• Aucun résultat trouvé

La place prépondérante de l’actionnaire dirigeant

PETITES ENTREPRISES

2.1 La place prépondérante de l’actionnaire dirigeant

Le cumul des fonctions d’actionnaire et de dirigeant par un seul individu, véritable « homme d’orchestre » se situant au cœur des réseaux relationnels de la firme est une caractéristique que nous retrouvons de manière récurrente dans les TPE. Alphonse & al. (2004) montrent, sur un échantillon de PME américaines, que le principal actionnaire détient en moyenne 60% des parts de l’entreprise. Ils notent également que 70% des firmes apparaissent comme contrôlées par une seule famille (parts réparties entre les différents membres), ces entreprises familiales étant généralement les plus petites. Ces résultats sont également approuvés en Europe. A titre d’exemple, plus de 80% des PME belges ont pour actionnaire majoritaire le dirigeant et sa famille (Wtterwulghe et al., 1994), et 54% des dirigeants de PME maîtrisent la majorité du capital de leur firme (Ducheneaut, 1996). Une des hypothèses majeures de la Pecking Order

Theory suppose que le dirigeant agit toujours dans l’intérêt des actionnaires existants. Celle-ci

est difficilement réfutable dans le cadre de la TPE puisque, dans la plus grande majorité des cas, le dirigeant est également l’actionnaire existant.

Bien que cette place prépondérante de l’actionnaire-dirigeant puisse constituer une force pour la firme par l’intermédiaire d’un certain « leadership », elle provoque également certains risques d’exploitation pour la TPE, qui peuvent avoir des conséquences sur le coût et la disponibilité des financements externes. En effet, la pérennité de la firme ne tient qu’à la pérennité de cet individu (ou d’un nombre restreint d’individu), qui assure seul l’administration de l’entreprise. Ce rôle central peut entraîner des difficultés, notamment pour la gestion de l’entreprise puisque rien ne permet d’affirmer que le dirigeant sache, au moment opportun, effectuer un véritable management, ou encore déléguer ses responsabilités à un personnel efficace. D’ailleurs, il se peut que les compétences financières, organisationnelles et stratégiques ne soient pas considérées par l’actionnaire-dirigeant comme des compétences prioritaires dans le management de la petite firme. En effet, le dirigeant est souvent spécialisé dans une fonction particulière de la firme et accorde donc moins d’intérêts et/ou fait preuve d’inaptitude envers les autres aspects de l’organisation (Scherr et al., 1993). Cela se traduit par une réelle incertitude sur les capacités du dirigeant à gérer correctement sa firme. Cressy

(1996), sur la base d’une étude empirique menée au Royaume-Uni, affecte d’ailleurs de nombreuses défaillances de petites entreprises à un défaut managérial.

De plus, contrairement aux grandes entreprises, les objectifs des TPE se réduisent souvent à ceux de leur propriétaire-dirigeant, ce qui peut engendrer une prise de décision plutôt orientée vers la poursuite d’objectifs personnels tels que la maximisation du patrimoine personnel ou familial plutôt que vers la maximisation de la valeur de la firme (DeAngelo & DeAngelo, 2000). L’actionnaire-dirigeant peut chercher à maximiser ses valeurs personnelles ou familiales en s’appropriant certaines richesses telles que les rémunérations généreuses, certains avantages « en nature », des dividendes extraordinaires…. Ceci est d’autant plus facile que la concentration de la propriété et de la direction de l’entreprise en une seule main génère une certaine proximité entre le patrimoine familial et celui de l’entreprise. De la même manière, les considérations de fiscalité personnelle des actionnaires-dirigeants, de contrôle, d’indépendance, de transmission familiale du patrimoine ou même d’implication dans l’activité, ou encore de réalisation personnelle ont, en général, une grande importance dans ces très petites firmes. Il est également concevable que des objectifs tels que la survie de l’entreprise dominent l’objectif de création de valeur. Fama & Jensen (1985) ont d’ailleurs montré que les actionnaires dont la richesse est peu diversifiée peuvent prendre des décisions différentes de celles d’actionnaires au capital diversifié. L’ensemble de ces risques peut provoquer des problèmes d’asymétrie d’information, de sélection adverse et d’aléas moral26 qui auront un impact à la fois sur le coût et sur la disponibilité des sources de financement externe offertes aux TPE.

Par ailleurs, le profil de cet actionnaire dirigeant est loin d’être homogène, ce qui accentue davantage la difficulté de l’investisseur externe. Alors qu’une partie d’entre eux a pour objectif de créer sa propre activité, une autre partie, moins importante27, a une logique entrepreneuriale et développe, à plus ou moins long terme, une activité créatrice de richesse et d’emploi. Les caractéristiques de l’actionnaire dirigeant ont une certaine influence sur la pérennité de l’entreprise. En effet, le taux de mortalité à cinq ans de l’entreprise est légèrement supérieur lorsque l’actionnaire dirigeant a moins de 25 ans, lorsqu’il est une femme, ou lorsqu’il est chômeur. De même, le montant de l’apport initial et le niveau de

26 Les problèmes liés à l’asymétrie d’information seront développés plus amplement dans le point suivant. 27

Taille de l’entreprise et structure financière

82

qualification du créateur ont un impact sur le taux de survie de la firme. Il existe également d’assez fortes disparités régionales, les créations d’entreprises dans la métropole étant plus pérennes que celles dans les DOM. Cette hétérogénéité entre les dirigeants accentue le degré d’incertitude auquel doivent faire face les investisseurs externes.

Les risques d’exploitation induits par cette place prépondérante de l’actionnaire-dirigeant peuvent amener les TPE à subir certaines difficultés ou restrictions de financement externe, ces dernières étant principalement liées à la forte asymétrie d’information existante dans ce type de firme. Nous montrerons plus précisément dans le point suivant que l’asymétrie informationnelle peut avoir un impact sur le coût et la disponibilité du financement externe et permet en partie de justifier la préférence de l’actionnaire-dirigeant pour le financement interne.

Enfin, l’actionnaire-dirigeant va chercher à conserver la propriété et le pouvoir de décision et évitera, dans la mesure du possible, la dilution du capital. L’ouverture du capital, qu’elle soit à destination de nouveaux actionnaires ou d’actionnaires existants dont la volonté serait d’augmenter leur poids dans la firme, apparaît comme une exception puisqu’elle contraint l’actionnaire-dirigeant à perdre une partie de son indépendance et du contrôle de sa firme. Ce dernier peut préférer ne pas lancer un projet d’investissement qui semble rentable plutôt que d’obtenir une source de financement externe qui diluerait le contrôle et/ou l’actionnariat de l’entreprise et mettrait en péril son autonomie ou son indépendance. De plus, ces ouvertures de capital sont moins accessibles que dans les grandes firmes car les TPE sont rarement cotées sur les marchés financiers. Et bien qu’il ne soit pas rare dans ce type de firme de réaliser les émissions d’actions en cercle familial ou amical fermé, celles-ci restent fortement limitées, à la fois en termes de fréquence et de valeur. Par conséquent, il apparait très probable que l’émission d’actions ne soit utilisée qu’en dernier recours dans les TPE, et principalement dans les firmes en forte croissance. Une étude de Alphonse & al. (2004) sur des PME américaines confirme ceci en montrant que sur 54 cas d’augmentation de capital, 50 sont faites par les actionnaires déjà présents dans l’entreprise et 3 seulement par des businesses angels. Ang (1991) intègre ce concept et propose une hiérarchie adaptée aux petites entreprises dans laquelle il remplace l’émission d’actions par l’apport de fonds du propriétaire dirigeant. Le classement de ces trois sources devient autofinancement, puis apports de fonds

du propriétaire dirigeant et enfin endettement. En effet, les fonds provenant de l’entrepreneur ne sont pas soumis à l’asymétrie d’information, et sont donc préférés au financement externe des créanciers. Néanmoins, ces investissements sont difficilement quantifiables, soit en raison de la confusion entre le patrimoine de l’entreprise et celui du dirigeant, soit parce qu’ils sont « implicites », tels que par exemple, les rémunérations réduites ou les surinvestissements en temps du propriétaire-dirigeant.

Ces considérations, et notamment l’identification du patrimoine personnel à celui de l’entreprise, la volonté d’autonomie et d’indépendance, et les risques d’exploitation liés à la place prépondérante de l’actionnaire-dirigeant nous amènent à penser que le financement préféré des TPE sera l’autofinancement et que l’émission d’actions à destination de nouveaux actionnaires ne sera utilisée qu’en dernier recourt. D’ailleurs, Wtterwulghe & al. (1994)28, ainsi que Janssen & Wtterwulghe (1998) montrent que les objectifs du propriétaire-dirigeant conditionnent le financement des petites entreprises en hiérarchisant les sources de financement tel que dans le modèle hiérarchique. Aux arguments présentés ci-dessus, ils ajoutent la flexibilité de l’autofinancement, les coûts d’agence ainsi que des motifs d’ordre fiscaux, pour justifier la préférence pour le financement interne, ce dernier comprenant également le patrimoine familial. Nous allons maintenant aborder une seconde spécificité des TPE, l’asymétrie d’information, qui a également un impact important sur la manière dont ces firmes se financent.

28 Sur la base d’un questionnaire envoyé à 112 administrateurs-délégués de PME belges (qui étaient, pour la

plupart, les propriétaires-dirigeants) de taille assez conséquente, les auteurs concluent que 66% des dirigeants interrogés recourent prioritairement à l’autofinancement.

Taille de l’entreprise et structure financière

84