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LA PSYCHANALYSE AVEC LES ENFANTS : HISTOIRE, THÉORIE, CLINIQUE

VI. Françoise Dolto : « Tout est langage »

4. Le cas Dominique

En 1967, lors des Journées sur les psychoses de l’enfant organisées par M.

Mannoni, Dolto présente Le cas Dominique, un adolescent de quatorze ans.

En 1971, elle retrace les douze séances du traitement psychanalytique ainsi que les entretiens avec la mère, le père et le frère aîné. Ses commentaires diagnostiques, théoriques et cliniques permettent d’explorer la question de la structure de la

psychose43. Dolto montre son détachement de toute orthodoxie quant au rythme des séances. Elle s’appuie sur sa pratique antérieure où les séances sont rapprochées.

Comme Winnicott, elle souligne la dimension unique de chaque traitement et la nécessité de prendre en compte une dimension temporelle différente en particulier avec certains patients psychotiques. En référence à ma pratique clinique à Hanoi et à Ho Chi Minh Ville ces dernières années, je dois dire que tant sur le plan affectif que sur le plan signifiant, la densité des séances espacées a sa valeur tant du côté de l’implication du

patient et de sa famille que du côté de l’analyste et de son travail d’interprétation.

La mère de Dominique est enceinte lorsqu’elle apprend la disparition de son

beau-frère. Jusqu’à la naissance de sa fille, le décès ne peut être déclaré. Le signifiant

« S’il vit » est prononcé durant toute cette période d’attente et d’espoir de retrouver

l’oncle disparu, à la naissance le nouveau-né reçoit le prénom « Sylvie ». Lorsqu’il est

petit, Dominique montre une très forte angoisse lorsqu’il voit téter sa petite sœur : « Il

lui arrachait le sein, ne voulant pas la voir “ manger Maman ”44

. » Avant d’être sevré, il

43

Dolto F., (1971). Le cas Dominique, op. cit.

44

parle un jargon particulier, puis il se sèvre lui-même, mais il peut téter de nouveau aussi souvent et autant qu’il le veut tout le temps de l’allaitement de sa petite sœur45

.

Pour lui, tout change à partir de la naissance de cette enfant adulée par les deux familles, car elle vient occuper une place laissée vacante dans l’histoire familiale : elle

est la seule fille depuis plusieurs générations ! Néanmoins, bien avant cette naissance, la mère note chez son fils cadet, la fuite des contacts physiques avec elle-même et les autres, ainsi que la présence de terreurs paniques des manèges et des bicyclettes.

Après un entretien avec la mère, Dolto montre bien comment cette mère sexuellement infantile amène ses enfants du côté de la tentation de l’inceste. Elle pose

d’ailleurs son fils aîné comme son compagnon privilégié : « Si bien que Mme Bel

jouant, comme elle dit, dans le comportement social et familier, le rôle du père et de la

mère, “ ses enfants ne voyaient donc pas la différence entre leur père et moi, entre la

présence ou l’absence de leur père. ” Du moins c’est ce qu’elle voudrait qu’ils pensent ;

c’est ce qu’il faut avoir l’air de croire pour sécuriser la maman46

. »

Je repère ici la fonction paternelle et son effet déterminant dans les symptômes de régression, de confusion et de phobie de Dominique. L’enfant est placé par la mère en

position de phallus, il est un objet utilisé pour un corps à corps passif, pour la chaleur qu’il lui apporte et pour combler la solitude qu’elle ne supporte pas le soir dans son lit,

pendant que son mari est en voyage : « C’était quand j’avais 7 ans, c’était elle qui

voulait, et puis moi je savais pas, et puis ça me faisait drôle comme vous avez dit tout à l’heure (il veut dire les érections). Et puis maman, elle me disait : “ Viens, ça me tiendra

chaud. ” Et puis c’est agréable. Mais vous savez (il baisse le ton), elle veut pas quand

papa est là. Parce qu’elle s’ennuie vous comprenez ; ça serait bien mieux s’il était

épicier, parce qu’alors, il pourrait toujours la chauffer dans son lit47

. »

45

Ibid., note de bas de page, p. 73.

46

Ibid., p. 147-148.

47

« Mais oui, Sylvie, elle m’a bien dit, c’est pas pour être avec ma mère, c’est pour

avoir la couverture chauffante, comme ça, elle est ma mère aussi48. » L’enfant confond

alors l’être et l’avoir, le commentaire de Dolto est sans équivoque : « L’angoisse est là,

de déplaire à une mère puissante et nécessaire, qui peut, par son oubli, vous faire perdre votre statut de fils, qui peut en ne vous nourrissant et en ne vous chauffant plus, vous faire sentir laid et inutile49. »

Les séances d’analyse donnent à Dominique la possibilité de raconter son histoire

avec ses rêves, ses dessins et ses modelages. D’emblée, l’enfant situe sa problématique :

« Voilà, moi je ne suis pas comme tout le monde, quelquefois en m’éveillant, je pense

que j’ai subi une histoire vraie50

. »

Dolto commence à mettre en question le diagnostic de débilité posé antérieurement et souligne un élément de forclusion intéressant concernant la différence des sexes : « Popo » et « Pis » sont les seuls signifiants de tout le bassin et du fonctionnement sexué et excrémentiel des garçons comme des filles51.

Au cours du travail analytique, Dominique retrouve peu à peu le sens de son histoire et la vérité qui lui est liée. Il approche la scène primitive et les fantasmes

œdipiens, en particulier à la troisième et à la dixième séance). Il est alors capable de

raconter ses souvenirs concernant ses aïeules et de bien préciser qui est concerné. Il ne délire plus et sort de sa confusion des lieux et des familles ; il se situe dans le temps et

l’espace ; il est maintenant capable de démontrer de l’agressivité face à son frère aîné

qui est particulièrement abusif avec lui.

La lecture du Cas Dominique m’a permis de bien repérer les épisodes vécus par

l’enfant, ainsi que l’implication massive du fantasme maternel et de l’histoire familiale

transgénérationnelle dont l’enfant finit par être porteur. Son symptôme est lié à la

48 Ibid., p. 103. 49 Ibid., p. 105. 50 Ibid., p. 33. 51 Ibid., p. 150.

subjectivité de la mère et à son fantasme52. Dans la postface, Dolto fait quelques commentaires concernant la psychanalyse avec les enfants hors institution et la difficulté que peut constituer l’analyse d’un enfant posé à un point d’équilibre du

groupe familial53. Au cours de l’analyse, à tout moment, certaines difficultés parallèles

peuvent surgir. Celles-ci sont dues aux tensions et aux menaces de rupture de l’équilibre

établi au sein d’une famille dont les parents sont eux-mêmes névrosés. Dolto dit que

Dominique n’est guéri que de sa régression psychotique et qu’il est en cours

d’élaboration tardive des composantes œdipiennes. Malgré l’arrêt du traitement imposé

par le père, elle reste confiante quant à ses possibilités de stabilisation et de création de lien social. Dans la perspective de Dolto, il y a des signifiants dont le sujet est redevable. L’histoire sans être linéaire est aussi événementielle, elle est faite de mots, de

non-dits, de malentendus, d’aléas, d’affects et d’héritages de l’histoire familiale. Elle

soutient qu’il y a une reprise possible de l’organisation subjective. Dans la perspective

lacanienne, les champs du langage et de l’Autre sont à prendre en compte. L’émergence

du symptôme en articulation avec les structures de la psychose infantile, dont l’autisme

est une variante, est liée aux rapports du sujet avec l’Autre. Je tiens à souligner qu’il

s’agit bien là d’un rapport de structure et non d’un rapport d’interactions entre les

différents partenaires d’une famille. Une question émerge : pour l’enfant psychotique,

l’Autre n’apparaît-il pas comme non barré, non porteur de signifiants ? S’interrogeant

sur la psychose Lacan dévoile que « Tout laisse apparaître que la psychose n’a pas de

préhistoire »54 et met en avant la forclusion du Nom-du-Père en tant que manque au

niveau du signifiant. Le champ de la réflexion reste ouvert…