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LA PSYCHANALYSE AVEC LES ENFANTS : HISTOIRE, THÉORIE, CLINIQUE

II. Hermine Hug-Hellmuth

8. Au-delà de Klein

L’œuvre de Klein a donné des impulsions de recherches : à Meltzer, Tustin et

Mahler pour l’étude de l’autisme infantile ; à Bick71

sur la question les états psychiques du nourrisson antérieurs à la distinction entre espace interne et espace externe ; à Winnicott sur le concept d’« espace transitionnel » ; à Balint sur les groupes de travail et

de réflexions sur les études de cas : les groupes Balint. D’autres psychanalystes

initialement kleiniens comme Fairbrain s’opposent aux conceptions de Klein ; Bolwby

approche l’enfant de façon éthologique ; Bion soutient qu’il y a un noyau psychotique

dans chaque individu ; Laing critique la théorie structurale du psychisme et la technique de la psychanalyse avec les enfants. Ils s’éloignent irrémédiablement des conceptions

kleiniennes et certains même de la psychanalyse qui suit les enseignements freudiens. Le rayonnement de l’œuvre de Klein est mondial. Cette psychanalyste de génie marque

la psychanalyse en général et la psychanalyse avec les enfants en particulier. Il est indéniable que ses recherches sur la clinique des premiers temps de la vie et la relation archaïque mère-enfant apportent une meilleure compréhension de la psychose et amorcent l’ouverture de la voie de la psychanalyse avec les nourrissons72

. Ses contributions théoriques sur la précocité du complexe d’Œdipe, la formation du Surmoi

et de la culpabilité, ainsi que « la position paranoïde-schizoïde », « la position dépressive » et l’envie ouvrent encore de nouvelles perspectives de réflexions

théoriques et cliniques.

70

Laurent É., (1996). « Comment évaluer l’interprétation aujourd’hui ? Une relecture du cas

Richard de Melanie Klein », Groupe petite enfance, 8/9, p. 5-15.

71

Bick E., (1968). « The Experience of the Skin in Early Object Relations », International

Journal of Psycho-Analysis, 49, p. 484-486.

72

Klein M., (1959). « Les racines infantiles du monde adulte », dans Envie et gratitude et autres

Je lui rends ici un vif hommage car elle m’a permis de mettre des mots sur

l’indicible qui est parfois au rendez-vous lors de la rencontre et le travail avec les

enfants autistes ou psychotiques que j’ai reçu depuis plus de quinze ans et que je reçois

encore actuellement au Vietnam. Ses conceptions amènent Klein à penser que la psychanalyse peut traiter la totalité des formes de souffrance psychique des jeunes enfants, des psychotiques et des criminels. Malgré le pessimisme qui marque la fin de sa vie, elle reste l’exemple de la créativité et de l’intrépidité psychanalytique du XXe

siècle. Ce pessimisme est sans doute une conception réaliste de la condition humaine, des impossibles qui lui sont liés et des limites mêmes de la psychanalyse.

IV. Anna Freud et l’Ego Psychology 1. A. Freud

Née à Vienne en 1895, l’année de la publication des Études sur l’hystérie, A.

Freud est la fille du créateur de la psychanalyse. Grande figure de l’histoire de la

psychanalyse avec les enfants, son travail assidu, son dévouement aux enfants et à la psychanalyse en témoignent particulièrement1. Au début de sa carrière, entre 1914 et 1920, A. Freud est institutrice. Analysée par son père entre 1918 et 1925, avec une interruption entre 1922 et 1924, elle devient la « Fidèle Antigone-Anna » du foyer paternel2 tout en conjuguant les rôles de disciple, de confidente et d’infirmière. Freud

exprime en toute franchise à Andreas-Salomé ses véritables sentiments envers sa fille, en lui disant qu’il est tout aussi incapable de renoncer à Anna, que de se priver de

tabac3. En réalité, Freud n’est pas dupe de cette explication œdipienne, il sait fort bien

que cette analyse a eu pour effet de renforcer l’amour que lui porte sa fille, et que

l’affirmation de sa réussite n’est que l’expression d’une passion impossible à dénouer.

La correspondance entre A. Freud et son père n’est pas encore publiée, mais elle peut

être consultée à la Bibliothèque du Congrès de Washington et doit être riche

d’enseignements.

En 1922, elle est admise à la Société viennoise de psychanalyse après la présentation de Fantasmes et rêves diurnes d’un enfant battu4

. Ce texte est un développement théorique qui suit de très près la ligne conceptuelle du texte de Freud Un

1

Young-Bruehl A., (1988). Anna Freud, Paris, Payot, 1991.

Peters U.-H., (1985). Anna Freud, A life dedicated to children, London, Weidenfeld and Nicolson.

2

Freud S., (1873-1939). Correspondances, Paris, Gallimard, 1991, p. 417.

3

Andreas-Salomé L., (1912-1913). Correspondance avec Sigmund Freud (1912-1936), Paris, Gallimard, 1970, p. 143.

4

Freud A., (1922). « Fantasme d’être battu et rêveries », dans Féminité mascarade, Le Seuil,

enfant est battu5, il en constitue même l’illustration clinique. Selon Young-Bruehl,

l’étude de ces dates permet de formuler l’hypothèse que ce cas concerne directement A.

Freud.

En 1923, elle commence son travail clinique avec les enfants.

En 1925, elle est élue directrice du nouvel Institut de psychanalyse de Vienne puis elle est responsable de l’édition des œuvres de son père. À la mort d’Abraham, avec la

défection de Rank et les disputes avec Ferenczi et Jones, Freud lui délègue de plus en plus de pouvoir au sein de la Société psychanalytique de Vienne et de l’International

Psychoanalytical Association (IPA).

En 1927, elle crée un Séminaire de psychanalyse avec les enfants, des collègues de Prague et de Budapest y assistent. Les premières publications d’A. Freud concernent

son approche de l’enfant et l’influence de la pensée analytique sur l’éducation. Pendant

ce temps, à Budapest et à Berlin, Klein continue d’ouvrir la voie d’une nouvelle

approche clinique et théorique de l’enfant en privilégiant le développement préœdipien

et la relation mère-enfant. Les divergences entre les deux orientations sont posées dès 1927.

En 1936, Le Moi et les mécanismes de défense6 confirme des positions théoriques qui vont à l’encontre des recherches de l’école anglaise. A. Freud reprend la notion de

défense freudienne et en fait l’axe central d’une conception de la psychanalyse centrée

sur le Moi et son adaptation à la réalité. Elle met en place véritable une pédagogie du Moi au détriment de l’exploration de l’inconscient

En 1938, A. Freud et sa famille émigrent en Angleterre à cause de la première guerre mondiale. Depuis de nombreuses années déjà, les thèses kleiniennes dominent la British Psychoanalytical Society (BPS) et procèdent à des remaniements de l’orthodoxie

5

Freud S., (1919 d). « Un enfant est battu », Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles, (Anciennement : « On bat un enfant »), dans Névrose, psychose et

perversion, op. cit., p. 219-244.

6

freudienne. Le conflit se précise entre les deux femmes et leurs supporters respectifs lorsqu’elles se trouvent ensemble à Londres et il se déchaîne en 1942, lors des Grandes

Controverses. Au début de la guerre, grâce à des aides internationales anglaises, suédoises et américaines, A. Freud et son amie Burlingham créent les Hampstead Nurseries. Ces centres accueillent les enfants sans-abri et poursuivent leurs activités sous l’impulsion et l’influence d’A. Freud. Elle y assure la formation de professionnels

travaillant avec les enfants (enseignants, pédiatres, éducateurs, infirmiers) et favorise

l’orientation psychanalytique annafreudienne. De très nombreuses observations

cliniques sur le développement de l’enfant sont alors rassemblées et concernent des

enfants ayant subi des séparations, des ruptures ou des réinsertions familiales plus ou moins contraintes. Elles font l’objet de deux publications : Les jeunes enfants en période

de guerre et Enfants sans famille7.

En 1946, Le traitement psychanalytique des enfants8 suit en droite ligne certaines des directions de Freud lors de la cure du petit Hans. Par contre, A. Freud s’écarte des

principes fondamentaux de la psychanalyse avec les enfants en maintenant le principe d’une cure donnée au sein de la famille, sous son contrôle ou celui d’une institution

éducative. Elle souligne également que l’enfant a une structure psychique fragile et que

son immaturité ne lui permet pas de bien explorer son inconscient. De plus, elle soutient que son Surmoi n’est pas encore assez ferme et que cela rend difficile l’analyse du

complexe d’Œdipe.

En 1952, la Hampstead Clinic qui est à la fois dispensaire et un centre de formation, devient la Hampstead Child Therapy Clinic, un Centre de Thérapie et de Recherches Psychanalytiques contribuant à la formation de nombreux analystes. A. Freud poursuit ainsi son travail du côté de l’observation et de la compréhension du

développement de l’enfant, son orientation pédagogique est fermement posée9

. De

7

Freud A., Burlingham D., (1942). Young children in war-time: a year’s work in a residential

war nursery, London, George Allen.

Freud A., Burlingham D., (1943). Enfants sans famille, Paris, P.U.F., 1949.

8

Freud A., (1946). Le traitement psychanalytique des enfants, op. cit.

9

Freud A., (1965). Le normal et le pathologique chez l’enfant, Paris, Gallimard, 1968. Freud A., (1968). L’enfant dans la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1976.

nombreux praticiens et institutions soignantes liées au courant de l’Ego Psychology

restent dominants en Europe et aux États-Unis d’Amérique, le nom d’A. Freud et son

enseignement y demeurent très présents.

Je vais maintenant étudier certaines des positions théoriques et cliniques soutenues par A. Freud dans le champ de la psychanalyse avec les enfants, afin d’en

dévoiler certaines impasses.