• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Cadre méthodologique

3.3. La République Centrafricaine

En 1903, la RCA est devenue une colonie française connue sous le nom d’Ubangui-Chari et faisant partie de l’Afrique Équatoriale Française (AEF). Entre 1899 et 1910, le gouvernement français a accordé des « terres vacantes » de l’AEF à une quarantaine de compagnies privées affrétées ou concessionnaires pour une période de trente ans. Ces compagnies traitaient Ubangui-Chari comme une entreprise commerciale qui leur permettait de faire des profits en exportant leurs matières premières et qui, par conséquent, n’investissaient pas plus de 1% de leur capital total dans la colonie. Ainsi, les autorités coloniales françaises ont fait des indigènes des esclaves virtuels. La résistance au système colonial a émergé presque partout (Kalck, 1992; Bregeon, 1998).

La rébellion la plus mémorable a commencé en 1924 dans la région de Bouar, chez les Gbaya, lorsqu’un prophète connu sous le nom de Karinou (de son vrai nom Barka Ngai’nombey)

prêchait contre les méthodes coloniales françaises, telles que le travail forcé et l’imposition excessive. Son message anticolonial invitait ses compatriotes à se joindre à lui pour chasser les Blancs de la terre des ancêtres en ne payant pas d’impôts. Karinou prêchait et marchait en tenant deux bâtons de commandement. L’un de ces bâtons avait la forme d’une houe (konjjo war a) que le prophète avait donnée à tous ceux qui le suivaient. On pensait que ce bâton protégeait ses utilisateurs contre les mauvais esprits et, plus important encore, contre les balles des Européens. En conséquence, la révolte est plus connue sous le nom de « Kongo Wara Insurrestiori » ou « Guerre de la poignée de Houe ». Cette guerre anticoloniale a mobilisé plus de 50 000 partisans contre 1 000 soldats d’infanterie coloniale et gardes régionaux. L’affrontement le plus meurtrier eut lieu le 11 décembre 1928, au cours duquel Karinou fut tué. Cependant, la révolte a continué jusqu’en 1931 et a causé la mort de milliers de personnes (Kalck, 1992; Saulnier, 1997; Faes & Smith, 2000).

Quinze ans plus tard, en novembre 1946, Barthélemy Boganda entra en politique en créant le Mouvement pour l’Évolution Sociale de l’Afrique Noire (MESAN). Son but était presque le même, mettre fin au travail forcé et apporter une certaine dignité humaine à ses compatriotes. Boganda a été ordonné comme le premier prêtre catholique de la RCA en 1938 et est également devenu le premier député élu par ses concitoyens à l’Assemblée nationale française à Paris huit ans plus tard (Kisangani, 2015, p. 37).

En juin 1956, l’Assemblée française adopte la Loi-Cadre qui ouvre la voie à l’autonomie interne des territoires français d’outre-mer. Malgré sa conviction d’indépendance totale, Boganda exhorte ses compatriotes à voter « Oui » lors du référendum d’autonomie organisé en septembre 1958. Ubangui-Chari est proclamé République Centrafricaine trois mois plus tard avec Boganda comme président secondé par Abel Goumba. Le 29 mars 1959, le seul dirigeant du pays à avoir une expérience politique est mort dans un accident (Boganda). Il fut remplacé par son neveu, David Dacko (Saulnier, 1997, p. 101).

Le 13 août 1960, la RCA obtient son indépendance de la France. Le 15 août 1960, soit quelques jours après l’indépendance, la RCA signa un accord de défense avec la France. À la base, cet accord était quadripartite car il incluait la RDC jusqu’en 1972 et le Tchad jusqu’en 1976. En 1966, un nouvel accord de coopération militaire et technique avec la RCA complète ce premier. Selon les clauses de ce nouvel accord, la France doit aider à la formation des

Forces Armées Centrafricaines (FACA)3. Ces accords ont servi de cadre juridique pour la France pour une séries d’interventions militaires que nous aborderons plus tard.

En 1962, Dacko déclara que le MESAN était le seul parti politique et fut élu président en janvier 1964 par 100% des suffrages exprimés en tant que seul candidat du MESAN. Après plus de trois ans au pouvoir, les politiques économiques de Dacko ont échoué. Conscient de son incapacité à gouverner, Dacko décida fin 1965 de remettre le pouvoir à son ami, le colonel Jean Izamo, qui était à la tête de la gendarmerie. Dans la foulée, le colonel Izamo a été abattu par le colonel Jean-Bedel Bokassa le 31 décembre 1965 avec l’aide d’un groupe de jeunes officiers. Ainsi, ils prirent le pouvoir par un coup d’État militaire (Français, 2004, p. 85).

À partir de janvier 1979, les populations ont commencé par organiser la résistance à Bokassa. Son ancien Premier ministre, Ange-Félix Patassé, a même créé le Front pour la Libération du Peuple Centrafricain (MPLC) pour défier l’empereur. Du 19 au 22 janvier 1979, plusieurs manifestations ont eu lieu à Bangui par des étudiants qui ont refusé de porter des uniformes obligatoires. Ces manifestations ont été réprimées par l’armée et un grand nombre d’étudiants ont été tués (Baccard, 1987). Une commission d’enquête composée de juristes africains conclut que l’empereur avait personnellement mis à mort les enfants emprisonnés. Dans la nuit du 20 septembre 1979, Bokassa fut renversé par l’intervention militaire française, l’opération Barracuda, alors qu’il se rendait en Libye. Puis la France remit Dacko au pouvoir sous prétexte qu’il restait le chef d’État légitime dont le gouvernement fut renversé de force en 1965 (Ngoupandé, 1997).

Sous la pression de la France, Dacko a promis d’organiser des élections présidentielles. Pendant ce temps, l’ancien empereur Bokassa a été condamné par contumace par un tribunal militaire pour ses crimes. Malgré un certain nombre de mesures visant à consolider son pouvoir, Dacko a échoué à gouverner le pays selon Baccard (1987). Par exemple, la croissance économique a diminué en 1979-1981 avec un taux négatif de 3% par an en moyenne. En conséquence, il est devenu très dépendant de la France pour tout. L’aide

3 Sur ces accords, nous avions consulté le site : http://mars-attaque.blogspot.com/2013/11/vers-une-

étrangère de la France, qui représentait en moyenne 56% de l’Aide Publique au Développement (APD) totale avant 1979, a bondi de manière spectaculaire pendant la deuxième présidence de Dacko pour atteindre en moyenne 74% par an de 1979 à 1981. L’APD a atteint près de 81% en 1980 (Baccard, 1987).

Malgré la pression d’une opposition virulente dirigée par le MPLC d’Ange-Félix Patassé et d’une population désireuse d’un changement réel, le président David Dacko a fait campagne pour sa réélection avec le soutien de la France et a remporté à peine 50,2% des 90 000 voix (Faes & Smith, 2000). Pour ces auteurs, sachant qu’il n’avait pas un mandat populaire, il décida à nouveau de remettre le pouvoir à l’armée. C’est dans cette circonstance que le chef d’état-major de l’armée, le général André Kolingba, forma le Comité Militaire de Redressement National (CMRN) pour gouverner le pays. Kolingba appartenait à l’ethnie Yakoma. Le groupe représente 4% de la population (Faes & Smith, 2000).

Six mois plus tard, le 3 mars 1982, le président Kolingba découvre une tentative de coup d’État lancée par l’ancien Premier ministre Ange-Félix Patassé et deux généraux de renom, le général François Bozizé et le général Alphonse Mbaïkoua. Les deux officiers ont fui le pays avant d’être arrêtés par la garde présidentielle. Patassé, quant à lui, réussit à trouver refuge à l’ambassade de France qui lui assura un passage sûr au Togo. Parce que le président Kolingba n’avait pas arrêté les principaux conspirateurs de la tentative de coup d’État, il envoya deux généraux d’ethnie Yakoma dans les villages des conspirateurs pour des expéditions punitives. La première expédition a rasé et incendié plusieurs villages autour de Paoua, la ville natale de Patassé. Le second a incendié le village de Markounda et massacré des centaines de personnes. Ces événements ont provoqué une haine durable des Yakoma par le groupe ethnique Kaba de Patassé (Ngoupande, 2002, p. 12-13; Ngoupandé, 1997). Pour renforcer son régime contre un nouveau coup d’État, le général Kolingba a commencé à doter la garde présidentielle et l’armée de son groupe ethnique Yakoma. Malgré cette stratégie, son régime était constamment confronté à des manifestations d’étudiants et à des grèves en raison d’arriérés de bourses et de demandes de meilleures conditions académiques. En conséquence, toute décision gouvernementale de sévir contre les étudiants a entraîné plus de manifestations et chaque manifestation a conduit à une répression gouvernementale produisant de fait, une spirale de répression – manifestation (Saulnier, 1997).

Le président Kolingba a concédé le 22 avril 1991 un système multipartite après que le président François Mitterrand ait conditionné l’aide française à la démocratisation dans son discours au sommet France-Afrique de juin 1990 (le Discours de La Baule). Une réforme constitutionnelle a eu lieu en juillet 1991 et une conférence nationale a suivi la première moitié du mois d’août 1993 pour établir de nouveaux arrangements institutionnels. Les Centrafricains se sont rendus aux urnes du 22 août au 19 septembre 1993 pour les premières élections législatives et présidentielles libres et équitables. Ange-Félix Patassé a remporté les élections présidentielles en battant à la fois Kolingba et Dacko. Avant de démissionner de son poste de président, le général Kolingba a libéré la plupart des prisonniers politiques, dont l’ancien empereur Bokassa, qui était en prison depuis son retour en 1986. Après trois présidents du sud depuis l’indépendance, Patassé est devenu le premier politicien du nord à devenir chef de l’État (Tidey, 1997).

Conclusion

Pour faire de l’inférence causale, les chercheurs « qualitativistes » en science politique ont développé la technique du Process Tracing. Contrairement à la majorité des chercheurs qui utilise l’approche bayésienne du Process Tracing, nous avions montré dans ce chapitre que celle proposée par David Waldner (2015), celle dite du graphe acyclique dirigé était plus pertinente pour notre étude.

Dans le souci de mieux construire nos graphes acycliques dirigés pour décrire nos mécanismes causaux, l’analyse documentaire a été jugée pertinente dans la mesure où les documents colligés représentaient une véritable source d’informations utiles pour mieux comprendre la problématique à l’étude. La disponibilité des ouvrages recensés et leur variété quant aux auteurs qui étaient directement impliqués nous ont poussé à adopter pour notre étude la technique de l’analyse documentaire comme notre technique de collecte de données. Enfin, nous avions retenu comme études de cas des conflits civils qui ont éclaté dans deux anciennes colonies de la France à savoir la Côte d’Ivoire et la république Centrafricaine. Le choix de ces États s’avère très pertinent dans la mesure où dans chacun de ces États, la France a géré ces conflits civils de manière différente en alternant entre une intervention militaire unilatérale, une intervention militaire multilatérale et des refus d’intervention militaire. Retenir ces États comme nos cas d’études devrait nous permettre de mieux comprendre la variation du comportement de la France.

Dans le chapitre suivant qui est notre chapitre empirique, nous allons confronter les attentes théoriques formulées à partir de la théorie cohabitationniste aux réalités de nos études de cas.

Chapitre 4 : Comprendre le refus de la France à intervenir militairement en Côte