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La nature juridique du caractère marchand

Section I. Le caractère inadapté à la notion de res stricto sensu

A. La nature juridique du caractère marchand

Le droit international de l'environnement a assimilé les ressources naturelles, et plus largement la Biodiversité mondiale à des res. Or, la notion de res présente plusieurs caractères : res communes, res private. Le droit romain a même distingué les notions de res extra commercium et res commercium.

Les res extra commercium se divisent eux-même en diverses catégories n'entrant pas dans le patrimoine privé d'une personne morale ou physique. Se trouvent, parmi elles, la notion de res communes, retenue pour qualifier les espaces naturels internationaux comme la mer, l'océan, l'atmosphère et l'espace aérien.

Les res communes se distinguent alors des res nullius, n'appartenant à personne mais appropriables. Aussi, le droit international de l'environnement originaire a retenu la notion de res nullius et non la notion de res communes, extra commercium.

Or, la nature actuelle des ressources naturelles a rendu cette dernière, réductrice et insuffisante.

1. Une nature juridique réductrice

Le droit romain qualifie juridiquement l'eau ou l'air, d'éléments accessoires à la notion de res nullius, car il considère que ces éléments sont détachables donc accessoires du principal élément et donc susceptibles d'être appropriés à une personne privée. Cette conception juridique a été retenue en droit romano-germanique comme anglo-saxon, et reste la base du droit international de l'environnement actuel.

Or, si l'on se réfère aujourd'hui à une définition strictement juridique, on observe que cette dernière reste réductrice et obsolète. Les ressources naturelles mondiales ne sont pas définies comme des res communes extra commercium. On définit une chose comme

«des biens matériels qui existent indépendamment du sujet, dont il sont un objet de désir413».

On enferme toutes les catégories de choses dans un aspect matériel réducteur, soumis au droit de la propriété, principal et accessoire. Or, les ressources naturelles doivent se distinguer des autres choses de consommation courantes, de part leur nature propre. Et l'exercice du droit de propriété doit être différent de celui applicable à toutes les choses.

Car cet exercice actuel entre en conflit avec les notions d'intérêt général de l'Humanité et de responsabilité sociétale.

Pour autant peut-on réduire, au plan international, le droit de propriété sur les ressources naturelles mondiales en exercant l'usus, du fructus et l'abusus au regard de l'intérêt commun de l'Humanité?

La limite par la loi serait-elle alors légitimée, au nom de cet intérêt, par la sauvegarde des ressources naturelles communes ? Des tentatives proposant de pallier à ce schéma réducteur ont été posées : créer une nouvelle catégorie juridique de quasi-choses,

413 GUICHARD Sylvain et DEBARD Thibaud, Lexique des termes juridiques, 20ème édition Dalloz, 2013, 970 pages

érigeant ainsi un droit spécial des choses414 ; créer une catégorie de quasi-choses communes415 sur le plan intellectuel uniquement. Ces tentatives sont certes très pertinentes et novatrices mais ne remettent pas pour autant en cause, l'applicabilité actuelle, en pratique, du droit de la propriété au plan national et international. Or le XXIème siècle ne peut pas se contenter de réformettes juridiques, il doit être le siècle sentinelle d'une autre vision, plus contemporaine, axée sur une autre approche, inter-générationnelle des ressources naturelles mondiales, basée sur une gestion préventive et anticipative des risques.

L'évolution du droit international de l'environnement a permis cette prise en considération. Mais il reste insuffisant.

Cet élargissement de la notion de choses pourrait porter, dans un premier temps, sur la création d'une catégorie de res communis extra commercium par nature et donc non appropriables. Alexandre-Charles Kiss avançait ainsi, l'idée de «nature juridique intermédiaire416» pour redéfinir les ressources naturelles.

Dans un second temps, cet élargissement porterait sur la reconnaissance d'une réelle personnalité juridique des choses. Une proposition émanant d'enseignants-chercheurs417 proposerait une reconnaissance juridique aux choses et êtres vivants. S'inspirant des divers courants philosophiques, anthropologiques, cette proposition de personnification de la biodiversité dans son ensemble, aurait ainsi rejoint les concepts autochtones et se retrouverait déjà, en pratique dans la réglementation internationale applicable aux aires d'espaces protégés. D'autres spécialistes proposeraient alors une vision anthropologique très avant-gardiste, pouvant servir de base de réflexion pour modifier la nature juridique actuelle des choses.

Aussi, Philippe Descola418 aurait tenté de démontrer qu'il n'existerait pas de différence entre la nature et la culture car la nature serait selon lui, un pur produit social. Cet anthropologue français, suite à son expérience en haute Amazonie, auprès des tribus Jivaros achuar du Pérou et de Équateur, entre 1976 et 1982, rédigea une thèse419, dans laquelle il démontra la personnalité et donc une reconnaissance juridique indirecte de tous les êtres vivants. Ainsi, énonçait-il que « Les hommes et la plupart des plantes, des animaux et des météores sont des personnes (aents) dotées d'une âme (wakan) et d'une vie autonome »420 et qu'il existerait chez les populations indiennes d'Amazonie, une notion propre des valeurs humanistes, individualistes et collectives.

« L'anthropomorphisation des plantes et des animaux est tout autant la manifestation d'une pensée mythique qu'un code métaphorique servant à traduire une forme de

414 LOISEAU Georges, Pour un droit des choses, n°44, recueil Dalloz, 2006, page 3015

415 CHARDEAUX Marie Agnès, Les choses communes, éditions LGDJ, 2006, 487 pages, pages 140 à 280

416 KISS Alexandre-Charles, BEURIER Jean-Pierre, Le droit international de l'environnement, éditions Perone, 4ème édition, 2010, 588 pages, page 30

417 MARGUENAUD Jean-Pierre, la personnalité juridique des animaux, recueil Dalloz 1998, page 205 ; HERMITTE Marie Agnés, la nature sujet de droit, annales d'histoires en sciences sociales, 2001, éditions Armand Colin, 66ème année, 350 pages, page 173 à 212

418 DESCOLA Philippe, anthropologue et ethnologue français, né en 1949, professeur au collège de France, directeur du laboratoire d'anthropologie sociale

419 DESCOLA Philippe, thèse, La Nature domestique, symbolisme et praxis dans l'écologie des Achuar, Paris, fondation Singer- Polignac, éditions de la maison des sciences de l'homme, 450 pages, 1986 420 Cf note 419 page 120

"savoir populaire421 ».

Il distingua ainsi quatre modes, qu'il dénommait totémisme, animisme, analogisme et naturalisme, et qui de façon graduée, amèneraient l'homme à la nature et inversement. Il proposait alors une «écologie des relations ». Vingt ans plus tard, il aurait dépeint les modes guerriers de ces indiens redoutés422. Et affirmerait depuis, seul423 ou avec son ancien directeur de thèse, Claude Lévi-Strauss424, que la diversité culturelle serait avant tout naturelle, et que seuls les pays occidentaux contemporains répondraient à un schéma sociétal non naturel où l'être vivant ne serait pas reconnu. Un nouveau cadre sociétal serait alors proposé, incorporant le vivant dans le schéma contemporain des relations sociétales425.

Son confrère, Bruno Latour426 est allé plus loin, en parlant de choses «hybrides », tant dans les données que dans les conceptions intellectuelles, en proposant un « parlement des choses », représentant tous les êtres vivants. Il a reconnu ainsi à tous les êtres vivants le caractère de sujet de droit. Ces propositions, appuyées, reconnues dans le monde anthropologique, ne parviendraient pourtant pas à se transposer en droit international. Or, même si la personnification de la nature a été reconnue juridiquement et constitutionnalisée427 depuis peu en Amérique latine, il reste encore un long chemin pour parvenir à cette nouvelle réalité juridique, en Europe.

Introduire l'existence d'une autre vision et sa reconnaissance par l'ensemble des états, émergents et développés, permettrait peut-être de recadrer le débat juridique et de relancer les réaménagements possibles pour introduire une relecture des textes et des idées. Or, même si on reconnaît le caractère réducteur donné à la notion de chose, et que l'on tente de le limiter en dépoussiérant cette dernière, le travail serait l’œuvre d'une nécessaire transversalité juridique. Cette transversalité serait alors indispensable pour ouvrir la notion de chose à la perspective de nouvelles catégories de choses, mais également pour réduire une ambivalence internationale sur cette notion, qui resterait en l'espèce, bien perceptible.

421 Cf note 410 page 125

422 DESCOLA Philippe, Les Lances du Crépuscule. Relations Jivaros, haute Amazonie, éditions Plon, Paris, 1993, 506 pages, réédition 2000

423 DESCOLA Philippe, Par delà la nature et culture, éditions Gallimard, bibliothèque des sciences humaines, 2005, 623 pages, Note critique sur "Par-delà nature et culture" », Revue française de sociologie, 2007, pages 795-806, http://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2007-4-page-795.htm, consulté le 5 septembre 2013

424 DESCOLA Philippe, LEVI STRASS Claude, Un parcours dans le siècle, Compte-rendu du colloque au Collège de France, 25 novembre 2008, Lettre du Collège de France, n° 24, décembre 2008

425 DESCOLA Philippe, L'écologie des autres, l’anthropologie et la question de la nature, Paris, éditions quae, 2011, 110 pages

426 LATOUR Bruno, Nous n'avons jamais été moderne, essai d'anthropologie symétrique, éditions de la découverte, 2005, 205 pages

427 Constitution équatorienne du 21 octobre 2008, constitution bolivienne du 26 janvier 2009

2. Une ambivalence internationale perceptible

Si les États de l’Équateur et de la Bolivie ont reconnu une personnalité juridique à la nature, et qu'ils définissent les ressources naturelles comme des res communes nationaux, il faut reconnaître que la situation reste exceptionnelle d'un point de juridique, et qu'elle démontre par la même occasion, qu'une certaine ambivalence de la notion de ressources naturelles n'est pas locale mais bien internationale. Cette ambivalence ne serait pas le fruit du hasard. En accordant la personnalité juridique à la Nature428, Pacha Mama, c'est la notion de sujet de droit qu'on remet en question sur le plan international. Cette redéfinition juridique, consacrée par deux constitutions latino-américaines, a permis d'établir un équilibre harmonieux entre les droits et devoirs de l'Homme vis à vis de la Nature.

La Nature, objet de droit, est ainsi devenue, au travers de ces constitutions, un sujet de droit à part entière. Cette transmutation, peut démontrer alors que d'une part, la réalité juridique rejoint une volonté politique et sociétale. Et d'autre part, que l'extension des catégories juridiques n'est pas impossible, mais cette nouveauté doit s'accompagner d'une grande prudence et qu'une veille juridique permanente sur ces acteurs institutionnels s'impose afin de vérifier dans le temps, si les décisions ultérieures s'apparenteraient ou non à la même éthique constitutionnelle.

La reconnaissance d'une nature, sujet de droit, limiterait ainsi le droit de propriété traditionnelle, en inscrivant, des principes d’inaliénabilité, d'imprescriptibilité et d’insaisissabilité429 des ressources naturelles. L'ambivalence n'existe donc plus sur la nature juridique des ressources naturelles, qui se retrouveraient soumises à une protection juridique exceptionnelle.

Dans ces deux constitutions, l'ensemble des ressources naturelles locales sont ainsi frappées d'une servitude d'utilité publique, réduisant ainsi les potentielles nuisances liées à leur extraction et leur exploitation. Un champ d'application large s'applique à toutes les ressources naturelles et aux aires protégées430. L'ambivalence est levée sur les ressources naturelles eau, définies par la constitution, comme un « patrimoine national stratégique à usage public431 ». Un droit d'accès général est constitutionnalisé432.

L'ambivalence est aussi levée sur la protection des ressources naturelles et plus largement de la Biodiversité. Les écosystèmes et le patrimoine génétique dans son intégralité ont été proclamé d'utilité public. Et leur dégradation devient alors un problème d'ordre public. Est garanti aussi, un droit individuel et collectif d'agir en faveur de la protection de la nature : « toute personne pourra exiger de l'autorité publique le respects des droits reconnus à la Pacha mama433 ». L'ambivalence sur le préjudice environnemental est alors écartée: le préjudice indirect est reconnu et la charge de la preuve incombe au responsable supposé d'atteinte à l'environnement434. En cas de doute sur la portée des dispositions légales en matière environnementale, la

428 Alinéa 2 article 10 constitution équatorienne du 21 octobre 2008 429 Article 317 de la constitution équatorienne

430 Article 408 de la constitution équatorienne

431 Article 318 de la constitution équatorienne du 21 octobre 2008 432 Article 12 de la constitution équatorienne du 21 octobre 2008 433 Article 11 de la constitution équatorienne du 21 octobre 2008

434 Article 397 paragraphe 1 de la constitution équatorienne du 21 octobre 2008

constitution propose une interprétation protectionniste environnementale maximale435. L'ambivalence demeure dans les autres systèmes juridiques internationaux. Ainsi, si les ressources naturelles en eaux ont été reconnues entité juridique436, elles ont été défini, en droit interne français, comme une « partie du patrimoine commun de la Nation (dont la ) protection, (la) mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général ».

Le droit français reconnaît à la fois, le caractère de patrimoine commun, mais non de l'Humanité mais de la Nation, il évoque aussi l'intérêt général mais relève le caractère utilitaire des ressources et leur mise en valeur et protection. Le droit d'accès à l'eau n'est pas constitutionnalisé. Le principe de précaution est établi mais demeure restreint. Cette définition juridique, trop générale, rend donc les ressources naturelles eau, susceptibles d'être soumises à une gestion optimale.

Le cadre européen revêt une ambivalence flagrante : la Directive-cadre du 23 octobre 2000 a affirmé dans son premier considérant que « l'eau n'est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine commun qu'il faut le protéger, défendre et traiter comme tel ». Cette double formulation met donc une ambivalence quant à la double nature de la ressource eau, considérée à la fois comme res communes et res commercium.

435 Article 395 paragraphe 4 de la constitution équatorienne du 21 octobre 2008

436 Article 1er de la Loi n°92-3 du 3 janvier 1992, codifié à l'article L 210-1 du Code de l’environnement