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La chaîne de transport : un ensemble de transactions interdépendantes.

Dans le chapitre précédent, il a été dit que le transport intermodal n’augmente pas ses volumes par rapport à la route. Malgré la libéralisation du secteur ferroviaire, les changements réglementaires et les aides financières, l’intermodalité en Europe rencontre des obstacles qui entravent son développement et qui mettent en échec la politique européenne des transports. Les problèmes d’ordre technique ont été identifiés comme les principales contraintes par les institutions européennes et par de nombreuses recherches. Certes, les difficultés techniques sont un obstacle qui mérite d’être traité et réglé au plus vite mais nous proposons, à travers notre étude de cas, d’appréhender la dimension transactionnelle de l’intermodalité afin de considérer des éléments aussi importants pour le développement de cette activité, tels que les relations contractuelles entre les armateurs et les opérateurs intermodaux, la coordination du réseau maritime et intermodal et la synchronisation des trois segments qui composent les chaînes de transport.

Une analyse du transport intermodal reposant uniquement sur la dimension physique de la chaîne ne nous permettrait pas de démontrer les deux propositions avancées dans le chapitre précédent. L’analyse des mécanismes utilisés pour la coordination entre les différentes étapes et intervenants, autrement dit les structures de gouvernances, est un

élément majeur pour déterminer les raisons pour lesquelles le transport intermodal et le carrier-haulage sont moins importants en Europe qu’aux Etats-Unis.

L’objectif de ce chapitre est donc d’étudier la dimension transactionnelle de la chaîne de transport de bout en bout. Pour cela nous allons utiliser les apports théoriques de l’économie néo-institutionnelle et, plus particulièrement, ceux de la théorie des coûts de transaction.

L’économie néo-institutionnelle adopte la transaction comme l’unité d’analyse des organisations (Commons 1934 p4-6). La théorie des coûts de transaction pose que « a transaction occurs when a good or a service is transferable across a technologically

separable interface. One stage of activity terminates when another begins »

(Williamson 1985 p1). En ce sens, l’ensemble des trois segments de la chaîne de transport intermodal nécessaires pour transporter les conteneurs de leur origine vers leur destination finale est une chaîne transactionnelle où les relations entre les intervenants sont interdépendantes. Trois transactions composent donc la chaîne transactionnelle : le pré-acheminement ; l’acheminement par voie maritime ; et le post acheminement des conteneurs. Rappelons tout de même que les chaînes de transport correspondent aux flux acheminés par les réseaux maritime et intermodal et que la coordination des chaînes se fait dans une logique de réseau (voir chapitre 1). Autrement dit, les armateurs coordonnent des milliers de chaînes de transport par jour et l’ensemble de ces chaînes circule dans les réseaux mis en place pour offrir le transport de bout en bout.

Coase a souligné en 1937 que le fonctionnement des marchés a un coût de transaction lié à la recherche d’information, à la négociation des contrats, à la protection contre l’incertitude et les risques. Les coûts de transaction sont fortement liés aux hypothèses comportementales de l’économie néo-institutionnelle que sont la rationalité limitée et le comportement opportuniste des agents. Les agents sont, de façon limitée, calculateurs et volontairement rationnels (Simon 1961). La rationalité est limitée car dans un environnement incertain et complexe les agents n’ont pas accès à toute l’information. De plus, ils n’ont pas les capacités pour utiliser et sauvegarder l’information existante.

De la sorte, les décisions des agents sont sous-optimales. S’agissant du comportement opportuniste, il s’agit des comportements tels que la triche, la trahison, les mensonges, que les agents adoptent pour s’approprier de la rente dérivée de l’échange avec d’autres agents (Williamson 1985 p70).

Ainsi, sous les hypothèses de rationalité limitée et de comportement opportuniste, les agents ne peuvent pas concevoir des contrats complets. L’incapacité d’envisager les solutions qui permettraient de faire face aux aléas futurs provoque des coûts ex post à la négociation du contrat (Williamson 1990).

Toutefois, l’incomplétude des contrats est compensée par d’autres mécanismes de coordination : des structures de gouvernance. La coordination des échanges génère un coût de transaction. Williamson identifie la source des coûts de transaction comme les frictions physiques du système économique (1985 p19), c’est-à-dire les malentendus et les conflits qui perturbent l’harmonie de l’échange entre les parties. En conséquence, une analyse transactionnelle doit examiner les coûts de transaction traduits par les coûts de planification, d'adaptation et de contrôle des échanges commerciaux (Williamson 1996 p58).

D'après la théorie des coûts de transaction, l'arrangement le plus adapté aux caractéristiques de la transaction est celui qui permettra de minimiser les coûts de production et de transaction (Williamson 1985 p390). Ce principe d'alignement des transactions permet à ce cadre théorique de proposer que les coûts de transaction diffèrent en fonction des attributs des transactions et qu’à chaque transaction correspond une forme d'organisation.

Ainsi, pour procéder à une analyse de la chaîne transactionnelle, nous devons tout d'abord identifier les attributs des transactions, objectif de ce chapitre, pour ensuite analyser les différentes formes d'organisation observées et leur capacité à minimiser les coûts des transactions et de production qu'elles encadrent, objectif du chapitre 3 de cette thèse. C’est en menant cette analyse que nous pourrons vérifier les deux propositions faites dans le chapitre 1, selon lesquelles le choix des structures de gouvernance

explique le faible développement du transport intermodal et du carrier-haulage en Europe par rapport aux Etats-Unis.

L’analyse de la transaction suit deux attributs, qui nous permettent de distinguer les transactions les unes des autres (Williamson 1991) : le degré de spécificité des actifs (section 1) ; le degré et le type d’incertitude qui entoure la transaction (section 2). La fréquence des échanges est souvent proposée par la théorie des coûts de transaction comme un attribut. Cependant, nous n’allons pas inclure cet attribut dans notre analyse dans la mesure où son rôle reste ambigu (Crocker et Masten 1996 ; Williamson 1999)19.