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La perte d’attrait de la nationalité suisse

« nationalité » au niveau régional

C. La perte d’attrait de la nationalité suisse

206. Il ressort des statistiques annuelles du taux de naturalisations qu’en 2003, sur un total de 27'008 naturalisations ordinaires, seules 6'976 demandes parvenaient de ressortissants communautaires708, sur une population de 830'486 personnes originaires de l’Union résidant de manière permanente en Suisse. A l’inverse, les naturalisations ordinaires des ressortissants de pays tiers, c’est-à-dire les autres pays européens, l’Afrique, l’Amérique, l’Asie et l’Océanie, ont été beaucoup plus nombreuses, soit de l’ordre de 20'032 naturalisations, sur une population de 637'547 personnes.

207. Au vu de toutes les prérogatives rattachées à la citoyenneté de l’Union, il n’est guère étonnant que, pour les ressortissants communautaires, l’acquisition de la nationalité suisse perde de son attrait. Ceux-ci bénéficient, grâce à la conclusion des accords bilatéraux, de la libre circulation sur l’ensemble du territoire helvétique, ce qui implique un droit à l’obtention de l’autorisation de séjour. Ils bénéficient d’une égalité de traitement par rapport aux Suisses quant à l’accès au marché du travail, aux conditions de vie et d’emploi. Au vu de tous ces avantages, pour quelle raison voudraient-ils s’embarrasser de démarches longues et compliquées pour obtenir une nationalité qui ne leur apporterait, économiquement parlant709, guère plus que ce

703 Art. 7 let. b ALCP. Sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre, de sécurité et de santé publics, voir FF 1999 5440, p. 5617.

704 Art. 6 § 4, 12 § 4, 20 § 3, 24 § 7 Annexe I ALCP. Voir aussi les art. 8, 14, 30, 34 Annexe I ALCP.

705 Art. 24 a. 1 Cst.

706 NGUYENMINHSON,Accord, p. 135.

707 NGUYENMINHSON,Accord, p. 136.

708 Puisqu’en 2003 l’Union n’était composée que de quinze Etats membres, les dix nouveaux Etats n’ont pas été pris en considération et ont été inclus dans les pays tiers. Voir note n° 675.

709 Il va de soi que pour les personnes qui sont de longue date en Suisse, un autre facteur vient contrecarrer l’argument économique : celui des sentiments. En effet, l’étranger qui a vécu longtemps en Suisse, voire qui y est né, désirera, pour des raisons d’attachement à la Suisse, se faire naturaliser. Il ne s’agit cependant pas de la majorité de la population communautaire. Sur la dimension psychologique de la nationalité, voir KOTALAKIDISNIKOLAOS, p. 43ss.

Chapitre 6 La citoyenneté de l’Union ou la « nationalité » au niveau régional

qu’ils n’ont déjà710? Il faut en conséquence admettre que les ressortissants communautaires n’ont pas un grand intérêt à demander la nationalité suisse, d’où une certaine perte d’attrait de celle-ci711.

208. Cette situation est d’autant plus vraie que les étrangers bénéficient toujours davantage des droits politiques en Suisse. Compte tenu de la structure fédérale de la Suisse, les droits politiques, c’est-à-dire le droit de signer, d’élire et de voter, s’exercent aux trois niveaux de l’Etat fédéral. Au plan fédéral, la Constitution réserve explicitement l’exercice des droits politiques aux seuls Suisses712. Aux plans cantonal et communal, ce sont les cantons qui sont chargés de mettre en œuvre les droits politiques713, dans les limites du droit fédéral714. Dès lors, chaque canton définit lui-même le cercle des personnes auxquelles il accorde les droits politiques715, de sorte qu’un canton peut les conférer également aux étrangers716. Tel est en particulier le cas dans les cantons du Jura717et de Neuchâtel718. Il convient toutefois de préciser que les droits politiques accordés dans le premier ne concernent pas les modifications constitutionnelles719et ceux dans le second excluent l’éligibilité des étrangers720. 209. Au niveau communal, davantage de cantons ont conféré les droits politiques aux étrangers. Il en va ainsi dans les cantons de Genève721, de Vaud722, de Fribourg723, du Jura724 ou encore de Neuchâtel725; dans les cantons d’Appenzell

710 WICKERHANS-RUDOLF, p. 198.

711 Voir WICKERHANS-RUDOLF, p. 198s, qui relève que la situation est totalement différente pour les ressortissants de pays tiers, qui n’ont en principe pas de certitudes quant au renouvellement de leur titre de séjour et dont le retour dans leur pays d’origine peut s’avérer, pour différentes raisons, particulièrement difficile.

712 Art. 136 al. 1 Cst. Par ailleurs, l’octroi des droits politiques aux étrangers au niveau fédéral n’est aucunement à l’ordre du jour, voir GRISELETIENNE,Etrangers, p. 76, p. 80 ; HEUSSERPIERRE, p. 47 ; MAHONPASCAL/PULVER BERNHARD, p. 199s ; NGUYENMINHSON,Etrangers, p. 702.

713 Art. 39 al. 1 Cst.

714 Art. 39 al. 2 à 4 Cst. Relevons que, selon un avis de droit de la Direction du droit international public, l’exercice du droit de vote et d’éligibilité par les membres des missions diplomatiques, des missions permanentes ou des postes consulaires serait contraire au droit international public, en particulier à l’interdiction qui leur est faite de s’immiscer dans les affaires de l’Etat accréditaire ou de résidence (JAAC 2004 [68] n° 139, p. 1788, p. 1793).

715 AUERANDREAS/MALINVERNIGIORGIO/HOTTELIERMICHEL,Volume I, n° 202, p. 68 ; MARTENETVINCENT,Autonomie, p. 321.

716 MARTENETVINCENT,Autonomie, p. 322.

717 Art. 73 Cst./JU ; art. 3 al. 1 loi sur les droits politiques, du 26 octobre 1978 (RS/JU 161.1). Voir GRISEL ETIENNE,Etrangers, p. 77ss.

718 Art. 37 al. 1 let. c Cst./NE ; art. 2 let. c loi sur les droits politiques, du 17 octobre 1984 (RS/NE 141). Voir le Message du Conseil fédéral concernant la garantie de la Constitution du canton de Neuchâtel, du 11 avril 2001 (FF 2001 2355).

719 A noter que dans le canton du Jura, les étrangers ne participent aux votations que si elles ne touchent pas la matière constitutionnelle (art. 77 Cst./JU ; art. 3 al. 2 loi sur les droits politiques, du 26 octobre 1978 [RS/JU 161.1]).

720 Art. 39 al. 2, 47 Cst./NE ; art. 31 loi sur les droits politiques, du 17 octobre 1984 (RS/NE 141). MAHON PASCAL/PULVERBERNHARD, p. 219.

721 Art. 42 al. 1 Cst./GE.

722 Art. 142 al. 1 let. b Cst./VD.

723 Art. 48 al. 1 let. b Cst./FR.

Rhodes-Extérieures et des Grisons, le droit cantonal permet aux communes de conférer les droits politiques aux étrangers726. S’agissant des attributions des étrangers dans les communes des cantons précités, elles sont en principe également limitées, dans la mesure où, le plus souvent, les étrangers ne bénéficient que du droit de vote et d’élection de leurs représentants, mais non d’éligibilité727.

210. Il est vrai que la question des droits politiques des étrangers demeure, en Suisse, encore très sensible et éminemment politique728. En effet, la Suisse a beaucoup de peine à opérer la dissociation entre citoyenneté et nationalité729, contrairement à l’Union européenne, puisque les citoyens de l’Union bénéficient des droits politiques, certes encore embryonnaires, dans l’Etat membre de résidence730. Ce nonobstant, les cantons sont toujours moins réticents à conférer les droits politiques aux étrangers qui séjournent depuis un certain nombre d’années sur leur territoire, de sorte que l’obtention de la nationalité n’en devient que moins attractive, même si son contenu ne s’épuise aucunement dans l’octroi des droits politiques.

724 Art. 73 Cst./JU ; art. 3 al. 3 loi sur les droits politiques, du 26 octobre 1978 [RS/JU 161.1]

725 Art. 3 let. c loi sur les droits politiques, du 17 octobre 1984 (RS/NE 141).

726 Art. 105 al. 2 Constitution du canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures, du 30 avril 1995 (RS 131.224.1) ; art.

9 al. 4 Constitution du canton des Grisons, du 14 septembre 2003 (RS 131.226). AUERANDREAS/MALINVERNI GIORGIO/HOTTELIERMICHEL, n° 253, p. 88 ; HEUSSERPIERRE, p. 65 ; NGUYENMINHSON, Etrangers, p. 704s ; WENGERDAVIDR.,Ausländerstimmrecht, p. 1188.

727 Dans le canton deNeuchâtel, les étrangers ne sont pas éligibles au niveau communal (art. 31 al. 1 LDP/NE), de même que dans le canton deFribourg (art. 48 al. 1 let. b Cst./FR) et de Genève (art. 42 al. 1 Cst./GE).

En revanche, dans le canton deVaud, les étrangers détiennent non seulement la compétence de participer aux élections et votations, mais également de se faire élire. Ainsi, en date du 8 février 2004, pour la première fois en Suisse, un étranger a été élu à l’exécutif d’une commune (Thioleyres, VD). Dans le canton duJura, les étrangers sont éligibles au sein des conseils de ville et des conseils généraux (art. 6 al. 5 LDP/JU). Voir MAHONPASCAL/PULVERBERNHARD, p. 202 ; NGUYENMINHSON,Etrangers, p. 704 ; THÜRERDANIEL, Droit de vote, p. 222ss.

728 MAHONPASCAL/PULVERBERNHARD, p. 232 ; WENGERDAVIDR.,Ausländerstimmrecht, p. 1187s.

729 MAHONPASCAL/PULVERBERNHARD, p. 220s, p. 225ss ; WENGERDAVIDR.,Ausländerstimmrecht, p. 1187.

730 HANGARTNERYVO,Bürgerrecht, p. 697 ; MADIOTYVES, p. 18 ; MAHONPASCAL/PULVERBERNHARD, p. 221ss.