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L’application restrictive de l’exclusion d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré

§1 Les divergences de traitement des victimes (illustrations)

D) L’application restrictive de l’exclusion d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré

153 - La cohérence juridique est, dans certains cas, mise à bas comme en témoigne l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 8 mars 2006 qui impose à l’assureur de prendre en charge des faits intentionnels commis par des personnes dont l’assuré doit répondre583.

En l’espèce, un préposé détourne des fonds versés par le client de son employeur. La victime assigne le commettant en réparation du préjudice subi sur le fondement de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil (désormais 1242 alinéa 5584). Le commettant appelle son assureur en garantie.

La Cour d’appel rejette la demande d’indemnisation dirigée contre l’assureur du commettant au motif que le contrat exclut les détournements commis par l’agent ou son personnel des fonds du mandant auxquels il a accès grâce à un code secret et dont il peut disposer dans le cadre de son activité uniquement pour régler les indemnités dues aux assurés.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel au motif que la clause litigieuse était inopposable en ce qu’elle créait une exclusion indirecte des dommages causés intentionnellement par une personne dont l’assuré était responsable. Dans son attendu de principe, elle énonce ainsi qu’en vertu de l’article L.121-2 du Code des assurances d’ordre public, une clause de la police d’assurance ne saurait exclure directement ou indirectement la garantie de l’assuré déclaré civilement responsable d’une faute intentionnelle de la personne dont il doit répondre.

L’assureur a l’obligation de garantir la faute intentionnelle d’une personne dont l’assuré doit répondre (1) même si cela est contraire à sa volonté (2).

582 Gilbert PARLEANI, RGDA, n°2011-03, 1er juillet 2011, p.851 (obs. CJUE, 1er mars 2011, n°C. 236/09).

583 Civ. 2ème, 8 mars 2006, n°04-17916.

584 Ord. portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 10 février 2016, n° 2016-131.

1 ° La garantie par l’assureur de la faute intentionnelle d’une personne dont l’assuré doit répondre

L’assureur ne doit pas exclure la garantie de l’assuré pour une faute intentionnelle commise par une personne dont il doit répondre (a) qu’elle soit expressément mentionnée dans le contrat ou découle de son contenu (b).

a. L’inopposabilité d’une clause excluant la garantie de l’assuré pour des faits commis intentionnellement par une personne dont il doit répondre

154 - Par l’article L.121 - 2 du Code des assurances, le législateur a voulu permettre à l’assuré de se couvrir tant des conséquences de ses fautes personnelles que de sa faute indirecte provenant du fait d’autrui ou du fait des choses585. Littéralement, la garantie n’est étendue

qu’au fait des personnes dont l’assuré répond dans le cadre de sa responsabilité délictuelle. Cependant, la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que cette garantie doit être également étendue au fait des personnes dont l’assuré est contractuellement responsable car la seule mention de l’article 1384 (désormais 1242) peut s’expliquer par le fait que le concept de responsabilité contractuelle du fait d’autrui n’est pas expressément prévu par le Code civil586.

Après avoir tout d’abord jugé que l’obligation de garantie s’appliquait aux assurances de choses comme aux assurances de responsabilité, la Cour de cassation a finalement opéré un revirement en décidant que les dispositions de l’article L.121 - 2 du Code des assurances n’ont vocation à s’appliquer que si un tiers a été victime du fait d’une personne dont l’assuré est civilement responsable 587. Cette obligation de garantie est donc cantonnée aux assurances de

responsabilité comme c’est le cas en l’espèce.

155 - Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que l’article L.121 – 2 du Code des assurances ne permet pas d’exclure une faute intentionnelle commise par une personne dont l’assuré doit répondre. Rappelons que la Cour de cassation a une conception particulièrement restrictive de la faute intentionnelle puisqu’il s’agit du cas dans lequel l’assuré a voulu non seulement l’action ou l’omission génératrice du dommage, mais encore le dommage qui en est

585 Jérôme KULLMANN (dir.), Lamy Assurances, Lamy, 2016, n°228 (version électronique). 586 Ibidem.

résulté588. La garantie de la faute intentionnelle, rappelée en l’espèce, n’est pas en

contradiction avec le principe de prohibition de l’assurance de la faute intentionnelle ou dolosive édicté par l’article L.113-1 alinéa 2 du Code des assurances dans la mesure où le bénéficiaire de la garantie n’est pas l’auteur de la faute. Néanmoins, une telle solution rompt avec le principe du parallélisme, dégagé par H. Groutel, qui veut que la même garantie du dommage soit due, qu’elle émane du fait personnel de l’assuré ou du fait d’autrui589.

b. L’extension de l’inopposabilité aux exclusions indirectes

156 - Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle qu’une clause de police d’assurance ne saurait exclure indirectement ou directement la garantie de l’assuré déclaré civilement responsable d’une personne dont il doit répondre. La formule de l’arrêt est très large. Les exclusions directes désignent toute exclusion expresse de la faute intentionnelle de la personne dont l’assuré est civilement responsable. Les exclusions indirectes désignent quant à elles le jeu des clauses qui peut aboutir à exclure la garantie de la faute intentionnelle des personnes dont l’assuré est civilement responsable590.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a tout d’abord admis que, dès lors que le contrat ne garantissait que la responsabilité encourue pour des accidents causés aux tiers, l’assureur n’avait pas à garantir les dommages causés intentionnellement par les personnes dont l’assuré doit répondre591592. Une telle solution conduit à exclure la garantie du fait intentionnel et

heurte l’article L.121 – 2 du Code des assurances593. La première chambre civile de la Cour de

cassation a donc modifié sa jurisprudence par un arrêt du 12 mars 1991594595. Elle a ainsi

décidé que la clause d’un contrat « Responsabilité chef de famille » qui limitait la garantie aux accidents était contraire à l’article L121 -2 du Code des assurances en ce qu’elle écartait de la couverture les dommages commis volontairement par le mineur. Néanmoins, dans un arrêt du 13 janvier 2004, la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé, au contraire, que l’exclusion de la garantie en cas de participation à une rixe reste valable même lorsque l’auteur

588 Civ. 2ème, 23 septembre 2004, n° 03-14389

589 HUBERT GROUTEL, « DROIT DES ASSURANCES TERRESTRE », D., 2008, P. 120.

590 CIV. 2ÈME, 8 MARS 2006, N° 04-17916 ET N°04-18383, OBS. LUC MAYAUX, RGDA, N°2006-2, 1ER AVRIL 2006, P. 529.

591 Civ. 1ère, 3 juin 1986, n°85-10546.

592 Hubert GROUTEL, op. cit., note 589 p. 98. 593 Ibidem.

594 Ibid.

de la rixe est l’enfant mineur de l’assuré, dans la mesure où cette exclusion est indépendante de la nature de la faute commise596597. L’arrêt étudié du 8 mars 2006 revient sur la position

adoptée le 12 mars 1991 par la première chambre civile de la Cour de cassation dans la mesure où l’exclusion des détournements revient à exclure toute faute intentionnelle. La Haute juridiction prohibe donc tout contenu qui revient indirectement à exclure de la garantie la faute intentionnelle commise par la personne dont l’assuré doit répondre. L’article L.121 – 2 du Code des assurances est d’une telle puissance qu’il emporte tout sur son passage598. Cette

solution est très sévère pour l’assureur qui ne pourra même pas exercer de recours contre les personnes dont l’assuré doit répondre, une fois la victime indemnisée, sauf en de rares hypothèses.

2 ° La restriction de la liberté d’entreprendre de l’assureur

L’obligation pour l’assureur de garantir des faits qu’il n’aurait pas couverts de son propre chef restreint sa liberté d’agir (a) mais se justifie par le rôle social que les juridictions tendent à lui accorder (b)

a. La liberté d’entreprendre de l’assureur réduite comme peau de chagrin

157 - La Cour de cassation rappelle que l’article L.121 – 2 du code des assurances est d’ordre public. Autrement dit, aucune disposition contractuelle ne doit y déroger sous peine d’inopposabilité. En conséquence, les clauses excluant ou limitant la garantie de l’assureur en raison des fautes des personnes dont l’assuré doit répondre sont réputées non écrites599. Selon

certains auteurs, la liberté contractuelle est maintenue puisque l’article L.121 – 2 du Code des assurances n’interdit pas aux parties de limites les conditions objectives du risque garanti600601.

Pourtant, l’inopposabilité des exclusions directes comme indirectes réduit comme peau de chagrin les exclusions dont peut se prévaloir l’assureur en présence d’un fait intentionnel commis par une personne dont l’assuré doit répondre.

596 Civ. 1ère 13 janvier 2004, n° 02-13303. 597 Luc MAYAUX, op. cit., note 590, p. 98.

598 M. PÉRIER, Gaz. Pal., n°266, 23 septembre 2006, p.13 (obs. Civ. 2ème, 8 mars 2006, n°04-17916). 599 Civ., 23 juin 1942, D. 1942, jurispr. p.151.

600 Civ., 12 novembre 1940 : JCP G 1941, II, 1640 ; DA 1941, jurispr. p.3. 601 M. PÉRIER, op. cit., note 598, p. 99.

158 - L’amenuisement des exclusions opposables ne permet plus aux assureurs d’être maîtres du contenu assurable. Cette paralysie restreint la liberté contractuelle qui découle du respect de la liberté d’entreprendre, principe constitutionnalisé dans une décision du Conseil constitutionnel le 16 janvier 1982602603. La fiction égalitaire des cocontractants est donc

écartée en droit des assurances où la protection des victimes prime sur la liberté des individus604. Cette obligation pour l’assureur de couvrir des risques qu’il n’aurait pas garantis

est une technique très répandue en droit des assurances605606. Ainsi, les contrats multirisques

habitation garantissent nécessairement les dommages matériels causés par des catastrophes naturelles.

b. La restriction de la liberté d’entreprendre justifiée par le rôle social de l’assureur

159 - L’arrêt étudié témoigne de la volonté de la Cour de cassation de corriger le déséquilibre économique qui existe entre l’assuré et l’assureur. Cette solution est incontestablement un gage d’indemnisation rapide des victimes et les obligations de garantie imposées aux assureurs répondent souvent à cette finalité607. En effet, ce sont les indemnisations versées par l’État de

1990 à 2004, dont 7 milliards pour celles concernant la tempête de 1999, et les suites de l’explosion de l’usine AZF le 21 septembre 2001 qui ont conduit l’État à se désengager en imposant aux assurances de couvrir ce type de risque. L’assurance tend ainsi à palier les limites du système français d’indemnisation et, partant, à réduire le déficit public608. Elle

apparaît donc comme un phénomène de civilisation qui joue un rôle économique mais aussi social609610. Pourtant, il ne doit pas être perdu de vue qu’elle est aussi et avant tout un

opérateur privé dont la viabilité repose sur les bénéfices. Or, la prise en charge de certains risques sans adéquation avec la prime sollicitée menace la solvabilité des compagnies

602 Jean-Jacques ISRAEL, Droit des Libertés Fondamentales, L.G.D.J., p. 533 et 534. 603 Cf. Infra, n° 388 .

604 F. LESAGE, « La place du droit commun des contrats et du droit des assurances dans les assurances

obligatoires », RGDA, 1er octobre 2001, P. 875.

605 Aurélien THIBAULT LEMASSON, « Réflexion générale sur le droit commun de l'assurance obligatoire »,

RGDA, n°2011-02, 1er avril 2011, p.423. 606 Cf. Infra, n° 447 à 449 .

607 Christophe GUETTIER, « Indemnisation des victimes de catastrophes naturelles et socialisation du risque »

RGDA, n°1997-3, 1er juillet 1997, p. 671. 608 Ibidem.

609 Aurélien THIBAULT LEMASSON, op. cit., note 605, p. 1OO. 610 Cf. Infra, n° 402 et suiv..

d’assurance611. En outre, les majorations tarifaires, lorsqu’elles sont possibles, peuvent écarter,

de fait, certains candidats à l’assurance, réduisant la protection accordée aux victimes. La restriction de la liberté contractuelle est donc susceptible d’avoir l’effet inverse du résultat escompté.

VI) L’absence de garantie d’indemnisation en l’absence de tiers responsable

160 - La réparation des victimes d’accident de la vie, sans tiers responsable est aléatoire. En effet, ces dernières ne verront leur préjudice réparé que sous la condition d’avoir souscrit un contrat Garantie accident de la vie. Or, chaque année, 11 millions de Français sont victimes d’un accident de la vie quotidienne612 et la prise en charge de la dépendance est limitée,

notamment pour ce qui concerne les dépenses de logement613.

Le label « Garantie des Accidents de la Vie », créée par les assureurs, prévoit des garanties de base614. Ainsi, la garantie accident de la vie (GAV) prévoit que les assureurs couvrent au

minimum l'incapacité permanente, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément et les

souffrances endurées, dès lors que l'incapacité permanente imputable directement à l'accident est au moins égale à 30%. Le plafond de garantie ne peut être inférieur à 1 million d'euros par victime. Le contrat garantie accident de la vie labellisé indemnise au moins certains postes de préjudice lorsqu'ils sont reconnus comme imputables à l'événement garanti, à savoir les frais de logement adapté (FLA), les frais de véhicule adapté (FVA), l'assistance permanente par une tierce personne (ATP), les pertes de gains professionnels futurs (PGPF), le déficit fonctionnel permanent (DFP), les souffrances endurées (SE), le préjudice esthétique permanent (PEP) et le préjudice d'agrément (PA). En cas de décès d'un assuré, les préjudices économiques et moraux subis par les bénéficiaires sont indemnisés. La garantie accident de la vie prend en charge les frais d'obsèques (FO), le préjudice d’affection (PAF), les pertes de revenus des proches (PR) et les frais divers des proches (FD)615.

611 Christophe GEUTTIER, op. cit., note 607, p. 100.

612 INC, Comm. de la sécurité des consommateurs, Prévention MACIF, Livre blanc Prévenir les accidents de la

vie courante, INC, Septembre 2008, p.2.

613 A noter qu’au Danemark, la commune doit procéder aux aménagements du domicile de la personne dépendante ou proposer un autre logement adapté : Alain VILLEMEUR, « Une vieillesse heureuse : vers une géronto-économie », Risques, n°87, Septembre 2011, p. 87.

614 FFA, « La Garantie des accidents de la vie », 01 février 2016, p. consultée le 1er mars 2016

[http://www.ffa-assurance.fr/content/la-garantie-des-accidents-de-la-vie-gav?parent=74&lastChecked=125]. 615 Ibidem.

Des contrats offrent des garanties plus larges en intervenant par exemple en cas d’invalidité inférieure à 30 % (taux minimal prévu par le contrat de base) ou en prévoyant des plafonds de garantie supérieurs à un million d'euros par victime616.

La Garantie des Accidents de la Vie couvre les accidents survenus pendant la période de validité du contrat en France métropolitaine, dans les départements et régions d’Outre-mer – Collectivités d’Outre-Mer, dans les principautés d’Andorre et de Monaco ainsi que dans les pays membres de l’Union européenne, en Suisse, en Islande, au Liechtenstein, à San Marin, au Vatican et en Norvège617. La Garantie des Accidents de la Vie couvre également les accidents

survenus dans le reste du monde lors de voyages et de séjours n’excédant pas une durée continue de trois mois618.

VII) L’inégalité découlant de la divergence des procédures d’indemnisation

Les victimes d’un accident de la circulation (A) et d’un accident médical grave (B) bénéficient d’une certaine rapidité d’indemnisation de leur préjudice contrairement aux autres victimes d’accident (C).

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