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Section 2. L’incertitude de la chaîne

2.2. Les aléas conjoncturels

2.2.1. La maîtrise des fluctuations du prix du pétrole

Le secteur des transports est sensible aux fluctuations du prix du pétrole dans la mesure où ce dernier est un composant important des coûts de production des armateurs. Ce coût représente près de 15% du coût fixe par voyage pour un navire de 4000 EVP (Stopford 2002 p353). Certes, prévoir la hausse ou la baisse du prix du pétrole est difficile pour les armateurs, mais ces derniers répercutent les fluctuations sur le prix payé par le chargeur à travers une charge compensatoire appelée Bunker Adjustment

Factor (BAF). Au travers de cette charge, les armateurs répercutent l’incertitude

relative aux fluctuations du prix du pétrole sur les chargeurs. Ce sont ces derniers qui assument les coûts supplémentaires provoqués par les fluctuations de fioul. De la sorte, la coordination de la chaîne par l’armateur n’est pas perturbée par ces changements qui sont compensés par la charge comprise dans le tarif payé par les chargeurs aux armateurs pour le transport de bout en bout des conteneurs.

Le tarif payé par le chargeur est composé du taux de fret correspondant au transport maritime et au transport terrestre ainsi que des charges couvrant les frais de soute (BAF

ou Bunker Adjustment Factor), la dévaluation de la monnaie de paiement (CAF ou

Currency Adjustment Factor)50, les coûts portuaires (THC ou Terminal Handling

Charge)51, entre autres. A titre d’exemple, le tarif payé pour le transport de bout en bout pour un chargeur ayant un volume annuel supérieur à 20 000 EVP sur le transatlantique, tels que Philips ou Evian, se décompose ainsi : 40% pour le segment maritime; 4% pour les charges de manutention dans le port de départ (THC); 9% pour le pré- acheminement; 1% les charges de sécurité; 12% les frais de soute (BAF), 20% les charges de manutention dans le port d'arrivée (THC); 14% pour le post- acheminement (voir graphique 7).

Graphique 7. Tarif payé par un grand chargeur sur le transatlantique

Pendant le deuxième trimestre de 2005, cette charge oscillait entre 300 et 400 dollars pour un conteneur de 40 pieds dans le sens Est du trafic transatlantique et entre 650 et 700 dollars dans le sens Ouest52. Le graphique 8 illustre la fluctuation du prix du fuel maritime payé par les armateurs et le niveau des charges compensatoires facturées aux

50 Cette charge sera expliquée par la suite dans la section 2.2.2.

51 C’est l'armateur qui négocie avec le manutentionnaire portuaire, mais les frais de ce service sont payés

chargeurs. Pour la période 2000-2005, le niveau de la charge est supérieur à celui du prix du fuel, à l’exception d’une courte période en 2002. Ainsi, les effets des fluctuations du prix du pétrole sont largement compensés par la charge.

Graphique 8. Indice du prix du fuel maritime et de la charge compensatoire BAF (indice janvier 2000 = 100)

Source données : The U.S. Department of Energy et ICF.

La fixation des charges compensatoires est contestée par les chargeurs. Les chargeurs soutiennent que les charges sont trop au-dessus du coût du fuel maritime assumé par les armateurs (ESC 2003, 2005). Ainsi, les charges ne seraient pas compensatoires mais permettraient aux armateurs d’obtenir une rente. Les chargeurs dénoncent ce comportement opportuniste auprès des autorités européennes de la concurrence.

Pour réduire ces comportements opportunistes de la part des armateurs, les chargeurs préfèrent le tarif dit « all in rates » dans lequel les charges à payer sont fixées lors de la négociation et ne subissent pas des variations pendant la durée du contrat. Certes, les chargeurs se protègent ainsi des fluctuations des charges et des comportements

52 La valeur de cette charge a été fournie par les armateurs interviewés (annexe 14).

0 50 100 150 200 250 300 350 400 janv-0 0 janv-0 1 janv-0 2 janv-0 3 janv-0 4 janv-0 5 BAF Prix fuel maritime

opportunistes des armateurs, mais accepter des contrats à charges fixes empêche les armateurs de s’immuniser contre l’incertitude liée aux fluctuations du pétrole. D’après les chargeurs et armateurs interviewés, la négociation sur les charges du tarif est souvent conflictuelle. Les chargeurs ont du mal à introduire ce type de tarification dans le contrat car les armateurs résistent à leur adoption. Les charges étant compensatoires, les armateurs préfèrent ne pas prendre le risque de les verrouiller à un niveau inférieur à l'évolution que suivront les coûts. La crainte de voir des coûts supplémentaires apparaître à cause de cette incertitude explique le refus des armateurs pour les tarifs fixes. D’après l’enquête annuelle de Containerisation International de 2003, seulement 28% des contrats entre armateurs et chargeurs avaient ce type de tarification, mais il s’agit de contrats ayant une durée de 1 à trois mois.

La position des armateurs de ne pas « céder » dans les négociations et de laisser assumer toute l’incertitude aux chargeurs s’explique par le fait qu’ils ne veulent pas assumer les coûts liés aux fluctuations du pétrole, ne veulent pas perdre la rente qu’ils pourraient éventuellement dégager des ajustements de la charge compensatoire et parce que la demande de transport maritime est inélastique.

Plusieurs travaux économiques démontrent que le transport maritime de ligne régulière se caractérise par une relative inélasticité de la demande par rapport au prix. Une hausse des taux de fret, ou des charges qui les composent, génère rarement une réduction de la demande de la part des chargeurs (Jansson et Schneerson 1987 ; Davies 1978).

Cette inélasticité s’explique par la faible part du taux de fret dans la valeur finale du bien. Le transport est un coût de production qui représente entre 20 et 30% pour les grands chargeurs, tels que nous les avons définis dans la section 1.2 du chapitre 1. De nombreuses études estiment que les coûts de transport représentent entre 4 et 6% du prix de vente pour des produits comme les jouets, les livres, l'électronique, l'ameublement ou le vin (OCDE 2005c). Ces statistiques doivent être prises avec recul car le coût du transport varie selon le type de marchandise, sa valeur, son volume et ses points

d'origine et de destination. Les chargeurs que nous avons interviewés chiffrent le coût de transport entre 25% et 30% du coûts de production (annexe 14).

En somme, l’inélasticité prix de la demande du transport maritime et les charges compensatoires permettent aux armateurs d’éviter les coûts liés aux fluctuations du prix du pétrole et de faire supporter aux chargeurs les coûts supplémentaires qui apparaissent, sans craindre de voir une réduction de la demande. Cet aléa n’est donc pas une source d’incertitude pour la coordination de la chaîne transactionnelle mais une source d’incertitude complètement assumée par les chargeurs.