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L’élargissement de la notion d’« apatridie » ?

L’évolution de la répartition des compétences en droit de la nationalité

Chapitre 4 La révision du droit de la filiation

C. L’élargissement de la notion d’« apatridie » ?

386. L’un des buts de la législation suisse en matière de nationalité étant la lutte contre l’apatridie, il était normal que la loi sur la nationalité de 1952 prévoie que

« l’enfant légitime d’un père étranger et d’une mère suisse acquiert dès sa naissance […] la nationalité suisse, lorsqu’il ne peut acquérir une autre nationalité dès sa naissance »1255.

387. La notion d’apatridie avait déjà, lors des débats aux Chambres, porté à controverse1256: fallait-il limiter l’apatridie à sa notion juridique, c’est-à-dire lorsque l’étranger ne possédait, endroit, plus aucune nationalité1257, ou, au contraire, l’élargir à celle defait, soit celle survenant lors de l’absence de papiers de légitimation ou lors de la rupture des relations avec l’ancien pays d’origine sans perte formelle de la nationalité ? La solution retenue était la prise en compte de la seule apatridie juridique, dans la mesure où il était impossible de trouver une définition claire et précise de l’apatridie de fait1258. Le Tribunal fédéral avait cependant déjà élargi la notion d’apatridie contenue à l’art. 5 al. 1 LN en admettant que cet article trouvait application même si ses conditions objectives n’étaient pas remplies, lorsque la situation de l’enfant correspondait à celle d’un enfant qui ne pouvait acquérir une autre nationalité dès sa naissance1259.

388. Lors de la révision du droit de la filiation, les autorités fédérales ont cependant choisi le statu quo en continuant de laisser le soin à la jurisprudence d’établir l’égalité de traitement entre apatridie juridique et de fait1260.

389. Par conséquent, l’élargissement des compétences fédérales a bien eu lieu, mais, cette fois encore, non pas par le législateur mais par le Tribunal fédéral, moyen détourné pour ne pas alarmer les cantons et s’attribuer encore une compétence.

1253 Art. 15 al. 2, 27 al. 1, 58 al. 1 et 2 LN.

1254 ATF 105 Ib 49 = JT 1981 I 186Cicciarelli, cons. 3c et 5a. BO CN 1979, p. 1479, p. 1481. voir supra n° 349.

1255 Art. 5 al. 1 LN de 1952. Si le père devenait apatride après la naissance de l’enfant, alors ce dernier n’acquérait pas automatiquement la nationalité de sa mère mais devait passer par la procédure de naturalisation facilitée selon l’art. 28 al. 1 let. b LN, voir WIEDERKEHREVELYNBEATRICE, p. 73.

1256 Bull. stén. CN 1951, p. 765.

1257 Par le fait de la disparition d’un Etat ou du retrait officiel de la nationalité, GRISELETIENNE,Art. 44 Cst., p. 11.

1258 Bull. stén. CN 1951, p. 765. FF 1974 II 1, p. 113.

1259 ATF 98 Ib 81Département fédéral de justice et police, cons. 2 et 3.

1260 FF 1974 II 1, p. 113. Art. 5 al. 1 let. b LN.

Chapitre 5 Le remaniement de l’art. 44 Cst. 1874

390. Trois étapes importantes concernant le droit de la nationalité dans la Constitution fédérale méritent d’être analysées : la révision de 1983 (infraI), celle de 1999, qui avait pour ambition de reformuler la Constitution dans son intégralité (infra II), et, enfin, celle de 2003 (infraIII).

I. La révision de 1983

391. L’art. 44 Cst. 1874 méritait un remaniement, notamment dans le but de supprimer l’incorporation jure soli, devenue totalement obsolète (infra C). Mais la révision de cet article visait aussi à ce que la loi sur la nationalité puisse enfin se fonder sur une seule disposition constitutionnelle en déterminant précisément les compétences exclusives de la Confédération des cas d’acquisition et de perte de la nationalité (infraA). Du même coup, il était opportun de reformuler l’art. 44 al. 2 qui, dans sa teneur de 1928, était vague et sujet à interprétation (infraB).

A. Art. 44 al. 1 Cst. 1874

392. En prévoyant que la Confédération règle l’acquisition et la perte du droit de cité par filiation, mariage et adoption, la Confédération n’a fait que confirmer le domaine d’action qu’elle détenait déjà auparavant, en vertu de l’art. 64 al. 2 Cst.

18741261, soit par la survenance d’événements de la vie familiale1262, tant en ce qui concerne la nationalité suisse que le simple changement des droits de cité cantonaux et communaux1263.

393. L’énumération faite par cet article est exhaustive1264, c’est-à-dire que le domaine d’intervention de la Confédération doit se limiter aux cas de la filiation, du mariage et de l’adoption1265. L’on peut néanmoins se poser la question de savoir si la Confédération devrait recevoir une compétence expresse pour attacher des effets du droit de la nationalité à un nouveau statut, comme le partenariat enregistré pour les

1261 Voirsupra Chapitre 2, section III. Puisque l’art. 44 Cst. 1874 énumère exhaustivement les événements de la vie familiale pouvant avoir un effet sur le droit de cité, l’art. 64 al. 2 Cst. 1874 devient sans objet et la loi sur la nationalité, ainsi que les dispositions pertinentes du Code civil, ne se fondent plus sur cet article, mais uniquement sur le nouvel art. 44 al. 1 Cst. 1874, démontrant le caractère de droit public du droit de cité en général (FF 1982 II 137, p. 154). Voir GRISELETIENNE,Art. 44 Cst., p. 11.

1262 La filiation, le mariage et l’adoption. BO CN 1983, p. 45, p. 58.

1263 FF 1982 II 137, p. 153. BO CN 1983, p. 58.

1264 La Confédération dispose donc d’une compétence complète, voir GRISELETIENNE,Art. 44 Cst., p. 11s.

1265 GRISELETIENNE,Art. 44 Cst., p. 12.

couples de même sexe. Dans ce cas, la notion de mariage pourrait être interprétée de manière à englober le partenariat1266.

394. La compétence fédérale en matière de filiation permet à la Confédération de traiter de façon identique la transmission de la nationalité selon le sexe du parent suisse1267. Pour ce qui est du mariage, la Confédération peut lui attacher des effets de droit de la nationalité ou pas1268. La question se pose cependant de savoir pourquoi, dans la disposition constitutionnelle, a été introduit le terme « adoption », alors que, depuis la révision du droit de l’adoption de 1972, le lien crée par cette dernière équivaut en droit à celui établi par la filiation1269. La raison d’une telle précision tient à la nécessité, du point de vue international, de montrer que l’adoption produit également des effets sur le droit de la nationalité, ce qui n’est pas le cas dans tous les Etats1270.

395. La Confédération, comme auparavant, est compétente en ce qui concerne la perte de la nationalité suisse1271, l’art. 44 al. 1 Cst. 1874 ne modifiant en rien la répartition des compétences. En revanche, en matière de réintégration dans la nationalité, les termes ont changé, puisque passant de « l’établissement des principes» à la «réglementation de la réintégration », sans aucune limitation. Ce changement, qui pourrait être considéré plus important que simplement terminologique, ne modifia toutefois rien dans les faits1272, puisque, en pratique, et déjà sous l’empire de la loi de 19031273, la Confédération avait réglementé le domaine de façon exhaustive, sans laisser de place aux compétences cantonales et communales. Par conséquent, en ce qui concerne la perte de la nationalité et la réintégration, il n’existe aucun changement quant à la répartition des compétences.

1266 AUBERTJEAN-FRANÇOIS/MAHONPASCAL, p. 348. HANGARTNERYVO, Partnerschaft, p. 260, considère qu’il faut interpréter le terme de « mariage », contenu à l’art. 38 al. 1 Cst., en tenant compte du principe de non-discrimination (art. 8 al. 2 Cst.) et donc comme englobant également le partenariat enregistré.Contra FF 2003 1192, p. 1218. Pour sa part. le Comité d’experts sur la nationalité du Conseil de l’Europe considère que si un Etat adopte une attitude libérale par rapport au statut juridique offert aux partenaires de même sexe, il devrait en principe en aller de même pour l’acquisition de la nationalité, CJ-NA (2002) 1, p. 10s. Pour une analyse plus détaillée de cette problématique, voirinfra Chapitre 7, section III.

1267 FF 1982 II 137, p. 154. Voirinfra Chapitre 6, section I à propos de la nécessité de modifier la Constitution afin de garantir l’égalité des sexes en matière de transmission de la nationalité suisse par filiation.

1268 Prévoir que le mariage entraîne de plein droit l’acquisition de la nationalité, qu’il n’a aucun effet sur cette dernière ou envisager une procédure de naturalisation facilitée (FF 1982 II 137, p. 154). Voirinfra Chapitre 6, section II-A. Même si le mariage n’a pas d’effet direct sur la nationalité des conjoints, la naturalisation facilitée qui leur est offerte n’en constitue pas moins une conséquence du mariage, il s’agit dès lors d’une acquisition de la nationalité par le biais du droit de la famille, donc la base constitutionnelle est l’alinéa 1 de l’art. 44 Cst. 1874, et non son alinéa 2 (BO CN 1983, p. 58).

1269 Voirsupra Chapitre 5, section I.

1270 BO CN 1983, p. 59.

1271 La perte du droit de cité dont il est question à cette disposition est indépendante du droit de la famille, voir GRISELETIENNE,Art. 44 Cst., p. 14.

1272 GRISELETIENNE,Art. 44 Cst., p. 14.

1273 Pour ce qui est de la loi de 1876, voir les avis plus que divergents des autorités quant à la compétence des cantons et des communes en la matière,supra n° 258.

Chapitre 5 Le remaniement de l’art. 44 Cst. de 1874

B. Art. 44 al. 2 Cst. 1874

396. Le remaniement de l’art. 44 al. 2 Cst. 1874 a rendu plus claire cette disposition en matière de naturalisation1274, puisque la Constitution employait auparavant des termes relativement vagues : elle permettait à la Confédération de déterminer les règles applicables à l’acquisition de la nationalité, ces termes ayant cependant toujours été interprétés de façon restrictive en matière de naturalisation1275. Dès lors, en décrétant que la Confédération fixe des dispositions minimales en matière de naturalisation ordinaire, l’art. 44 al. 2 Cst. 1874 limite dans la même mesure les compétences de la Confédération, puisqu’elle ne peut réglementer le domaine de manière exhaustive, mais n’édicter que des dispositions cadres. En effet, les autorités fédérales ont souligné l’importance pour les cantons et les communes de pouvoir aller, dans leurs législations respectives, au-delà des exigences fédérales1276, le but étant sans doute que le projet ne soit pas rejeté par le constituant lors de la votation.

397. Ces exigences fédérales, soit les conditions à remplir pour que l’étranger puisse obtenir l’autorisation de naturalisation, ont été quelque peu précisées par la loi sur la nationalité lors de la révision législative de 19901277. L’art. 14 al. 1 LN, dans sa teneur de 1952, se bornait à exiger l’examen de l’aptitude du requérant à la naturalisation, sans donner les contours juridiques exacts à cette notion indéterminée, ni la doter d’une définition plus précise1278, même si l’alinéa 2 explicitait que « l’enquête doit donner une image aussi complète que possible de la personnalité du requérant et des membres de sa famille ». Lors de la conception de la loi sur la nationalité, certaines de ses dispositions avaient été reprises du droit en vigueur à l’époque, plus particulièrement les règles contenues dans l’arrêté du Conseil fédéral de 19411279, qui dessinaient un contour plus clair de la notion d’aptitude1280. L’interprétation des dispositions de la loi sur la nationalité à l’aune de l’arrêté du Conseil fédéral de 1941 n’était toutefois pas possible, puisque ces dispositions, fort restrictives, ont été adoptées lors d’une situation particulière, soit la seconde guerre mondiale1281. Par conséquent, le législateur se devait de préciser ce

1274 Il ne modifie cependant en rien la répartition des compétences (BO CN 1983, p. 56, p. 59).

1275 Voirsupra n° 309. Contra HANGARTNERYVO,Grundzüge, p. 225.

1276 FF 1982 II 137, p. 155. BO CN 1983, p. 59.

1277 BOISPHILIPPE, p. 22.

1278 FF 1987 III 285, p. 296.

1279 En effet, la loi sur la nationalité devait entrer en vigueur avant que n’arrive à échéance l’arrêté du Conseil fédéral, soit le 1erjanvier 1953 (voirsupra Chapitre 2, section V). Si la loi sur la nationalité n’avait pas été prête à cette date, la loi de 1903 aurait été de nouveau appliquée pleinement, notamment en ce qui concerne la naturalisation. Or, l’arrêté du Conseil fédéral de 1941 allait plus loin en cette matière, puisqu’il donnait davantage de compétences à la Confédération pour ce qui est des conditions à remplir pour l’obtention de l’autorisation fédérale.

1280 Art. 1 al. 2 de l’arrêté du Conseil fédéral de 1941 : «[…]le requérant s’est adapté à la mentalité et aux habitudes du pays et que, vu son caractère et ses sentiments, il fera un bon citoyen ».

1281 FASELDOMINIQUE, note n° 16, p. 112.Contra BENZURS, p. 41.

qu’il entendait par la notion d’« aptitude » afin de garantir une certaine sécurité juridique, le requérant devant connaître les critères selon lesquels il est jugé, et éviter une éventuelle inégalité de traitement entre différents cas particuliers1282.

398. L’art. 14 LN, tel que révisé en 1990, pose le principe qu’avant l’octroi de l’autorisation fédérale de naturalisation, l’autorité s’assure de l’aptitude du requérant à devenir suisse ; dans ce cadre, elle doit notamment examiner s’il s’est intégré et accoutumé, se conforme à l’ordre juridique en vigueur et ne compromet pas la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse1283. Cette disposition ne brille cependant pas par sa nouveauté, car elle n’est en réalité que la concrétisation de la pratique jusque-là suivie par les autorités1284.

399. L’on peut décomposer la disposition susmentionnée en deux parties distinctes, le terme d’« aptitude » et les quatre conditions. En ce qui concerne la notion d’« aptitude », la loi ne la définit toujours pas, laissant une grande latitude de jugement en faveur des autorités fédérales. Elle ne recouvre pas les conditions recensées au second alinéa, puisque ces dernières ne sont pas exhaustives1285. Par conséquent, d’autres critères peuvent être pris en considération, les autorités n’étant pas limitées par ceux énumérés dans la loi1286.

400. Quant aux quatre conditions inventoriées, il convient de s’interroger sur leur signification, en gardant à l’esprit que les deux premières sont également des notions juridiques indéterminées1287. L’intégration désigne l’accueil des étrangers dans la communauté suisse et leur disposition à s’insérer dans le milieu social helvétique, sans qu’ils ne soient obligés de renoncer à leurs liens culturels et à leur nationalité d’origine1288. Le fait des’accoutumerest une conséquence de l’intégration, une étape supérieure qui désigne l’adoption du mode de vie et des usages suisses1289, sans toutefois que l’étranger « renonce à l’identité qu’il avait jusque-là pour "changer de peau" »1290. Le terme a été préféré à celui d’assimilation, trop exigeant1291. Le

1282 FF 1987 III 285, p. 296. Par ailleurs, la transparence n’était pas le seul souci, puisque la Confédération voulait également faire en sorte que le texte fédéral ait un certain effet d’entraînement sur les textes analogues des cantons et des communes, c’est-à-dire qu’ils précisent, eux aussi, ce que signifie le terme d’aptitude afin de garantir une certaine sécurité juridique, voir SCHÄRERROLAND,Adaptation, p. 337.

1283 Pour un examen plus approfondi des diverses conditions de l’art. 14 LN, voir Titre III, Chapitre 2, section II.

1284 FF 1987 III 285, p. 296. FASELDOMINIQUE, p. 113.

1285 FASELDOMINIQUE, p. 113. BO CE 1988, p. 197.

1286 FF 1987 III 285, p. 297.

1287 En effet, elles laissent une grande marge d’interprétation aux autorités chargées de les appliquer, ce qui n’est pas le cas des deux conditions prévues par les let. c et d. de l’art. 14 LN, dont la preuve matérielle peut aisément être établie (BO CN 1989, p. 1438).

1288 Art. 14 let. a LN. FF 1987 III 285, p. 296. Selon le Comité d’experts sur la nationalité, « le terme

« intégration » n’implique pas qu’une personne adopte un autre mode de vie, une autre religion ou procède à d’autres changements similaires, mais qu’elle soit capable de cohabiter, ce qui exige de la tolérance envers les autres malgré les différences », CJ-NA (2002) 1, p. 12.

1289 Art. 14 let. b LN. FF 1987 III 285, p. 296. Ce terme est moins fort que celui d’assimilation, utilisé lors de l’entrée en vigueur de la loi sur la nationalité. Voir FF 1951 II 665, p. 676.

1290 FF 1987 III 285, p. 296. BO CE 1988, p. 197.

1291 BOISPHILIPPE, p. 23. Au sujet de la signification du terme d’« assimilation », voir BOLLETERWALTER, p. 19ss.