• Aucun résultat trouvé

Section 1. La spécificité des actifs de la chaîne transactionnelle

1.2. La spécificité temporelle analysée par la TCT

La spécificité temporelle est un attribut des transactions peu analysé par la TCT par rapport aux études portant sur la spécificité physique ou dédiée des actifs. La spécificité temporelle a été particulièrement étudiée dans le secteur de l’agriculture. Le travail de Masten “Transaction-Cost Economics and the Organization of Agricultural

Transactions” (2000b) conclut que les contraintes temporelles propres des produits périssables dans le secteur agricole expliquent la diversité de formes d’organisations observées. Cette spécificité complexifie les transactions et augmente les risques liés aux

hasards contractuels24 entre les parties dans la mesure où elle joue un rôle dans la

production, la transformation agroalimentaire et la distribution des produits.

D’autres recherches, telles que celles conduites par Knoeber (1983) dans le secteur agro-industriel des fruits et des végétaux, montrent que la spécificité temporelle peut être à l’origine des problèmes de prises d’otages entre les parties à la transaction.

L’étude de Read (1983) montre que les structures de gouvernance adoptées pour coordonner les échanges de bananes entre les Etats-Unis et les Caraïbes ont évolué afin de mieux cerner les difficultés imposées par les contraintes temporelles liées au transport des fruits et aux problèmes d’opportunisme.

Gallick (1996) fait une analyse des relations contractuelles entre les transformateurs et les éleveurs de thon et montre que la dépendance et les comportements opportunistes augmentent les coûts de transactions car des clauses de responsabilité doivent être introduites dans les contrats afin d’éviter des conflits qui peuvent mener à la rupture de la transaction.

Hormis les travaux dans le secteur de l’agriculture, trois travaux analysent les contraintes temporelles dans le domaine des transports et de la logistique. La recherche de Masten, Neehman et Snyder (1991), qui est la référence pionnière de la spécificité temporelle en tant qu’attribut des transactions, montre les effets organisationnels de la logistique à flux tendu dans la construction navale. Les comportements opportunistes, particulièrement le risque de prise d’otage lorsque les délais de livraison approchent poussent les parties vers l’intégration. Les parties évitent ainsi les coûts liés aux hasards contractuels.

24 Williamson (1996 p5, 12-13) définit les hasards contractuels comme les anomalies qui augmentent les

coûts des transactions. « Transaction cost economics is an effort to identify, explicate, and mitigate contractual hazards. In general, all hazards can be attributed to the twin behavioral assumptions from which transaction cost economics works: bounded rationality and opportunism. […] Technology is an obvious candidate, but anomalies quickly appear. Some high-technology transactions (e.g., the procurement of semiconductors) are contractually very simple, and some low-technology transactions (e.g,, the supply of molten pig iron from a blast furnace to a rolling mill) may create serious contractual hazards” (Williamson p12-13). Les hypotheses comportementales ont été expliquées un peu plus haut dans ce chapitre.

S’agissant du travail de Pirrong (1993), cet auteur montre que malgré les coûts liés aux nombreuses et fréquentes négociations, les contrats spot entre chargeurs et armateurs peuvent être efficaces, compte tenu des contraintes temporelles imposées dans le transport maritime de vrac. Enfin, Nickerson et Silverman (2004) ont montré que le transport routier est soumis à des contraintes temporelles imposées par les horaires de livraison des marchandises qui exigent une coordination entre le mandataire du transport et le chauffeur du camion. La spécificité temporelle provoque des hasards contractuels car les engagements du chauffeur sont difficiles à observer et à mesurer. En effet, les causes d’un retard peuvent être exogènes à la volonté du transporteur. Ainsi pour les auteurs, en présence de spécificité temporelle l’intégration verticale est la forme d’organisation la plus efficace.

A notre connaissance, les travaux mobilisant la TCT pour étudier la relation entre l’environnement institutionnel et les transactions caractérisées par la spécificité temporelle sont encore plus rares. Les études de cas réalisées par Perez (2002) dans le secteur de l’électricité en Europe ainsi que celui mené par Koss (2000) dans le secteur de la pêche en sont deux références.

Perez (2002) montre que la spécificité temporelle, résultant de « l’importance de la synchronisation des actions et des réactions des opérateurs afin d’assurer la coordination technique des systèmes électriques en temps réel, avec à la fois, une confrontation des offres et des demandes, et la gestion des aléas » (p 25), exige une coopération entre les maillons de production et de transport, par le biais du « dispatching », et que cette coopération est une exigence absolue pour une meilleure performance du système électrique. La spécificité temporelle ne peut être maîtrisée que par des structures de gouvernance publiques ou privées qui garantissent la stabilité et la flexibilité des mécanismes de coordination des activités, tout en limitant l’opportunisme. Le choix de la structure de gouvernance est, en partie, résolue par l’environnement institutionnel dans la mesure où les marchés électriques sont incomplets pour gérer l’ensemble des problèmes de coordination technique et économique. Cette impossibilité d’introduire ex

ante des marchés électriques complets implique l’intervention d’un régulateur. Par

exemple, en désignant un responsable assermenté du synchronisme des flux, les contraintes temporelles et l’incertitude sont prises en compte. Le régulateur doit encadrer les transactions électriques de telle manière que l’opportunisme soit anéanti.

S’agissant de l’étude empirique de Koss (2000), elle montre que les relations entre les pêcheurs et les transformateurs sont exposées à des contraintes temporelles (respect de la chaîne du froid, produits périssables) qui provoquent des comportements opportunistes mais qui peuvent être atténués par des réglementations autorisant des relations contractuelles proches de l’intégration au lieu d’interdire ces formes d’organisation au nom de la concurrence.

Cette thèse permet d’apporter des éléments pour alimenter la réflexion menée par la TCT de la spécificité temporelle en tant qu’attribut des transactions ainsi que la réflexion sur les effets que l’environnement institutionnel peut avoir sur cet attribut. Dans ce chapitre nous proposons de déterminer empiriquement les sources et les effets, en termes de coûts, de la spécificité temporelle. Cet exercice n’est pas facile dans la mesure où les contraintes temporelles sont difficilement quantifiables. Toutefois, nous allons voir que la définition des conséquences des retards dans la livraison des conteneurs est un moyen de faire une estimation de la spécificité temporelle. Cette estimation doit, certes, être analyser avec prudence, mais elle permettra de montrer dans le chapitre 3 l’impact de la spécificité temporelle sur le choix des mécanismes de contrôle et d’ajustement qui pilotent les transactions caractérisées par cet attribut.

Par ailleurs, le chapitre 4 cette thèse montre empiriquement les effets que l’environnement institutionnel, en tant que paramètre, peut avoir sur la gouvernance des transactions caractérisées par la spécificité temporelle. Les contraintes temporelles dans un contexte incertain, conduisent les armateurs à adopter des structures de gouvernance basées sur la coordination mais qui peuvent, dans certaines circonstances, créer des différends avec les autorités de la concurrence.

Nous allons exposer dans la section 1.3 le nombre et les causes des retards des conteneurs dans notre étude de cas pour ensuite déterminer trois sources des coûts de la spécificité temporelle. La sous-section 1.4. estime les coûts liés à l’immobilisation des conteneurs à cause des retards ainsi que les coûts liés à la reconfiguration de la chaîne lors des ruptures.