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2. La formation de J Purves Carter

2.2 La restauration chez Henry Merritt (1822-1877)

Fils de Joseph Merritt, Henry Merritt est le cinquième de neuf enfants et a vécu sa jeunesse dans une grande pauvreté. Adolescent, il est l'apprenti d'un encadreur et reçoit aussi des leçons de peinture gratuites par le peintre Alfred William Delamotte (1775- 1863). En 1846, il parcourt les rues de Londres et trouve des emplois comme doreur et comme copiste de peintures. Il commence à pratiquer la restauration en 1851, au moment où il est employé par le riche collectionneur britannique Joseph Parrinton, une connaissance de son ami et propriétaire George Jacob Holyoake (1817-1906) - on présume d'ailleurs que ce serait Merritt qui aurait incité le fils d'Holyoake, Manfred (1844-1921), à devenir restaurateur58. Dès 1852, il contribue au journal The Leader et devient critique d'art pour The Standard en 1866. Entre temps, il publie un ouvrage

57 Les accidents avant la seconde moitié du XXe siècle, bien que condamnables et dénoncés, ne sont pas

rares. Cela est particulièrement vrai avant le XIXe siècle, car la pratique de la restauration se fait souvent par tâtonnements avec certains produits chimiques, causant parfois de graves accidents. Cela s'explique par l'alliance encore embryonnaire entre pratiquants et scientifiques à l'époque. À ce propos, nous référons le lecteur à la section 1 de ce chapitre.

31 majeur, Dirt and Picture Separated in the Works of the Old Masters59, dans lequel il expose son point de vue sur le métier et les responsabilités du restaurateur, les techniques de certains artistes du passé, ainsi que sa position par rapport au débat sur le nettoyage des peintures ayant cours sur le territoire britannique vers le milieu du XIXe siècle. Merritt, en plus d'avoir une clientèle privée, a été appelé à restaurer des œuvres pour différentes instances publiques, telles que la National Gallery de même que la National

Portrait Gallery de Londres. Le restaurateur était également lié à des personnalités

importantes telles que le politicien William Gladstone (1809-1898) et l'écrivain et penseur John Ruskin (1819-1900). Ses biographes se souviennent de lui comme d'un restaurateur sensible et discret dans ses interventions60.

Dans son ouvrage Dirt and Picture Separated in the Works of the Old Masters, Merritt expose un point de vue qui, bien que chargé de poésie, se veut mesuré pour l'époque. Le restaurateur, pour lui, est « aussi attentionné et [...] démontre autant d'intérêt et de soins pour la préservation de la production d'un auteur, tel que celui-ci l'aurait voulu61 ». Le restaurateur devrait détenir des qualités indispensables telles que la compréhension de l’ « esprit » de l'œuvre à restaurer, la familiarité avec la nature des matériaux et la manière employée par l'artiste. Également détient-il une connaissance des principes de représentation picturale et, surtout, il n'est pas biaisé dans ses interventions (il compare, à cet effet, le travail du restaurateur à celui du médecin)62. Détenant un œil averti, il « détecte la lente dégradation qui se cache sous une couche de couleurs resplendissantes à la surface. Un atome de poussière trahit la présence du vers insidieux; il regarde le film subtil, laissé par l'humidité de l'air, et cuit par le soleil ou la flamme, et qui jour après jour obscurcit chaque teinte tendre et douce63 ». Finalement, le restaurateur,

59 Henry Merritt, Dirt & Pictures Separated in the Works of the Old Masters, Londres, Holyoake & Co.,

1854, 98 p.

60 A. F. Pollard et Suzanne Fagence Cooper, « Merritt, Henry (1822-1877) » dans Oxford Dictionary of

National Biography, vol. 37 « Martindale - Meynell », New York, Oxford University Press, 2004, p.920.

61 « as mindful, and [...] display as much care for the preservation of an author's productions, as the author

himself could desire ». Traduction du texte original paru dans Henry Merritt, « Devotion of the restorer », op. cit., 1854, p. 70.

62 Henry Merritt, « The Restorer », ibid., p. 67-69. 63

« detects the slow decay which lurks beneath the surface of resplendent colours. An atom of dust betrays to him the presence of the insidious worm; he watches the subtle film, left by the moist air, and baked by the sun or fire, as day by day its presence obscures each tender tint and softened hue ». Traduction du texte original paru dans Henry Merritt, « Devotion of the restorer », ibid., 1854, p. 71.

32 pour Merritt, est un homme travaillant à restaurer les reliques du passé dans l'espoir de les voir se perpétuer au présent. Celles-ci devenant fades avec le temps, gagnent le statut d'immortelles grâce à la « main toute-puissante » de l'intervenant64. Nous remarquerons que ces compétences et responsabilités, bien que louables, sont chez Merritt, partiellement appliquées.

Henry Merritt est connu pour avoir retiré, en 1865, les repeints recouvrant le portrait de Richard II à Westminster Abbey. À l'époque, le portrait du XIVe siècle était recouvert d'une autre peinture à l'huile réalisée en 1732 par le capitaine Henry Turner Broome (c1683-1733). Étant donné le nombre restreint de portraits royaux en Angleterre avant la Renaissance qui nous sont parvenus, le travail de Merritt a été reconnu à son époque comme un cadeau pour la postérité. Aujourd'hui, bien que l'on soit toujours conscient de la rareté de l'œuvre et qu'on ait pu l'authentifier grâce à des examens infrarouges, on reproche néanmoins aux restaurateurs et aux peintres anciens d'être intervenus si drastiquement sur la surface picturale. Les surpeints de Broome et le peu de sélectivité des restaurations de Merritt font de l'examen des qualités artistiques de l'œuvre une tâche difficile à accomplir : en plus des nombreux surpeints gênants, Merritt a retiré le fond de gesso estampé et doré, exception faite d'une petite région près de la tête du portraituré. En revanche, si le trône a été largement altéré, la tête du roi, quant à elle, est demeurée substantiellement intacte65. Chose certaine, cette restauration a fait une forte impression sur J. Purves Carter, qui en fait la promotion dans un article paru en 1911 dans The Canadian Magazine66.

Carter a hors de tout doute lu l'ouvrage de 1854 de son maître présumé Henry Merritt étant donné que sa brochure Old and Modern Paintings, Their Preservation and

Restoration est teintée de la même opinion concernant la manière d'entretenir les chefs-

d'œuvre artistiques. Chez les deux hommes, l'œuvre d'art est un héritage des âges à

64 « godlike power of hand ». Traduction du texte original paru dans Henry Merritt, « Devotion of the

Restorer », ibid., 1854, p. 72.

65 The Institute of Historical Research and Royal Holloway, mise en ligne en 2007, Portraits of Richard II,

[En ligne], < http://www.history.ac.uk/richardII/portraits.html >, (page consultée le 28 novembre 2016).

33 préserver67 et qui doit être remis entre les mains de professionnels sachant oublier leur propre style au profit de celui de l'artiste créateur68. Ils partagent tous deux le même avis sur l'importance de sélectionner un restaurateur qui soit familier avec les matériaux et les façons de les traiter69. Cependant, tout en demeurant accessible à un public large, Carter ajoute à sa publication de l'information poussée sur la nature chimique des matériaux constitutifs de l'objet d'art et les sources plausibles de vieillissement prématuré des œuvres, des connaissances spécifiques qui pourraient provenir d'un dernier maître présumé que nous verrons rapidement dans la prochaine section : Arthur Herbert Church.