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La régionalisation et la question du clivage Nord/Sud

l’Émilie-Romagne et le Latium

1. Le débat entre régionalisation et régionalisme(s) en Europe

2.1. La régionalisation et la question du clivage Nord/Sud

La description de l’organisation de l’espace en Italie s’est longtemps faite à partir de la clé de lecture du dualisme Nord/Sud, inspirée entre autre par le modèle marxiste centre-périphérie. Au Nord dominé par le « triangle industriel » Milan-Gênes-Turin (d’abord socle de l’industrialisation du pays puis centre d’impulsion économique et financier) était opposé un Sud sous-industrialisé, aux retards de développement flagrants et soumis à une forte dépendance aux aides publiques. L’Italie centrale à laquelle appartiennent les deux régions d’étude, n’était alors perçue que comme une zone de transition entre ces deux modèles. La Caisse pour le Midi, créée en 1950, constitue le premier et principal outil d’action publique pour lutter contre le sous-développement relatif du sud du pays. La moitié sud du Latium est alors concernée par l’intervention de l’État. D’abord saluée comme expérience pilote, inspirée des politiques pionnières anglo-saxonnes, la politique d’aménagement du territoire à destination du Sud a rapidement montré des limites98. Après l’implosion de la Caisse pour le Midi au moment de l’opération « Mains Propres » en 1992-1993, le rattrapage économique est inexistant et les écarts sont encore bien présents entre les régions du nord et celles du sud. La pérennité du clivage nord-sud pose problème à la Nation, met en cause la responsabilité historique de l’État et joue toujours à l’heure actuelle le rôle de toile de fond de la régionalisation. L’état des lieux présent dans l’introduction du Rapport sur les Régions en Italie 2015 de l’ISSIRFA99 est sans appel :

« Le parcours institutionnel accompli jusqu’ici n’est pas parvenu à remplir les objectifs fixés et l’État comme les Régions doivent encore faire face au problème du déséquilibre territorial. Celui-ci pèse tant sur les régions du Sud, qui se sentent victimes d’abandon, exclues des processus nationaux et européens d’innovation et de croissance, que sur les régions du Nord, qui – à la différence des autres États européens – ne peuvent pas tirer avantage d’un marché national efficace100 » (ISSIRFA, 2015, p.1)

Cet échec est donc aussi celui de l’État, qui cède une partie de son rôle de garant de l’équité territoriale au profit d’autres acteurs : « l’objectif 1 de la politique européenne a remplacé le Mezzogiorno officiel qui allait des portes de Rome à la Sicile, comme si l’Europe était devenue le chef de file de la politique nationale de rééquilibrage territorial » (Rivière, 2004a, p. 111). Dans cette configuration, le Latium comme l’Émilie-Romagne sont des régions « riches » mais la « sortie » du Latium méridionnal et des Abruzzes, et du Molise de l’objectif 1 dès la mise en

98 Pour une analyse des réussites et des échecs de cette politique d’aménagement du territoire, voir entre autres les travaux de D. Rivière (1990, 2004).

99 Istituto di Studi sui Sistemi Regionali Federali e sulle Autonomie. http://www.issirfa.cnr.it/

100 « Il percorso instituzionale sin qui compiuto non è riuscito nell’intento e il divario terrtoriale resta l problema con il quale si devono oggi misurare le Regioni e lo Stato. Esso pesa tanto sulle Regioni del Sud che si sentono vittime di una condizione di abbandono, escluse dai processi nazionali e europei di innovazione e crescita, quanto sulle Regioni del Nord, che – diversamente dagli altri stati europei – non possono avvantaggiars di un mercato nazionale efficente »

place de ce nouveau système d’aide dès 1989, puis le reclassement de la Sardaigne et du Basilicate en 2007 montrent que la dichotomie nord/sud n’est pas figée et surtout que le sud de l’Italie n’est pas homogène (Figure 17). Les travaux des sociologues et économistes des années 1970 ont également permis de nuancer cette vision duale en faisant émerger une « Troisième Italie » au modèle de développement alternatif, fondé sur le marché du travail, avec une organisation de petites entreprises spécialisées en « districts industriels » et un appui sur un réseau dense de villes moyennes dont l’Émilie-Romagne est un cas d’école (Bagnasco, 1977 ; Fiorella Dallari, 2011 ; Prodi, 1966). Sans chercher ici à résumer ce débat, il faut constater que les vingt régions italiennes conservent aujourd’hui un profil très différencié. Ces différences vont au-delà de la distinction, majeure, de statut administratif entre régions ordinaires (instituées en 1970) et régions à statut particulier (instituées dès 1948) qui a des répercussions notables en termes de compétences comme d’autonomie financière (Figure 18b).

Les travaux des sociologues, géographes et économistes des années 1970 ont également permis de nuancer cette vision duale en faisant émerger une « Troisième Italie » au modèle de développement alternatif, fondé sur le marché du travail, avec une organisation de petites entreprises spécialisées en « districts industriels » et un appui sur un réseau dense de villes moyennes, dont l’Émilie-Romagne cette fois est un cas d’école (Bagnasco, 1977 ; Fiorella Dallari, 2011 ; Prodi, 1966). Sans chercher ici à résumer ce débat sur la complexité du modèle italien, il faut constater que les vingt régions italiennes conservent aujourd’hui un profil très différencié. Ces différences vont au-delà de la distinction, majeure, de statut administratif entre régions ordinaires (instituées en 1970) et régions à statut particulier (instituées dès 1948) qui a des répercussions notables en termes de compétences comme d’autonomie financière (Figure 18b).

En 2017, les dépenses des régions en Italie équivalaient à 43% du total des dépenses de l’administration publique (Ministère de l’Economie et des Finances, 2018). A titre comparatif, la moyenne des dépenses annuelles par habitant des régions métropolitaines françaises était de 480 €101 soit huit fois moins que les 3877 €/hab dépensés en moyenne par les régions italiennes, ce qui témoigne bien du pouvoir relatif de cette maille. Sur le plan démographique, les situations régionales sont très disparates. La Lombardie, avec plus de dix millions d’habitants, est beaucoup plus peuplée que les autres régions italiennes parmi lesquelles quatre102 comptent moins d’un million d’habitants. Le Latium (5,9 millions d’habitants en

101 https://www.collectivites-locales.gouv.fr

102 Il s’agit du Val d’Aoste, du Molise, de la Basilicate et de l’Ombrie, auxquelles il faudrait rajouter les provinces autonomes de Trento et de Bolzano (anciennement réunies dans la région Trentin-Haut-Adige) qui jouissent aujourd’hui d’une autonomie et d’une reconnaissance institutionnelle similaire à celles des autres régions.

2017, dont les trois quarts dans la province de Rome) et l’Émilie-Romagne (4,5 millions) se classent respectivement aux 2e et 6e rangs régionaux.

Figure 17. Les régions italiennes dans les programmes de la politique de cohésion de l'Union Européenne 2007-2013 (source : Commission Européenne)

L’attractivité démographique des régions du nord et du centre-nord ne dément pas, et l’Émilie-Romagne est depuis plusieurs années la destination la plus prisée des italiens en termes de migrations résidentielles, loin devant le Latium. Sur le plan économique et social, de nombreux indicateurs témoignent encore d’une forte fracture entre les régions du nord et celles du sud du pays (Figure 18). La cartographie des inégalités de revenus (Figure 18d) montre bien que le différentiel de pauvreté qui coupe le pays en deux au sud de Rome est encore bien valide en 2017, ce que confirme la carte du taux de chômage. La représentation duale du pays est bien loin de n’être qu’un héritage. Cette thèse ne vise pas à donner une vision exhaustive des modalités de persistance de cette division. Cette question est cependant revenue à plusieurs reprises dans la bouche des acteurs régionaux. Sur le terrain du Latium, nombreux sont ceux qui expriment la difficulté à envisager une comparaison entre l’Émilie-Romagne (qu’ils associent au nord) et leur Latium, qu’ils jugent sur bien des aspects plus proche d’une région du sud.

2.2. La Ligue du Nord et la « Padanie », des références embarrassantes mais