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L’extrême diversité du maillage régional en Europe

l’Émilie-Romagne et le Latium

1. Le débat entre régionalisation et régionalisme(s) en Europe

1.2. L’extrême diversité du maillage régional en Europe

L’expression d’une « Europe des régions » souffre d’un autre faiblesse, celle d’occulter la diversité de forme du fait régional en Europe (Cole et Palmer, 2008 ; Dumont, 2014 ; Keating, 1997), ce kaléidoscope des configurations institutionnelles et politiques européennes qui touche tant à leur démographie qu’à leur étendue, à l’histoire de la maille ou au niveau de décentralisation de l’État considéré. La manière la plus évidente d’aborder cette question de la diversité entre régions consiste à observer les efforts fournis par la Commission Européenne pour tenter d’appréhender les différents maillages nationaux de manière synoptique. La difficulté de trouver des systèmes d’organisation et de partition territoriale

90 La tendance à la « fermeture » s’exprime aussi sur le plan politique et social à travers la montée en puissance des courants xénophobes et anti-immigrés (pensons aux dernières élections en Hongrie, en Autriche, aux Pays-Bas, en France et en Italie), plus ou moins directement adossée aux difficultés de gestion du flux de réfugiés à l’échelle de l’Union Européenne.

comparable à l’échelle européenne se matérialise par exemple dans le besoin au sein des instances communautaires de construire une maille nouvelle, la NUTS (Nomenclature des Unités Territoriales Statistiques, Figure 14) dans l’objectif de fournir une base la plus solide possible aux études statistiques et à la répartition des financements issus des fonds structurels. Ces unités territoriales statistiques s’échelonnent sur trois niveaux, qui reprennent dans la majorité des cas les délimitations administratives internes à chaque État. Les trois niveaux de NUTS sont théoriquement formés, depuis l’élargissement des années 2000, sur des critères démographiques : le niveau NUTS-1 regroupe les entités comprenant entre 3 et 7 millions d’habitants, les NUTS-2 entre 800 000 et 3 millions, et les NUTS-3 entre 150 000 et 800 000. Cependant, ces fourchettes démographiques, déjà très larges et prêtant difficilement à la comparaison des entités de même rang, sont souvent volontairement ignorées pour mieux coller aux découpages administratifs nationaux, en particulier dans les États membres les plus anciens. À titre d’exemple, souvent cité, la région Île-de-France comporte plus de 11 millions d’habitants mais est considérée comme une entité NUTS-2 et NUTS-1 et le Land de Brême en Allemagne est un NUTS-1 de moins de 800 000 habitants. Dans le règlement n°1059/2003 du Parlement Européen et du Conseil, il est précisé que ces seuils démographiques concernent la taille moyenne de la classe d’unités administratives de l’État membre en question. Cela correspondait à la situation française dans le cadre de l’ancien découpage, mais qui n’est plus valide aujourd’hui dans la France des 13 régions dont le nombre d’habitants moyen avoisine les 5 millions (INED). Le cas italien est également « hors des clous » puisque les régions administratives sont catégorisées NUTS 2 selon la nomenclature européenne alors que le nombre d’habitant moyen y est légèrement supérieur à 3 millions et que certaines régions dépassent très largement cette borne (10 millions d’habitants pour la Lombardie, 5,9 millions pour le Latium, même l’Émilie-Romagne qui n’est que la sixième région la plus peuplée compte plus de 4,5 millions d’habitants).

Tableau 3. Population et superficie des régions d'étude par rapport aux NUTS 2 italiens et européens

Population Superficie Densité

Emilie-Romagne 4448841 22453 198,140159

Latium 5898124 17232 342,277391

moyenne Italie 2885211 14384 200,578771

moyenne Union Européenne 1908781 18512 103,110397

Figure 14. Le maillage en NUTS 2 de l'Union Européenne en 2016

L’existence du Comité des régions, évoqué au paragraphe précédent, souvent vue comme exemple de la volonté des représentants des collectivités locales et régionales de s’affirmer sur la scène européenne (Keating, 2013 ; Loughlin, 2001 ; Mamadouh, 2001), est également un révélateur de cette diversité de l’organisation politico-administrative infra-étatique en Europe. La maille « régionale », qui n’existe même pas en tant qu’unité de pouvoir décentralisé dans tous les pays de l’Union (Portugal, Suède, Grèce, pays baltes…), n’est en effet pas le seul échelon représenté au sein de cet organe consultatif. La sélection de ses 350 membres, répartis au sein du Comité en fonction du poids démographique de chaque État, est en réalité le fruit d’une double validation : au sein de chaque État membre puis par le Conseil de l’Union Européenne. Au sein de chaque État, une liste de noms est constituée par les différentes associations de représentants des collectivités territoriales (par exemple l’Associations des Maires de France, l’Association Nationale des Communes Italiennes, etc.), les personnalités proposées doivent respecter le principe de légitimité démocratique, c’est-à-dire l'exigence pour ses membres d'être titulaires d'un mandat électoral ou d'être politiquement responsables devant une assemblée démocratiquement élue. Les exécutifs nationaux sont libres de ventiler comme bon leur semble le poids de chacun des échelons

constitutifs de leur système politico-administratif au sein du Comité des Régions. En cela, la composition du Comité des Régions constitue « un bon baromètre de ce couple local-régional en Europe » (Rivière, 1998) avec l’affirmation dans certains cas de la domination de l’échelle « régionale » (Espagne, Allemagne) ou locale comme c’est le cas de la Grèce. Le processus de désignation des membres et leur statut sont de bons indicateurs pour savoir si le système régional d’un État est fort ou non, même si, selon un rapport du Comité des Régions, presque tous les gouvernements nationaux acceptent la liste de candidats qui leur est soumise et l'approuvent sans modification avant de la communiquer au Conseil de l’UE pour approbation définitive (Comité des Régions, 2009).

France Italie Allemagne

niveau régional, Land 12 14 19

niveau intermédiaire (département, province, district,

Kreis…) 6 3 2

niveau communal 6 7 3

Total membres 24 24 24

Source : Comité des Régions

Tableau 4. Ventilation par échelon territorial des membres du Comité des régions en 2016 pour la France, l'Italie et l'Allemagne

En 2016, l’Italie avait par exemple choisi de répartir ses 24 membres de la manière suivante : 14 représentants de la maille régionale, dont les représentants de l’Émilie-Romagne et du Latium, 7 représentants des communes et 3 de la maille provinciale (qui équivaut à bien des égards au département en France). Cette répartition est la même depuis 2006, date à laquelle l’échelon provincial a fortement perdu du terrain en terme de représentativité au bénéfice des communes, conformément aux tendances à l’œuvre dans la réforme de l’État. La proposition de la disparition de l’échelon provincial revient de façon récurrente parmi les membres de la classe politique comme dans les médias mais n’a jamais été mise en œuvre, j’y reviendrai dans le chapitre 6. Cette tendance semble d’ailleurs se généraliser dans la plupart des contextes étatiques. En Europe, la maille départementale ou provinciale est généralement inspirée de la tentative de rationalisation du contrôle administratif de l’espace mis en place à l’époque de la révolution Française (Ozouf-Marignier, 1993 ; Raffestin, 1980). Elle s’est largement diffusée en Europe, notamment par l’intermédiaire des conquêtes napoléoniennes, mais est aujourd’hui souvent pointée du doigt pour sa supposée obsolescence.

Si l’indicateur statistique de composition des délégations au Comité des Régions n’est pas sans faille, il dénote du niveau de régionalisation effective et permet de se faire une idée de l’importance et du poids accordé par chaque État membre aux différentes strates de son administration. Les différences observables sur le plan comptable sont accentuées lorsque l’on s’intéresse à la fonction exercée par ces représentants au sein de leur propre collectivité territoriale. Les représentants envoyés par la France au comité des Régions sont le plus

souvent des conseillers municipaux, généraux ou régionaux alors que l’Italie désigne dans une large majorité des cas des titulaires de l’exécutif (présidents de région ou maires). Sans sur-interpréter ce décalage, il est possible d’y lire un intérêt plus franc pour la représentation des intérêts des échelons intermédiaires côté italien par rapport à la vision traditionnellement centralisée de la France. Délégation italienne Membres titulaires Avant 2006 Après 2006 Régions et provinces autonomes 14 14 Provinces 5 3 Communes 5 7

Tableau 5. Répartition des membres de la délégation italienne au Comité des Régions (d'après Comité des Régions, 2009)

L’histoire de la maille régionale et son poids réel tant dans l’administration que dans l’aménagement du territoire varient considérablement d’un État à l’autre (Bolgherini, 2006 ; Caciagli, 2003b ; Desideri et Buglione, 1991 ; Loughlin, 2001). L’analyse détaillée du profil historique et politique des différents échelons régionaux européens, que je me garderai d’entreprendre ici, débouche par exemple selon G.-F. Dumont sur dix types de régions différentes, ce qui interdit toute définition consensuelle du contenu institutionnel du terme « région ». Le seul élément qu’il identifie comme commun à ces différentes situations nationales est le fait de « rendre possible des convergences dans les politiques publiques, c’est-à-dire au plan de l’action et non plus des institutions » (Dumont, 2014). C’est précisément au travers de l’action politique, directe et indirecte, conduite par les représentants des institutions régionales, que la maille régionale et sa territorialisation seront interrogées ici. Entre le modèle fédéral caractéristique de l’Allemagne, de l’Autriche ou de la Belgique et les modèles plus centralisés mais engagés dans un processus de décentralisation (comme la France ou l’Italie), l’écart de définition des compétences et des pouvoirs de la maille régionale est déjà grand. Il l’est plus encore si on considère le cas de la Bulgarie, de la Roumanie dont les compartiments sont restés de nature économico-statistique (échelle de coordination des pouvoirs publics pour aider à la mise en place des politiques d’aménagement issues de l’État) et dont les administrateurs y sont délégués par le pouvoir central. (Dumont, 2014 ; Rey et Saint-Julien, 2005).

1.3. Régionalisations et régionalismes : quelle prise en compte des facteurs