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La fabrique du récit territorial comme construction d’une image et diffusion de représentations

institutionnelles de faire territoire : quelle intention derrière la production de récit territorial ?

4. De l’identité territoriale à l’image et à l’imaginaire du territoire

4.3. La fabrique du récit territorial comme construction d’une image et diffusion de représentations

L’identité du territoire correspond mieux à mon objet de recherche mais ne le recouvre pas totalement. Ce que j’étudie plus précisément c’est ce qui en est dit, diffusé, ce sont les représentations sociales que les acteurs – institutionnels mais pas seulement - essaient de construire. Quand ces acteurs disent qu’ils cherchent à « donner une identité » à la région, il faudrait entendre le plus souvent qu’ils cherchent à en stabiliser l’image, à déterminer sur le moyen-long terme l’imaginaire auquel elle renvoie. Il est donc possible de délaisser, dans mes catégories d’analyse, la notion embarrassante d’identité au profit de ces dernières.

En effet, je ne cherche pas à montrer si une région existe ou pas, si elle est légitime de par la singularité de ses propriétés ou pas, mais plutôt à comprendre pourquoi c’est important – ou pas – pour certains acteurs de mettre en récit cette identité supposée et de dessiner ainsi les contours de ce qui fait l’image de la région. Ce à quoi les individus et les groupes ont accès (et ce qui constitue l’objet d’étude de cette thèse) c’est à la narration construite autour de ces propriétés constitutives de la supposée « identité du territoire ». Les acteurs en charge de la production du récit opèrent forcément des sélections, ne conservent dans l’image qu’ils diffusent qu’un petit nombre de propriétés, de « référents », généralement ceux qui mettent en valeur le territoire et permettent de le présenter sous un angle positif. Ces propriétés ne peuvent changer de statut et devenir des objets structurants des représentations sociales du territoire - des « référents identitaires » chez M.-C. Fourny (1999, 2008), ou des « totems » chez Ch. Le Bart (2000, 2017) – qu’une fois qu’elles ont été sélectionnées et mises en scène dans un processus de communication. La notion de structure of expectation développée plus haut (1.2.2.), notamment dans les travaux d’A. Paasi, permet d’insister sur le fait que ce qui est appelé l’identité d’un territoire dans un langage courant n’est peut-être en réalité que l’ensemble des connaissances partagées, voire des images mentales (représentations) qui lui sont associées.

Les représentations sociales, images et imaginaires du territoire : un nouveau tryptique

Si le terme d’identité territoriale n’est pas satisfaisant en tant que catégorie d’analyse, quelles sont les notions qui peuvent avantageusement le remplacer ? Ce sur quoi peuvent agir les acteurs impliqués dans la fabrique territoriale n’est pas directement « l’identité du territoire » - à supposer qu’une telle chose existe – mais bien plutôt la manière dont le territoire est perçu ou connu par les individus et les groupes sociaux, c’est-à-dire son image. Le terme d’image est donc ici privilégié à celui d’identité d’abord parce qu’il porte en lui une certaine extériorité, un distanciation qui manque dans le cas de l’identité (Amirou et al., 2011a). Image et représentation sont deux notions indissociables : l’image désigne par exemple pour M. Lussault « toute représentation visuelle, qu’elle soit matérielle ou mentale, et qu’elle porte sur une réalité objectale concrète du monde physique ou sur une idéalité abstraite » (Lévy et Lussault, 2003, p. 485‑486). Lorsqu’il sera question de l’image d’un territoire dans cette thèse, il faudra donc comprendre l’ensemble des représentations mentales qu’un groupe social partage (on peut alors parler de représentations sociales, qui seront analysée selon la théorie du noyau central de Abric – Encadré 2) et associe au territoire en question et à son nom (Chamard, 2015 ; Kotler, Haider et Rein, 1993). Dans un contexte strictement urbain, Muriel Rosemberg le formule en ces termes : « l’image de la ville est en effet une représentation : elle porte les représentations mentales de ceux qui la produisent. » (Rosemberg, 1997, p. 10).

Encadré 2. La structure interne des représentations sociales selon Abric (1994)

L’analyse des représentations contenues dans le récit territorial officiel des régions et villes repose sur la théorie du noyau central des représentations (Abric, 1976, 1994). Dans ce modèle, « toute représentation est organisée autour d’un noyau central, constitué d’un ou de quelques éléments qui donnent à la représentation sa signification » (Abric, 1994). Autrement dit, la plupart des significations qu’un groupe social associe à un objet donné est en fait présent dans les éléments centraux de la représentation sociale de cet objet. Le noyau central est l’élément le plus stable de la représentation, il est moins sensible aux variations du contexte et lorsqu’on le modifie c’est toute la représentation qui est transformée. Le noyau central a une fonction génératrice et une fonction organisatrice par rapport aux « éléments périphériques » de la représentation, plus situationnels. Les éléments périphériques ont donc plutôt un rôle d’interface entre le noyau central et la situation concrète qui a généré la représentation.

La théorie du noyau central permet de penser que les référents identitaires mobilisés pour construire l’image d’une région sont de deux types : certains sont toujours là, facilement identifiables et peu nombreux (ceux qui composent le noyau de la représentation) alors que d’autres varient en fonction de la situation de production et de diffusion du récit. Il faudra donc essayer de distinguer les deux types de référents identitaires et expliquer quels

éléments expliquent la variation des éléments périphériques de la représentation de son territoire que la collectivité propose.

Le fait que les représentations sociales jouent un rôle essentiel dans la fabrique des territoires est aujourd’hui un acquis de la discipline géographique en France comme en Italie (Dematteis, 1985 ; Paulet, 2002). Mais s’interroger sur l’image d’un territoire amène à convoquer d’autres termes qui lui sont proches, comme celui d’imaginaire et d’imagerie. Signalons que ces derniers sont plus fréquemment rencontrés dans la littérature scientifique lorsqu’il est question de l’étude des phénomènes touristiques (Amirou, 1995). Selon R. Amirou l’image constitue « le résultat des essais de communication à propos du territoire », généralement afin d’en renforcer l’attractivité. L’imaginaire renvoie quant à lui à « la mémoire de cet espace, à son pouvoir d’évocation mais également aux associations d’idées qu’il suscite » (Amirou et al., 2011a). Enfin, l’imagerie peut être conçue comme l’ensemble de l’iconographie qui est diffusée à propos d’un territoire donné (campagnes de publicité, cartes postales…). L’évocation du phénomène touristique n’a rien d’anodin car il joue un grand rôle dans nos deux régions d’étude : le Latium est la première région d’Italie en termes de tourisme culturel, principalement grâce à la présence de Rome, l’Émilie-Romagne se place au premier rang en termes de tourisme balnéaire grâce à la fréquentation du littoral Adriatique, dont l’exploitation touristique a été organisée de manière industrielle76 dès les années 1960. La question de l’attractivité touristique d’un territoire permet de poser à la fois la question des stéréotypes et celles des finalités internes ou externes des pratiques de marketing territorial. Le discours destiné à la promotion touristique constitue donc un matériau de choix pour l’analyse de l’image diffusée par la région proposée au chapitre 4.

En effet, si les savoirs scientifiques ou savants ont longtemps pu constituer un fondement des discours sur le territoire, il faut également prendre en compte les évolutions récentes qui tendent à une simplification toujours plus grande des informations, quitte à opérer des transformations grossières. Dans son travail sur « l’invention de la Bretagne » (1980), Catherine Bertho montre qu’au XXe siècle « la production érudite constitue le matériau de base de la littérature touristique, des guides et des itinéraires » (Bertho, 1980, p. 48) mais cette source d’information, de savoirs sur le territoire n’est pas restée dominante et les simplifications progressives ont rapidement versé dans le stéréotype. La pratique de la promotion touristique contemporaine, en particulier dans le cadre d’un tourisme culturel caractérisé par des séjours de plus en plus courts, consiste à identifier quelques points clés par lesquels passer, des monuments à voir « à la sauvette », musées à « faire » ou spécialité

76 Un néologisme, « divertimentificio » (mot valise composé des termes italiens correspondant à divertissement et artifice) a même été construit par les observateurs italiens, sociologues et économistes pour décrire la capacité de la ville de Rimini et des communes qui la jouxtent à développer une véritable industrie autour du divertissement sous toutes ses formes (parcs à thèmes, baignades privées, discothèques, restaurants, …), parfois jusqu’à saturation.

gastronomique à « goûter » plus qu’à déguster - le tout parfois immortalisé par un selfie, utilisé sur les réseaux sociaux comme une preuve de son passage. Construire l’image d’une « région à visiter » ne nécessite pas de faire la place à l’évocation des modes de vie des locaux, surtout ruraux, encore moins à donner à voir les caractéristiques statistiques du territoire en question, mais bien à réunir un certain nombre de visions stéréotypés que le touriste pourra rechercher une fois sur place. L’hypothèse sous-jacente est d’ailleurs que cette promotion touristique est aujourd’hui devenue un des leviers majeurs de la construction de l’image d’un territoire.

Ces considérations peuvent être étendues au-delà du champ des études touristiques, c’est en tout cas ce que propose cette thèse qui cherche à prendre en compte une vision large de la mise en scène, de la mise en récit du territoire des collectivités régionales et locales. Je fais l’hypothèse, dans la lignée d’autres travaux sur le développement local (Gumuchian et Pecqueur, 2007 ; Pecqueur, 2000 ; Vye, 2005), que cette tendance à la simplification s’est également imposée dans le domaine de la course à l’attractivité économique. Pour ancrer la région dans les représentations, il faut la résumer à quelques points clés identifiables et reconnaissables. F. Hatem parle ainsi de « créer un effet d’image dans l’esprit du décideur » (Hatem, 2005). Cet exemple se rapproche du cas de l’imaginaire touristique en ce qu’il vise à convaincre des cibles externes au territoire considéré, mais le raisonnement peut également être appliqué en interne. La nécessité d’inventer un imaginaire territorial qui réconcilie les différents acteurs est par exemple relevée par A. Faure, qui désigne par l’expression « image du territoire » une « identité affichée » (Faure, 2005) et pour qui la valorisation de la cohésion et de l’identité d’un territoire devient alors une des conditions de la réussite des politiques de développement local, du « projet de territoire » (Faure, 2002).

Une des distinctions les plus fréquemment rencontrées dans la littérature entre la notion d’identité et celle d’image serait donc celle du public visé et donc de la cible de la narration produite : « les acteurs locaux semblent encore avoir une appréhension vis-à-vis des démarches de marketing territorial. Les identités se constituent à travers des actions ayant vocation à défendre certains éléments marquants du territoire qui font sens pour les acteurs locaux, alors que l’image, qui demande un travail de structuration des acteurs et atouts territoriaux, est produite via les outils de marketing territorial et vise une population externe » (Brun, 2017, p. 26). Mais cette vision binaire peut être contestée en suivant au moins deux arguments. Premièrement la distinction entre les cibles internes et externes du récit territorial est de moins en moins évidente, de nombreux matériaux sont aujourd’hui produits tant à destination des habitants du territoire que de ses usagers potentiels, c’est d’ailleurs une des caractéristiques du passage à la logique du branding du territoire (Ahmet et Can, 2016 ; Anholt, 2008 ; Grandi, 2015a). Deuxièmement, les éléments qui font sens pour les acteurs locaux peuvent tout à fait ressortir de la catégorie « image » dans la mesure où ils ne sont pas forcément stables dans le temps, qu’ils ont trait aux représentations sociales du

territoire et qu’ils peuvent parfois être assez éloignée de la réalité concrète du terrain (que ce soit sur le plan des données économiques, sociales ou culturelles).

Pourquoi la construction de l’image d’un territoire confine-t-elle presque toujours au stéréotype (Bertho, 1980) ? Un début de réponse peut venir de la nature symbolique des référents identitaires qui composent les représentations du territoire en question. Ainsi, comme le soulignait M. Roncayolo : « le territoire urbain perd de sa netteté géographique et de sa clarté administrative, alors que la symbolique urbaine, l’image fabriquée, devient étendard de ralliement » (Roncayolo, 1997).

Les éléments matériels ou immatériels de la fabrique des symboles entre lieux et patrimoine

Parmi ces symboles, certains sont dotés d’une matérialité qui s’exprime dans l’espace (urbain comme rural). L’historien G. Labrot a bien montré, dans son livre L’image de Rome, une arme pour la Contre-Réforme combien le pouvoir politique - en l’occurrence les papes de la Renaissance – a pu construire une « image agissante » à travers sa politique urbanistique et la monumentalisation de son espace physique (Djament-Tran, 2011 ; Labrot, 1987). P. Boucheron commente cet ouvrage en ces termes : « L’image de Rome c’est celle qui s’impose à tout visiteur, contraint son geste ou son regard, l’oblige en somme à ne voir que ce qu’il a été préparé à voir. L’image de Rome c’est cette intruse entre celui ou celle qui veut visiter une ville et la ville elle-même et qui fait qu’il n’y aura jamais de première fois, parce que avant d’y avoir été, on connait déjà. » (Boucheron, 2016). Il y a donc un double niveau de réflexion à mener lorsque pour identifier les modalités de cette pratique de construction de l’image du territoire chez les acteurs publics : un niveau « concret » qui passe par l’édification de bâtiments ou l’aménagement d’infrastructures signifiants et un niveau plus « communicationnel » de valorisation, de promotion, de construction discursive à propos d’élément déjà existants.

Les « deux tours77 » de Bologne (Figure 11) ou, plus célèbre encore, le Colisée de Rome (Figure 12) sont des monuments « phares », qui incarnent, à l’image de la relation entre la Tour Eiffel et Paris, les représentations associées à ces villes, y compris pour bousculer dans le cas de Rome le stéréotype de la ville improductive. Ils constituent en cela des « lieux symboliques » tels que définis par B. Debarbieux : « les lieux symboliques peuvent être envisagés comme des constructions rhétoriques destinées à désigner par connotation le territoire et la collectivité sociale qui l’érige » (Debarbieux, 1995). A une période où le sens des lieux et le sentiment d’appartenance sont largement questionnés par les sciences sociales, la notion de « haut-lieu » comme celle de « géosymbole » sont fréquemment mobilisées mais restent souvent assez floues (Bédard, 2002 ; Bonesio, 2007 ; Goré, 2006). Il existe pourtant des travaux qui

77 La Torre degli Asinelli et la Torre Garisenda, édifices médiévaux situés au cœur du centre historique de Bologne.

militent pour un recadrage de ces notions et une clarification de leur aspect heuristique dans la recherche.

Figure 11. Les deux Tours, photographie de A. Salomoni utilisée dans le site de promotion touristique de la ville (Bolognawelcome.com)

Figure 12. Image pour la couverture des brochures et les affiches de l'exposition "Produire à Rome" organisée par l'Union des industriels de Rome en 1985. Source : Rivier, 1990.

Encadré 3. Deux nomenclatures des « hauts lieux »

Mario Bédard propose une typologie de ces lieux réputés « hauts » mais qui peuvent recouvrir des réalités bien diverses. Certains de ces cas se présentent de manière évidente sur les territoires sélectionnés, mais ils jouent un rôle assez différent. Le premier type évoqué est celui des lieux de mémoire, dont Bédard fait remonter l’origine à Cicéron et la formalisation dans les sciences sociales contemporaine à Pierre Nora et son équipe (Nora, 1997). Les lieux de mémoire ont pour particularité de n’avoir pas été construits dans l’objectif spécifique de représenter un territoire, un groupe social ou un événement, ils se sont au contraire généralement érigés au hasard de l’histoire. C’est notamment le cas de certains théâtres de batailles ou de tragédies ayant pris place lors des guerres mondiales, comme Marzabotto78 (symbole de la résistance de la population de l’Émilie-Romagne durant la Seconde Guerre Mondiale) ou les Fosses Ardéatines79 pour la capitale. Le second type évoqué est celui des lieux exemplaires qui symbolisent quelque chose qui est absent et qui ont la particularité d’avoir été choisis, élus, produits comme tels (Micoud, 1991). Enfin, Bédard mentionne un troisième type, les lieux du cœur, en se référant à l’expression de Joël Bonnemaison qui décrivait par cette formule l’articulation géographique du sentiment d’appartenance de certaines populations aborigènes (Bonnemaison, 1996). (Bonnemaison, Cambrézy et Quinty-Bourgeois, 1999). Les lieux du cœur débordent du rapport au réel et possèdent une dimension mythique ou spirituelle. (Bonnemaison 1996). Ces trois types de lieux « se caractérisent par une vocation identitaire, car ils ont pour ambition première d’articuler et de faire valoir la singularité d’un lieu et de sa population ». (Bédard, 2002, p. 57).

Bernard Debarbieux propose quant à lui une typologie d’un autre ordre pour préciser les différentes fonctions symboliques du lieu. Il distingue dans un premier temps les lieux

attributs qui signalent le fait qu’un territoire peut être symbolisé par des lieux choisis mais

avec une hauteur symbolique faible. Ce sont les lieux les plus notoires, ceux choisis pour signifier un territoire (comme dans l’exemple de la Tour Eiffel). Ils sont le signe de quelque chose et « ils dénotent de manière passive les spécificités plus concrètes d’un territoire et de sa population » (Debarbieux, 1995, p. 98). Les lieux génériques forment le second type de lieu envisagé par Debarbieux : fréquemment repris, leur identité respective « s’efface derrière la forme générique » (Debarbieux, 1995, p. 99) à laquelle ils appartiennent. Ils délimitent et identifient un territoire par leur « récurrence particularisante » (Bédard, 2002, p. 64), ce sont les lieux communs que l’on retrouve un peu partout sur le territoire en question, à la manière d’un représentativité statistique. Enfin, l’auteur évoque les lieux de

condensation qui possèdent la particularité d’être investis de valeurs dont ils deviennent une

78 Village situé dans la chaîne des Apennins au Sud de Bologne où s’est produit, dans des circonstances similaires à celles d’Oradour-sur-Glane, le massacre de plus de 900 habitants les soldats allemands au cours de leur retraite en 1944.

79 Les Fosses Ardéatines sont situées à l’intérieur de la commune de Rome et ont été le théâtre d’un massacre perpétré par la police militaire allemande en représailles à un attentat le 24 mars 1944.

figure emblématique. Ils permettent la cristallisation de l’identité car les individus peuvent y éprouver « le sentiment d’une commune appartenance avec le groupe qui établit ou entretient la signification symbolique de ce lieu » (Debarbieux, 1995, p. 100). Ils sont « des lieux tout à fait spécifiques, construits et identifiés par une société qui se donne à voir à travers eux, qui les utilise pour se parler d’elle-même, se raconter son histoire, et ancrer ses valeurs » (Debarbieux, 1995, p. 100).

Le récit territorial produit par les acteurs des collectivités régionales et locales procède souvent par la mise en valeur de lieux particuliers (que ce soit pour héberger des manifestations, pour la valorisation du patrimoine, à des fins touristiques ou autres, …) et la tâche du chercheur consiste alors à décrypter le message qui préside à la sélection de tel lieu plutôt que tel autre. Il sera notamment nécessaire de prêter attention à la période historique à laquelle font référence les lieux en question. La catégorisation de ces « haut-lieux » construits en fonction des typologies de Bédard et Debarbieux peut dès lors s’avérer une clé de lecture précieuse de ces pratiques institutionnelles.

Ce type de questionnement découle d’une réflexion sur les usages sociaux de la mémoire, tributaire de l’œuvre de Halbwachs80. Une partie de la réflexion formulée par Halbwachs possède une orientation résolument géographique. Il est notamment question dans son œuvre de l’élaboration d’une image partagée de la ville à travers la construction d’une « topographie légendaire ». La fabrique des représentations au sujet d’une ville ou d’une région toute entière (pas dans le sens d’un compartiment administratif cette fois) dans ce cas la Terre Sainte (Halbwachs, 2008). Si le travail porte d’abord sur l’invention de la localisation des lieux pieux dans les premiers récits de pèlerinage vers Jérusalem, il ne fait nul doute que la portée de son raisonnement dépasse largement ce cadre. Ce qu’il étudie, c’est en effet la survie du passé dans le présent, ou en d’autres termes les modalités de réappropriation et de