• Aucun résultat trouvé

LA PSYCHANALYSE AVEC LES ENFANTS : HISTOIRE, THÉORIE, CLINIQUE

II. Hermine Hug-Hellmuth

2. La pratique analytique kleinienne : technique et théorie

Les innovations de Klein entraînent de vives réactions au sein des groupes psychanalytiques. À Vienne et Berlin, elle est considérée comme hérétique par certains de ses collègues car ses positions théoriques bouleversent la théorie freudienne. Néanmoins, elle gagne de nouveaux supporters à Londres et Berlin.

Klein centre ses investigations sur la technique du traitement des enfants et pose clairement qu’il n’y a pas de différence entre la psychanalyse d’un enfant et d’un adulte.

Comme les enfants qu’elle traite sont très jeunes, elle introduit la « play technique » tout

en donnant une place majeure à la parole de l’enfant. Sur le plan théorique : elle

présente ses découvertes concernant la précocité du complexe d’Œdipe qu’elle situe

bien avant le moment décrit par Freud ; elle place la formation précoce du Surmoi et de la culpabilité autour du moment du sevrage et souligne le caractère très sévère du Surmoi dans la genèse des névroses. Dans l’International Journal of Psycho-Analysis15

nous trouvons un compte rendu des positions de Klein ainsi que des contributions de Rivière, Searl, Sharpe et E. Glover. En ce qui concerne la « play technique » et sa fidélité aux découvertes freudiennes, elles lui sont toutes favorables. Pour sa part, dans ses échanges de correspondance avec Jones, Freud réfute les positions de Klein selon lesquelles le Surmoi des enfants est aussi indépendant que celui des adultes et rejette aussi la possibilité d’une précocité du complexe d’Œdipe. Selon Freud, ce complexe est

situé au début de la deuxième année, puis il passe de la phase génitale du développement où il en situe l’acmé, à la phase phallique située entre trois et cinq ans. Néanmoins, il admet une période préœdipienne marquée par l’attachement à la mère où

le père n’est pas encore perçu comme rival, c’est le complexe d’Œdipe qui l’instaure

comme porteur de la loi. Au regard de mes expériences cliniques, je confirme cette précocité du complexe d’Œdipe et la présence d’un Surmoi particulièrement puissant et

parfois même féroce. De son côté, en 1926, avec Les principes de l’analyse des jeunes

15

Rivière J., Seal N., Sharpe F.-E., Glover E., (1926). International Journal of Psycho-Analysis, 7, p. 303-311.

enfants16, la fille de Freud entre sur la scène de la psychanalyse avec les enfants, formée par son père et Hug-Hellmuth. En mai 1927, elle donne une série de conférences à l’Institut viennois de psychanalyse et en mars elle présente une communication sur

l’analyse des enfants à la Société psychanalytique de Berlin où elle attaque Klein de

façon très virulente.

En 1927, Klein présente un travail sur la technique psychanalytique et ses nouveaux concepts lors du Colloque sur l’analyse des enfants17

. Celui-ci est déjà une réponse aux conférences d’A. Freud et à ses accusations. Le débat entre les deux

femmes et leurs alliés respectifs dure quelques années. Klein argumente ses attaques sur différents points de la position d’A. Freud : l’âge de l’enfant ; la psychanalyse et

l’éducation ; les différences entre l’enfant et l’adulte ; les questions cruciales du

transfert et de l’interprétation. L’enfant n’est pas le sujet immature décrit par A. Freud

en 1926. Klein soutient que l’analyse précoce est possible car la première année de la

vie présente déjà les structures psychiques qui modèlent ses futurs développements :

« L’analyse des jeunes enfants démontre que le conflit œdipien s’installe dès la seconde

moitié de la première année et que l’enfant commence dès lors à en modifier la structure

et à édifier son Surmoi. Mais si comme nous le constatons, le tout jeune enfant est déjà sous le poids de la culpabilité, c’est là une excellente voie d’accès pour l’analyse18

. » Dans la conception kleinienne, la structuration du sujet survient à un âge précoce et ne se termine finalement jamais. Klein rejette également la position d’A. Freud qui se ligue

les parents ou se met en compétition avec eux pour faire de l’enfant un allié. Selon

Klein, l’analyste doit s’attendre à déclencher l’hostilité et la jalousie du côté de ceux qui

prennent soin de l’enfant. Son premier travail clinique révèle le lien entre la

psychanalyse et l’éducation, tout comme le père du petit Hans, elle réunit ces deux

16

Freud A., (1927). « Quatre conférences sur la psychanalyse pour les enseignants et les parents », dans Writings of Anna Freud, op. cit.

17

Klein M., (1927 a). « Colloque sur l’analyse des enfants », dans Essais de Psychanalyse, op.

cit., p. 142-165.

Klein M., (1927 b). « L’importance des mots dans l’analyse précoce », dans Le transfert et

autres écrits, Paris, P.U.F., 2e édition, 1999, p. 81-82.

18

Klein M., (1923 a). « Les fondements psychologiques de l’analyse des enfants », dans La

orientations. En 1920, ceci est déjà considéré comme indésirable de la part de Hug-Hellmuth. Alors qu’elle commence à travailler avec les présupposés pédagogiques des

psychanalystes qui l’ont précédée, Klein est très vite convaincue que l’analyse de

l’enfant doit renoncer à toute ambition pédagogique. Elle souligne l’incompatibilité du

travail éducatif et psychanalytique, car le rôle éducatif masque la position de l’analyste

qui assume le rôle de Surmoi et bloque la voie des pulsions en proposant une identification idéale et trompeuse. Je tiens à souligner que Klein est la première clinicienne à poser fermement les limites de la pratique analytique avec les enfants.

L’enfant de deux ans et neuf mois peut être un analysant à part entière, néanmoins Klein

n’explique pas vraiment les raisons de cet âge limite19

. Mais nous savons par Winnicott20 que pour Klein, l’âge de deux ans est un âge favorable pour entamer une

analyse avec un enfant car les fantasmes oraux primaires, les angoisses et les défenses qui s’y rattachent, sont discernables par rapport aux processus mentaux secondaires plus

élaborés. Elle considère l’enfant comme un être autonome. En effet, même si dans sa

vie sociale et familiale, il ne l’est pas tellement, il peut se révéler tout à fait indépendant

au cours de l’expérience analytique. Elle refuse aussi de restreindre l’analyse aux seuls

enfants d’analystes ou aux partisans de la psychanalyse, comme c’est souvent le cas à ce

moment-là. Elle démontre que dès les premières séances, l’enfant s’engage dans la

relation transférentielle et soutient que la névrose de transfert est présente chez l’enfant

comme chez l’adulte. Elle pose la présence d’un Surmoi précoce qui marque une liberté

de l’enfant vis-à-vis des parents et sa faculté à investir l’analyste comme objet de

transfert. Elle remarque que les résistances de l’enfant sont autant présentes que celles

de l’adulte, et qu’elles se manifestent très souvent par l’angoisse reliée à la culpabilité :

« Dans l’analyse des enfants, le transfert s’établit en effet dès le début, et l’analyste peut

en constater souvent le caractère très positif. Mais si l’enfant se montre timide, angoissé

ou seulement un peu méfiant, ce comportement trahit un transfert négatif, et il devient encore plus urgent d’interpréter le plus tôt possible, car l’interprétation atténue le

19

Klein M., (1927 a). « Colloque sur l’analyse des enfants », dans Essais de Psychanalyse, op.

cit.,

20

Winnicott D.-W., (1941). « L’observation des jeunes enfants dans une situation établie », dans

transfert négatif en ramenant les affects qui l’accompagnent à la situation et aux objets

auxquels ils étaient liés à l’origine21

. » De plus, comme le remarque Lacan : « Madame Melanie Klein argumente au contraire que rien n’est plus semblable à l’analyse d’un

adulte qu’une analyse d’enfant, et même à un âge extrêmement précoce, ce dont il s’agit

dans l’inconscient de l’enfant n’a déjà rien à faire, contrairement à ce que dit

mademoiselle Anna Freud, avec les parents réels. Déjà entre deux ans et demi et trois ans, la situation est tout à fait modifiée par rapport à ce qu’on peut constater dans la

relation réelle22. »

Elle poursuit son travail guidée par la recherche de la liberté et de la richesse fantasmatique qui prennent alors place dans la psychanalyse avec les enfants. Elle souligne la spécificité du travail analytique qui doit être immédiatement dirigé vers le traitement de l’angoisse et de la culpabilité du jeune patient. Au-delà des exigences de

la réalité, certains aspects de l’activité de l’enfant sont des émanations de fantasmes

inconscients. Klein analyse et travaille ainsi la relation de l’enfant avec la représentation

inconsciente des parents qui constitue les fondations de sa psyché. Le désir de savoir est une composante essentielle de sa conception du transfert. Il est intéressant de noter que Freud et Klein divergent quant à la question du désir de savoir de l’enfant. Selon Freud,

la pulsion épistémohilique est liée au temps du complexe d’Œdipe et aux recherches

sexuelles de l’enfant survenant à l’âge de trois ans et demi quatre ans. Le désir de savoir

et de comprendre concerne initialement la sexualité parentale et l’énigme de la

naissance. Il soutient que toute pulsion épistémophilique est un mode de sublimation de cette investigation initiale. Selon Klein, le désir de savoir de l’enfant est précocement

connecté avec l’intérieur du corps de la mère. Elle met l’accent sur l’analyse du Surmoi

et des fantasmes de l’enfant concernant l’intérieur du corps de la mère ainsi que les

objets contenus dans celui-ci. Concevoir l’intérieur du corps de la mère est le désir de

l’enfant, son acmé se situe quand la mère est le monde. La curiosité au sujet du corps de

la mère s’étend vers le corps propre et joue aussi un rôle dans la formation du monde

interne et du monde externe lié au symbolique et à la relation aux autres. La sublimation

21

Klein M., (1932 a). La psychanalyse des enfants, op. cit., p. 33.

22

est un moyen de manipuler les pulsions libidinales et de se défendre contre l’angoisse.

Cette pulsion épistémophilique est distinguée selon les motivations inconscientes comme désir primaire destructeur ou comme désir motivé par une angoisse dépressive ou persécutrice.

2.1. Les axes du traitement : transfert et interprétation

Dans la conception kleinienne, l’enfant rejoue dans la relation transférentielle le

désir primordial de savoir ce qui se passe à l’intérieur du corps de la mère. Le transfert

de l’enfant met donc l’analyste en position de mère qui contient « les bons et les

mauvais objets »23. Ces objets tendent à retourner à l’intérieur du sujet et peuvent être

réintrojectés. Les productions du sujet incluent toujours une référence inconsciente à la relation transférentielle avec l’analyste.

Il me semble que le champ du transfert est marqué par une symétrie entre le sujet et l’Autre incarné par la mère-analyste. De plus, si la double position analyste-éducateur

est difficile à soutenir, qu’en est-il de la triple position analyste-mère-femme ? Je

souligne ici les difficultés et les limites à poser à la pratique analytique kleinienne. L’analyse du transfert est l’axe majeur du traitement : elle est réalisée à travers la

parole, même si l’enfant est très jeune et si l’utilisation d’autres techniques telles que le

jeu ou le dessin sont nécessaires. Il est important de marquer la place essentielle de la parole, car souvent l’approche kleinienne est uniquement associée à l’utilisation du jeu.

Pourtant, lorsque l’enfant engage une activité, Klein reste neutre : jouer, dessiner,

inventer, imaginer sont soutenus par la parole et ouvrent vers le travail d’interprétation

analytique. La technique de l’interprétation s’appuie sur le complexe d’Œdipe, sur son

épanouissement dans le transfert et sur la mise en jeu des aspects complexes des objets introjectés.

Depuis le début, Klein concentre son travail d’interprétation sur les fantasmes

inconscients de l’enfant et la relation d’objet qui y est contenue. Pour elle, la relation

23

Klein M., (1930 b). « La psychothérapie des psychoses », dans Essais de psychanalyse, op.

qu’un sujet établit avec un objet est plus importante que la pulsion elle-même : l’objet

est interne, il est le produit d’une introjection. Dans ses premiers travaux, et ceci ne facilite pas la lecture de son œuvre, Klein utilise différents termes pour se référer à la

même notion : par exemple les imagos qu’elle nomme plus tard les objets internes ; de

même qu’objet et phantasme sont interchangeables ; le concept de « phantasme »

désigne une structure psychique inconsciente, il est proche du terme de pulsion tandis que le concept de « fantaisie » désigne une structure psychique consciente comparable au rêve éveillé. Au passage, il est intéressant de noter l’influence des concepts kleiniens

de phantasme et de relation d’objet sur le concept d’« objet transitionnel » de Winnicott

et sur le concept d’« objet a » de Lacan et sa position fondamentale dans le fantasme.

Klein soutient que l’exactitude des interprétations est liée à ce qui est vrai du point de

vue de la réalité psychique : l’analyse et l’interprétation systématique du transfert sont

la base du traitement et la clef de ses effets thérapeutiques. Les conflits psychiques de l’enfant peuvent être résolus après avoir atteint le but de l’analyse : l’analyse complète

de la relation de l’enfant à ses parents, du complexe d’Œdipe et de la relation au

Surmoi. Je tiens à souligner que la réalité psychique décrite par Klein est très marquée par sa conception du sadisme infantile et de la psychose.

Ainsi, les critiques d’A. Freud et de Lacan contre l’interprétation symbolique

kleinienne et son caractère arbitraire, parfois déconnecté de la réalité inconsciente du matériel apporté par l’enfant, ont une certaine validité. Par exemple, certaines critiques

d’A. Freud concernent le fait que le jeu ne peut pas remplacer l’association libre. Mais

Klein se défend et dit qu’elle utilise le jeu pour accéder aux fantasmes de l’enfant.

L’enfant utilise des jeux dramatiques où il est impliqué avec l’analyste et les objets de la

pièce ; il abandonne d’ailleurs les jouets lorsque qu’il a exprimé ses fantasmes. Même

s’il est plus favorable à son approche, Lacan24

critique les interprétations symboliques un peu forcées des jeux et des dires de l’enfant en particulier dans le cas Dick. Dans les

cas cliniques de Fritz-Erich, Rita, Trude, Erna, Grete, Ruth, Peter, Kurt, Franz, Günther, Dick et John rapportés dans La psychanalyse des enfants, dans Essais de psychanalyse25

24

Lacan J., (1956-1957). Le Séminaire, Livre IV, La relation d’objet, op. cit., p. 75.

25

et dans L’analyse d’un enfant26

, je pense qu’il s’agit plutôt de constructions que

d’interprétations.

Klein communique au patient la construction de ses fantasmes, cela semble plus basé sur ses assomptions théoriques que sur les propres associations du patient. Du coup, la singularité de l’inconscient tend à disparaître et par ses interprétations Klein

réduit l’essence même des dires de chacun. Cela pose un véritable problème car

l’interprétation tend à devenir universelle et elle perd ainsi sa valeur d’invention et de

trouvaille unique pour ressembler à une forme d’insertion du patient dans le discours

analytique kleinien.

2.2. Le désir de l’analyste et la fin de l’analyse

En ce qui concerne le désir de l’analyste, Klein et Lacan sont proches même si ce

dernier souligne plus la singularité de l’analysant et l’abandon de l’identification à

l’analyste comme étant le but de l’analyse. Au cœur de la discussion, Klein pose

l’angoisse de l’analyste et sa relation précise avec l’incompatibilité entre les buts

analytiques et les buts éducatifs. L’analyse de l’angoisse et son lien avec la castration se

profile alors. L’analyste n’est-il pas celui qui assume sa propre castration et renonce

définitivement à apporter ce qui manque à son patient ? En ce qui concerne le désir de

l’analyste, Klein et Lacan sont proches même si ce dernier souligne plus la singularité

de l’analysant et l’abandon de l’identification à l’analyste comme étant le but de

l’analyse. Au cœur de la discussion, Klein pose l’angoisse de l’analyste et sa relation

précise avec l’incompatibilité entre les buts analytiques et les buts éducatifs. L’analyse

de l’angoisse et son lien avec la castration se profile alors. L’analyste n’est-il pas celui

qui assume sa propre castration et renonce définitivement à apporter ce qui manque à son patient ? N’est-ce pas ce qui lui permet de s’engager à travailler avec son patient,

Klein M., (1931). « Contribution à la théorie de l’inhibition intellectuelle », dans Essais de

psychanalyse, op. cit., p. 283-295.

Klein M., (1932 b). « La névrose chez l’enfant », dans La psychanalyse des enfants, op. cit., p.

108-124.

Klein M., (1932 c). « Les activités sexuelles des enfants », dans La psychanalyse des enfants,

soutenu par une pratique clinique et une éthique précise ? L’interprétation analytique se

réalise ainsi dans le sens d’une ouverture de l’inconscient et fonctionne comme une

énigme faisant partie de la stratégie du travail analytique. La fonction de l’analyste n’est

donc pas du côté de l’installation de nouvelles identifications ou de nouveaux idéaux,

mais bien du côté d’une recherche de la vérité.

À différents moments de ses élaborations théoriques, Klein pose la question de la fin de l’analyse : en 1932, elle souligne son importance et considère qu’elle est liée au

moment où l’enfant utilise pleinement la parole ; en 1955, elle insiste encore sur

l’expression de l’enfant à travers une parole qui assure le lien avec la réalité.

Néanmoins, la position kleinienne de la fin de l’analyse comme positive, suppose

l’introjection de l’analyste comme bon objet ! Il me semble que cela met en question la

fin même de l’analyse. En effet, quelle est alors la validité d’une introjection et d’une

identification à l’analyste comme marquant la fin de l’expérience analytique ?