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3. La conception de la restauration de J Purves Carter

3.1 L'influence de Sir Joshua Reynolds (1723-1792)

Il est connu que Sir Joshua était fasciné par la matière picturale. Ses expérimentations en ce qui a trait aux mélanges de pigments et de liants ont, cependant, causé la perte de plusieurs de ses créations72 et l'ont forcé, de son vivant, à restaurer ses propres œuvres. Cependant, si Carter s'inspire des écrits de Reynolds, ce n'est pas tant pour son point de vue sur la restauration que pour l'expertise à poser sur l'objet d'art.

Pour Carter, la figure de Joshua Reynold est une référence en ce sens où, tout comme le faisait le président de la Royal Academy, il procède par examen du coloris et du dessin pour évaluer la valeur d'un tableau. Par exemple, lors de sa visite au Musée de peintures de l'Université Laval à l’été 1907, Carter identifie une œuvre alors sans attribution, Saint Jérôme étudiant les Saintes Écritures, école italienne, comme étant un authentique Francesco Mazzuoli dit Le Parmesan73. Il justifie cette attribution par le fait que « [l]es caractéristiques des œuvres de ce maître sont un geste large et richement

72 Purves Carter était lui aussi conscient de la gravité de ces expérimentations, les mentionnant dans sa

publication Old and Modern Paintings, Their Preservation and Restoration, ibid., p. 4-5.

36 empâté, des teintes rosées imprégnant la chair et un dessin vigoureux74 ». Par ailleurs, la parole de Joshua Reynolds devient, chez Carter, un outil afin de convaincre le public de la valeur incontestable de l'œuvre :

L'œuvre est particulièrement intéressante, comme Sir Joshua Reynolds avait la plus grande opinion envers ses compétences. Ce sont ses paroles, prononcées dans ses célèbres Discourses, qui sont même devenues des classiques aujourd'hui. Il dit : « Qu'à l'exemple du Parmesan, ils [les élèves] cherchent une manière grande et gracieuse avant d'avoir appris la correction, pourvu que comme lui ils sachent voir leurs défauts, et qu'ils travaillent à les corriger ; qu'ils partent à leur gré du levant ou du couchant, pourvu qu'ils ne se relâchent d'aucun effort capable de les conduire au but. [...] » 75

Le respect qu'avait Reynolds envers Le Parmesan est, aux yeux de Carter, un argument suffisant pour déterminer la qualité du travail de l'œuvre qu'a en sa possession l'Université Laval et ce, bien qu'elle soit en mauvais état de conservation76. Il renforce néanmoins son argument en plaçant en position supérieure la figure du président de la

Royal Academy avant de citer un second passage de ses Discourses en guise de

conclusion sur l'œuvre du Parmesan :

Vous m'excuserez si je profite de cette occasion, comme je l'ai fait jusqu'à présent, pour attirer votre attention sur cet exalté fondateur et père de l'art occidental, duquel il n'était pas seulement l'inventeur, mais aussi par qui l'énergie divine de son propre esprit a mené cet art à son point culminant de perfection.77

74 « The characteristics of this master's works are great breadth of handling with a rich impasto, roseate

hues permeating the flesh and marked by vigorous drawing ». Notre traduction du texte original paru dans J. Purves Carter, A Shrine of art : many noble paintings, treasures which not many Canadians know their country possesses. Québec, Laflamme & Proulx Printers, 1907, p. 22. L'ouvrage est en fait une publication officielle d'un article initialement paru dans la Montreal Gazette, 27 juillet 1907, p. 7.

75

« It is of particular interest as Sir Joshua Reynolds had the highest opinion of his powers. These are his words pronounced in his celebrated discourses, which are even to-day[sic] classics. He says: “Whether like Parmegiano he (the student) endeavors at grace and grandeur of manner before he has learned correctness of drawing, if, like him, he feels his own wants and will labor, as that earnest artist did, to supply those wants; whether he starts from the east or from the west, if he relaxes in no exertion to arrive ultimately at the same goal” ». Traduction du quinzième discours de Joshua Reynolds, tirée de Joshua Reynold [d'après l'édition de Louis Dimier], Discours sur la peinture : Sir Joshua Reynolds, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1991, p. 286. Texte original tiré de J. Purves Carter, « THE PRICELESS ART TREASURES OF LAVAL UNIVERSITY » dans Quebec Chronicle, 22 juin 1908, p. 7.

76 Purves Carter indique dans son article que l'œuvre, au moment où il publie son texte, est dans une terrible

condition. Voir J. Purves Carter, ibid.

77

« I may be excused if I take this opportunity, as I have hitherto taken every occasion, to turn your attention to this exalted founder and father of western art, of which he was not only the inventor but which by the divine energy of his own mind he carried at once to its highest point of possible perfection. » Notre traduction du texte original paru dans ibid, p. 7.

37 Dans cet extrait, le vocabulaire louangeur à l'endroit de Reynolds, qui rappelle au passage ses exploits, permet à Carter de capter l'intérêt du lecteur. En utilisant l'importance historique du personnage, le restaurateur convainc à nouveau le public de la qualité de la toile, jouant donc sur la réputation de l'homme en faveur de l'Université Laval.

Carter partage également l'opinion de Joshua Reynolds lorsqu'il affirme, en le citant, que : « le musée permet aux étudiants de regarder, d'étudier et de contempler les merveilleuses "œuvres de ceux qui ont passé le test des âges, et desquels aucun moderne ne peut prétendre"78 79 ». Pour cette raison, il croit fermement qu'il est du devoir des musées de protéger ces œuvres, qui n'ont pas de prix, d'une éventuelle disparition causée par le temps ou par la main de l'homme80. C'est pourquoi, tôt dans sa carrière, Carter comprend l'importance de diversifier son offre de service en combinant les différents savoir-faire acquis par la théorie et la pratique. Cette polyvalence assure ainsi aux musées et aux propriétaires de collections de peintures une protection totale de leurs trésors artistiques.