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Section 2 : les think tanks au centre du débat public

D) La représentation des multinationales : la fondation sud-africaine

La nature et le rôle de la SAF ont fortement évolué, puisque d’un corps diplomatique informel pendant l’Apartheid, il s’est mué aujourd’hui en une entité dont l’activité se concentre sur les aspects de l’économie locale sud-africaine2 et sur la construction des liens commerciaux et ceux de l’investissement. En effet, selon ses statuts, elle est une voix indépendante et non partisane des milieux d'affaires sud-africains, financée entièrement par des fonds privés provenant de ses membres.

Pendant l’Apartheid, en particulier dans les années 1960, le développement du pays s’est fait grace à un partenariat entre les multinationales et le pouvoir politique. Pendant ces années, le pays a connu l’un des taux de croissance les plus élévés du monde occidental et est devenu le géant économique du continent. L’investissement intérieur est passé de 1, 163 milliards de rands à 3,642 milliards en 19703. L’une des raisons de cette richesse était due aux bas salaires octroyés aux ouvriers noirs4, doublés des profits exhorbitants des entreprises.

La RSA des années 1960 a aussi bénéficié d’une stabilité politique et d’une idéologie capitaliste, à l’opposé de la majorité des pays africains, lesquels ont été confrontés à la guerre froide et aux luttes d’indépendances. En conséquence, entre 1960 et 1965, les profits des multinationales ont augmenté, passant annuellement de 15 à 20%, soit le double de la moyenne mondiale5.

Cette puissance financière et politique a donné lieu à une association (SAF) qui regroupe les millieux d’affaires, et qui présente toutes les caractéristiques d’un groupe d’intérêt économique car elle rassemble les principales entreprises et multinationales

sud-1 South Africa Foundation..

2 A cet égard, en 1995, notamment, elle devint un groupe de pression pour entrer en rapport direct avec le gouvernement d’unité nationale. En février 1996, la Fondation publie un document de politique intitulé

« Growth for all », (croissance pour tous), présenté directement au président MANDELA, qui ne devancera que d’un trimestre celui du nouveau programme du gouvernement le GEAR, (Growth Employment and Redistribution), l’officialisation du tournant libéral en matière de politique économique de l'Etat sud-africain.

3 R.SOUTHALL, South Africa in Africa….. , op.cit., p. 9.

4 Cette force de travail des Noirs provenant des pays limitrophes et des bantoustans était régulée par une immigration sélective. Voir infra, titre 2.

5 R. SOUTHALL, ibid., p. 9.

africaines1. Pour cette fondation, la direction des affaires est un devoir collectif de contribution à la formulation de la politique économique orientée, aussi bien nationale qu'internationale. A cet égard, un milieu d'affaires indépendant et fort est un élément essentiel pour toute société démocratique et libre. Cette entité dispose donc d'une audience et d’une influence non négligeable dans les milieux d’affaires. Sa composition l’atteste, car elle regroupe une cinquantaine de grandes entreprises et multinationales sud-africaines et internationales.

Des groupes comme Anglo américan, BMW, DE BEERS, et SHELL South Africa,2 témoignent de cette place incontournable dans l'économie sud-africaine, et surtout de l'ouverture vers l'extérieur, doublée d'une structure et d’une composition peu équivoque. Fort de cet état de fait, cette fondation a vocation à mettre à profit sa stature pour intensifier les relations entre la RSA et le reste de monde.

Aussi, la SAF, qui a vocation à être un acteur économique majeur, est l’expression de la place croissante qu'occupe la société civile dans le domaine économique, mais qui souffre des liens politiques tissés avec l’ancien régime. En conséquence, l’influence sur la politique économique du pays dès 1994 est plutôt faible, puisque les milieux d’affaires sud-africains, mis en retrait par l’adoption du Programme de reconstruction et de développement, payent le prix de la justice sociale, qui est le fer de lance de l’ANC. Forte de sa volonté de participer au débat sur l’avenir économique du pays et sur la politique à adopter, cette fondation publie, quelques mois avant celle du gouvernement un programme intitulé « Growth for all : An economic startégy for South Africa »3 (GFA).

En revanche, il reste difficile de savoir si le gouvernement d’Unité nationale, par le GEAR, qui a été mis en chantier en 19954, s’en est inspiré. Le programme de la Fondation sud-africaine « croissance pour tous », proposait des réformes qui tracaient les lignes d’une politique macro-économique d’ouverture à la mondialisation, et s’alignaient sur le marché et dont les lignes directrices, qui en cinq points similaires à celle du GEAR étaient les suivantes : une base légale solide, une politique macro-économique, gouvernement efficace, des marchés compétitifs et un environnement propice aux exportations, à la libéralisation commerciale et à l’attrait d’investisseurs étrangers5.

1 L’informel Brenthurst Group est un groupe de lobbying encore moins démocratique, qui ne regroupe que quelques grands patrons de conglomérats et dont l’influence est grande. En effet, MANDELA en appela à leur avis et les rencontra en 1996, juste avant la publication du GEAR.

2Pour une liste complète des entreprises et multinationales. Voir http://www.safoundation.org.za/home.php, (en anglais, accédé le 17/05/2004).

3 SAF, occasional paper, february 1996.

4 Sous la houlette de Alec ERWIN alors ministre des Finances, remplacé en 1996 par Trévor MANUEL.

5 SAF, fébruary 1996, op.cit., p. 12-13.

La thèse de la faible influence du milieu des affaires dans la politique gouvernementale a été défendue par Antoinette HATLEY1. Selon cette thèse, les relations tendues avec le GUN en sont la conséquence. En outre, bien que globalement le GEAR se rapproche du GFA, des réserves doivent être faites quant aux aspects micro-économiques, l’organisation du travail en particulier. En somme, le GUN a été influencé par l’entité qui est le marché, tout comme le GFA qui réfleta la même tendance.

Cette puissance du millieu des affaires ne doit pas masquer un risque de dérive. En effet, de par son statut de représentant des entreprises, personnes privées par excellence, un glissement vers une politique économique contraire, aux objectifs du gouvernement, et surtout aux droits des salariés, pourra s'avérer néfaste et nuire aux intérêts des Sud-africains. Par ailleurs, la grande représentation de firmes multinationales peut aussi avoir pour conséquence de faire basculer la politique de cette corporation vers des intérêts bénéfiques à leur maison mère. A cet égard, le tableau des gouverneurs et surtout la direction de cette institut par Neil VAN HEERDEN, ancien directeur du DFA et ambassadeur à l'Union Européenne peuvent être une garantie de la juste place des intérêts sud-africains.

C’est justement cet état de fait qui limite l’influence de ce milieu dans la politique commerciale internationale du pays. Si l’impact de la SAF sur la politique économique nationale, est resté limité, elle l’est aussi sur les négociations commerciales internationales.

En effet, la collaboration entre le gouvernement et le milieu d’affaires dans la préparation des négociations internationales souffre d’un manque de coordination au niveau national et du rôle en construction du DTI dans les négociations commerciales.

En effet, Peter DRAPER met en doute la capacité de la RSA de gerer les négociations commerciales internationales2. Le manque de définition des rôles attribués au DFA et au DTI, la compétence des Etats, ainsi que le manque de coordination au niveau national atteste de la mise en retrait du milieu d’affaires. Pour Peter DRAPER, le manque de coodination entre le conseil des exportations et les négociateurs commerciaux reflete ce problème.

Afin de créer un lien étroit entre le milieu des affaires et le gouvernement, l’agenda d’action propose des solutions en huit points, en particulier la coordination avec le Parlement et le conseil national de développement économique et du travail (NEDLAC), qui peuvent créer un concensus entre le gouvernement et le milieu d’affaires, être de véritables supports et un forum de débat nationaux3.

1 Antoinette HANDLEY, «Business and Economic Policy: South Africa and three other African Cases», SAF, Occasional Paper, n° 2/2002, février 2002.

2Peter.DRAPER, « South African Business and Trade Negaociations: finding a Survey of South African Foundations member», SAF, Occasional Paper, n°1, 2004, may 2004.

3 Idem, p. 6-8.

Fort de ce qui précède, la SAF, qui souffre d’une part de sa collaboration avec l’ancien régime, et d’autre part du manque de lisibilité de la coordination gouvernementale au sein des négociations commerciales et de son retrait dans le débat public national, met en lumière son statut en demi teinte.

Dans l’interaction entre le gouvernement sud-africain avec la sociéte civile et les milieus d’affaires, la SAF, qui représente les multinationales a un rôle a jouer, au même titre que les autres think tanks, dans la promotion de la vitalisation du rôle de la RSA dans les relations internationales, dans un contexte d’influence limité en politique étrangère.

§ 2 : Une influence à redéfinir sur la politique étrangère du pays

Les centres de pensée ont de particulier qu’ils portent en eux leur force et leur faiblesse. Leur force constitue le rôle d’influence de l’opinion publique par des prises de position, ainsi que les rapports de coordination qu’ils entretiennent avec les pouvoirs publics, doublés de l’influence qu’ils peuvent avoir sur les prises de décisions des hommes politiques.

Leur faiblesse est le propre de leur statut, qui est celui de substrat de l’opinion publique, de stimulation de débat, de centre de pensée, lesquels constituent les limites de leur influence globale et les incertitudes qui nourrissent leur impact réel sur les prises de décisions des hommes politiques.

Si le rôle des think tanks américains peut être surestimé1, l’appel à la mobilisation générale des think tanks sud-africains par le gouvernement est inédit. C’est pourquoi elles apparaissent être des institutions incontournables, ayant vocation à mobiliser l’opinion publique. Du fait de leur statut d’institutions aux prises avec la réalité (A), ils peuvent jouer un rôle sur le plan de la sécurité régionale par la coopération institutionnelle (B).