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Restauration et interprétation de l'oeuvre d'art : J. Purves Carter et la visibilité de la collection de peintures du Séminaire de Québec (1907-1912)

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Restauration et interprétation de l'œuvre d'art : J.

Purves Carter et la visibilité de la collection de

peintures du Séminaire de Québec (1907-1912).

Mémoire

Annick Tremblay

Maîtrise en histoire de l’art

Maître ès Art (M.A.)

Québec, Canada

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Restauration et interprétation de l'œuvre d'art : J.

Purves Carter et la visibilité de la collection de

peintures du Séminaire de Québec (1907-1912).

Mémoire

Annick Tremblay

Sous la direction de :

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iii

RÉSUMÉ

Notre mémoire porte sur l'histoire de la pratique de la restauration à Québec au tournant du XIXe au XXe siècle par l'étude des peintures constituant la collection du Musée du Séminaire de Québec. Entre 1907 et 1912, l’artiste, connaisseur et restaurateur d’origine britannique J. Purves Carter est engagé par les prêtres du Séminaire de Québec pour examiner et restaurer leur collection de peintures. En étudiant de plus près ces deux actes posés sur l’œuvre, nous constatons qu’ils contribuent à sa transformation physique et intellectuelle.

Cette double transformation se trouve au cœur de notre propos : la transformation physique, opérée par le nettoyage, les repeints, les retouches et la modification du support, change le statut de l’objet d’art, qui se voit par la suite réinterprété tant par le connaisseur que par son propriétaire. Le mémoire repose sur l’hypothèse que de telles modifications – physique par la restauration et intellectuelle par l’examen de l’œuvre et sa réattribution – permettent à la collection de peintures de gagner en notoriété. Ce processus de requalification des œuvres participe également à la reconnaissance institutionnelle et publique de son propriétaire, l’Université Laval.

Notre mémoire examine ce processus en trois chapitres : le premier détermine qui est J. Purves Carter et quel est son potentiel professionnel pour transformer une œuvre. Le second fait l’analyse critique de la transformation physique et intellectuelle des œuvres par études de cas. Le dernier fait état du gain de reconnaissance institutionnelle de l’Université Laval à l’échelle régionale, provinciale, nationale puis internationale. Cette étude révèle également la mise en notoriété professionnelle de la personne de Carter, qui est à l’origine de la requalification de la collection.

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iv

SOMMAIRE

RÉSUMÉ ... iii

SOMMAIRE ... iv

LISTE DES FIGURES ... vii

REMERCIEMENTS ... ix

AVANT-PROPOS ... x

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 ... 14

1. Éléments de biographie et contexte de pratique ... 15

1.1 Jeunesse et formation de J. Purves Carter ... 17

1.2 Restaurateur d'œuvres d'art en Europe : définition et contexte de pratique ... 20

1.2.1 Artisan ou professionnel? ... 21

1.2.2 La Cleaning Controversy de la National Gallery, 1846-1853 ... 23

2. La formation de J. Purves Carter ... 27

2.1 La restauration et l'expertise chez Raffaelle Pinti (c.1826-1881) ... 27

2.2 La restauration chez Henry Merritt (1822-1877) ... 30

2.3 L'expertise chez Sir Arthur Herbert Church (1834-1915) ... 33

3. La conception de la restauration de J. Purves Carter ... 35

3.1 L'influence de Sir Joshua Reynolds (1723-1792) ... 35

3.2 Un professionnel polyvalent ... 37

3.3 La réputation comme gage de qualité ... 39

CHAPITRE 2 ... 46

Première partie : L’œuvre d’art sous l’œil du restaurateur ... 47

(5)

v 1.1 Jugement d'ensemble des œuvres de la collection de peinture de l'Université Laval

... 49

1.2 Restauration des œuvres de la collection de peintures de l'Université Laval ... 57

1.3 Portrait de J. Purves Carter en restaurateur ... 70

Deuxième partie : L’œuvre d’art sous l’œil du connaisseur et de l’expert... 73

1. Le travail de l’expert et la mise en récit des œuvres ... 73

2. Mettre en pratique la figure du connaisseur ... 76

3. J. Purves Carter et l'interprétation de la collection de l'Université Laval : le catalogue raisonné de 1908 ... 82

CHAPITRE 3 ... 88

1. Le Musée de peintures de l’Université Laval : quel musée pour quel public? ... 89

2. De collection universitaire à musée national : une ambition à nourrir et un projet à définir ... 96

2.1 Rayonnement local de la collection ... 97

2.2 Rayonnement national et international de la collection... 103

2.3 Attrait du musée national et fin du projet ... 108

3. Le Musée de peintures de l’Université Laval : un projet de musée national figé en collection universitaire? ... 115

CONCLUSION ... 118

BIBLIOGRAPHIE ... 124

FIGURES ... 138

ANNEXE 1 : LISTE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉMENTS RELIÉS À J. PURVES CARTER ... 157

ANNEXE 2 : CORRESPONDANCES DE J. PURVES CARTER À DIFFÉRENTS PERSONNAGES ... 168

(6)

vi ANNEXE 3 : FONDS P12/3/3, CORRESPONDANCE NON-INVENTORIÉE ENTRE J. PURVES CARTER ET MGR GOSSELIN (ASQ) ... 189

(7)

vii

LISTE DES FIGURES

Figure 1.1 : Benoît, Jules-Ernest, dit Livernois. Galerie de peintures ou pinacothèque du

Séminaire de Québec à l’Université Laval. Entre 1875 et 1909. Papier albuminé, 8,6 x 17,3

cm. Québec, Musée de la civilisation de Québec, fonds d’archives du Séminaire de Québec. PH1997-192.

Figure 2.1 : [Photographe inconnu]. J. Purves Carter dans son atelier à l’Université Laval. 1912. Épreuve gélatino-argentique, 20,2 x 25,5 cm. Québec. Musée de la civilisation de Québec, fonds d’archives du Séminaire de Québec. PH1996-252.

Figure 2.2 : [Photographe inconnu]. Tête d’ange avant sa restauration. Entre 1908 et 1912. Photographie. Québec, Musée de la civilisation, don d’Yves Beauregard, mcqc2011-px264, p. 34.

Figure 2.3 : [Photographe inconnu]. Tête d’ange après sa restauration. Entre 1908 et 1912. Photographie. Québec, Musée de la civilisation, don d’Yves Beauregard, mcqc2011-px264, p. 35.

Figure 2.4 : Restout, Jean (attr.). Le repos de la Sainte Famille pendant la fuite en Égypte. Milieu du 18e siècle? Huile sur toile, 224 x 188,5 cm. Québec, Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec.

Figure 2.5. [Photographe inconnu]. Le repos de la Sainte Famille pendant la fuite en

Égypte avant sa restauration. Avant 1909. Photographie. Québec, Musée de la civilisation,

don d’Yves Beauregard, mcqc2011-px264, p. 6.

Figure 2.6. [Photographe inconnu]. Le repos de la Sainte Famille pendant la fuite en

Égypte après sa restauration. Après 1909. Photographie. Québec, Musée de la civilisation,

don d’Yves Beauregard, mcqc2011-px264, p. 7.

Figure 2.7. Hamel, Théophile. Le repos de la Sainte Famille pendant la fuite en Égypte. 1867. Huile sur toile, 274 x 213 cm. Saint-Ours, église de Saint-Ours, image courtoisie de Mémoires de Saint-Ours.

Figure 2.8. Roy-Audy, Jean-Baptiste. La Sainte Famille trinitaire. 1818. Huile sur toile, 300 x 255 cm. Boucherville, église Sainte-Famille de Boucherville, crédit photo : Anita E. Henry.

Figure 2.9. [Photographe inconnu]. Portrait de saint Louis Bertrand (Bienheureux

Dalmatius Monerius) avant sa restauration. Entre 1908 et 1912. Photographie. Québec,

(8)

viii Figure 2.10 : [Photographe inconnu]. Portrait du Bienheureux Dalmatius Monerius après

sa restauration. Entre 1908 et 1912. Photographie. Québec, Musée de la civilisation, don

d’Yves Beauregard, mcqc2011-px264, p. 33.

Figure 2.11 : [Photographe inconnu]. Portrait de Madame Siddons avant sa restauration. Entre 1908 et 1912. Photographie. Québec, Musée de la civilisation, don d’Yves Beauregard, mcqc2011-px264, p. 16.

Figure 2.12 : [Photographe inconnu]. Portrait de Madame Siddons après sa restauration. Entre 1908 et 1912. Photographie. Québec, Musée de la civilisation, don d’Yves Beauregard, mcqc2011-px264, p. 17.

Figure 2.13 : Ancien châssis recouvert d’un enduit rouge par J. Purves Carter. 2014. Photographie numérique. Québec, Centre de conservation du Québec. Archives personnelles de l’auteure.

Figure 2.14 : [Photographe inconnu]. La vision de saint Antoine de Padoue avant sa

restauration. [Sans date, entre 1908 et 1912?]. Photographie. Québec, Musée de la

civilisation, dossier de l’œuvre 1991.447.

Figure 2.15 : [Photographe inconnu]. La vision de saint Antoine de Padoue après sa

restauration. Entre 1908 et 1912. Photographie. Québec, Musée de la civilisation, don

d’Yves Beauregard, mcqc2011-px264, p. 15.

Figure 2.16 : [Photographe inconnu]. Portrait de Thomas More avant sa restauration. 1911? Photographie. Québec, Musée de la civilisation, don d’Yves Beauregard, mcqc2011-px264, p. 50.

Figure 2.17 : [Photographe inconnu]. Portrait de Thomas More après sa restauration. 1912? Photographie. Québec, Musée de la civilisation, don d’Yves Beauregard, mcqc2011-px264, p. 51.

Figure 2.18 : Reproduction du bienheureux Thomas More d’après une gravure de Robert Wickenden. Image tirée de Charles G. Herbermann et al., Catholic Encyclopedia, New York, Appleton, vol. XIV, 1914, p. 690.

(9)

ix

REMERCIEMENTS

Ce mémoire n’aurait certainement jamais vu le jour si ce n’avait été de l’aide de nombreuses personnes, qui doivent ici être remerciées. D’abord, mon directeur de recherche, Didier Prioul qui, par ses commentaires éclairants, sa disponibilité et son soutien constant, a contribué au raffinement de mes recherches et, surtout, a su rendre cette expérience si stimulante.

Ensuite, je dois remercier le Conseil de recherche en sciences humaines, la Congrégation des Sœurs de la Charité de Québec et le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises, qui, par leur générosité, m’ont permis de me concentrer sur la réalisation du mémoire.

Également, je dois remercier mes principaux lecteurs : Alex Tremblay Lamarche, un ami que j’admire pour sa rigueur intellectuelle, pour sa générosité sans égale et pour les nombreux commentaires qui ont su améliorer l’ensemble du mémoire. Katerie Gaudet-Chamberland, restauratrice au Centre de conservation du Québec, qui a pris de son précieux temps pour réviser ce mémoire et en améliorer la teneur scientifique. Grâce à elle, j’ai aussi pu aller discuter de mes recherches avec les restaurateurs-conservateurs du CCQ à l’hiver 2017, une expérience qui s’est avérée enrichissante et qui n’a fait que redoubler mon intérêt pour le domaine de la restauration des peintures. Enfin, Jean-Alexandre, un ami irremplaçable, qui s’est dès le début intéressé à mes recherches et qui a conservé cet intérêt jusqu’à la fin.

Je dois aussi exprimer ma gratitude à Vincent Giguère et à Peter Gagné, du Musée de la civilisation de Québec. Je remercie également les archivistes des archidiocèses de Québec et de Régina, de l’Université de Régina et de la Charterhouse de Londres.

Je tiens à exprimer ma plus profonde reconnaissance à mes parents Gaétan et Hélène, de même qu’à David, Stéphanie et Kévin, sans qui la rédaction n’aurait pas été si amusante. Je remercie chaleureusement Casey et Alexandra, qui ont contribué avec brio à la traduction de certains articles se trouvant dans ce mémoire. Enfin, je remercie Benjamin, pour son soutien moral et son écoute, même dans les moments les plus difficiles. Sa présence constante à mes côtés est, pour moi, tout à fait inestimable.

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x

AVANT-PROPOS

Ce mémoire porte sur l’impact de la restauration et de l’expertise réalisées par J. Purves Carter sur la collection de peintures européennes de l’Université Laval entre 1907 et 1912. Carter étant un restaurateur et expert en art itinérant originaire du Royaume-Uni, il a laissé de nombreux écrits – publications, articles, correspondances, etc. – en anglais. Afin d’unifier le texte et ainsi faciliter la lecture, nous avons traduit, au plus près possible de leur signification originale, la totalité de ces citations et retranscrit, en note de bas de page, les citations originales. La même remarque s’applique à un article initialement rédigé en italien.

Aussi est-il à propos de spécifier que ce mémoire n’a pas pour objectif de mettre au jour des recettes et des méthodes employées par J. Purves Carter sur les œuvres du Musée de peintures de l’Université Laval. Il utilise plutôt la source primaire comme guide et comme moyen de détermination du degré de changement opéré au sein de l’œuvre modifiée et de l’institution qui en est propriétaire.

(11)

1

INTRODUCTION

Depuis sa création, la collection de peinture du Séminaire de Québec détient un prestige certain en raison de son ampleur, de la provenance européenne des œuvres qui la compose, de son historicité sur le territoire au Québec et de l'importance de son rôle didactique. Dès 1875, peu après l’acquisition de la collection Légaré1, l’Université Laval, dépositaire des œuvres du Séminaire de Québec, instaure une Pinacothèque 2

. Évidemment, la genèse de la collection remonte bien avant cette acquisition massive de peintures européennes et canadiennes, mais jusqu’au moment où la collection est rassemblée sous un même espace, les prêtres du Séminaire de Québec accrochaient ces peintures dans leurs espaces personnels, dans les corridors de l’institution ainsi que dans leur chapelle. C’est véritablement peu avant, et lors de la mise sur pied de cette Pinacothèque, qu’une préoccupation particulière habite les autorités du Séminaire de Québec. En effet, selon Marielle Lavertu, l’enseignement du dessin par le biais de la copie, instauré en 1833 par l’abbé Jérôme Demers, a eu pour effet d’agrandir de façon significative les collections artistiques de l’institution3. L’instruction du goût par la copie et par la fréquentation de modèles artistiques a conféré aux œuvres un rôle d’exemplarité. Or, l’intensification de l’activité de collectionnement entre le second et le troisième quart du XIXe siècle démontre d’un nouvel intérêt pour les arts : faire de la galerie un lieu d’expérimentation et d’apprentissage artistique. En effet, les œuvres sont restaurées et

1 Il avait été prévu de vendre aux enchères la collection de peintures de Joseph Légaré, après le décès de sa

veuve. Cette vente n’aura pas lieu, car le Séminaire de Québec procédera à un achat en bloc des œuvres de la collection en 1874. À ce propos, nous renvoyons le lecteur au mémoire de Louise Prieur, La collection Joseph Légaré et la création de la pinacothèque de l'Université Laval : étude de cas : les paysages européens, mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 2005, p. 114 et suivantes.

2 La Pinacothèque de l’Université Laval changera de nom en 1880 pour « Musée de peintures de

l’Université Laval » puisque la collection était en les murs de l’université, bien qu’elle appartienne au Séminaire de Québec. Le musée changera ensuite de nom pour « Musée du Séminaire de Québec », « Musée de l’Amérique française » et, finalement, « Musée de l’Amérique francophone ». La collection est gérée, depuis 1995, par le Musée de la civilisation de Québec. Le terme « Pinacothèque » fait l’objet de recherches en 2018. À ce propos, nous renvoyons le lecteur aux travaux de Vincent Giguère.

3 Marielle Lavertu, « La Pinacothèque de l’Université Laval 1875-1910, les collections d’art du Séminaire

de Québec au XIXe siècle : rôle et justification » dans Annales de l’histoire de l’art canadien, vol. XV/2, 1993, p. 9.

(12)

2 vernies tour à tour par Dutacel et Noël4 et sont mises à la disposition des artistes locaux pour qu’ils en tirent des copies, à l’instar des galeries publiques européennes de l’époque. C’est dans ce contexte, sous Mgr

Thomas-Étienne Hamel (1830-1913), alors supérieur du Séminaire de Québec, qu’est fondée la Pinacothèque de l’Université Laval. Il semblerait que cette fondation ait été motivée par l’absence devenue de plus en plus flagrante d’un musée national dans la Province de Québec. Deux projets axés sur le sujet (1845 et 1853) avaient été, jusqu’alors, ignorés par la ville de Québec5

. Elle aurait également été motivée par le désir de garder unifiée la collection Légaré, laissée en dépôt dans les locaux de l’Université Laval à la demande de sa veuve, Geneviève Damien, en 1872. En effet, l’acquisition de cette collection, que les autorités « [n’ont] pas voulu voir se disperser [et] qui était à Québec depuis trente ans6 », permet à l’Université à la fois de la sauver d’un démantèlement, causé par l’achat des œuvres par divers collectionneurs, et de former un noyau solide pour une collection d’envergure pour un nouveau musée, qui sera inauguré le 25 mai 1875, dans le pavillon principal de l’Université Laval. De 1875 jusqu’au tournant du XXe siècle, la collection s’accroit par de généreux dons7, si bien qu’en 1901, l’ampleur de la galerie de peintures oblige les autorités du musée, de même que l’artiste Raab, engagé à l’automne cette année-là pour restaurer et mettre en ordre la collection, à

4

Voir notamment les nombreux reçus de restauration par ces artistes, ASQ, Séminaire 324, no. 331 à 358 ainsi que ASQ, Séminaire 330, no. 76 à 83, par exemple.

5 Le « projet Vattemare », lancé par Nicolas Vattemare (1796-1864), visait à réunir sous un même toit, à

Québec, la Société littéraire et historique, l’Institut des artisans et la Bibliothèque de Québec. L’Institut Vattemare devait constituer un premier musée incluant une bibliothèque, une salle d’histoire naturelle et des salles d’exposition pour l’instruction populaire, mais le projet a été abandonné après le dépôt d’un mémoire au conseil de ville. Voir Claude Galarneau, « VATTEMARE, NICOLAS-MARIE-ALEXANDRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of

Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2017,

< http://www.biographi.ca/fr/bio/vattemare_nicolas_marie_alexandre_9F.html >. Voir également l’article de John R. Porter sur la question : John R. Porter, « Un projet de musée national à Québec à l’époque du peintre Joseph Légaré (1833-1853) » dans Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 31, no. 1, 1977, p. 75-82.

6 ASQ, Lettre de Mgr. T. E. Hamel à Ch. G. Smith, 13 décembre 1876, Université 41, no. 20. Voir

également l’inventaire des biens de Geneviève Damien en date du 25 avril 1874, faisant état des tableaux conservés dans les salles de l’Université Laval, disponible en transcription dans la thèse de doctorat de Didier Prioul, Joseph Légaré, paysagiste, thèse de doctorat, Université Laval, 1993, p. 329-331.

7 Nous invitons le lecteur à consulter le mémoire de maîtrise de Marie-Orphée Duval, qui fait une

démonstration sur l’accroissement de la collection de portraits peints au sein du Séminaire de Québec entre 1874 et 1899 et au début du XXe siècle. Bien qu’il se limite aux tableaux de type portrait, ce mémoire donne néanmoins une excellente idée de l’ampleur et de la nature de ces donations. Marie-Orphée Duval, La collection de portraits du séminaire de Québec au XIXe siècle, mémoire de maîtrise, UQAM, 2003, particulièrement le chapitre 2.

(13)

3 accrocher les œuvres dans la galerie à l’image d’un « mur-salon8

» (Figure 1.1), en étagement et disposées à touche-touche sur une cimaise. Cette disposition serrée force, par ailleurs, à rapprocher les tableaux en fonction de leur taille plutôt qu’en fonction de leurs sujets. Aussi les toiles d’artistes locaux représentent-elles une minorité et sont souvent reléguées aux passages secondaires du parcours muséal. Cet arrangement, quoique circonscrit dans un espace restreint, attire un certain nombre de visiteurs chaque année. Il va sans dire que ce type d’accrochage crée un effet monumental chez le visiteur. Conscientes de l’intérêt du public pour leur musée, les autorités réalisent que certaines classes sociales constituent un danger pour la collection, telle qu’elle est disposée :

Le jeudi de 1h à 4h on pouvait visiter l'Université sans payer. On vient de décider qu'à l'avenir on exigera dix cents de chaque visiteur. On a constaté que chaque jeudi viennent en trop grand nombre d'enfants et de gamins qui ne peuvent retirer aucun fruit d'une telle visite et qui sont plus dispensés à tout briser qu'à tout admirer. C'est pour faire disparaitre cette classe de visiteurs que l'Université vient de prendre cette décision.9

La justification de l’augmentation du coût d’entrée révèle un souci élevé de conservation des œuvres chez le propriétaire, qui prend conscience du danger d’un certain type de visiteurs, mais aussi, et surtout, de la valeur du contenu de la collection. Cette prise de conscience est exaltée lors du passage à Québec de J. Purves Carter (1862-1937), un artiste, restaurateur et expert en arts d’origine britannique. Ce dernier, après avoir examiné la collection durant quelques jours, à l’été et à l’automne 1907, a conféré une valeur certaine aux œuvres, en les réattribuant à des artistes européens connus. Par la suite, la restauration de ces mêmes tableaux, réalisée entre 1908 et 1912 par le professionnel, leur donne un prestige sans précédent. Si le passage de J. Purves Carter au sein de l’institution religieuse est relativement absent de la recherche actuelle, il faut reconnaître, néanmoins, que la collection de peintures du Séminaire de Québec n'a jamais connu de prestige aussi grand que durant les années où le professionnel a été en ses

8 Cette expression nous vient des recherches de Marielle Lavertu, loc. cit., p. 15. 9 ASQ, 21 octobre 1901, Journal SEM, vol VI, p. 146.

(14)

4 murs10 : entre 1907 et 1912, deux catalogues de collection sont publiés, deux expositions spéciales accompagnées de livrets d'expositions sont présentées au public, plusieurs tableaux et copies sont offerts en dons au musée et d'innombrables articles dans les journaux anglophones et francophones de Québec, Montréal, de Toronto, voire même d'Europe, font l’éloge de cette collection unique en sol canadien. Notre question de départ repose dans la manière dont J. Purves Carter a contribué à ce gain de prestige, à la visibilité et à la reconnaissance de la collection de peintures du Séminaire de Québec. Notre interrogation se poursuit à savoir si le travail de Carter au sein du Musée de l’Université Laval répond à des intentions de la part des autorités institutionnelles.

Il est difficile, à partir des recherches récentes, de déterminer l’apport de J. Purves Carter à la mise en valeur de la collection de peintures de l’Université Laval. Cela s’explique par la méconnaissance de cette figure marginale de l’histoire de l’art. En effet, les recherches menées à son sujet s'apparentent davantage au résumé11 visant plutôt à discuter de l’histoire du Séminaire de Québec12

. Cet état de fait s'explique, nous croyons, par l'absence d'une réelle recherche sur la restauration ancienne au Québec. Aussi, la plupart des courts passages faisant mention du personnage souffrent de l'absence d'analyse critique des sources. En raison de son caractère discoureur, l'authenticité de plusieurs des affirmations de Carter dans ses brochures promotionnelles est à remettre en doute et l'on ne peut s'y fier entièrement13. Heureusement, un important recensement des restaurateurs actifs entre 1600 et 1950 en Grande-Bretagne14, outil en ligne réalisé par

10 Constat de David Karel dans Univers cité : collections pour voir, collections pour savoir, Québec, Musée

de l'Amérique française, 1993, 119 p. Il faut néanmoins nuancer cette affirmation en soulignant que les autorités du Séminaire de Québec ont fondé, en 1983, le Musée du Séminaire de Québec, consacré d’abord aux beaux-arts, et qui incluait aussi les œuvres du Musée de l’Université Laval.

11 C’est le cas des recherches de David Karel, Univers cité : collections pour voir, collections pour savoir,

Québec, Musée de l'Amérique française, 1993, p. 25-26.

12 Voir Louise Prieur, La collection Joseph Légaré et la création de la Pinacothèque de l'Université Laval,

étude de cas : les paysages européens, mémoire de maîtrise, UQAM, 2005, 257 p. Voir également Marie-Orphée Duval, La collection de portraits du séminaire de Québec au XIXe siècle, mémoire de maîtrise, UQAM, 2003. Elles présentent Carter en quelques lignes pour situer le lecteur, car elles discutent de réattributions. Catherine Lambert discute également de l'apport de Carter, mais sous l'angle des réattributions suggérés par ce dernier. Catherine Lambert, Les copies européennes de peinture d'histoire de la collection de Joseph Légaré, mémoire de maîtrise, UQàM, 2005, p. 105-106, puis 112 et suivantes.

13 L'origine du problème vient de la recherche de Karel, Univers cité, op. cit. Les auteurs qui s'y réfèrent par

la suite ne valident pas les sources.

14 Jacob Simon, Mis en ligne en 2009. British picture restorers, 1600-1950 - C, [En ligne]

< http://www.npg.org.uk/research/programmes/directory-of-british-picturerestorers/ british-picture-restorers-1600-1950-c.php >, (page consultée le 3 mai 2016).

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5 Jacob Simon de la National Portrait Gallery de Londres, ouvre la voie vers une recherche plus complète sur ce personnage. Simon nous informe de façon inédite, grâce à une recherche en archives sur le territoire britannique, sur les origines, la formation, la profession, les voyages et la clientèle de J. Purves Carter15.

Les recherches de Thimothy Long sont des incontournables étant donné qu'elles poursuivent le travail initié par Simon sur le continent américain. Son chapitre, paru dans

The Mackenzie Art Gallery: Norman Mackenzie's Legacy16, nous informe sur le rôle qu'a joué J. Purves Carter dans la constitution de la collection privée de Norman Mackenzie. L'interprétation de la longue correspondance entre les deux hommes a permis à l'historien de documenter rapidement les techniques de connoisseurship utilisées dès 1915 pour gagner la confiance de Mackenzie et marchander en son nom. Toutefois, l'auteur tente de protéger l'intégrité du collectionneur face à un Carter bonimenteur au détriment d'une véritable recherche de fond sur le connoisseurship au Canada.

Il faut également souligner l’apport des recherches menées par Guillaume Savard dans la connaissance des méthodes de travail de Carter. Il démontre notamment, que l’expert britannique, de passage chez les Augustines de Québec en février 1909, contribue à l'aboutissement d'un processus visant à transformer le sens de l'œuvre d'art et à lui conférer un nouveau statut valorisé chez la communauté religieuse17. Bien que de durée très courte - deux jours à peine - ce passage chez les religieuses nous est précieux puisque cette méthode de réattribution, nous croyons, a aussi eu lieu au Séminaire de Québec. Cependant, ces auteurs n’étudient pas la question de l’impact de la restauration des œuvres, puisque Carter n’y a pas eu recours ni sur la collection des Augustines, ni sur celle de Norman Mackenzie. De fait, l’étude du passage de Carter en tant qu’expert et restaurateur au sein de l’Université Laval apportera une contribution unique à la connaissance de la collection universitaire.

15

Cependant, la recherche hors territoire britannique demeure à faire. Le contenu de chaque vignette se limite à l'essentiel, le recensement se voulant plutôt un guide pour le chercheur.

16 Thimothy Long dans RIDDELL, William A. (dir) "The Collector and the Collection, Part I: Mackenzie

the Collector" dans The Mackenzie Art Gallery: Norman Mackenzie's legacy. Regina, Mackenzie Art Gallery, 1990, p. 28-42.

17 Guillaume Savard, Du monastère au musée : statuts et fonctions de l'œuvre peinte à l'hôpital général de

(16)

6 Plusieurs auteurs ont étudié la collection de peintures aux XVIIIe et XIXe siècles, très peu ont toutefois proposé des lectures dépassant le cadre classique du rôle didactique qui lui a été conféré dès sa constitution en 187418. Laurier Lacroix suggère, dans sa thèse de doctorat, que les œuvres ramenées au Québec par les abbés Desjardins en 1817 et en 1820 sont à l'origine d'un sentiment d'appartenance et d'identification dans la communauté. L'attitude qui s'en dégage révèle qu'une modification de fonction est opérée sur les tableaux religieux, qui deviennent des objets de musée, des objets esthétiques regroupés dans le but de former un patrimoine québécois. « Ce rattrapage de l'Université Laval dans l'interprétation de sa collection est dû en grande partie au rôle joué par le recteur Mgr Amédée-Edmond Gosselin et l'historien et restaurateur James[sic] Purves Carter »19. Enfin, la participation de Vincent Giguère au colloque du 350e anniversaire du Séminaire de Québec20 propose de revoir les enjeux portant sur les collections de l'institution : les objets qui les composent, leur mode d'acquisition, d'exposition, et d'organisation en salle diffèrent, mutent, au fil des époques. Il faudrait alors se tourner vers ce qui motive les prêtres à revoir leurs collections.

Grâce aux recherches récentes menées en Europe sur la restauration ancienne, il nous est possible de concevoir la visibilité de la collection de peintures du Séminaire de Québec sous l'angle matériel des œuvres qui la constituent. Les recherches d’Alessandro Conti21 ont révélé que d'importants transferts culturels ont lieu sur le continent européen dès le XVIIIe siècle, notamment grâce aux voyages et à la formation à l'étranger des restaurateurs, par la diffusion de traités de restauration et de publications critiquant les méthodes de certains praticiens. Ce faisant, la transformation de l'objet par l'acte de restauration en Europe devient tout aussi pertinente que nécessaire à notre propos, en

18 Parmi ceux-ci figurent Karel, qui dresse une histoire de l'institution et de ses collections (David Karel, op.

cit.) et Yves Bergeron, qui reprend l'idée générale de Karel en l'inscrivant dans une histoire plus globale de l'Amérique française (Trésors d'Amérique française, Québec, Musée de l'Amérique française, 1996, 119 p. ainsi que Un patrimoine commun : Les musées du Séminaire de Québec et de l'Université Laval, Québec, Université Laval, Musée de la civilisation, Séminaire de Québec, 2002, 214 p.)

19

Laurier Lacroix, op. cit., p. 25.

20 Vincent Giguère, « Les collections et les musées du Séminaire de Québec : décrypter l'intention de

l'institution » dans Raymond Brodeur, Hermann Giguère et Gilles Routhier (dir.). Parce qu'ils y ont cru, on le voit! : le Séminaire de Québec célèbre ses 350 ans, Québec, Presses de l'Université Laval, 2013, p. 169-194.

21 Alessandro Conti, A History of the Restoration and Conservation of Works of Art, Oxford,

(17)

7 raison de l'absence22 de telles recherches sur le territoire québécois. Parmi les auteurs qui nous sont fondamentaux pour documenter l'impact de la restauration sur l'objet d'art, nous devons souligner les travaux de Noémie Étienne. Dans sa thèse de doctorat, l’auteure démontre, par l’étude matérielle de l’œuvre d’art, c'est-à-dire son support et sa couche picturale mis en lien avec les événements historiques, les controverses et les discours portés sur elle, que l'acte de restauration, le public et l'objet altéré sont instrumentalisés par le nouveau propriétaire de l'œuvre23. En effet, le Muséum central des arts de Paris (aujourd’hui Musée du Louvre) a trouvé, dans l'acte de restauration, un moyen efficace de valoriser son rôle de bienfaiteur des arts et d'unique gardien capable de protéger les trésors nationaux. Dans un article récent, Étienne relève avec justesse que la restauration, qui consiste à l’époque à remettre l’œuvre dans son état primitif, c'est-à-dire l'état dans lequel elle se trouvait à sa sortie de l'atelier du maître, est en réalité impossible. Le restaurateur se fait plutôt actualisateur : il active une « version potentielle » de l'œuvre en la transformant suivant les besoins des acteurs qui gravitent autour d'elle24. Ces discussions animées autour de la matérialité de l'œuvre trouvent écho en Angleterre, où Carter reçoit vraisemblablement sa formation professionnelle. Norman Brommelle indique que les actes de restauration posés sur les objets conservés à la National Gallery, au XIXe siècle, font l'objet d'importants débats25. Simon Lambert, en 2014, soulève que ces controverses, portant essentiellement sur la restauration dite excessive, c'est-à-dire un nettoyage drastique des tableaux risquant d'effacer à jamais les glacis et les repeints du maître, sont toujours d'actualité26. Cette transformation de l'œuvre a également lieu en Amérique, par transfert culturel, au moment où Carter arrive au pays, au début du XXe siècle. La transformation, dans le cas de la collection de peintures du Séminaire de Québec, s'opère sous une forme double. Elle se fait par combinaison entre l'expertise

22

À l'exception de l'article de Colette Naud, « Restauration en mutation » dans Continuité, no. 139, 2014, p. 11-13. Les articles portant sur la restauration des peintures au Québec portent généralement sur les découvertes et restaurations récentes.

23 Noémie Étienne, La restauration des peintures à Paris (1750-1815) : pratiques et discours sur la

matérialité des œuvres d'art, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012. 353 p.

24 Noémie Étienne, « Artworks in Progress. The Restoration, Reception and Requalification of Things »

dans Zeitschrift für Archäologie und Kunstgeschichte, Band 71, 2014, p. 6.

25

Norman Brommelle, « Material for a History of Conservation. The 1850 and 1853 Reports on the National Gallery » dans Studies in Conservation, vol. 2, no. 4 (Oct. 1956), p. 176-188.

26 Simon Lambert, « The Early History of Preventive Conservation in Great Britain and the United States

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8 portée sur l'œuvre par le connoisseur et l'actualisation physique de celle-ci par le restaurateur, deux « identités professionnelles » présentes chez Carter.

Le connoisseur, selon Marie-Geneviève de la Coste-Messelière, est un professionnel des arts ayant un « jugement sûr, fait pour une part d'intuition, mais étayé par une culture artistique, un "œil" clairvoyant par nature, mais affiné par le contact quasi permanent avec les œuvres d'art »27. Il apprécie une œuvre par attention constante et par objectivité désintéressée afin d'en faire l'attribution. Chez Carter, ce processus spécifique de valorisation de l'œuvre est réalisé en deux temps : d’abord, par le biais d’une analyse critique en faveur du propriétaire et ensuite, par la diffusion de cette analyse au grand public. La collection de peintures du Séminaire de Québec n'y fait pas exception :

Les découvertes [faites dans la collection] sont étonnantes. Elles iraient à donner à ce que nous avons une valeur bien plus grande que nous le pensions. Notre collection serait merveilleuse. [...] Les amis de la maison se demandent pourquoi nous ne mettons pas tous ces trésors à l'abri des dangers, de l'incendie surtout. 28

C'est le discours porté sur la collection qui motive les prêtres à engager J. Purves Carter dès 1907 afin de consigner sous forme de catalogue raisonné ces découvertes. L’ouvrage est mis sous presse à temps pour les festivités du tricentenaire de Québec, en 1908. L'intérêt suscité par ces peintures récemment identifiées encourage les prêtres à investir dans la collection : Carter est de nouveau engagé, mais cette fois pour restaurer les pièces les plus prestigieuses, celles-ci étant déterminées en fonction de la valeur qu'il leur a attribuée en 1907.

Sa technique de travail est audacieuse en ce qu'elle fusionne expertise et restauration. L'œil du connoisseur se confronte à l'œuvre et la réattribue; le restaurateur active une version potentielle de l'œuvre en la rendant lisible et visible par nettoyage, repeint, rentoilage, restauration et vernissage dans un souci de mise en valeur physique. La formation de restaurateur, du XVIIe siècle à la première moitié du XXe siècle, n'est pas standardisée par un enseignement uniforme et reconnu. De fait, les méthodes

27

Marie-Geneviève de la Coste-Messelière, « CONNAISSEURS » dans Encyclopaedia Universalis, [En ligne], < http://www.universalis-edu.com.acces.bibl.ulaval.ca/encyclopedie/connaisseurs/ >, (page

consultée le 3 mai 2016).

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9 empiriques développées par les artistes et artisans appelés à restaurer mettent l’enjeu matériel au cœur de l'intervention : celui de répondre aux besoins immédiats du propriétaire. Dans le cas qui nous préoccupe, ce sont à la fois le commanditaire et son employé qui sont visés par la transformation de l'œuvre. La collection, restaurée, expertisée et devenue visible, répond à certaines intentions des prêtres pour leur université tandis que l'objet prestigieux identifié, authentifié et préservé assure à Carter une reconnaissance professionnelle auprès de sa clientèle. Il nous est donc permis d’émettre comme hypothèse de départ que, par le biais de la restauration et de l'interprétation des œuvres constituant la collection de peintures de l'Université Laval, J. Purves Carter contribue à sa visibilité — physique et intellectuelle — qui conduira à la reconnaissance de l'institution comme autorité artistique au début du XXe siècle. Nous essaierons de démontrer que la présence, la parole et l'action du connaisseur et restaurateur J. Purves Carter, ont eu un rôle déterminant sur la notoriété de la collection de peintures, en lien avec les intentions du Séminaire lui-même.

Cette démonstration soulève toutefois deux questions primordiales : la première relève de la justesse des attributions que Carter donne aux œuvres, et la seconde, porte sur la nature professionnelle de J. Purves Carter. En ce qui a trait aux attributions qu’a faites Carter entre 1907 et 1909, nous les conserverons en corps de texte, pour des raisons de représentation historique, bien que la plupart d’entre elles soit aujourd’hui remise en doute. En notes de bas de pages se trouveront les attributions ou les hypothèses actuelles quant à l’auteur des œuvres étudiées. Il faut toutefois souligner qu’il n’existe pas de catalogue raisonné réactualisé de cette collection, ce qui constitue une limite à notre recherche. À propos du caractère professionnel de Carter, plusieurs chercheurs, dont Timothy Long29, ont avancé que Carter était un professionnel manipulateur, malhonnête, voire même un fraudeur. Nous tenons à indiquer au lecteur que notre position par rapport à la nature controversée du personnage se situe sous l’angle historique. C’est-à-dire qu’à l’époque où Carter a réalisé son expertise et a mené ses restaurations au Séminaire de Québec, il le faisait, nous croyons, au mieux de ses connaissances. Ce positionnement se justifie par certaines réalités que nous mettrons au jour dans les différents chapitres de ce

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10 mémoire. En outre, la profession est, au début du XXe siècle, encore émergente : elle n’est pas régie par des règles éthiques fixes et n’est pas non plus contrôlée par le biais d’écoles reconnues30

, ce qui explique en partie les différences notables entre les pratiques du temps de Carter et celles actuelles. Nous proposerons donc une démonstration qui repose sur les valeurs et le contexte de l’époque. Celle-ci, nous le constaterons, permettra de mettre au jour une stratégie employée par Carter, soit celle de la valorisation de sa promotion professionnelle et sociale passant par la manipulation.

Nous proposons donc une étude en trois temps. Chacun d’entre eux porteront sur un facteur de rayonnement de la collection, soit J. Purves Carter en tant que professionnel, les objets qu'il transforme et le client qu'il sert. Ces temps seront analysés suivant une méthode de travail leur étant propres. Le premier chapitre situera la pratique de J. Purves Carter de sorte à pouvoir déterminer quelles sont les motivations qui le dicte à transformer physiquement l'œuvre une fois engagé par le Séminaire de Québec. Pour ce faire, nous procéderons à l’étude des écrits de Carter portant sur sa pratique. Old and

Modern Paintings : Their Preservation and Restoration et A Record of 25 Years Expert Work in Some of the Principal Galleries and Collections of Paintings in Great Britain and America seront nos outils de base pour déterminer sa formation, ses conceptions du

métier de restaurateur et ses éventuels codes d'éthique. À l'époque, le restaurateur est un artisan dont les méthodes de travail peuvent faire l'objet de débats en raison de la disparité des techniques employées et du goût du public en la matière. Ces controverses doivent être étudiées dans leur contexte pour ensuite y déceler les intentions du restaurateur. Nous établirons donc quelles étaient ces pratiques principales en Europe afin de pouvoir y situer la pratique de Carter. Par ailleurs, cette méthode de travail nous permettra de penser l'acte de restauration réalisé au Séminaire de Québec et de constater les différences entre théorie et pratique chez le professionnel31.

Le second chapitre sera dédié à l’œuvre transformée par l’action de Carter. Cela se fera en deux parties - l'une portant sur sa restauration et l'autre portant sur son expertise. Dans la première partie, nous relèverons les transformations physiques de

30 À ce sujet, voir la section 1.2 du chapitre 1.

31 Nous les confronterons à la pensée de John Ruskin et de Sir Joshua Reynold, deux figures primordiales

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11 l’œuvre par étude matérielle de corpus visuel. Nous croyons que les actions menées par J. Purves Carter sont à l'origine d'une requalification du tableau. Durant son séjour, une centaine d’œuvres sont restaurées; leur étude exhaustive nous serait impossible en raison de plusieurs facteurs, notamment l’ampleur du corpus et le manque de documents d'archives et de documents visuels32. De fait, nous avons limité notre corpus visuel à quelques œuvres représentatives de sa pratique dont Le repos de la Sainte Famille

pendant la fuite en Égypte, La vision de saint Antoine de Padoue, Tête d'ange, Portrait de Thomas More et Guirlande de fruits. Les deux premières œuvres permettront de dresser

un portrait fidèle de l'acte de restauration chez Carter, puisqu'elles sont bien documentées dans les archives du Séminaire de Québec et dans les dossiers de restauration préparés par les conservateurs-restaurateurs du Centre de conservation du Québec. Cette étude de l'œuvre mettra au jour le processus par lequel le professionnel est passé pour la transformer physiquement. Les trois dernières œuvres mentionnées feront le pont entre le processus de restauration et celui de l'attribution. Leur étude matérielle révèlera certaines techniques utilisées par Carter pour confirmer une attribution prestigieuse, par exemple, par la découverte d'une signature, d'une date au revers du support ou encore de l'apparition d'inscriptions après le nettoyage de l’œuvre. Pour mener à bien la deuxième partie de ce chapitre, nous procéderons à une analyse axée sur l'œil du connaisseur, une méthodologie construite et adaptée à nos besoins consistant à analyser le regard porté sur l'objet33, celui-ci étant obtenu par le biais des écrits de Carter. Par l'étude des textes A

Shrine of Art et The Great Picture Frauds, nous pourrons évaluer les méthodes intuitives

propres au connaisseur. Afin de bien saisir en quoi consiste le rôle du connoisseur au sein de l’institution muséale, nous définirons ce type d'amateur d'art au XIXe siècle, par le biais d'une comparaison avec différents types d’experts actifs aux XIXe et XXe siècles. Aussi, afin de retracer la transformation intellectuelle des œuvres de la collection, nous

32 La sélection de notre corpus visuel a été déterminée par la présence des œuvres dans l'album de

photographies Photographs of Paintings Before and After Restoration composé de 59 pages et daté vers 1912. La présence, au Musée de l'Amérique francophone, de dossiers de restauration préparés par le Centre de Conservation du Québec a également justifié la sélection finale; celui-ci nous informe objectivement sur l'état de l'œuvre avant sa restauration contemporaine et nous informe sur les matériaux utilisés lors des restaurations réalisées au début du XXe siècle.

33

Bien qu'il s'agisse d'une méthodologie maison, nous nous inspirons largement des contributions de chercheurs parues dans Rencontres de l'École du Louvre, Connoisseurship : l'œil, la raison, l'instrument : actes du colloque, École du Louvre, en partenariat avec la Fondation Calouste Gulbenkian et l'Institut national d'histoire de l'art, 20, 21 et 22 octobre 2011, Paris, École du Louvre, 2014, 338 p.

(22)

12 analyserons les découvertes de Carter annoncées dans les journaux Quebec Chronicle,

Montreal Gazette, l'Action sociale ainsi que l'Événement. Nous analyserons également le

contenu de trois catalogues conçus par Carter en 1908 et en 1909. Le catalogue raisonné de 1908 nous est précieux pour les descriptions d’œuvres qu’il contient et pour les appendices imprimés en fin d’ouvrage, ceux-ci militant en faveur de l'œuvre. Les deux autres catalogues à l’étude résultent d’expositions spéciales des œuvres restaurées par Carter en juin et octobre 1909 et sont des plaidoyers en faveur du travail réalisé par Carter : c'est grâce à la transformation des œuvres qu'il touche et observe qu'elles deviennent de véritables trésors nationaux et c’est aussi grâce à cela que Carter fait de la collection du Séminaire de Québec un tremplin pour sa carrière en Amérique du Nord.

L'idée du trésor national se trouve au cœur du troisième chapitre. Rapidement assimilé et adopté par les autorités du Musée de l’Université Laval, ce concept a été présenté à ces derniers par le biais des discours de J. Purves Carter. Afin d'étudier la perception qu'ont les prêtres sur leurs œuvres, nous maintiendrons une méthodologie axée sur le regard, mais sous l’œil du gardien de la collection de peintures. Les discussions et le travail de Carter sur les tableaux modifient progressivement la perception des autorités institutionnelles, qui se traduit alors par un gain de reconnaissance de la personne de Carter et de l'institution en tant que référence artistique. Il s'agira donc de documenter ce gain de reconnaissance institutionnelle, obtenu dans l'intention de fonder un premier musée national dans la province. Cela se fera par l’étude de la publication A Shrine of

Art34, imprimée et diffusée aux frais de l’Université Laval et par un rappel de la

publication d’un nouveau catalogue raisonné lors des fêtes du tricentenaire de Québec, en 1908. Celui-ci, nous constaterons, est un catalyseur dans la reconnaissance publique de la collection et, dès lors, l'institution pourra prétendre à des requêtes importantes auprès des gouvernements fédéral et provincial. En effet, l’institution milite en faveur de la construction d'un musée national dans le parc Montmorency et l’apport de J. Purves Carter dans cette entreprise est nécessaire. Ce dernier, lors de l’inauguration de la première exposition spéciale des œuvres récemment restaurées, prononce un discours

34

Il s’agit du premier article de Carter portant sur la collection de l’Université Laval, publiée dans la Montreal Gazette en juillet 1907. Celui-ci a été traduit à trois reprises par des abbés du Séminaire, probablement dans le but d'en publier une version française. Celle-ci ne verra jamais le jour. Voir ASQ, Manuscrit 118.

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13 révélant la valeur monétaire et symbolique de la collection. Ces paroles, consignées dans la publication A Lecture Upon Art and the Art Treasures at Laval University, inscrivent alors l'Université Laval dans une trinité académique de haut niveau, aux côtés des universités d'Oxford et de Cambridge, toutes deux détentrices d'une collection d'œuvres reconnue. Nous remarquerons cependant que certains facteurs contribueront à l’échec du projet. Nous verrons donc, en conclusion, comment les prêtres, ont réorganisé leur collection en 1912, soit après l’abandon du projet de musée national. C’est d’ailleurs cette même année que le Musée de peintures connaîtra sa forme définitive, ne subissant que des modifications mineures durant tout le reste du XXe siècle.

(24)

14

CHAPITRE 1

J. Purves Carter : restaurateur professionnel?

À l'époque où J. Purves Carter reçoit sa formation en Angleterre, le monde de la restauration1 des œuvres d'art est traversé par d'importants changements visant à professionnaliser la pratique : nouvelles méthodes et approches, discussions animées entre praticiens et théoriciens, ainsi que débats entre restaurateurs prennent place dans toute l'Europe occidentale2. En effet, d'importantes controverses parsèment l'histoire de la restauration en Europe des XVIIIe et XIXe siècles. Parmi celles-ci, l'une, toujours d'actualité d'ailleurs, s'affirme très tôt en Angleterre et divise les restaurateurs en deux partis opposés : les uns désirent conserver l'effet de vétusté, souvent appelé « patine du temps », créé par l'accumulation de poussière et par le dépôt de matière étrangère à la couche picturale tandis que les autres, au contraire, dénoncent la disparition de l'œuvre originale qui ne laisserait plus voir que l'ombre de ce qu'elle était au jour de sa sortie de l'atelier de l'artiste qui l'a conçue.

De ce constat, il en découle une première obligation lorsque l'on s'interroge sur l'impact que peut avoir l'intervention d'un restaurateur sur une œuvre ou un objet d'art dégradé : il faut d'abord comprendre le contexte historique dans lequel ont eu lieu ses interventions. En effet, en raison de la disparité des méthodes employées pour nettoyer et restaurer les œuvres au XIXe siècle, la conception du restaurateur sur sa pratique a une incidence directe sur le résultat des interventions et sur les discours qui sont portés sur l'œuvre. Nous devons donc, avant toute chose, situer J. Purves Carter parmi ses

1 Restauration, dans le sens où nous l'entendons, se définit comme une « intervention sur un bien culturel

assurée par un restaurateur et conçue comme un acte critique, dans le respect des valeurs du bien culturel, et dont la finalité est la transmission aux générations futures ». Il s'agit d'une pratique, nouvelle au XIXe siècle, qui s'oppose aux pratiques anciennes, qui consistaient plutôt à « réparer » ou « rendre sa fonction à un objet », parfois en voulant embellir l'objet. Voir Ségolène Bergeon-Langle et Georges Brunel, La restauration des œuvres d’art : Vade-mecum en quelques mots, Paris, Hermann, 2014, p. 348-349.

2 À ce propos, nous renvoyons le lecteur à l'importante synthèse rédigée par Alessandro Conti sur l'histoire

de la restauration et de la conservation en Europe. Voir Alessandro Conti, A History of the Restoration and Conservation of Works of Art, Oxford, Butterworth-Heinemann, 2007, 436 p.

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15 contemporains et déterminer quelle était la conception qu'il se faisait du métier de restaurateur.

Le lien direct entre J. Purves Carter et l'œuvre d'art en tant qu'objet matériel nous amène à proposer, dans un premier temps, une étude du contexte dans lequel il a été formé et à partir duquel il a par la suite pratiqué la restauration. Celle-ci se fera par l'interprétation des documents d'archives, croisée avec l'histoire de la restauration en Europe et en Angleterre aux XVIIIe et XIXe siècles, cas d’étude qui, nous le constaterons, se rapprochent des pratiques probablement employées par J. Purves Carter lui-même3. Cette première étape nous permettra de mieux comprendre dans quel contexte ont évolué les restaurateurs britanniques à l'époque et de déterminer si la pratique se rapporte à un travail qualifié de professionnel ou, au contraire, artisanal. Dans un second temps, nous approfondirons la formation de J. Purves Carter. Pour ce faire, nous interrogerons les différentes figures ayant eu une influence probable sur sa pratique. À partir d'études de cas de tableaux restaurés par ses différents maîtres présumés, nous serons à même de déduire quelle devait être la conception globale que se faisait Carter de son propre métier. S’il a été assistant auprès de ces restaurateurs, il a nécessairement été témoin de leurs pratiques, qui ont donc modelé ce qui sera plus tard sa motivation à transformer l'objet d'art. Dans un troisième et dernier temps, nous nous questionnerons sur la conception de l’acte de restauration de J. Purves Carter. Nous évaluerons d'abord s'il existe un écart entre théorie et pratique chez le restaurateur. Ensuite, nous verrons comment Carter combine les différentes compétences acquises au moment de sa formation pour proposer un service complet d'entretien des œuvres d'art une fois sur le marché du travail. Finalement, nous analyserons les méthodes qu'il a préconisées afin de gagner et maintenir une réputation qui lui a permis de chercher et d'obtenir une clientèle prestigieuse tout au long de sa carrière.

1. Éléments de biographie et contexte de pratique

On sait peu de choses sur la formation de J. Purves Carter avant son entrée dans le monde professionnel. La plupart des informations proviennent des publications qu'il

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16 rédige lui-même au cours de sa carrière. Si ces informations sont généralement cohérentes, quelques-unes, comme le soulève Jacob Simon, ancien conservateur à la

National Portrait Gallery de Londres, sont sujettes à caution, étant donné qu'elles

n'apparaissent qu'en fin de carrière et semblent vouloir embellir sa formation initiale4. C'est le cas, par exemple, lorsque Carter indique vers 1920, dans The Torrigiany

Academy : founded by J. Purves Carter, qu'il a été placé sous la surveillance d'un

architecte renommé, puis d'un décorateur également renommé5 - deux maîtres dont les noms nous sont par ailleurs inconnus. Ces nouvelles affirmations ne sont pas, à ce jour, confirmées par des preuves documentaires solides. De telle sorte que, dans le cadre du mémoire, nous appuierons nos propos sur des données confirmées soit par les recherches antérieures, soit par nos propres découvertes croisées avec les données contenues dans les publications suivantes : A Record of 25 Years Expert Work in Some of the Principal

Galleries and Collections of Paintings in Great Britain and America, Old and Modern Paintings : Their Preservation and Restoration (vers 1906), Torrigiany Academy : founded by J. Purves Carter (192-?), de même que The Great Picture Frauds (1909). En

cas d'incertitude, comme ce sera le cas pour la formation scolaire du restaurateur, nous utiliserons le mode conditionnel présent. Par ailleurs, bien que Jacob Simon semble avoir des doutes quant à la liste des clients énumérée par Carter, nos recherches ont démontré que la clientèle, de même que les lieux visités sur le continent nord-américain, énoncés par Carter dans ces publications, sont véridiques.

Cette première section mettra au jour la jeunesse de J. Purves Carter et les maîtres dont il déclare avoir reçu l'enseignement. De même, nous constaterons que le contexte dans lequel il apprend son métier correspond à un moment de flottement pour la définition des rôles du restaurateur européen. Finalement, nous préciserons le contexte de pratique en territoire britannique par l'étude de la Cleaning Controversy de la National

Gallery de Londres, qui éclate vers le milieu du XIXe siècle, celle-ci ayant eu un impact certain sur la pratique de la restauration en Angleterre.

4Jacob Simon, mise à jour de mars 2016, British Picture Restorers, 1600-1950 - C, [En ligne],

< http://www.npg.org.uk/research/programmes/directory-of-british-picture-restorers/british-picture-restorers-1600-1950-c.php >, (page consultée le 16 décembre 2016).

5 J. Purves Carter, The Torrigiani Academy : founded by J. Purves Carter, Paris, Herbert Clarke, [192-?],

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17

1.1 Jeunesse et formation de J. Purves Carter

Né à Londres le 20 janvier 1862 et décédé à Florence vers 19376, Joseph Henry Carter, mieux connu sous le nom de J. Purves Carter ou encore James Purves Carter en Amérique du Nord7, est à la fois artiste, restaurateur, expert en art, marchand, catalogueur de collections, évaluateur de tableaux anciens et professeur. Nous avons retracé ses activités dans au moins quatre pays : le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada et l'Italie. La mention de contrats de travail dans des villes hispaniques d'Amérique du Sud, présente dans une correspondance entretenue entre Carter et Monseigneur Olivier-Elzéar Mathieu, ancien recteur de l'Université Laval et premier archevêque de Régina, nous laisse penser qu'il a également été actif au Mexique, au Brésil et dans d'autres pays d'Amérique du Sud8. Il est le troisième fils d'une famille de quatre enfants. Son père, John Carter, était fabricant de pièces de diligences, et il reprendra de sa mère, Catherine née Purvis ou Purves, son nom de jeune fille, une fois établi en Amérique. La passion de J. Purves Carter pour les arts a probablement pris forme au sein même du cercle familial, où plusieurs membres de la famille occupent des emplois plus ou moins directement liés au champ artistique. En plus d'un père occupant un métier qui requiert des compétences à la fois techniques et esthétiques, son frère aîné Robert est peintre, et sa jeune sœur Catherine est couturière spécialisée dans la confection de robes9.

À l'adolescence, J. Purves Carter aurait étudié dans les « meilleures écoles d’arts de Londres10 », dont il fait mention dans la brochure A Record of Twenty-Five Years

Expert Work in Some of the Principal Galleries and Collections of Paintings in Great

6 Jacob Simon, op. cit.

7 Tous les documents et articles qu'il a signés et que nous avons consultés à ce jour, de même que le nom

employé par ses interlocuteurs en parlant de lui, était « J. Purves Carter ». Ainsi, pour des raisons de fidélité historique et d'unicité du mémoire, nous ne ferons usage que de ce nom au fil du texte.

8 Lettre de J. Purves Carter à Monseigneur Olivier-Elzéar Mathieu, 16 juin 1912, p. 1. Archives de

l'Archidiocèse de Régina.

9 Données tirées du recensement de l'Angleterre, secteur Middlesex, 1881, p. 22.

10 « …best schools of art in London », notre traduction du texte original paru dans J. Purves Carter, The

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18

Britain and America11, probablement publiée vers 1906. Bien que l'on n'ait pu retrouver

sa trace dans les registres des étudiants ayant fréquenté l'institution12, Carter aurait étudié les arts à la Royal Academy of Arts de Londres, à en croire ses propres affirmations dans sa brochure. Il aurait également obtenu un certificat de maître en arts à la National

Training School de South Kensington13. Si les contours de sa formation académique demeurent incertains, une chose est sûre : lors du recensement de l'Angleterre de 1881, J. Purves Carter, alors âgé de dix-huit ans, est présenté comme un restaurateur de tableaux14. Il était, à ce moment, l'assistant de Raffaelle Pinti (c1826-1881), artiste, marchand d'art et restaurateur à la National Gallery de Londres, qui est décédé quelques mois après le recensement15. Quelques années auparavant, il aurait également assisté Henry Merritt (1822-1877), restaurateur de peintures, critique d'art et romancier britannique. Carter n'avait que quinze ans à la mort de Merritt. Il aurait aussi été l’assistant de Sir Frederick Burton (1816-1900), directeur de la National Gallery de Londres ainsi que le professeur Arthur Herbert Church (1834-1915), expert et professeur de chimie à la Royal Academy

of Arts16. Il semble avoir eu des liens rapprochés avec ce dernier qui, en plus de l'avoir possiblement eu pour assistant, l'a engagé pour restaurer sa collection de peintures17. Cette triple formation à la fois en arts, en restauration et en expertise de tableaux l'aurait largement préparé à une future carrière dans le milieu muséal, où il jouissait déjà d’une certaine reconnaissance.

Néanmoins, vers les années 1880, Carter aurait réorienté sa carrière vers l'enseignement des arts. C'est du moins ce que ce dernier a indiqué dans sa brochure de 1906. Il aurait enseigné au Polytechnic Institute ainsi qu'à la « Charter House School of Art », cette dernière étant peut-être la St. Thomas Charterhouse School of Art de

11

Données tirées du recensement de l'Angleterre, secteur Middlesex, 1871, p.17. Voir également J. Purves Carter, A Record of Twenty-Five Years Expert Work in Some of the Principal Galleries and Collections of Paintings in Great Britain and America, [Québec], [s.i.], 1906?, p. 3.

12 Jacob Simon, seul, a mené cette recherche sur le territoire londonien, voir Jacob Simon, op. cit. 13

Voir J. Purves Carter, 1906?, op. cit., p. 3 et J. Purves Carter, The Great Picture Frauds, Québec, Laflamme & Proulx, 1909, p. 14-15.

14 Recensement de l'Angleterre de 1881, op. cit. 15

J. Purves Carter a certainement été un assistant de Pinti, voir National Portrait Gallery records, ‘Offers, vol. 6’, p. 583 cité dans Jacob Simon, op. cit.

16 Jacob Simon, ibid.

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19 Londres18 plutôt que la fameuse Charterhouse School. Carter ne spécifie cependant pas quelle branche des beaux-arts il a enseignée. Probablement à la même période, il aurait rédigé Songs of Hope, The Cross of Beauty et Art and the Beautiful, trois essais mentionnés à la fois dans les écrits de Carter et dans certains articles de journaux québécois19 qui n'ont pas été retrouvés à ce jour. Cependant, son expérience en enseignement est de courte durée : en 1889, il figure parmi les artistes dans les annuaires commerciaux de Londres, puis, en 1890 et 1891, parmi les marchands de tableaux de la ville. Il réapparaît dans les annuaires commerciaux durant la seconde moitié des années 1890 comme restaurateur de tableaux20. Ce n'est qu'au dernier tiers de sa vie, durant les années 1920, que Carter se retire du monde des affaires pour retourner vers une carrière d'enseignant en art, cette fois-ci spécialisé en restauration, nettoyage et expertise des peintures, en fondant l'Académie Torrigiani Quinto, dans la commune de Sesto Fiorentino, Florence, en Italie21.

C'est d'ailleurs dans la brochure promotionnelle de cette académie que Carter laisse sous-entendre que sa formation professionnelle auprès de son maître Raffaelle Pinti a été la clé du succès de sa carrière :

C'est dans l'atelier de [Raffaelle] Pinti que j'ai reçu d'innombrables opportunités pour étudier et pratiquer à la fois la peinture et la composition et particulièrement l'art de la restauration et du connoisseurship, sphère dans laquelle il n'existe pas de meilleur maître. Son atelier était le rendez-vous des plus grandes autorités du monde des arts et ses représentants les plus qualifiés [...]. L'enseignement et l'expérience acquis avec le Professeur Pinti m'ont immédiatement placé dans une position où mes propres services étaient convoités par de grands collectionneurs [...].22

18 Nous n'avons pu retrouver la trace de Purves Carter ni dans les registres d'employés, ni dans le magazine

de l'institution, The Greyfriar, de la Charterhouse School. Entre 1865 et 1902, Struan Robertson était le maître de dessin et aucun registre n'indique qu'il ait eu un assistant. (Information obtenue de Catherine Smith, archiviste, Charterhouse School, Goldaming, automne 2015).

19 J. Purves Carter, 1906?, op. cit., p. 3. Voir également l'article de George-Moore Fairchild, « Famous

Artist and Laval Pictures », dans The Quebec Daily Telegraph et retranscrit dans The Great Picture Frauds, Québec, Laflamme & Proulx, 1909, p. 15.

20 Jacob Simon, op. cit.

21 J. Purves Carter, [192-?], op. cit., p. 6-8. 22

« In Professor [Raffaelle] Pinti's studio, [...] I was afforded invaluable opportunities of studying and practising both painting and designing, and particularly the art of the restorer and connoisseur, in which sphere there was no better master. His studio was the rendez-vous of the greatest authorities on art and its most skilled exponents [...]. The instruction and experience gained under Professor Pinti immediately

(30)

20 Dans cet extrait, Carter utilise la réputation et le savoir-faire de l'un de ses maîtres afin de s'inscrire lui-même dans une position favorable, dans le but d'attirer dans son académie une clientèle étudiante. Cela dévoile une réalité propre au domaine de la restauration à l'époque, soit l'obligation d'apprendre son métier suivant le principe de maître à apprenti.

1.2 Restaurateur d'œuvres d'art en Europe : définition et contexte de pratique

Les contours du domaine de la restauration, aux XVIIIe et XIXe siècles, sont relativement poreux. Cela s'explique par le fait qu'il n'existe aucune école de restauration officielle dispensant une formation standardisée. Ce faisant, les jeunes restaurateurs sont encouragés à recevoir un enseignement diversifié par un ou plusieurs maîtres, qu'ils assisteront pendant une certaine période de leur vie. J. Purves Carter n'échappe pas à cette pratique. Cet enseignement de maître à apprenti a pour conséquence de démultiplier les rôles de l'intervenant au sein d'une collection à traiter. Celui-ci se retrouve non seulement à être restaurateur, mais aussi, dans bien des cas, à jouer les rôles d'artiste, d'expert en art, ou encore de marchand. Bien que certaines tentatives de fondation du métier de restaurateur aient été réalisées au tournant du XIXe siècle à Paris23, il n'existe aucune école officielle de restauration, et ce, jusqu'au XXe siècle.

Cet enseignement non officiel apporte son lot de complications lorsque vient le temps de valider la pratique de tout restaurateur, et cela s'avère être une réalité à l’échelle internationale. Effectivement, l'enseignement de maître à apprenti est à la base d'un flou important sur la définition de la profession et de l'idée que l'on se fait de l'acte de restaurer. De cela découle trois corollaires : l'empirisme des méthodes, celles-ci n'étant pas dictées par une éthique commune à tous les intervenants; la culture du secret dans lequel gravitent ces derniers; et le statut d'artisan qu'ils peuvent acquérir à la lumière des transformations réalisées sur les œuvres.

placed me in a position where my own services were sought after by great collectors [...] ». Notre traduction du texte original paru dans J. Purves Carter, ibid, p. 12.

23 À ce sujet, nous renvoyons le lecteur aux ouvrages et articles de Gilberte Émile-Mâle qui ont été réunis et

publiés en 2009. Voir Gilberte Émile-Mâle, Pour une histoire de la restauration des peintures en France, Paris, Institut national du patrimoine, Somogy Editions d'art, 2009, 140 p.

Figure

Figure 2.1 : [Photographe inconnu]. J. Purves Carter dans son atelier à l’Université  Laval

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