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« Les stratégies de communication (interne ou externes) constituent les supports privilégiés de cette construction sociale du territoire ». En interne, les revues, les newsletters puis les réseaux sociaux visent à faire exister la région et ses habitants comme catégorie d’évidence. Communauté de lecteurs d’habitants, de citoyens, d’usagers, … ces matériaux ne cessent de plaider pour une délimitation concrète de la société régionale. La communication externe est encore plus audacieuse que la communication interne : « elle ne recule pas devant les globalisations les plus hâtives pour faire exister, sous la forme d’une image et d’un slogan, un territoire et l’ensemble des habitants qu’il regroupe » (Le Bart, 2003)

Comme le montre la citation de Christian Le Bart placée en exergue, une distinction a longtemps été faite entre communication interne et communication externe. Les travaux les plus récents tendent cependant à mettre en question cette dualité, notamment depuis l’apparition de la notion de place branding (Anholt, 2005, 2008 ; Hansen, 2010 ; Houllier-Guibert, 2017). Aujourd’hui les sciences de l’information et de la communication tendent à faire de la communication territoriale un champ de recherche à part entière. La communication territoriale est « l’ensemble des communications produites dans et sur un territoire », elle porte « non plus uniquement sur l’institution publique locale (la mairie, le conseil régional), mais plutôt sur la vie quotidienne locale dans son ensemble. En d’autres termes, c’est une communication qui porte sur le « territoire » en tant que collectivité humaine dans un espace donné. » (Awono, 2015, p. 91). Dans ce contexte scientifique, la production du récit territorial est un objet essentiel et constitue une interface entre les discours destinés à susciter l’attachement des habitants et ceux destinés à mettre en valeur les spécificités du territoire à des fins de renforcement de son attractivité.

Le récit territorial officiel est le fruit d’une production ordinaire et quotidienne, réalisée au sein des différents services de l’institution par des acteurs qui n’ont ni les mêmes ressources, ni les mêmes finalités. Dès lors, peut-on encore considérer les « acteurs institutionnels » comme un tout uniforme ? Il existe une variété des registres par lesquels les territoires sont envisagés dans le récit officiel. Cette variété est bien sûr fonction des cibles du discours mais aussi peut-être du temps (différentes périodes correspondant à différentes images de la région). Dans quelle mesure les représentations qui fondent ce que les acteurs appellent les « identités » actuelles correspondent-elles au recyclage d’images anciennes stéréotypées, voire selon les termes de Le Bart de « globalisations hâtives » ?

L’un des enjeux de cette partie est alors d’identifier quels sont les paramètres qui permettent d’expliquer la variation du récit territorial dans le temps, que ce soit dans sa forme (et ses supports de diffusion) ou dans le fond (les référents identitaires mobilisés pour signifier la spécificité du territoire régional). Trouver des jalons temporels dans la production ordinaire

est ardu, les innovations et les adaptations se font à un rythme différent d’une région à l’autre, voire au sein des différents services d’une même Région.

Le chapitre 3 propose une analyse du jeu d’acteurs à l’origine de cette fabrique institutionnelle du récit territorial tandis que le chapitre 4 sera consacrée à l’évolution dans le temps de la manière de se livrer au « réchauffement territorial », notamment à travers le regard porté sur le patrimoine culturel région à différentes occasion (que ce soit par des Grands Evénements ou dans le contexte de la promotion touristique ordinaire).

Chapitre 3. Acteurs et supports du récit territorial :

entre segmentation et uniformisation du discours

officiel

Introduction :

Aborder la question de l’image des régions administratives italiennes nécessite de prendre en compte la question des acteurs qui la produisent et ce notamment pour se prémunir le plus possible des essentialismes ou de cette « fétichisation » des régions (Paasi, 2002) du type « la région veut que », mais également de ceux qui intègrent la majuscule « la Région veut que ». Ces expressions sont très fréquentes, tant dans les matériaux récoltés comme corpus d’analyse que dans le discours des acteurs régionaux eux-mêmes. Cette formulation qui tend à personnifier l’institution, lui attribuant une volonté propre, une capacité d’action et de communication, est bien sûr recherchée et assumée, y compris au sein des acteurs institutionnels. En effet, en tant qu’acteur politique inséré dans une organisation administrative, la Région avec une majuscule doit se manifester auprès du public. Les différents messages transmis par l’institution doivent être reconnus comme émanant d’elle et potentiellement acquérir ainsi une certaine lisibilité, une reconnaissance, voire une légitimité :

« En renforçant l’importance des collectivités dans la gouvernance des villes et des territoires, la décentralisation va avoir une autre conséquence : un besoin de reconnaissance et de lisibilité. « qui » agit ? La nécessité de se distinguer et de se faire reconnaître va conduire les collectivités à la création de logos et de signatures institutionnelles. Elles sont destinées à permettre, via la multiplication des supports, d’identifier « qui » gère équipements et services, « qui » construit et aménage. C’est à cette période que les services de communication deviennent une réalité dans les collectivités, qui la communication se professionnalise et commence à s’organiser… » (Mégard, 2012, p. 29)

La présence des guillemets dans le texte de Dominique Mégard dit bien le malaise lié à la complexité du système d’acteur présent derrière l’étiquette que constitue le nom d’une collectivité territoriale. Dans la plupart des travaux qui s’intéressent à la communication institutionnelle, la catégorie des acteurs institutionnels constitue un ensemble qui, s’il n’est pas supposé homogène, n’en reste pas moins rarement décomposé. Dans une perspective constructiviste, je dirai donc avec Romain Pasquier qu’il s’agit ici « d’ouvrir la boîte noire de la Région pour expliquer comment elle devient un sujet et non plus simplement un objet de recherche » (Pasquier, 2012a, p. 31). Le récit territorial est à cheval entre deux dimensions : celle du projet de territoire et celle du marketing territorial, c’est-à-dire dans les deux cas de

la promotion de l’image. Comme pour les villes, la pratique promotionnelle des régions italiennes « apparaît durable, systématique, ce qui invite à ne pas la réduire à un phénomène de mode, sans signification » (Rosemberg, 1997). La mise en récit du territoire joue à la fois comme une démarche stratégique et comme le résultat de cette démarche, c’est-à-dire ce que produit le marketing : les images publicitaires, les textes promotionnels, les événements médiatisés.

La production du récit territorial nécessite la mise en place d’un système d’acteurs, entre ceux qui évaluent la nécessité de se doter d’un tel récit, ceux qui décident de sa création, ceux qui l’énoncent, ceux qui le diffusent et ceux qui le reçoivent, en grande partie hors champs ici mais pas totalement. Dès lors, quels jeux d’acteurs se dessinent entre élus (présidents de région et leur gouvernement), techniciens (planners, attachés de presse, chargés de communication), et les différents cabinets d’étude mobilisés en tant que consultants ? Quel rôle l’histoire politique spécifique de ces deux régions joue-t-elle dans la construction d’une image très différente de leurs deux administrations ? En étudiant ces discours « régionaux » et en cherchant à les réattribuer au maximum à leurs producteurs, ce sont donc les représentations et les conceptions géographiques des acteurs en charge du récit qui émergent.

Cette formulation des projets de territoire par les responsables de l’administration régionale, c’est aussi la proposition d’une vision pour la région en tant que système territorial, une intention globale qui guide l’action politique mais pas seulement. En effet, les projets de développement à l’échelle d’une région ou d’une métropole ont d’autant plus de chance d’avoir des effets concrets s’ils sont partagés – ou partageables - par les acteurs des autres sphères (économique, culturelle, associative, …) et par les habitants. La capacité politique d’une institution réside donc aussi dans son aptitude à fournir un discours clair et rassembleur, un récit qui puisse être approprié par le plus grand nombre.

D’autres facteurs sont également à prendre en considération pour embrasser la variété des situations de production du récit. La question du support, des éléments matériels et immatériels qui permettent à ce récit de prendre forme et d’être véhiculé, constitue le second élément majeur qu’affronte ce chapitre. Les presque cinquante années qui séparent l’institutionnalisation des Régions italiennes de la période actuelle sont le théâtre de grands bouleversements en ce qui concerne les pratiques de communication. L’apparition d’internet et son appropriation par les différentes collectivités territoriales joue un rôle majeur, raison pour laquelle la fin des années 1990 constitue, au-delà des mutations du contexte politico-administratif italien (passage à une présidentialisation du gouvernement régional), une période charnière. Le passage d’une communication institutionnelle essentiellement diffusée sur support papier (qu’il s’agisse de l’information aux citoyens ou des campagnes d’affichage promotionnelles) à une utilisation toujours plus importante du numérique modifie les possibilités d’accès aux cibles du récit territorial, mais également les types de médias utilisés