• Aucun résultat trouvé

Enseignements de l’analyse de la spécificité temporelle

Section 1. La spécificité des actifs de la chaîne transactionnelle

1.5. Enseignements de l’analyse de la spécificité temporelle

De l’analyse menée il ressort, d’une part, que les contraintes imposées par les délais de livraison auprès des chargeurs et des fournisseurs de services terrestres ainsi que le besoin de synchronisation entre les étapes de la chaîne provoquent des coûts et rendent complexe la coordination de la chaîne transactionnelle.

Ces coûts ne sont pas généralisables et peuvent être assez importants compte tenu du nombre de conteneurs qui arrivent en retard sur le trafic transatlantique. Au vu de la croissance des retards, particulièrement pour le sens Ouest qui a augmenté de 2% depuis 2002, nous pouvons dire que les contraintes temporelles peuvent provoquer des coûts encore plus importants pour les armateurs dans le futur.

Les chargeurs délèguent le transport de ces conteneurs aux armateurs afin de ne pas gérer son organisation. Les chargeurs achètent aux armateurs le service de transport de bout en bout d’un volume annuel avec une cadence hebdomadaire ou mensuelle

43 Ces taux ont été fournis par les armateurs interviewés et correspondent au premier semestre 2005

déterminée, depuis et vers un point d’origine et de destination donnée. C’est ensuite aux armateurs de « créer » la chaîne ou les chaînes de transport les plus adaptées pour l’acheminement de ces conteneurs. Ainsi, les chargeurs sont indifférents et, généralement, méconnaissent des péripéties que les conteneurs subissent pour arriver à leur destination finale dans les temps. La coordination du transport de bout en bout est sous la responsabilité des armateurs et les chargeurs restent indifférents à celle-ci. Le souci des chargeurs est de voir arriver leurs conteneurs dans les délais prévus et d’éviter ainsi les répercussions sur leur chaîne de production et de distribution. Or ceux-ci peuvent facilement vérifier le respect des engagements, établis conjointement lors de la négociation et de l’appel d’offre, en regardant l’heure et la date de livraison des conteneurs. Si les armateurs évitent les retards, les chargeurs n’assument aucun coût. En revanche si le conteneur est livré en retard, les chargeurs assument les répercussions mais peuvent tout de même sanctionner les chargeurs. Comme nous l’avons déjà dit, les chargeurs peuvent décider de ne plus donner du volume à transporter aux armateurs qui ne respectent pas les délais de livraison. C’est le risque de perdre un client, dans un milieu concurrentiel, qui force les armateurs à respecter les contraintes temporelles imposées par les chargeurs. C’est justement pour cela que les contraintes temporelles imposées par les chargeurs caractérisent la chaîne transactionnelle.

Les coûts provoqués par la spécificité temporelle varient d’une chaîne à l’autre et d’un cas à l’autre en fonction de la maîtrise des conséquences des retards et des différentes solutions pour surmonter la rupture de la chaîne.

Les armateurs peuvent résoudre certains retards et réaliser des ajustements grâce à leurs réseaux. Les armateurs coordonnent des milliers de chaînes dans une logique de réseau. Ils organisent le transport des conteneurs de chaque chargeur en termes de « chaîne de transport », mais ils gèrent l’ensemble de ces chaînes dans un réseau. Le nombre de navires et leur fréquence ainsi que les ports desservis sont déterminés en fonction du volume à acheminer par chaque ligne maritime, c’est-à-dire en fonction des volumes acheminés vers les ports par chaque chaîne de transport. C’est parce que les armateurs ont plusieurs centaines de chaînes de transport arrivant au port de Rotterdam, qu’ils desservent ce port et, simultanément, c’est parce qu’ils desservent ce port que leurs

chaînes de transport y passent. Sur un navire sont chargés les conteneurs de centaines de chargeurs localisés à différents points d’Europe ou des Etats-Unis. Les décisions de desservir un ou plusieurs ports sur la rangée nord européenne se prennent en fonction du volume total de conteneurs qui sera acheminé depuis l’intérieur de l’Europe par des chaînes de transport. Les armateurs organisent dans un premier temps le service de transport qu’ils vendent aux chargeurs en termes de chaîne pour ensuite, dans un deuxième temps, replacer chaque chaîne dans leur réseau de transport.

D’autre part, les coûts unitaires, c’est-à-dire par conteneur, supportés par les armateurs et provoqués par les retards et les ajustements sont plus élevés aux Etats-Unis qu’en Europe. Toutefois, cette conclusion doit être prise avec précaution pour deux raisons : premièrement, bien que le coût unitaire de l’immobilisation des conteneurs dans les ports s’avère plus élevé dans le port de New-York que dans les ports européens et que les pénalités imposées par les opérateurs intermodaux soient plus élevées aux Etats-Unis qu’Europe, le coût total des contraintes temporelles pour un armateur dépend du volume de conteneurs en retard, du nombre de jours et de l’ajustement de la chaîne adopté. Deuxièmement, le prix à la tonne-kilomètre du trajet routier pour rattraper le navire44 est moins élevé aux Etats-Unis qu’en Europe, mais compte tenu du fait que les

distances entre ports sont plus importantes, rattraper le navire par la route sur le territoire américain peut devenir plus coûteux qu’en Europe pour l’armateur.

Théoriquement, lorsque la transaction est caractérisée par un degré non négligeable de spécificité, la structure de gouvernance qui permet de réduire ou d’éviter les coûts liés aux comportements opportunistes et aux hasards contractuels tend vers l’intégration. Des mécanismes de contrôle et d’ajustements sont nécessaires pour la coordination de la transaction et une structure de marché n’est donc plus pertinente. Dans le chapitre 3, nous allons nous servir de cette proposition théorique afin de valider

44 Il ne s’agit pas du trajet routier du transport intermodal, mais de l’utilisation de la route pour rattraper le

l’alignement des structures de gouvernances adoptées par les amateurs lors de la coordination de la chaîne de transport.

Suivant les apports de Williamson 1991, des centaines de travaux empiriques ont montré que la spécificité des actifs est une caractéristique essentielle des transactions (Klein et Schelanski 1995 ; Coeurderoy et Quelin 1994 ; Boerner et Macher 2001). Cependant, des études plus récentes, mais plus rares, révèlent que l’analyse de l’incertitude est aussi un élément clef pour déterminer l’alignement des structures de gouvernance sur les attributs des transactions (Oxley 1999 ; Saussier 2000) : « The

economics of hybrid organizations thus provides insights on an attribute quite neglected in the classic studies on make-or-buy decisions » (Ménard 2004b p14).

Dans notre cas d’étude, la spécificité temporelle et l’incertitude sont deux attributs indissociables. Dans la section suivante, nous allons montrer que ces attributs sont fortement liés et que leurs effets sur la chaîne transactionnelle sont considérables en termes de coûts et d’organisation.