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La possible discrimination entre les assurés en prévoyance

§1 Les divergences de traitement des victimes (illustrations)

B) La possible discrimination entre les assurés en prévoyance

Si les candidats à l’assurance sont en principe sélectionnés en raison des risques qu’ils présentent, il semble que cette sélection soit vaine en cas d’assurance collective (1), ce qui pose la question de l’égalité de traitement entre les assurés en prévoyance au titre d’un contrat collectif et ceux garantis en vertu d’un contrat individuel (2).

1 ° La différence de traitement entre les assurés garantis collectivement et ceux couverts individuellement

124 - Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que l’assureur ne peut, au titre de la loi Evin, opérer une sélection médicale en refusant d’assurer une personne du groupe ou de prendre en charge des risques dont la réalisation trouvait son origine dans l’état antérieur de l’assuré442. Au vu de l’état de santé d’un ou plusieurs salariés du groupe, soit l’assureur estime

que l’équilibre économique de la garantie est mis en péril par les éventuelles suites des

440 Civ. 2ème, 21 décembre 2006, n° 05-14917.

441 Civ. 1ère, 4 juillet 2007 n° 05-10254 et n° 05-18043 ; Civ. 2ème, 4 juillet 2007, n° 06-16382 et n° 06-14048. 442 Arrêt Euralliance C/ Mme Benaim, Civ. 1ère, 7 juillet 1998, n°96-13843, obs. Pierre-Yves VERKINDT, RDSS, 1998, p. 843.

pathologies existantes, auquel cas il renonce à garantir l’ensemble du groupe considéré, soit il accepte de garantir tout ce groupe, ce qui ne l’empêche pas d’adapter le tarif de l’assurance en fonction des suites d’états pathologiques qu’il sera susceptible de prendre en charge à l’avenir443 444. L’assureur ne peut donc imposer aux adhérents atteints d’un état pathologique

au moment de la souscription du contrat une sur-tarification. Il est en droit, en revanche, de prévoir une tarification collective plus élevée.

125 - Ces dispositions sont applicables en présence d’une adhésion obligatoire c'est-à-dire lorsque des salariés adhèrent à une assurance de groupe obligatoire mise en place dans leur entreprise. En revanche, l’assureur peut exclure une maladie ou les suites d’une maladie contractée antérieurement à la souscription au titre des assurances de prévoyance souscrites à titre individuel445. En principe, en fonction de l’état de santé de l’assuré, l’assureur est libre

d’accepter ou de refuser de garantir le risque446. Cette sélection des risques est conforme aux

dispositions du Code pénal 447 qui connaît quelques limites exposées précédemment 448449.

126 - Les assurances de prévoyance individuelle et collective ont pour point commun la

possibilité pour l’assureur de mettre en œuvre les sanctions des articles L.113 - 8 et L.113 - 9 du Code des assurances pour fausse déclaration du risque450451. La mise en œuvre des

sanctions prévues par la loi en cas de déclaration inexacte suppose que l’assureur démontre, d’une part, le caractère inexact de la déclaration et, d’autre part, qu’en conséquence, l’opinion qu’il a pu se faire du risque a ainsi été faussée452. Or, si en assurance individuelle, la preuve est

susceptible de découler des informations fournies par l’assuré lors de la déclaration du risque, cette preuve semble fictive en assurance collective dès lors que l’assureur ne peut refuser de prendre en charge un sinistre dont l’origine est antérieure à la souscription du contrat. En effet,

443 Jérôme KULLMANN, op. cit., note 438, p.74. 444 Laetitia FONLLADOSA, op. cit., note 439, p. 74.

445 Jérôme KULLMANN (dir.), Lamy Assurances, Lamy, 2016, n°3954 (version électronique).

446 Alain CURTET, « Assurance : sexe, mode d'emploi ! », LEDA, n°2, 10 février 2012, p.2 (obs. Comm. UE,

Lignes directrices sur l'application de la directive 2004/113/CE du Conseil dans le secteur des assurances, à la lumière de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire C-236/09, Test-Achats).

447 C. pén. , art. 225-1. 448 C. ass., L.133-1. 449 Cf. Infra, n° 43 à 66.

450 Jérôme KULLMANN, op. cit., note 438, p.74. 451 Laetitia FONLLADOSA, op. cit., note 439, p. 74. 452 Crim., 8 août 1995, n° 94-86165.

l’intérêt de l’assureur à connaître l’état de santé de chaque adhérent semble inutile s’il n’exclut pas les sinistres qui auraient des origines antérieures à la souscription du contrat. Une fois encore, l’écart se creuse entre les assurés à titre individuel et ceux qui le sont grâce à leur entreprise.

2 ° Une différence de traitement discriminatoire ?

127 - Le traitement des assurés en prévoyance diffère sensiblement suivant que le souscripteur

du contrat soit l’assuré ou un tiers. Or, il pourrait sembler discriminatoire de ne pas sélectionner tous les individus à raison de leur état de santé. La justification des modalités de souscriptions semble fragile car elle renvoie aux inégalités de protection sociale qui existent entre les salariés suivant l’entreprise qui les emploie, alors que c’est le même risque qui est assuré.

En dehors de la question de l’égalité de traitement des assurés, c’est également l’équilibre technique des assurances qui est en cause. En effet, les assurances n’ont aucune prévisibilité sur le risque assuré d’une population, par nature, hétérogène453.

III) Les divergences de traitement des victimes d’incendie et d’autres faits

des choses

128 - L’article 1242 alinéa 2 du Code civil (ancien article 1384 alinéa 2454) a introduit la Loi

du 7 novembre 1922. La loi du 7 novembre 1922 est une loi de circonstance455. En effet, elle

fut imposée par des assureurs émus par un arrêt de la Cour de cassation qui fit application de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil (désormais 1242 alinéa 1er) à un incendie survenu dans

la gare maritime de Bordeaux et propagé au fond voisin456. Depuis, les règles de responsabilité

en matière d’incendie dérogent aux règles communes de responsabilité du fait des choses. En

453 Richard GHUELDRE, « La licéité du refus de ‘’vente’’ d'assurance », RGDA, n°2002-01, 1er janvier 2002, p. 338.

454 L’art. 1242 al. 2 remplace l’art. 1384 al. 2 selon l’ord. portant réforme du droit des contrats, du régime

général et de la preuve des obligations, 10 février 2016, n°2016-131.

455 Stéphane SZAMES, « L’abrogation de l’article 1384 alinéa 2 du Code civil : une nécessité aujourd’hui impérieuse », LPA, n°62, 27 mars 2002, p.6.

effet, la victime doit prouver, outre son préjudice, que son dommage a été causé par la faute du détenteur de la chose dans laquelle l’incendie a pris naissance457.

129 - Ainsi, la Cour de cassation a considéré que constituait une faute, le fait pour une société

d’avoir, en contravention avec les prescriptions administratives conditionnant l’ouverture de l’établissement, laissé une brèche dans un mur séparatif en l’obturant avec une simple cloison en sapin ce qui a rendu possible la propagation du feu458. En revanche, n’a pas été considéré

comme constitutif d’une faute, le fait pour les propriétaires d’une maison d’utiliser, conformément à sa destination, l’insert d’une cheminée installé à leur domicile par un vendeur professionnel et dont la défectuosité est à l’origine d’un incendie s’étant propagé à l’immeuble voisin459.

130 - Si la faute est appréciée largement, le lien de causalité est quant à lui apprécié de façon

stricte460. La Cour de cassation fait preuve d’une très grande rigueur et casse les décisions qui

ne relèvent pas l’existence de ce lien de causalité. A notamment été cassé un arrêt d’appel qui, pour condamner une entreprise à réparer les dommages causés aux immeubles voisins par un incendie ayant pris naissance dans des palettes de bois qu’elle avait entreposées sans aucune protection ni précaution, s’est fondé simplement sur la faute de négligence commise par celle- ci461.

131 - L’article 1384 alinéa 2 (désormais 1242 alinéa 2) respecte le principe de réparation intégrale du préjudice. En effet, l’article 1384 alinéa 2 du Code civil (désormais 1242 alinéa 2) s’applique non seulement aux dommages causés aux biens mais aussi au préjudice corporel462.

Le locataire responsable de l’incendie doit réparer la totalité du préjudice, son obligation ne pouvant être limitée aux seuls dégâts subis par le local dont il est preneur463. Néanmoins,

l’indemnisation doit correspondre au préjudice réellement subi. La vente ultérieure pourra, par exemple, être prise en considération. Ayant relevé qu’à la suite de l’incendie qui avait détruit en partie les bâtiments loués, la société bailleresse avait revendu le terrain à un tiers en abandonnant toute idée de reconstruction, une cour d’appel a pu en déduire, sans méconnaître

457 Stéphane SZAMES, op. cit., note 455, p.77. 458 Civ. 2ème., 9 mai 1972, n°70-10150. 459 Civ. 2ème, 4 novembre 2004, n°02-21561. 460 Stéphane SZAMES, op. cit., note 455, p.77. 461 Civ. 2ème, 18 juin 1997, n°95-20148.

462 Civ. 2ème, 19 mars 1997, n°95-17844 ; Civ. 2ème, 12 décembre 2002, n°01-02853. 463 Civ. 3ème, 18 mai 1978, n°77-10238 ; Civ. 3ème, 27 novembre 2002, n°01-12.403.

le principe de la réparation intégrale, qu’une indemnité correspondant à la valeur à neuf de l’immeuble ne pouvait pas lui être allouée et qu’il n’y avait pas lieu non plus de lui rembourser des frais que, de façon certaine, elle ne supporterait pas, à savoir les frais d’architecte, de contrôle technique et de coordonnateur de sécurité pour l’opération de reconstruction464.

132 - A l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité465, un justiciable a soutenu

que les dispositions de l’article 1384 alinéa 2 du Code civil (désormais 1242 alinéa 2) portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d’égalité, au droit de propriété et au principe selon lequel tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui l’oblige à le réparer. La Cour de cassation a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel au motif que la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que le régime de l’article 1384 alinéa 2 (désormais 1242 alinéa 2) du Code civil répond à la situation objective particulière dans laquelle se trouvent toutes les victimes d’incendie communiqué, qu’il est dépourvu d’incidence sur l’indemnisation de la victime par son propre assureur de dommage aux biens, et qu’enfin il n’est pas porté atteinte au principe selon lequel tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

133 - Pourtant, l’exigence d’une faute est vivement critiquée par la doctrine car elle limite les droits de la victime466. La jurisprudence et la loi ne semblent pas insensibles à cette critique

puisqu’elles tendent à restreindre le champ d’application des dispositions de l’article 1384 alinéa 2 du Code civil (désormais 1242 alinéa 2) 467468. Ainsi, la Cour de cassation a écarté

l’application de l’article 1384 alinéa 2 du Code civil (désormais 1242 alinéa 2) en cas d’incendie involontaire d'un véhicule dans un parking privatif469. En effet, il s’agirait d’un

accident de la circulation soumis à la loi du 5 juillet 1985.

En outre, la loi a également exclu l’application des dispositions prévues par l’article 1384 alinéa 2 (désormais 1242 alinéa 2) dans les rapports entre propriétaires et locataires en matière

464 Civ. 3ème, 8 avril 2010, n° 08-21393. 465 Ass. Plén., 7 mai 2010, n° 09-15034.

466 Philippe CASSON, « La communication d’incendie : une législation en attente d’abrogation », LPA, n°85, 15 juillet 1996, p.20.

467 Ibidem.

468 Stéphane SZAMES, op. cit., note 455, p.77. 469 Civ. 2ème, 18 mars 2004, n°02-15190.

d’incendie470. Le Code civil prévoit une présomption de responsabilité du locataire. Ce dernier

répond ainsi de l’incendie, à moins qu’il ne prouve que l’incendie soit arrivé par cas fortuit ou force majeure ou par vice de construction ou, que le feu ait été communiqué par une maison voisine. Pour éviter les graves conséquences pécuniaires de la responsabilité qui pèse sur lui, le locataire est tenu à une obligation d'assurance dont il doit justifier à la remise des clés puis, chaque année, à la demande du bailleur471. Par ailleurs, le propriétaire peut inclure dans le

contrat de bail une clause de résiliation de plein droit pour défaut d'assurance de la part du locataire472. Pour ce qui concerne l’origine de l’incendie, la Cour de cassation hésite entre

deux interprétations dont l’une écarte l’application de l’alinéa 2 de l’article 1384 du Code civil (désormais 1242 alinéa 2) au profit de l’alinéa 1er de cette disposition alors que l’autre fait

application de la responsabilité pour faute et ce malgré une similitude des circonstances de fait à l’origine des espèces soumises à cette juridiction. Ainsi, depuis un arrêt d’Assemblée plénière du 25 février 1966, la Cour de cassation considère, parfois, que l’alinéa 2 de l’article 1384 du Code civil (désormais 1242 alinéa 2) s’applique dès lors que l’incendie a pris naissance dans un bien sans que l’on ait à en déterminer la cause première473. C’est également

ce qu’a décidé, pour la première fois, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation dans un

arrêt du 16 avril 1996 où un incendie survenu dans un magasin a causé des dommages aux fonds voisins. A l’inverse, d’autres décisions de la Cour de cassation écartent l’alinéa 2 de l’article 1384 du Code civil (désormais 1242 alinéa 2) dès lors que les dégâts sont dus à des causes antérieures à l’incendie, telle l’explosion ou l’incendie d’un bien quelconque474 car les

effets de l’incendie sont indissociables de ceux de ses causes antérieures ce qui impose la mise en œuvre de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil (désormais 1242 alinéa 1er).

IV) La divergence de traitement des victimes d’accident de la circulation

134 - Selon le Professeur Chabas, la loi établit trois classes de citoyens : les super privilégiés

(non conducteurs de moins de 16 ans et ceux de plus de 70 ans ainsi que les infirmes ayant un taux d’Incapacité permanente partielle475d’au moins 80 %), les privilégiés (autres non-

470 Vincent FRANCOIS, RGDA, n°1996-3, 1er juillet 1996, p.744 (obs. Civ. 1ère, 4 juin 1996, n° 94-11040). 471 L. tendant à améliorer les rapp. locatifs et portant modification de la l. n° 86-1290 du 23 décembre 1986, 6 juillet 1989, n°89-462, art. 7 g, al. 1er.

472 Idem, art. 7 g, al. 2 partiel.

473 Civ. 2ème, 14 février 1990, n° 89-10066. 474 Civ. 2ème, 30 octobre 1989, n° 88-17762. 475 Dit IPP

conducteurs) qui ne peuvent se voir opposer leur faute inexcusable, et les défavorisés (les conducteurs)476477.

Les victimes privilégiées doivent être intégralement indemnisées par le conducteur ou le gardien du véhicule impliqué dans l’accident ayant causé le dommage sauf si elles ont commis une faute inexcusable, cause exclusive de l’accident478. Les moyens d’exonération

ordinairement invoqués ne sont admissibles (force majeure ou cas fortuit, fait d’un tiers, faute simple ou lourde de la victime). La seule cause d’exonération est la faute inexcusable de la victime.

135 -La faute inexcusable se définit comme une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience479. Les

situations dans lesquelles les magistrats ont admis la faute inexcusable sont rares. Ainsi, a été considéré comme une faute inexcusable le fait pour un piéton de se rendre sur une voie lui étant interdite (autoroute par exemple) après avoir passé plusieurs obstacles qui auraient dû attirer son attention sur le caractère dangereux et interdit de ce franchissement480.

Les victimes super-privilégiées sont les personnes non-conductrices d’un véhicule qui au jour de l’accident sont âgées de moins de 16 ans481 ou sont âgées de plus de 70 ans ou justifient

d’une invalidité au moins égale à 80 %.

Aucune faute, même inexcusable, ne peut leur être opposée, ni à leurs ayants droit. De même, les tiers payeurs en tant que subrogés jouissent des mêmes droits que la victime et il n’est pas possible de leur opposer la faute inexcusable d’une victime de moins de 16 ans482.

Les conducteurs peuvent se voir opposer leur propre faute pour limiter leur droit à indemnisation. Il appartient aux juges du fond de se prononcer sur la faute483 et sur son

implication dans la réalisation du dommage pour déterminer si elle a pour effet d'exclure l'indemnisation ou simplement de la réduire. Ils doivent analyser tous les éléments du comportement484. La connaissance des raisons qui ont poussé le conducteur à commettre la

476 James LANDEL, RGDA, n°2011-01, 1er janvier 2011, p.95.

477 François CHABAS, Le droit des accidents après la réforme du 5 juillet 1985, Litec, 2ème éd., 1988, p.160. 478 L. tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des

procédures d'indemnisation, 5 juillet 1985, n° 85-677, art. 3. 479 Civ. 2ème, 20 juillet 1987, n°16 236.

480 Civ. 2ème, 16 décembre 2004, n°03-19559.

481 Civ. 2ème, 19 février 1986, n° 84-17795 (en qualité de passager sur un cyclomoteur). 482 Civ. 2ème, 17 juin 2010, n°09-67530.

483 Civ. 2ème, 9 juillet 2009, n°08-10483 et Civ. 2ème, 27 février 2003, n°01-14515. 484 Crim, 10 janvier 2006, n°04-84530.

faute n'est pas nécessaire à la qualification de celle-ci485. La faute du conducteur victime est

appréciée en faisant abstraction du comportement des autres conducteurs486. Elle n’a pas à être

la cause exclusive du dommage487 et doit avoir un lien de causalité avec le dommage identifié

par les juges du fond488489490. Ainsi, le motocycliste blessé à la hanche et aux jambes est

intégralement indemnisé, alors même qu’il ne portait pas de casque491. De même, la faute du

conducteur victime n’est pas retenue en cas d’état d’ébriété n’ayant pas de lien avec l’accident492. A défaut de lien de causalité entre la faute et le dommage, aucun abattement ou

exclusion ne peut être opéré493. La faute du conducteur victime s’apprécie également sans

avoir à démontrer que son auteur ne se trouvait dans une situation de force majeure qui l’aurait justifiée494.

En revanche, la réparation du conducteur victime sera limitée ou exclue si sa faute présente un lien de causalité avec le dommage subi. Il en est ainsi lorsque l’emprise des stupéfiants a amené le conducteur fautif à se déporter dangereusement sur la voie dédiée à la circulation495

ou si l’effet de l’alcool a fait perdre toute prudence au conducteur496. Selon sa gravité, la faute

va induire l’exclusion de toute indemnisation ou seulement, une réduction de l’indemnisation du conducteur. Cette limitation du droit à indemnisation est contraire à l’esprit de la loi de 1985 qui est l’amélioration du sort des victimes d’accident de la circulation497.

136 - La constitutionnalité de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985 a été soulevée dans deux arrêts498. En effet, le droit à indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation avait

été limité en raison de sa qualité de conductrice. Cette dernière a alors soutenu que l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985 est contraire au principe constitutionnel d’égalité des citoyens.

485 Civ. 2ème, 29 mars 2012, n°11-16996. 486 Civ. 2ème, 15 décembre 2011, n°10-25.714. 487 Civ. 2ème, 16 septembre 2010, n°09-70.100. 488 Crim., 27 novembre 2007, n°06-89.030.

489 François CHABAS, Gaz. Pal., n°56, 26 février 2003, p.30 (obs. Civ. 2ème, 4 juillet 2002, n°00-12529). 490 James LANDEL, « Assurance automobile – Indemnisation du Conducteur », RGDA, n°2007-3, 1er juillet 2007, p. 613 (obs. Ass.Plén., 6 avril 2007, n°05-81350 et 05-15950).

491 Civ. 2ème, 4 juillet 2002, n°01-03402. 492 Ass. Plén, 6 avril 2007, n° 0515950. 493 François CHABAS, op. cit, note 489, p. 82. 494 Civ. 2ème, 29 mars 2012, n°11-16996. 495 Crim, 5 février 2008, n°07-83060. 496 Civ. 2ème, 7 avril 2011, n°10-17096.

497 CRIM., 29 MARS 2006, N°05-82515, OBS. JAMES LANDEL, « LOI DU 5 JUILLET 1985 », RGDA,

N°2006-4, 1ER OCTOBRE 2006, P. 933.

La Cour de cassation a refusé de renvoyer la question au Conseil constitutionnel au motif que la question n’est pas nouvelle et sérieuse car l’article 4 répond à une situation objective particulière dans laquelle se trouvent toutes les victimes conductrices fautives d’accidents de la circulation, et ne permet, en rapport avec l’objet de la loi qui poursuit notamment un but d’intérêt général, de limiter ou d’exclure leur indemnisation que lorsque le juge constate l’existence d’une faute de leur part. Conducteurs et non conducteurs sont placés dans des situations différentes au regard du risque qu’ils portent. L'opposabilité de sa faute au conducteur victime n'a donc pas été jugée susceptible de faire l'objet d'une question au Conseil constitutionnel. A noter que l’article 4 a été également jugé conforme au droit européen499.

Le conducteur est qualifié de victime sacrificielle du compromis entre les assureurs et le législateur : la loi Badinter n’aurait pas vu le jour si cette concession n’avait pas été faite500. La

faute du conducteur au sens de l’article 4 peut être vue comme une double peine, qui s’étend, de surcroît à ses ayants droit501. En effet, l’article 4 ne pénalise pas seulement la victime

directe mais également ses proches car en cas de décès de celle-ci, la faute du conducteur est opposable aux ayants droit ayant subi un préjudice par ricochet502. En outre, les victimes

conductrices ou non conductrices, sont toutes atteintes d’un préjudice de même nature. Traiter différemment des victimes de préjudice corporel apparaît donc discriminatoire. A défaut de supprimer l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985, cette assurance du conducteur peut être rendue obligatoire503. Enfin, il est à noter que selon Geneviève Viney, la référence à la notion de faute

pour réduire ou exclure l’indemnisation du conducteur rend celle-ci aléatoire, le texte ne précisant pas les critères à mettre en œuvre pour procéder respectivement à une exclusion ou à une limitation504.

L’avant projet de réforme du droit des obligations remis par le Président Catala le 22 septembre 2005 propose de supprimer purement et simplement la discrimination entre victimes conductrices et non-conductrices505 506. Cette mesure assurerait une égalité de

traitement des victimes d’accident.

499 CJUE, grande ch., 23 octobre 2012, aff. C-300/10.

500 Philippe BRUN, « Observations sommaires sur la faute du conducteur victime dans la loi du 5 juillet 1985 »,

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