• Aucun résultat trouvé

Paragraphe 2: Un nationaliste africain dans un paradigme économique néolibéral

B) Le chantre de la notion libérale de l’Etat démocratique

1) L’hégémonie de l’ANC

Le système politique sud-africain, dix ans après les premières élections multiraciales, est l'expression du règne de la majorité où l'ANC n'est pas prêt d'être menacé par l'opposition avant longtemps à l’issue au troisième scrutin considéré comme aux dires de T .VIRCOULON, « le point final de la transition politique » 1 .

L'étude scrupuleuse des résultats de l'ANC à la lumière des élections du 14 avril 2004, au-delà de son sacre2 et de sa victoire sans appel, reflète une victoire moins éclatante qu'il n'y parait. En effet, si ce parti est le poids lourd politique, les élections de 2004 sont caractérisées par le plus bas taux de participation enregistré depuis la fin de l'Apartheid, 76,73% contre 87,1% en 19993. Alors que la population électorale sud-africaine est estimée à 27 millions, seuls 15 863 554 électeurs se sont rendus aux urnes4. En effet, un nombre significatif d'individus en âge de voter ne se sont pas inscrits sur les listes électorales

De ce fait, et au vu de ces chiffres, le parti au pouvoir a été élu par 10 878 251 suffrages, soit environ 37% du corps électoral total5. Ainsi, si il est encore la première formation politique du pays, sa capacité à mobiliser a diminué. Néanmoins, cette stabilisation de l'ANC ne s'est pas accompagnée d'une avancée des partis d'opposition marquée par des rapprochements tactiques et circonstanciels6. L'autre atténuation de la sur-domination de l'ANC (malgré le retrait des dinosaures politiques comme Buthelezi MANGHOSUTHU -77 ans- ministre de l'Intérieur congédié quelques jours après le scrutin, et l'effondrement des partis et l'Apartheid, le NNP (Nouveau Parti National) et l'IFP, est la volonté politique d’un rapprochement.

1 Thierry VIRCOULON, « Les élections de 2004….. », op.cit., p.17. Ce dernier s’appuie sur la fin des dinosaures politiques comme M. BUTHELEZI, P.W BOTHA, F. DE KLERK. L’ANC n’est plus dans une relation de conciliation. Cette sur-domination vide de facto le concept d’opposition. En revanche, l’opposition peut devenir structurelle ou être dans une logique de relation de réciprocité avec le pouvoir.

2 62% en 1994, 66% en 1999, et 69,98% en 2004. Passant de 199 en 2004 de 266 à 279 sièges au Parlement .Idem, p.13.

3 Idem, p.14.

4 Idem.

5 T. VIRCOULON, op.cit., p. 14.

6 Mésentente (au Kwazulu Natal et au Western Cape entre les dirigeants du NNP et du Parti démocratique ancêtre de l'alliance démocratique) Marthinus VAN Schalkwyk et Tony LEON. Le premier parti d'opposition en 1994 (20,39%) est passé dix ans plus tard à 1,65%. Dans ces deux provinces, l'opposition s'est au contraire alliée trop tard. A la fin 2003, le gouvernement provincial du Kwazulu Natal était toujours présidé par l'Inkhata et comptait des membres de l'ANC et de l'Alliance démocratique. Idem, p. 16.

Cette volonté politique d'inclure les partis alliés de l'ANC est un choix résultant des accords et non plus d'une obligation stratégique comme ce fut le cas en 1994 avec une coalition formée par l'ANC, le NP, le SACP, et l'IFP, qui était synonyme de « relation de conciliation »1.

C’est la composition du gouvernement, symbole du multiculturalisme, principe de gouvernance de l'ANC qui constitue l’autre facteur important. En effet, avec sept blancs, quatre Indiens, et deux Métis, la nouvelle équipe reflète la diversité raciale du pays. Fort justement, le gouvernement MBEKI II comprend en plus du NNP et de l'organisation du peuple d'Azanie (Azanian People's Organization-AZAPO), un membre de l'UDM, remplaçant de l'IFP. Ce gouvernement est donc le reflet de la continuité et de la stabilité.

Tous ces facteurs - fort taux d'abstention, faiblesse de l'opposition, volonté politique d'allier d'autres partis au Cabinet, et enfin sa composition multiraciale résultant des élections de 2004 - sont le symbole de la démocratie sud-africaine, une démocratie d'un type spécial et non une démocratie de façade2.

A cet égard, si le pouvoir politique est détenu par l'ANC et T. MBEKI, ce n'est pas le seul pouvoir. Car si les contre-pouvoirs ne sont pas au Parlement, ils existent bel et bien. Ils sont médiatiques, judiciaires, économiques et sociaux, et ont démontré leur force lors de plusieurs événements et scandales depuis 19943. La sur-domination de l’ANC ne veut pas dire absence de démocratie, encore moins de liberté, la Constitution, avec le Bill of rigth étant une garantie contre toute dérive.

Ainsi, parce que le pouvoir politique n’est pas « tout le pouvoir »4, mais un pouvoir parmi tant d’autres, l’ANC doit compter avec d’autres forces qui, par le passé n’hésitent pas à le contredire ou le contrecarrer5, ce, en toute loyauté. La nouvelle Afrique du Sud est marquée

1 T. VIRCOULON, « Les élections de 2004……. », op.cit., p. 18

2 T. HUGUES et G. MILLS, « Afrique du Sud : une démocratie précautionneuse », op.cit., s'interrogent sur le caractère fragile de la démocratie sud-africaine.

3 La bataille pour la redistribution des anti-rétroviraux aux femmes enceintes a mis aux prises le gouvernement (cabinet) et les associations de malades de SIDA. Ces derniers ont eu gain de cause en justice. La plus haute juridiction du pays a contraint le gouvernement du pays à distribuer ces médicaments aux femmes enceintes séropositives malgré l'opposition du président lui même. L'affaire des contrats d'armement a été mis en lumière par la députée d'un petit parti, le PAC, avant d'être reprise par la presse et de devenir le plus grand scandale de corruption du pays qui a éclaboussé plusieurs figures dirigeantes de l'ANC jusqu'au sommet de l'Etat (l’ancien vice-président, Jacob ZUMA). Dans la même lignée, le gouvernement a réalisé qu'il ne pouvait pas imposer aux milieux économiques sa politique de Black Economic Empowerment (redistribution de l'actionnariat des compagnies aux membres des communautés historiquement défavorisées) mais devait négocier avec eux, sous peine de blocage et d'échec. En 2002, il a tenté d’imposer les principes du BEE au secteur minier sans prendre en compte sa résistance; les cours boursiers des principales compagnies se sont effondrés et les négociations ont été reprises rapidement avec la chambre des mines.

4 T.VIRCOULON, « Les élections de 2004…. », op.cit., p. 21.

5 Dans la seconde moitié des années 1980, le régime d’apartheid n’avait pas seulement contre lui les mouvements de libération, mais aussi une coalition sociale assez large comprenant le monde syndical, l'establishment intellectuel, les églises catholiques et anglicanes et les milieux d’affaires anglo-saxons du pays,

par la coexistence entre un parti ultramajoritaire et du système démocratique ; deux réalités politiques difficilement compatibles en Afrique, ce qui peut être, aux dires de T.

VIRCOULON, synonyme de « second miracle »1.

Soulignons en effet que depuis treize ans, le pays satisfait aussi bien aux règles de la démocratie informelle qu’aux règles de la démocratie, puisque la vie politique y est libre, le droit d’expression total et l’opposition peu ou nullement inquiétée . Ceci confirme une fois de plus le caractère exceptionnel de ce pays.

L’explication de cet état de fait réside assurément dans la force de la société civile et dans la lutte pour les élections libres menée pendant des décennies par l’ANC principalement.

Si la lutte contre le régime ségrégationniste a été un extraordinaire moment de modernisation et d’éducation politiques dans lequel le concept de démocratie a pénétré en profondeur la culture politique de la majorité noire, la vie socioéconomique sud-africaine est en deca des espérances. En effet, le principal souci de la société sud-africaine dont les effets sont en deca des espérances dans le prisme d’une société de classe2, sur l’autel de nouvelles inégalités et qui est confrontée à un taux de chômage particulièrement élevé et estimé à 41% en 20043. En outre, 38% de ménages restent encore sans accès à au moins quatre des sept services de base (santé, énergie, assainissement, éducation, communication, logement et eau potable)4. Cette inégalité, qui est le corrolaire d’un système capitaliste, conditionne la politique économique de la RSA.

C’est pourquoi cette hégémonie de l’ANC sur la vie politique et les choix économiques servent de socle à la politique économique libérale de T. MBEKI et partant, aux relations que l’Etat sud-africain dans son ensemble tisse avec la société, et qui a trait à la conception capitaliste –sociolibérale- des rapports entre l’Etat et la société de T. MBEKI.

notamment l’Angloamérican. L’histoire de l’Afrique du Sud est marquée par des confrontations entre des pouvoirs de nature différentes.

1 T.VIRCOULON, op.cit., p. 22.

2 Une classe moyenne bourgeoise représentant 88% des revenus( estimée à 15 millions de personnes dont 4 de Blancs et 11 de Noirs) une classe ouvrière représentant 8% de revenus ( estimée aussi à 15 millions de personnes aussi, dont 0,5 de Blancs et 14,5 de Noirs.), enfin un sous prolétariat représentant 4% de revenus, tous composés de noirs. Sampie TERREBLANCHE, « La démocratie post-apartheid : un nouveau système élitiste ? », Afrique Contemporaine, op.cit., p. 27.

3 Volker SCHOER & Murray LEIBBRANDT, “Determinants of Jobs Search Strategies: Evidence from the Khayelitsha/Mitchell’s Pain Survey”, The South African Journal of Ecionomics, vol..74:4, december 2006, p.704.

4 C. HORTON., op.cit., p.33.

2) Le chantre du socle économique sociolibéral des relations entre l’Etat et la société