semaines de conférences sur la psychanalyse avec les enfants. A. Strachey l’aide pour la traduction et les préparatifs de départ. À ce moment-là, Jones est président

de la BPS et déjà un fidèle allié. Les psychanalystes anglais découvrent son travail et Klein rencontre les futurs protagonistes des grands débats qui ont lieu entre 1940 et 1944 : il s’agit de Isaacs, Payne, J. et E. Glover, Rickman, Rivière, Sharpe, J. et S.

Strachey. Isaacs est directrice d’Études de psychologie à l’université de Londres, elle

invite Klein à la Malting House School de Cambridge, une école pionnière qui accueille des enfants entre deux ans et demi et sept ans. L’approche pédagogique qui domine au

sein de cette école consiste à laisser le champ libre à l’imagination, aux explorations et

8

Klein M., (1924 b). « Une névrose obsessionnelle chez une petite fille de six ans », dans La

psychanalyse des enfants, op. cit.

9

Klein M., (MKT). Autobiography, The Writing of Melanie Klein, vol. I, II, III, IV, London, The Hogarth Press and The Institute of Psycho-Analyis, Melanie Klein Trust Fund, 1975.

10

Rank O., (1924). Le traumatisme de la naissance, Paris, Payot, 1968.

11

Abraham K., (1907-1914). Œuvres complètes, t. I, Paris, Payot, 1989. Abraham K., (1915-1925). Œuvres complètes, t. II, Paris, Payot, 1989.

aux expérimentations des enfants. Les professeurs sont présents et notent discrètement leurs observations. À la suite de ses échanges fructueux avec Klein, en Angleterre, Isaacs12 est la première à introduire l’approche psychanalytique dans le domaine de

l’enfance et de l’éducation. Certains psychanalystes de renom reçoivent les idées de

Klein de façon très positive et l’encouragent à émigrer à Londres. De nouvelles

perspectives de travail et de vie tout à fait intéressantes s’ouvrent alors et elle décide de

s’installer dans la capitale anglaise en septembre 1926. Elle commence à analyser les

enfants de Jones. Elle est écoutée avec respect et rapidement, elle devient le centre

d’attention et d’intérêt de la communauté analytique anglaise. Ses concepts théoriques

attirent le groupe des psychanalystes britanniques de naissance ou d’adoption.

En 1930, le groupe kleinien se constitue annonçant la naissance d’une nouvelle

école de psychanalyse avec ses propres orientations théoriques et cliniques, sa technique, sa terminologie et la formation de ses psychanalystes. La publication de La psychanalyse des enfants13 marque le sommet de l’influence de Klein et le renforcement

des critiques de ses adversaires, dont font partie A. Freud, Schmideberg (sa propre fille) ainsi que E. Glover. Ils sont à la tête de ses détracteurs et tout particulièrement, lors des Grandes Controverses, entre 1941 et 194414.

Pendant deux décennies, Klein est la personnalité la plus importante de la British Psychoanalytical Society (BPS). Elle marque considérablement le mouvement psychanalytique anglais et l’influence de l’école kleinienne s’étend avec succès en

Europe et à travers le monde.

Abraham K., (1924). « Esquisse d’une histoire du développement de la libido basée sur la

psychanalyse des troubles mentaux », dans Œuvres complètes, vol. 2, Paris, Payot, 1989.

12

Isaacs S., (1943). « The nature and the function of phantasy », International Journal of

Psycho-Analysis, 29, 1948, p. 73-97.

13

Klein M., (1932 a). La psychanalyse des enfants, Paris, P.U.F., 10e édition, 1998.

14

King P., Steiner R., (1996). Les controverses, Anna Freud, Melanie Klein, 1941-1945, Paris, P.U.F.