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CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE ET QUESTIONS À L’ÉTUDE

1.3 L’immigration au Québec : discours et réalité

1.3.3 La situation des immigrants qualifiés au Québec, une

Le mouvement migratoire a évolué au fil du temps et les caractéristiques des immigrants récents évoluent dans un sens qui favorise l’insertion socioéconomique. En effet « le mouvement récent compte plus de travailleurs qualifiés, les immigrants sont plus scolarisés et la proportion de ceux qui connaissent le français dès l’admission s’accroît constamment » (MICC, 2007 : 5). Si de tels critères sont exigés pour l’admission des candidats à l’immigration comme garants de leur employabilité, il n’en reste pas moins que depuis les années 80, leur intégration professionnelle est laborieuse et ne cesse de se dégrader : chômage, risques accrus d’être prestataire d’aide sociale, déqualification, discrimination, etc.

Les inégalités d’intégration au marché du travail concernent la plupart des provinces canadiennes, les écarts entre les natifs québécois et les immigrants demeurant tout de même les plus importants (Statistique Canada, 2009). Ces inégalités n’affectent pas les immigrants de la même façon. Il semble que les nouveaux arrivants soient ceux qui connaissent le plus de difficultés sur le marché du travail.

En 2009, le taux de chômage des immigrants était plus que le double de celui des natifs québécois – respectivement 14,3 % et 6,3 %. La situation des immigrants récents est encore plus préoccupante puisque leur taux de chômage avoisinait les 20,7 % pour un

taux d’emploi de seulement 55,4 %6 (Statistique Canada, 2010). Aussi, les écarts de salaire creusent toujours davantage le fossé entre les natifs et les immigrants. Au Québec, il s’est accru de 7 points entre 1980 et 2000 (Boudarbat et Boulet, 2007). Ce fossé salarial observé tend à relativiser les préceptes de base de la théorie du capital humain qui suggère que des niveaux d’éducation plus élevés augmentent la probabilité de bénéficier de meilleurs taux de salaires. Or, combien même le niveau général des immigrants est généralement supérieur à celui des natifs, les écarts salariaux bénéficient curieusement à ces derniers.

Outre les taux de chômage et d’emploi et les écarts salariaux, l’observation des indicateurs qualitatifs confirme les écarts entre les natifs et les immigrants. Ces derniers sont en effet relativement surreprésentés dans des emplois faiblement rémunérés, dépourvus d’avantages sociaux, à temps partiel ou temporaires et non syndiqués (Statistique Canada, 2009).

La déqualification est en effet un autre indicateur de vulnérabilité des immigrants sur le marché du travail. Si un niveau d’instruction élevé peut dans une certaine mesure mettre à l’abri des situations précaires, cette hypothèse n’a pas la même vérité pour les immigrants que pour les natifs. En 2006, au Canada, un natif avait 2,7 fois plus de chances d’exercer un emploi correspondant au diplôme obtenu et trois fois plus au Québec (Chicha, 2010a). Non seulement les diplômes ne semblent pas autant protecteurs que pour les natifs, mais ils accentuent ce que Chicha nomme la déqualification transitionnelle. Si cette déqualification se prolonge dans le temps, elle peut affecter négativement l’estime et la confiance en soi et, par ricochet, réduire davantage les chances d’avoir un emploi correspondant à ses attentes. En ce qui concerne la vitesse d’intégration socioprofessionnelle des immigrants, une étude longitudinale réalisée par Renaud et Cayn (2006) couvrant la période entre 1990 et 2000 montre que pour 68,7 % des immigrants interrogés, il a fallu au moins cinq années pour accéder à un emploi correspondant à leurs qualifications. Une fois cet emploi trouvé, il persiste un risque de 12,2 % de retourner à un emploi déqualifié. À cet égard, Costa-Lascoux et Mc Andrew (2005) affirment que le temps de purgatoire, soit la période mise par l’immigrant au Québec à rattraper la moyenne

nationale en matière d’emploi et de revenu n’a cessé d’augmenter depuis le début des années 1990.

Par ailleurs, des études montrent que l’impact de la crise économique de 2008 est particulièrement ressenti par les immigrants récents. Si, historiquement, les immigrants sont les premiers touchés par les fluctuations économiques, depuis 2008, les écarts se creusent davantage entre les natifs et les immigrants récents (Caron, 2010). Selon les dires de Béji et Pellerin (2010), « cela donne l’impression que les immigrants constituent une sorte de bassin de réserve, de catalyseur de première ligne aidant à amortir les chocs du marché du travail ». Dans un contexte de crise économique généralisée, nous sommes en mesure de nous questionner sur l’impact qu’auront les flux migratoires à venir sur la qualité de vie des nouveaux arrivants.

De plus, le poids de la non-intégration professionnelle pèse sur la cohésion sociale, renforçant d’un bord et de l’autre les frustrations et mécontentements. En 2004, près de 20 % des immigrants arrivés au Québec depuis moins de 15 ans et en âge de travailler vivaient dans la pauvreté comparativement à 10 % chez les Canadiens et les conditions de logement sont de plus en plus préoccupantes (Ressources Humaines et Développement des Compétences Canada, 2007).

À cet égard, les données de l’Enquête sur les Travailleurs sélectionnés du Québec de 2002 auprès de 1875 immigrants de la catégorie des travailleurs arrivés depuis moins de 5 ans révèlent qu’environ le quart d’entre eux déclarent que l’emploi occupé s’avère inférieur à leurs attentes et que près d’une personne interrogée sur cinq dit occuper un emploi qui correspond beaucoup moins à ses attentes (Bourdabat et Cousineau, 2010). De plus, 46 % des immigrants récents ont confié au cours de cette même enquête leur difficulté de trouver un emploi qu’ils jugent approprié (Statistique Canada, 2007). Une autre étude s’est intéressée à la perception qu’avaient les immigrants sur leur réussite quant à leur cheminement migratoire (Godin, 2004). La recherche a été menée auprès d’un large échantillon représentatif constitué de 2000 immigrants, requérants principaux et conjoints se destinant au marché du travail. Plus précisément, il leur a été demandé d’apprécier leur emploi actuel au regard des éléments suivants : l’emploi initialement projeté, du domaine et niveau de formation, du revenu espéré et des attentes personnelles en général. On leur

a également demandé d’évaluer leur situation actuelle par rapport à celle qui était la leur avant d’immigrer au Québec (Godin, 2004). Les résultats révèlent que l’emploi actuel correspond « moins bien ou beaucoup moins bien » à l’emploi envisagé avant d’immigrer pour 44 % des répondants, ni à leur domaine de formation pour 39 %. 44 % des répondants estime que cet emploi correspond également « moins bien ou beaucoup moins bien » à leurs attentes personnelles. Quant au revenu, ils sont 52 % à considérer qu’il correspond « moins ou beaucoup moins » à leurs attentes. Globalement, « le degré de satisfaction par rapport aux divers aspects des emplois atteint au mieux 62 % » (Godin, 2004). Par contre, ce chiffre monte à 70 % en ce qui a trait à l’amélioration de leur situation globale par rapport à la situation qui était la leur avant d’immigrer. Une distinction s’observe néanmoins selon les caractéristiques individuelles. Les répondants originaires d’Europe de l’Ouest, présents au Québec depuis plus de 4 ans, jeunes (entre 19 et 30 ans au moment de l’admission), qui possèdent un diplôme universitaire et maîtrisent le français ou sont bilingues affichent les taux de satisfaction les plus élevés. À l’opposé, les immigrants du Maghreb et du reste de l’Afrique et les plus de 40 ans témoignent le plus de leur déception (Godin, 2004).

Face à un tel décalage entre les attentes et la réalité, il devient nécessaire de mieux informer les immigrants quant à leur chance d’insertion réelle (Boudarbat et Cousineau, 2010). Dans la partie suivante, nous allons voir plus en détail l’importance du rôle de l’information dans les trajectoires d’intégration socioprofessionnelle des immigrants nouvellement arrivés sur le sol québécois, et comment des lacunes informationnelles peuvent faciliter ou entraver ce cheminement durant les premières étapes du processus.