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LA PSYCHANALYSE AVEC LES ENFANTS : HISTOIRE, THÉORIE, CLINIQUE

II. Hermine Hug-Hellmuth

6. Envie et gratitude

En février 1955, Klein fonde le Melanie Klein Trust Fund. Cette association qui existe encore aujourd’hui promeut la recherche en psychanalyse à partir des concepts

kleiniens. En juin, elle expose sa dernière grande contribution théorique au Congrès de Genève : Une étude sur l’envie et la gratitude puis Envie et gratitude et autres essais57

poursuit cette étude sur le concept d’« envie » dont elle situe l’origine dans l’œuvre

d’Abraham, en particulier dans l’Esquisse d’une histoire du développement de la libido

basée sur la psychanalyse des troubles mentaux58 qui présente une exploration des racines des pulsions destructives. L’envie peut être caractérisée comme une vicissitude

55

Ibid., p. 83.

56

Meltzer D., (1980). Explorations dans le monde de l’autisme, Paris, Payot.

57

Klein M., (1957 a). « Envie et gratitude », dans Envie et gratitude et autres essais, Paris, Gallimard, 1968, p. 9-93.

58

Abraham K., (1924). « Esquisse d’une histoire du développement de la libido basée sur la

particulière de la pulsion de mort telle que Freud ou Lacan la décrivent : Freud pose le bonheur du nourrisson au moment de l’allaitement au sein comme le prototype de toute

gratification sexuelle ; Lacan fait référence au concept d’« envie » (14) dans Le

Séminaire XI, Les quatre concepts de la psychanalyse59 en présentant le paradigme de l’envie dans le passage de saint Augustin qui, dans les Confessions60

, relate la scène

d’un frère aîné regardant son jeune frère téter sa mère. La pulsion scopique et l’envie

sont alors mêlées. Les auteurs R. et R. Lefort61 reprennent ce concept de façon magistrale dans le travail clinique et le commentaire théorique réalisé à propos de la petite Nadia.

À partir de la notion d’avidité, Klein isole l’envie et la distingue avec précaution

de la jalousie. L’envie est au cœur de la relation binaire et s’exprime dans une

dépendance à l’objet où le rival n’est pas encore perçu. L’envie est destructrice et

concerne l’objet d’amour, son mécanisme est l’identification projective. Klein est la

première à formuler le concept d’« envie du sein primaire » et à considérer l’envie

comme une réaction infantile à la frustration. La jalousie dérive d’une peur de perdre ce qui est possédé, elle inclut un rival œdipien dont la haine est la conséquence de l’amour

pour l’objet. L’avidité est insatiable et tend, par le mécanisme d’introjection, à

s’emparer de toutes les bonnes choses contenues dans l’objet.

Avec ce travail théorique, Klein transpose ses premiers développements théoriques sur les anxiétés précoces et les mécanismes de défense dans un cadre où

l’envie occupe une place centrale ; elle met ainsi en jeu une organisation psychique qui

pose une limite à ses effets destructeurs. Klein reprend ses concepts précédents et les élabore à nouveau en accord avec leur relation à l’envie. Dans le travail analytique, elle

souligne les effets insidieux de l’envie du côté de la destruction. La gratitude vient

contrebalancer ces effets, elle est basée sur l’expérience du nourrissage et l’introjection

59

Lacan J., (1964 b). Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la

psychanalyse, op. cit., p. 115-116.

60

Augustin (saint)., (397-401). Confessions, Paris, Pierre Horay, réed. Paris, Le Seuil, 1982, p. 36.

61

Lefort R. et R., (1980). Naissance de l’Autre. Deux psychanalyses, Nadia 13 mois,

du bon sein. La gratitude participe à la capacité d’amour fusionnant ainsi l’envie dans le

Moi intégré, c’est une expression de la pulsion de vie. Selon l’enseignement de Lacan,

je peux avancer que la gratitude est liée à la confiance dans les généreuses et gratifiantes figures de l’Autre. Il s’agit d’une forme de jouissance régulée et symbolisée par le désir

de l’Autre qui s’oppose à la jouissance excessive et autodestructrice. Avec ce nouveau

concept, Klein interprète aussi la notion freudienne d’envie du pénis chez la fille,

« penisneid »62 et la situe précocement du côté d’une envie du sein de la mère et des

sentiments destructifs qui lui sont liés et qui se manifestent par la suite dans la rivalité

œdipienne. Ainsi, chez la petite fille, lorsque l’envie pour la mère est fortement

sollicitée, malgré ses qualités, le père est désiré comme attribut de la mère, comme objet

de l’objet. Chez le petit garçon, une envie excessive pour la mère pousse à un complexe

d’Œdipe inversé. Klein explore les différentes manifestations cliniques de l’envie chez

les hommes et les femmes. La résolution de l’envie devient alors une priorité, la

clinique et l’analyse du transfert sont les chemins pour l’accomplir. Klein insiste sur le

travail d’intégration permis par l’analyste lors de la régression du sujet aux positions

reculées de sa structuration.

Les trois dernières années de la vie de Klein sont marquées par la présentation

d’un article au Congrès de Paris et de deux articles au Congrès de Copenhague : Sur le

développement du fonctionnement mental63 est le prolongement du texte sur l’envie ;

Une note sur la dépression chez le schizophrène64 poursuit ses réflexions sur la psychose ; Se sentir seul65 idéalise l’état de solitude aspirant à un état interne parfait,

elle cite le travail de Bion66 sur le jumeau imaginaire, celui-ci poursuivra les travaux de Klein sur la psychose. Cette question de la solitude abordée par Klein n’est peut-être pas

sans lien avec le fait que Lacan fasse de la solitude le partenaire d’une femme (15) !

62

Freud S., (1905 a). Trois essais sur la théorie de la sexualité, op. cit., p. 124-125.

63

Klein M., (1957 b). « Sur le développement du fonctionnement mental », dans Le transfert et

autres écrits, op. cit., p. 51-64.

64

Klein M., (1960). « Une note sur la dépression chez le schizophrène », dans Le transfert et

autres écrits, op. cit., p. 65-69.

65

Klein M., (1963). « Se sentir seul », dans Envie et gratitude et autres essais, op. cit., p. 120-137.

66

Dans le même temps Klein travaille assidûment à la rédaction du récit de l’analyse de

Richard : Psychanalyse d’un enfant qui paraît en 1961, un an après sa mort. Elle analyse

l’enfant en 1941 et utilise quelques éléments du matériel clinique dans son article Le

complexe d’Œdipe éclairé par les angoisses précoces67

. La version définitive qu’elle

travaille soigneusement comporte les transcriptions de chaque séance, les annotations et les commentaires élaborés et remis à jour. Tel est sans aucun doute son ultime legs à la cause analytique.