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CHAPITRE 5 : PHASE POSTMIGRATOIRE – L’ÉTABLISSEMENT ET

5.2 Les premiers pas de l’établissement : les activités d’intégration

5.2.4. Intégration professionnelle

5.2.4.3. Évaluation des stratégies

Au fur et à mesure de leur trajectoire professionnelle, des informations reçues et des succès ou échecs rencontrés, les répondants portent un regard différent sur le marché du travail et s’adaptent en conséquence. Ce n’est pas tant d’évaluer les résultats objectifs des comportements d’intégration que de cerner la perception des répondants sur ce qu’ils pensent être les stratégies les plus « gagnantes » qui nous intéresse ici.

Il semble par ailleurs y avoir un consensus sur l’inefficacité des recherches autonomes et spontanées d’un emploi dit « qualifié ». En effet, les répondants l’ont d’abord expérimenté, en se faisant souvent fermer les portes au nez, entreprise après entreprise. Par la suite, cela a été confirmé au fil des rencontres avec les intervenants et des informations reçues dans les différents ateliers d’aide à l’intégration. Même les emplois précaires ne sont pas accessibles par ce biais.

Je voudrais travailler, n’importe quoi, même technologue, mais je n’ai pas trouvé de travail. Même si je veux travailler comme serveur dans un restaurant je ne peux pas trouver, comme manutentionnaire dans un supermarché je n’ai pas d’entrevue. Je voulais travailler dans le marché de Jean Coutu, mais ça n’a pas marché, j’ai fait des recherches pour Wal-Mart, partout, je n’ai jamais été appelé. [Alvaro]

Aussi, l’apprentissage des techniques de recherche d’emploi est particulièrement apprécié et jugé essentiel par les répondants pour découvrir une culture du marché du travail jusque-là inconnue. L’approche des emplois cachés, par exemple, permet d’élargir le champ de recherche des emplois et de ne pas se restreindre aux offres d’emploi visibles. L’attitude également diffère d’une culture à l’autre. Aszar admet d’ailleurs que sa méconnaissance des techniques d’entrevue lui a fait défaut au cours de son parcours.

Une fois j’ai eu l’occasion d’avoir un emploi, mais j’avais pas fait une formation en recherche d’emploi donc je ne savais pas comment réagir dans une entrevue. J’ai raté cette occasion d’emploi à cause de ma méconnaissance des techniques d’entrevue. Moi je pensais bien de dire : « Vous savez, vous êtes mieux que l’autre entreprise où je travaillais, vous êtes nettement mieux ». Pour eux c’est négatif. Je commençais à casser du sucre sur mon entreprise pour dire qu’eux étaient bons et ça, c’était une erreur fatale. [Aszar]

Mais bien que ces ateliers aient augmenté les chances d’accès à des entrevues, elles n’ont que rarement débouché sur un emploi par la suite. Les répondants découvrent au fil du temps l’importance accordée au contact direct, au réseau de connaissances. À ce sujet, la notion de « réseau de contacts» est très ambigüe. Il faut distinguer les réseaux de liens forts, de liens faibles, intracommunautaires (réseau ethnique) et extracommunautaires. La littérature avance qu’un réseau de liens forts intracommunautaires est inefficace pour l’accès à un emploi qualifié et Seydou le confirme et alarme des dangers d’y recourir comme stratégie :

Je dirais que moi les réseaux que j’ai vus ici, ce sont des réseaux virtuels parce que le réseau, ce sont des gens sont confrontés aux mêmes problèmes, ils sont là à chercher du travail aussi. […] Ils te donnent des informations que tu sais déjà. Et puis tu risques de t’enfermer dans un réseau et ce sont toujours les mêmes informations qui reviennent, tu n’as pas l’impression d’avancer. [Seydou]

Comme le suggère déjà l’étude de Granovetter (1985) que nous avons exposée dans le chapitre 2, les réseaux de liens faibles seraient alors plus efficaces pour l’accès à l’emploi dans la mesure où ils établissent des ponts avec d’autres réseaux et facilitent la fluidité de la transmission informationnelle. C’est pourquoi les organismes mettent de plus en plus l’accent sur le réseautage, par exemple, en conseillant l’immigrant de participer à des 5 à 7 où ils rencontrent directement des professionnels et obtiennent des références et des informations quant à des ouvertures de postes. Mais les discours des répondants de notre échantillon sont assez « tièdes » par rapport aux séances de réseautage. Peu acclimatés à l’idée de devoir « se vendre », la plupart d’entre eux ressentent une gêne, une réserve lors de ces séances qui les bloquent dans l’établissement d’un contact avec l’employeur. Le témoignage d’Aszar révèle le décalage culturel, la rencontre entre deux mondes et comment les séances sont organisées sans réellement prendre en considération les spécificités culturelles.

Bon c’est surtout du problème relationnel peut-être parce que dans les séances de réseautage […] il y a le problème de l’alimentation qui ne correspond pas aux musulmans. On ne pense pas à cette catégorie de gens. Alors un musulman quand il se présente il voit ça, pour lui évidemment c’est une insulte, et en plus il va pas donner le maximum, car il va se sentir mal à l’aise, pas considéré par le milieu. Dès le début il va se sentir écarté et ça donne de mauvais résultats. [Aszar]

Ces rencontres peuvent en revanche permettre de développer un réseau de liens forts intracommunautaires.

Donc on a commencé à faire des 5 à 7 au CITIM. C’est cette stratégie qu’on nous avait conseillée. Très vite on s’est découragé parce que c’est un peu superficiel. Ce n’est pas des vraies relations, on cause, on a 2 minutes. […] J’en ai fait 3 ou 4 et après je me suis lassée. Au réseautage on a rencontré d’autres Français qui cherchaient aussi de l’emploi comme nous, donc on s’est constitué comme ça un petit groupe d’amis français. [Malinka]

L’efficacité des réseaux dépend de la force des liens et de la diversité culturelle des fréquentations, mais surtout de la position stratégique des individus dans le réseau, autrement dit de la qualité des liens. Un réseau de liens faibles, québécois de souche, mal positionnés sur le marché du travail n’ouvrira pas plus la porte à l’emploi qu’un réseau de liens forts, immigrants, occupant des positions professionnelles stratégiques. L’exemple de Viktor illustre cela :

Avant j’ai essayé de chercher une maîtrise à l’école polytechnique, mais je n’ai pas trouvé de professeur qui voulait m’engager. Mais mon ami m’a référé et c’est grâce à lui que j’ai trouvé. Un autre ami aujourd’hui m’a appelé et il m’a proposé un poste dans une compagnie où il travaille présentement et il m’a dit d’envoyer un CV. Depuis que j’ai plus de contacts, j’ai plus de possibilités de trouver un emploi. [Viktor]

Tout comme le fait d’avoir développé un réseau de contacts avec des Québécois, via des activités d’intégration sociale ou bien par le biais de l’école des enfants, n’a pas accéléré ni facilité l’entrée sur le marché du travail.

Dans le cas des réseaux de liens faibles extracommunautaires, il semblerait que la dimension du temps soit plus importante pour l’accès à l’emploi. Dans la société québécoise, c’est comme s’il fallait davantage faire ses preuves, contrairement aux liens faibles intracommunautaires qui, certainement plus sensibilisés à la condition immigrante, laissent davantage leur chance aux nouveaux arrivants. Pour Malinka, le bénévolat est la stratégie la plus efficace pour permettre cet ancrage des relations dans la durée.

Mais je pense que c’est d’être dans le cœur de l’action. Le véritable réseau est quand on fait du bénévolat. Les 5 à 7 j’ai vu que ça ne donnait rien du tout. Ici il y a la culture du bénévolat, chez nous on n’a pas ça, tu crois que je vais travailler gratuitement pour toi? Mais quand j’ai vu ce que ça pouvait m’apporter culturellement et comment je pouvais mieux les comprendre, ça m’a ouvert des portes. […] On m’a dit que quelqu’un a préféré payer une facture plus élevée à service égal parce qu’il connaissait la personne. Il faut que je m’implique pour montrer qui je suis, comment je suis et connaître des gens. [Malinka]

Le retour aux études peut également être perçu sous cet angle de la temporalité. Un répondant utilise la métaphore du cheminement pour qualifier la stratégie académique : « J’ai choisi le chemin le plus long, le plus difficile, mais le plus durable, le plus heureux pour moi, jusqu’à ma retraite » [Mamadou]. Outre le fait de rassurer les employeurs sur la validité du diplôme ou de la formation, c’est aussi une occasion de prendre le temps de développer un réseau de liens faibles tout en apprenant sur la culture d’accueil. Par le témoignage de Mamadou, pour qui le retour aux études a été la voie privilégiée, on comprend comment cette stratégie force aussi un apprivoisement culturel des deux « bords ».

À l’université, les obstacles que j’ai rencontrés c’est le système que je ne comprenais pas au départ. La façon de travailler c’est surtout en équipe. Les travaux d’équipe, je ne comprenais pas. […] Je me suis dit, mais si je ne me réveille pas je risque de rater mon université. J’étais obligé d’aller voir les professeurs, de poser beaucoup de questions pendant le cours, d’intervenir, de beaucoup lire. Et puis les Québécoises qui étaient avec moi étaient souvent fermées, parfois elles se disaient, mais celui-là c’est qui. Mais il fallait casser cette barrière, c’est-à-dire j’étais souriant, je leur disais bonjour et après parfois quand je comprenais pas un passage je leur disais, mais qu’est-ce que tu en penses. Et elles disaient ah non non non le professeur il a dit comme ça. [Mamadou]

Ces deux stratégies - du retour aux études et du bénévolat - considérées comme les plus efficaces pour faciliter l’accès au monde du travail aux nouveaux arrivants, sont cependant inconnues de ces derniers. C’est au fur et à mesure du temps qu’ils réalisent l’importance des diplômes québécois, le passage quasi nécessaire du retour aux études et l’importance d’avoir un bon réseau de contacts.

Il faut dire aux gens, avant qu’ils ne viennent, qu’ils vont mettre du temps pour trouver du travail. Qu’il y a beaucoup de chances pour qu’ils refassent des études. Que les études sont payantes. Qu’ils doivent parfois se les payer eux- mêmes. [Nabila]

C’est vraiment difficile de voir qu’ici, c’est vraiment par réseau, il faut rentrer dans le truc pour pouvoir être accepté, alors qu’on nous a dit qu’on était des immigrants, on était bienvenu. Il y a vraiment des opportunités, ils n’ont pas menti, mais à quoi ça sert une opportunité si t’as pas la possibilité d’y accéder. [Malinka]

Devant l’échec des tentatives d’intégration en emploi, les répondants continuent de solliciter l’aide d’organismes communautaires et finalement, ils se retrouvent à refaire les mêmes choses, dans des organismes qui offrent des services identiques. Il y a un manque de continuité dans le processus d’aide à l’insertion professionnelle.

Ils voulaient tous me faire refaire mon CV, mais je leur ai dit que je l’avais déjà fait. Il faudrait répartir, toi tu vas faire les CV, ensuite toi tu vas être à l’étape d’après, toi tu vas faire le lien avec les employeurs. Parce que ça manque de liens, c’est vrai qu’ils disent qu’ils vont tous nous aider. Je pense que si j’ai un conseil à donner ce serait de structurer les étapes de A à Z, car si tout le monde fait la même chose c’est pas pertinent. [Malinka]

Les répondants souffrent du syndrome de la porte tournante, constamment référés d’un service à un autre pour toujours adapter ou développer ses compétences en matière de recherche d’emploi qui n’aboutissent pas.

Dans les organismes je retrouve les mêmes têtes, les mêmes personnes. Il y a des nouvelles personnes des fois, mais on tourne en rond, toujours. C’est tout le monde qui fait la même chose que moi. Ils font de la recherche d’emploi, dès qu’ils entendent parler d’un organisme, de quelque chose, ils se déclenchent, ils partent. Mais le résultat est le même. [Fatima]

Et de manière générale, ce manque de coordination s’étend à tous les acteurs de l’immigration, les ministères entre eux, les organismes, les intervenants, les centres de formation et établissements d’enseignement et les employeurs. L’exemple de Nadir illustre cela en ce sens qu’enseignant en électrotechnique dans une école primaire dans son pays, on lui a octroyé une licence d’enseignement en formation professionnelle. Cette licence ne lui permet d’enseigner que dans des centres professionnels, ce qui réduit fortement la possibilité d’offre d’emploi. Il s’est présenté dans des centres de formation

professionnelle, dans des écoles primaires privées, a rencontré un agent d’un Centre Local d’Emploi, un conseiller pédagogique à l’UQAM et a obtenu des informations divergentes, chacun donnant son conseil : demander ses cartes de compétence, changer son permis pour un permis d’enseignement primaire, faire le brevet en enseignement, reprendre ses études, etc. Référé d’organisme en organisme, et entendant des informations se contredisant les unes les autres, Nadir s’est complètement découragé.