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Les alternatives au procès offertes à l’assureur pour faire valoir la vérité sur la santé de l’assuré

§2 Le secret médical : un droit relatif pour le patient au profit de la bonne fo

Section 2. Les alternatives au procès offertes à l’assureur pour faire valoir la vérité sur la santé de l’assuré

200 - Pour désengorger les tribunaux, éviter l’aléa d’un procès et faire valoir la vérité sur la santé de l’assuré, les assureurs pourraient, sous certaines conditions, recourir à la filature de leur assuré (§1) ou utiliser les réseaux sociaux (§2). Ces méthodes alternatives posent la question de l’effectivité du droit à la protection de la privée de l’assuré.

§1. La filature de l’assuré : une méthode conditionnée

201 - Le principe de bonne foi est de plus en plus protégé. L’assureur peut à présent organiser une filature de son assuré pour s’assurer de la réalité de son préjudice et ce, sans porter atteinte à la vie privée lorsque cette filature est organisée sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, sans provocation aucune à s’y rendre.

L’assureur peut donc faire suivre la victime, violer sa vie privée, pour s’assurer de sa bonne foi, selon un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 31 octobre 2012780. En

l'espèce, la victime d'un accident de la circulation, déjà indemnisée une première fois, prétendait que son état s'était aggravé. Elle obtint la nomination d'un expert, lequel a conclu à la nécessité impérative de l'assistance quasi constante d'une tierce personne. Afin de faire échec à l'action en référé-provision qu'avait intenté la victime, l’assureur avait organisé une filature à l’aide d’un détective et d’un huissier. La victime avait été suivie et filmée et le résultat la montrait dans des situations contredisant formellement le rapport de l'expert : elle conduisait seule un véhicule, assistait à des jeux de boules, s'attablait à un café pour lire le journal tout en discutant avec les consommateurs présents et accompagnait seule des enfants à l'école, sans aucune assistance.

La cour d'appel avait validé ce procédé d'investigation étant donné qu'elle avait reconnu qu'il y avait là l'existence d'une contestation sérieuse faisant obstacle à la demande.

779 Ibid.

Elle a relevé que les atteintes portées à la vie privée de la victime, sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, sans provocation aucune à s’y rendre et relatives à la seule mobilité et à l’autonomie de l’intéressé n’étaient pas disproportionnées au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits de l’assureur. Il y avait bien une atteinte à la vie privée, mais celle-ci n’était pas disproportionnée, tant en raison des circonstances qu’en raison du but poursuivi.

La décision est approuvée par la Cour de cassation.

Il se dégage de cette jurisprudence deux conditions : la filature doit être organisée sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public (I) et la surveillance doit être limitée à la finalité poursuivie (II). En outre, le recours au détective privé n’est pas subsidiaire (III). Cette jurisprudence semble alors privilégier la communauté des assurés, trop souvent oubliée (IV).

I) Une filature devant être organisée sur la voie publique ou dans les lieux

ouverts au public

202 - La première chambre soumet la validité d’une filature au respect de plusieurs conditions, parmi lesquelles le fait qu’elle soit effectuée sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public. Seul le comportement public de la personne peut être surveillé. La surveillance du domicile et des lieux fermés au public est donc exclue.

La première chambre interdit par ailleurs toute provocation, incitation ou stratagème visant à pousser à la faute le « sujet » de la surveillance. L’observation doit être être totalement passive. Il est interdit de recourir à des provocations et stratagèmes, interdiction à laquelle la jurisprudence sociale est attachée.

II) Une surveillance limitée à la finalité poursuivie

203 - La surveillance doit encore être limitée à la finalité poursuivie. En l’espèce, il s’agit de surveiller la mobilité et l’autonomie de l’assuré. On pourrait objecter sur ce point qu’une filature est globale par définition. En effet, il est difficile de sélectionner les informations recueillies. Il est alors nécessaire de circonscrire la surveillance même s’il est difficile de faire le tri des informations car une filature suppose une surveillance de tous les instants.

III) Un recours non subsidiaire au détective privé

204 - La possibilité d’un recours au détective privé n’est pas conditionnée à l’absence d’autre moyen de preuve à disposition de l’assureur. La première chambre n’a pas retenu l’argument invoqué dans le pourvoi selon lequel l’assureur aurait pu avoir recours à d’autres dispositifs moins attentatoires aux libertés, tels qu’une contre-expertise judiciaire. C’est une différence par rapport à la chambre sociale qui impose parfois à l’employeur de démontrer que le dispositif de contrôle qui porte atteinte à la vie privée est le seul à sa disposition.

La surveillance réalisée en présence d’un huissier constitue une garantie importante dans la mesure où il s’agit d’un officier ministériel dont les constatations font foi jusqu’à preuve du contraire et dont les conditions d’exercice sont définies par les dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945, modifiées par la loi du 22 décembre 2010.

IV) Une jurisprudence confirmée et justifiée par la défense des intérêts

d’une communauté et non d’un individu isolé

205 - Dans une décision du 27 mai 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme a validé cette jurisprudence en admettant l’utilisation de vidéos tournées sur la voie publique par un détective privé en vue de démontrer le mensonge de l’assuré qui alléguait être incapable de monter sur une moto depuis son accident781.

Toutefois, la première chambre civile s’écarte de la thèse retenue par la chambre sociale, selon laquelle une filature serait illicite par nature. Dans un arrêt du 26 novembre 2002, la chambre sociale rappelait qu'il résulte des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 120-2 du code du travail qu' :

« une filature organisée par l'employeur pour contrôler et surveiller l'activité d'un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu'elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionnée, par les intérêts légitimes de l’employeur »782.

781 Arrêt de la For Cabrera c. Espagne, CEDH, (3ème Sect.), 27 mai 2014, n° 10764/09.

782 Soc., 2 novembre 2002, n°00-42.401, Bull. civ. V, no 352 ; obs : J. RAVANAS, « La preuve illicite d'une relation défectueuse de travail », D. 2003. Chron. 1305.

La question s’est également posée pour les relations conjugales. Ainsi, l’investigation n’est pas proscrite. Il convient d’apprécier « la durée et la permanence de la filature »783.

En droit des assurances, la reconnaissance de la proportionnalité de la filature semble davantage justifiée par la légitimité des intérêts défendus par l’assureur, l’assureur préservant ses intérêts mais également ceux « de la collectivité des assurés »784. L’intérêt de la mutualité

des assurés est donc pris en compte et jugé digne de protection785. Le rôle social de l’assureur

semble être indirectement reconnu786.

La licéité de la filature est un moyen pour l’assureur de s’assurer de la bonne foi de l’assuré et de garantir les intérêts d’une communauté d’assurés. Elle permet en outre une déjudiciarisation des relations puisque l’assureur pourra faire révéler une partie de la vérité sans avoir à engager un procès tendant à s’assurer du caractère légitime de l’assuré de communiquer des documents couverts par le secret médical.

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