• Aucun résultat trouvé

Section 1. La spécificité des actifs de la chaîne transactionnelle

1.1. Les actifs non spécifiques de la chaîne

Bien que la transaction maritime implique des actifs tels que des navires, des conteneurs et des parcs de conteneurs, entre autres, et que les transactions intermodales rail/route exigent des locomotives, des wagons, des camions et des châssis21, la redéployabilité de ces actifs vers des usages alternatifs ne provoque pas de coûts. Par exemple, les navires peuvent être redéployés vers d’autres trafics sans qu’il y ait une perte de leur valeur. Dans le milieu maritime « l’effet de cascade » consiste à redéployer les navires actuellement utilisés sur les trafics transatlantique, transpacifique et Asie- Europe vers les trafics nord-sud, voir sud-sud ou en fin de vie, afin d’introduire des nouveaux navires sur les trafics les plus exigeants en termes de capacité et de vitesse. De même, les wagons peuvent être utilisés sur les lignes du réseau ferroviaire ayant les mêmes caractéristiques sans avoir à supporter une perte de valeur. Il en est ainsi pour les camions et les châssis qui peuvent être utilisés sur n’importe quelle zone ou région sans perdre leur valeur. Quant aux conteneurs, ils sont largement standardisés, et même les conteneurs spécialisés (frigorifiques, high cube) sont utilisés sur tous les trafics et/ou peuvent transporter tous genres de marchandises. Ainsi, ces actifs ne sont ni physiquement spécifiques ni consacrés ou dédiés à la chaîne transatlantique de bout en bout.

La localisation des actifs mobilisés pour offrir un service de porte-à-porte ne provoque pas de coûts de redéploiement. Autrement dit, la spécificité de site n’est pas

21 Aux Etats-Unis, à chaque conteneur doit correspondre un châssis dans la mesure où les transporteurs

un attribut de la chaîne transactionnelle. Certes, lorsque les armateurs créent les lignes maritimes, ils choisissent les ports, les fréquences et le nombre et le type de navires en fonction des caractéristiques de la demande du trafic. Mais le redéploiement des actifs impliqués dans l’organisation du transport de bout en bout, par exemple lors de la délocalisation d’un chargeur, ne provoque pas une perte de leur valeur.

La densité industrielle des régions desservies par les armateurs est assez forte. Des études estiment que 40% de la population et 60% des établissements industriels de l’Union européenne sont concentrés dans l’hinterland desservis par les ports de la rangée Nord Ouest (Brunet 2002). Dans le chapitre 1 (section 1.3.), nous avons déjà évoqué la mégalopole européenne où se trouvent les flux de marchandises et de passagers les plus importants.

Certes, lorsqu’il s’agit de la délocalisation d’un grand chargeur (plus de 10 000 EVP par an22), tel que Danone vers la Chine, les coûts liés à la perte de ce volume peuvent être important pour l’armateur. Toutefois, ces coûts ne sont pas liés à la redéployabilité ou à la perte de valeur des actifs impliqués dans la mise en place de la ligne maritime. L’armateur va essayer de combler cette perte de volume en se tournant vers les autres industriels présents dans la région. En aucun cas l’armateur ne fermera une ligne maritime à cause du départ d’un chargeur. Les armateurs coordonnent des milliers de chaînes et sur un navire sont acheminés les conteneurs de centaines de chargeurs. Aucune ligne maritime n’est spécialement mise en place pour un chargeur, mais pour une large diversité de chargeurs généralement situés dans les mêmes zones industrielles.

De plus, lors des délocalisations de chargeurs vers l’Asie ou l’Europe de l’Est, les armateurs préservent les volumes de ce chargeur en offrant les services disponibles depuis le nouveau point d’origine des flux. Les contrats entre les armateurs et les chargeurs concernent plusieurs destinations à la fois. Par exemple un chargeur comme Michelin contracte semestriellement avec les armateurs le transport de porte-à-porte passant par plus de 20 ports vers plus de 25 destinations au niveau mondial23.

22 Dans le chapitre 1 section 1.2. nous avons défini la taille des chargeurs. 23 Ces informations ont été fournies par le chargeur.

S’agissant des autres types de spécificité des actifs tels que la spécificité de marque et humaine, elles ne caractérisent pas non plus la chaîne transactionnelle. La marque peut être associée à la qualité d’un produit ou d’un service, mais dans le cas du transport de bout en bout elle ne fait pas l’objet d’une reconnaissance ou d’une distinction comme c’est le cas des labels de qualité dans certains secteurs.

L’apprentissage sur le tas des actifs humains de la chaîne ne provoque pas un coût lié à leur redéploiement dans la mesure où chaque intervenant travaille avec plusieurs clients à la fois. Bien que les intervenants soient spécialisés dans une tâche, en cas de rupture de leur relation, l’armateur peut aller vers d’autres fournisseurs de services sans subir une perte de valeur.

Parmi les six types de spécificité des actifs, c’est la spécificité temporelle de la chaîne qui provoque des coûts de redéployablité. La spécificité temporelle est une caractéristique essentielle des transactions composant la chaîne de bout en bout comme nous allons le montrer dans la sous-section suivante.