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L'insuffisance de rattachement à une qualification juridique humaniste

Le mode de gestion inter-générationelle des ressources naturelles mondiales repose sur des notions d'universalité et le droit international de l'environnement a évolué, comme la notion de gouvernance au gré des circonstances internationales.

Même si la résolution de l'Assemblée Générale des Nations-Unies A/3171 du 17 décembre 1973 énonce le principe inviolable permettant à chaque pays d'adopter le système économique et social le plus favorable à son développement, que le plein exercice par chaque État de la souveraineté de ses ressources naturelles est une condition essentielle pour atteindre les buts et objectifs de la deuxième Décennie des Nations-Unies, et que toute réglementation juridique constituant une contrainte contre un autre État constitue des violations de la Charte des Nations-Unies, force est de constater que l'applicabilité des règles de droit international de l'environnement ne sont pas uniformes.

Il n'existe pas donc un mode de gestion mondiale des ressources naturelles mais bien plusieurs modes de gestion environnementale307.

Le paradigme juridique actuel, face à la finalité du droit international de l'environnement, pouvant permettre de renforcer la sécurité juridique environnementale mondiale, repose donc sur le fait de savoir si les États devraient prendre en compte dans leur choix actuel et futur, un autre intérêt, que l'on pourrait qualifier d'intérêt général de l'Humanité.

Cette autre vision de l'intérêt général pourrait alors permettre de réfléchir à une autre qualification des ressources naturelles, ces dernières n'étant pas qualifiées de sujet de droit public inaliénables par nature.

307 CALAME Pierre, TALMANT André, L’État au cœur , meccano de la gouvernance, Éditions Desclée de brouwer, collection gouvernances démocratiques, 1997, 211 pages, page 197

1. Des ressources naturelles non qualifiées de sujet de droit public

Si on reprend la notion du droit des peuples à disposer d'eux-même et la reconnaissance d'une souveraineté permanente sur les richesses et ressources naturelles308, ainsi que la notion de droits de propriété démembrés pour poser le droit d'accès aux ressources naturelles locales, on en vient naturellement à poser la question de la qualification juridique publique des ressources naturelles.

Tout comme la notion de res communes, la problématique actuelle, liée à l'exploitation optimale des ressources naturelles, pose ainsi la question de savoir si le rattachement au domaine public des ressources naturelles ne serait pas une des solutions à une nouvelle forme de gestion, raisonnée des ressources naturelles.

Un des premiers à lancer l'idée que la Nature devait être considérée comme un sujet de droit public, fut Christopher D. Stone. Cet universitaire américain309, durant l'affaire Sierra Club contre Hickel-Morton310, fut le premier à énoncer que la Nature devait être considérée comme un élément indispensable et qu'à ce titre, elle devait être assimilée à un sujet de droit. Certains auteurs diront par la suite, que Christopher Stone aurait

« anthropomorphiser la nature311 » comme un sujet de droit.

Quarante ans plus tard, Victor David énoncait avec ironie : « la lente consécration de la nature, sujet de droit, le monde est il enfin stone312 ?

Il indique que la théorie de Christopher Stone serait enfin consacrée par l'adoption notamment des constitutions nouvelle génération en Équateur et en Bolivie. La première constitution environnementale est la constitution équatorienne du 28 septembre 2008. Quatrième constitution depuis son indépendance, elle reconnait la Nature, Pacha Mama, comme un sujet de droit public, doté de droits garantis par la constitution. Sur la même lancée, six mois plus tard, est adoptée la constitution bolivienne le 29 janvier 2009.

Concernant la constitution équatorienne, il faut tout d'abord indiquer que l' Équateur appartient au groupe des dix sept pays les plus remarquables, par son biodiversité et ses ressources naturelles énergétiques et minières. La constitution équatorienne s'appuie ainsi sur un patrimoine environnemental exceptionnel. Son élaboration n'est pas due au fruit du hasard mais à un partenariat judicieux avec des juristes environnementalistes américains313. Ainsi, la notion de bon vivre, traduit en langage quéchua «sumak kawsay » est pour la première fois reconnue. Si l'eau est consacrée comme «un patrimoine national stratégique d'utilité publique, inaliénable, imprescriptible

308 cf note 276

309 STONE Christopher, should Trees Have Standing, toward Legal Rights for Natural Objects, Southern California Law Review, vol. 45, 1972, 480 pages

STONE Christopher , Should Trees Have Standing? Law, Morality, and the Environment, Oxford University Press, 2010

310 US suprême court, Aff Sierra Club c Hickel-Morton, secretary of interior, 405 US 727, 1, april 19 1972

311 MELKEVIK Bjarne, Horizons de la philosophie du droit, éditions les presses de l'université Laval, 2004, 236 pages, pages 56 à 58

312 DAVID Victor, La lente consécration de la nature, sujet de droit » le monde est il enfin Stone ? Revue juridique de l'environnement n°3, septembre 2012

313 Community environmental légal défense fund (CEDLF)

insaisissable et essentiel pour la vie314 », le droit à un environnement sain est promu315 et la promotion des énergies renouvelables est établie316.

Le droit à l'intégrité de la Nature est aussi, pour la première fois, constitutionnalisé à l'article 71 qui énonce que « la nature ou pacha mama, où se reproduit et se réalise la vie, a le droit à ce que l'on respecte intégralement son existence et le maintien et régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus évolutifs.

Toute personne communauté, peuple, ou nationalité pourra exiger des autorités publiques de faire respecter les droits de la nature.. ».

Est également consacré un droit de la Nature à la restauration317, et une non patrimonialité de la terre par l’État. Cette première constitution fait ainsi une apologie des ressources naturelles, sujet de droit public, mais ne reconnaît pas l'appropriation publique par la nationalisation. Les ressources naturelles sont donc un sujet de droit public, res communes, inaliénables, imprescriptibles, insaisissables qui appartiennent à la population, non à l’État.

Cette première vision des ressources naturelles, sujet de droit public, met ainsi l'accent sur le refus d'appropriation par l’État des ressources naturelles territoriales. En les rendant inaliénables, imprescriptibles insaisissables, la constitution crée un statut autonome spécial aux ressources naturelles territoriales. La Bolivie parle de droit à un environnement sain, protégé et équilibré pour les individus et communautés des générations futures318, et crée un tribunal agro-environnemental319 tout en posant le principe d'une responsabilité pénale environnementale objective par la reconnaissance d'une nouvelle infraction pénale environnementale, considérant comme traître toute personne violant le régime des ressources naturelles320.

La loi bolivienne consacre les droits de la Terre-mère321 qu'elle définit comme une système vivant, dynamique, sujet d'intérêt général322. Les deux constitutions consacrent ainsi le droit au Vivant, à la vie, à la Nature323. Pourtant, l'auteur indique que la constitution bolivienne reste moins protectrice que la constitution équatorienne car l'adoption n'est pas unanime, car il n'y a pas de gestion réelle, la société civile ayant été exclu de l'adoption, et la loi consacrant les droits de la Terre-mère reste une loi à caractère d'urgence .

Par ailleurs, l'auteur précise que le Président de la Bolivie, Evo Morales, n'a pas un comportement environnemental clair. L'auteur prend l'exemple d'un chantier lancé de la future construction d'une autoroute désenclavant le pays à l'est sur quatre cent kilomètres, risquant de sacrifier le parc national de Tipnis en territoire autochtone. Face à l'hostilité locale, il s'est alors abstenu.

314 Article 12 constitution équatorienne du 28 septembre 2008 315 Article 14 constitution équatorienne du 28 septembre 2008 316 Article 15 constitution équatorienne du 28 septembre 2008 317 Article 72 constitution équatorienne du 28 septembre 2008 318 Article 33 de la constitution bolivienne du 29 janvier 2009 319 Articles 186 à 189 de la constitution bolivienne du 29 janvier 2009 320 Article 124-1 de la constitution bolivienne du 29 janvier 2009

321 Loi bolivienne n°071 du 21 décembre 2010, Derechos de la madre tierra 322 Cf note n°321, articles 3 et 5

323 Chapitres II, article 7 de la constitution équatorienne du 28 septembre 2008, Chapitre II , article 7 de la constitution bolivienne du 29 janvier 2009

Ces deux textes fondateurs, représentent sur le plan international, un avancée novatrice.

Ils confèrent en effet à la finalité même du droit international de l'environnement une dimension juridique nouvelle. L'évolution de la pensée juridique internationale prend un élan plus marqué, même si beaucoup lui confèrent un fort accent de nationalisme politique.

Ces deux constitutions, peuvent servir de réflexion pour tendre vers l'intérêt commun de l'Humanité par diverses formes. Le peu de recul sur l'applicabilité de ces constitutions ne permet pas encore de dire si cette stratégie juridique est effective et judicieuse. Mais il en demeure pas moins novateur, même s'il reste, pour les juristes internationaux, critiquable sur certains points.

2. Des ressources naturelles non qualifiées de sujet de droit inaliénable

Découlant de la première, l'autre problématique actuelle repose sur le mode de gestion intra-générationnelle des ressources naturelles mondiales et plus précisément, sur les effets liés au droit d'usage. Pourrait-on, en effet, prétendre que les populations locales auraient des droits opposables aux ressources naturelles «vitales» ? A contrario, pourrait-on prétendre l'inverse ? Pourrait-on également prétendre, qu'en vertu de contrats de concessions, des zones remarquables mondiales, comme l'Amazonie, ou plus généralement l'ensemble des forêts primaires, pourraient être menacées d’extinction? La finalité du droit international de l'environnement serait-elle alors en adéquation avec ces prétentions nouvelles?

La problématique doit se voir d'abord, sous un angle strictement réglementaire : il n'existe pas encore de protection juridique particulière pour l'accès aux réserves mondiales de ressources naturelles. Or, le caractère aliénable, rattaché à toutes les ressources naturelles, vitales ou pas, a crée une véritable insécurité juridique dans le domaine. En effet, la spéculation sur des denrées alimentaires, le surcoût de l'eau et l’accessibilité difficile aux terres ont crée en moins de vingt ans, un phénomène d'instabilité juridique, puis économique et aujourd'hui socio-culturelle. L'ensemble des états a aujourd'hui besoin d'engagements juridiques forts pour asseoir un partenariat mondial autour de la gestion des ressources naturelles. Ce partenariat doit reposer sur un renforcement de la protection internationale de l'environnement, plus protecteur sur le droit d'accès et d'utilisation des ressources naturelles locales. Les rendre inaliénables par leur caractère rare et fragile, renforcerait ainsi une sécurité juridique vacillante.

L’inaliénabilité doit ainsi devenir le principe, l’aliénabilité l'exception.

Or les dispositions d'accès aux ressources naturelles, varient selon les pays, restrictives ou pas. Le système d'Accès Partagé à la Ressource (APA) reste dans la pratique, compliqué pour l'ensemble des pays, car il ne fournirait pas un cadre juridique rationnel et serait écrasé par la bureaucratie. Ainsi, les pays ou personnes morales, demandeurs de ressources naturelles, restent soumises à la loi de leur siège social. Un droit contractuel spécial pour les ressources naturelles, serait peut être la solution à envisager, notamment dans le domaine des ressources naturelles génétiques.

L'exemple de la notion de droits souverains et individuels sur les ressources naturelles, reste un concept très flexible, selon le pays qui l'évoque. Quand un spécimen devient, par le biais des contrats de brevets, la possession d'un groupe privé, son utilisation reste soumise au droit privé du pays exploitant, et n'est pas généralement observé par un corps d'inspection indépendant. Or, cette faille exonère les groupes privés, investisseurs, de leurs obligations juridiques de se conformer au principe de partage équitable et juste des ressources naturelles.

La mise en place d'une institution indépendante, chargée de contrôler, surveiller la bonne pratique sur les accès partagés aux ressources naturelles, serait sans doute un moyen réglementaire de limiter les abus dans le domaine de la manipulation des espèces, et de contrôler ainsi le caractère aliénable de ces dernières, en optant pour une démarche d'équité. La pratique juridique internationale reste donc à mûrir, au nom de l'intérêt commun de l'Humanité car les pays demandeurs, pour la plupart des pays développés, pouvant fournir une apparente transparence juridique, accompagné de contrôles ciblés, s’exonèrent de cette démarche et amenuisent ainsi leur potentielle

responsabilité.

Une deuxième problématique complète la première et vient asseoir la nécessité de recourir au caractère inaliénable des ressources naturelles. Pour rétablir la pérennité d'une sécurité juridique environnementale, et donc assurer une gouvernance environnementale et une gestion sereine des ressources naturelles, encore faut-il donner au concept de ressources naturelles, des dimensions fondamentales et supra nationales.

Reconnaître ainsi le caractère inaliénable, par principe, et le caractère aliénable par exception, permet la création d'une classification internationale à part des ressources naturelles, reconnue par l'ensemble des systèmes juridiques, et d'établir alors un statut juridique international spécial. Cette reconnaissance peut porter sur une graduation du degré d’inaliénabilité. Ainsi, une première classification concerne l'ensemble des ressources naturelles vitales, indispensables à la survie de l'Homme, englobant les ressources comme l'eau et la terre. Une seconde classification concerne les ressources naturelles vivantes, rares et fragiles, comme des écosystèmes essentiels et des espèces rares. Une troisième classification porte sur l'ensemble des ressources naturelles minières.

Cette graduation juridique, sur le plan international, serait peut-être une alternative permettant une sécurité juridique effective, et non potentielle, et établirait d'avantage le renforcement du caractère juste et équitable des ressources naturelles, reconnu par la Convention pour la diversité biologique. Rendre inaliénable certaines ressources naturelles, par principe, permettrait ainsi une régulation fonctionnelle, éthique et sociale des marchés internationaux. Or, il n'existe pas encore de certificat de légalité de l'accès aux ressources naturelles entre les pays exportateurs de ressources et les pays importateurs. Les phénomènes financiers de bulles spéculatives, remettent sans cesse, en cause une bonne sécurité juridique mondiale. Le droit de spéculer sur les ressources naturelles ne rentre pas en conflit avec la finalité propre du droit international de l'environnement, visant l'intérêt commun de l'Humanité. Même si la question ne demeure pas strictement juridique, les inquiétudes actuelles démontrent que les juristes avisés doivent se poser la question.

Si le caractère inaliénable des ressources naturelles mondiales devenait un principe, reconnu en droit international, on tendrait alors, vers une traçabilité juridique inédite, tant sur le droit d'accessibilité que sur le droit d'usage. Une meilleure connaissance quantitative et qualitative des ressources naturelles permettrait alors de calmer les inquiétudes grandissantes de la société civile internationale. Or, si l'on reconnaît le caractère inaliénable des ressources naturelles, biens communs rares, les relations juridiques, économiques mondiales, en seraient bouleversées. Et le constat actuel repose sur une absence de prise en compte de critères réels et pourtant adaptables à la complexité juridique.

L'insuffisance de rattachement juridique à ces nouveaux critères doit pourtant servir à démontrer l'adaptabilité des sociétés contemporaines, aux nouveaux défis. Parce que c'est par la connaissance et les faits, que le droit international de l'environnement avance. L'oblitérer ne lui confére pas le caractère transversal, pourtant naissant. Même si l'OMC, a reconnu le caractère rare des ressources naturelles, biens communs, il est nécessaire de préciser que cette insuffisance de rattachement s'accompagne également de celle à la notion de res communes fragiles.

Section II. L'insuffisance de rattachement à la notion juridique de biens communs