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GÉOLOGIQUES : UNE GÉOLOGIE DE TERRAIN ?

1.3 LA GÉOLOGIE DE TERRAIN ENTRE LOI ET HISTOIRE

1.3.1 La géologie : science d’un monde uniforme ?

Le sens commun fait habituellement une confusion entre temps et cause en évoquant le « passé » sans plus de précision. Nous souhaitons explorer ici cette confusion, que nous considérons comme un obstacle important des sciences empi-riques. En effet, le passé imaginé comme cause du présent est une vision naïve de l’explication scientifique. Nous souhaitons pourtant montrer ici qu’il existe une démarche scientifique de la « cause temporelle », et que cette démarche relève d’une démarche historique rationnelle. Ainsi les sciences historiques ne confondent pas cause et temps ; elles « construisent » l’histoire sur une approche causale exigeante dans laquelle les événements ne sont pas seulement juxtaposés dans le temps mais organisés selon des nécessités qui confèrent à l’histoire une rationalité. Nous verrons ainsi que dans le cas particulier de la géologie de terrain, les formes de temps cyclique et linéaire sont mobilisées dans des narrations qui mobilisent un principe de causalité exigeant : la causalité narrative.

Cela suppose donc de se préoccuper des événements comme acteurs/personnages de la construction du temps. Pour cela nous nous questionnons sur les modalités de mise en scène des événements géologiques le long de l’histoire géologique. Nous évoquons dans un premier temps les différents modes de pensée du passé géologique (catastrophisme, uniformitarisme, évolutionnisme). Cela nous conduira dans un deuxième temps à nous questionner sur les procédés de recherche de la cause en géologie. Enfin, nous réfléchirons aux modes de raisonnements qui sont à l’œuvre en géologie.

1.3.1.1 La pensée catastrophiste

Les modes de pensées utilisés pour se projeter dans le passé s’articulent autour de trois pôles qui ont organisé les connaissances scientifiques au cours de l’histoire de la géologie. Nous les analysons ici, non seulement d’un point de vue historique mais également d’un point de vue épistémologique.

Une définition du catastrophisme

Pour les partisans du catastrophisme la surface de la Terre a subi « plusieurs

grandes révolutions, inondations presque universelles ou bouleversements volca-niques » (Hooykaas, 1970, p. 14). Les catastrophistes considèrent que « les causes en action de nos jours (glace, neige, eau, vent, volcanisme) ne suffisent pas à expliquer les événements géologiques du passé, ou du moins qu’elles sont inadéquates si l’on suppose qu’elles eurent alors la même faible intensité qu’elles ont en général au-jourd’hui »(Hooykaas, 1970, p. 14). Le long de l’histoire de la géologie, l’actualisme

(voir section 1.3.1.2 page 72) s’est souvent opposé à la pensée catastrophiste. Cette opposition se fait à deux niveaux : du point de vue de la nature des causes (les causes anciennes étant considérées par les catastrophistes comme différentes par

nature des causes actuelles ) ou du point de vue de leur intensité ou de leur durée

(cette autre forme de catastrophisme considère que les causes sont de même nature mais qu’elles diffèrent en intensité, celle-ci ayant fortement diminué au cours des temps géologiques). C’est là une différence fondamentale qui nous conduit à suivre Hooykaas (1970) sur ce point en focalisant notre attention, non pas sur les systèmes actualistes ou non-actualistes, mais davantage sur la dimension conceptuelle de cette opposition : conception actualiste vs conception non-actualiste.

Mythes et déluge

Selon les conceptions non-actualistes les causes passées sont considérées comme différentes de celles de l’actuel ; il est cependant peu probable que ces causes soient des inventions totales, le fruit d’une imagination qui envisagerait des circonstances entièrement détachées de la réalité. Ces conceptions sont bien davantage des « paris

sur le passé » (Ellenberger, 1994, p 12), qui cherchent des explications qui relèvent

pour la plupart d’un certain réalisme.

C’est dans leur intensité, et surtout dans leur violence que les catastrophes montrent leur capacité à agir sur le monde (et en l’occurence à influencer la vie des Hommes). Le plus cataclysmique des événements imaginé dans le sens commun garde une attache avec la réalité : comètes, astéroïdes, météorites, volcanisme, séismes, sont assez rares dans une existence humaine, mais ils sont connus. Ce ne sont donc pas des causes mystérieuses. C’est leur survenue qui reste le plus souvent « mystérieuse ». Leur faible probabilité et les difficultés à les prévoir

cantonnent ces circonstances dans la catégorie des « aléas ». L’ouvrage de Babin (2005) montre d’ailleurs de ce point de vue que les craintes de l’humanité se focalisent principalement sur des événements naturels. Peu de ces événements, en rapport avec les processus géologiques mobilisent le fantastique ou le fantaisiste. Les visions catastrophistes sont donc bel et bien ancrées dans le réel. Néanmoins leur interprétation (pourquoi l’humanité devrait-elle subir de tels cataclysmes ?) et leur intensité supposée (violence des circonstances de ces événements) prennent en général des formes totalement démesurées. Au sens strict, ce ne sont pas les causes qui sont considérées comme catastrophiques, mais bel et bien leurs effets.

A cet égard, il s’agit également pour nous de comprendre en quoi un événement est considéré comme catastrophique : dans le sens commun, le catastrophique est directement lié à la violence de la situation. Très clairement, ce qui est susceptible d’entrainer mort et destruction à grande échelle est à considérer comme catastro-phique. C’est donc l’ampleur (c’est à dire l’étendue des effets) des événements qui peut être considérée comme catastrophique. Les questionnements sur les causes anciennes et actuelles sont ainsi renvoyés aux questionnements sur leurs effets, c’est-à-dire, des questionnements sur des événements effectivement accomplis. Le terme de catastrophe n’est donc adapté que pour désigner des événements violents

qui affectent l’humanité. Ce terme de catastrophe désigne également l’actualisation

d’un phénomène aux conséquences néfastes pour l’humanité.

Or, en géologie, les explications des phénomènes passés relèvent davantage de la

recherche des causes que de celle des conséquences que peuvent avoir leurs effets

sur l’existence humaine. Le catastrophisme montre donc indéniablement une forte centration sur l’événement de sens commun.

De ce point de vue, les textes de la mythologie et les textes religieux ont été de grands pourvoyeurs de récits catastrophiques dans l’histoire des hommes. Le plus caractéristique est probablement celui du déluge. Il nous intéresse particulièrement, notamment parce que, comme le dit Babin :

« tout bien pesé, le Déluge biblique a nui au développement de la

géologie, bien plus que les récits de la création » (Babin, 2005, p 61).

Catastrophes et temps cycliques dans les mythes et légendes

Nous avons déjà évoqué l’alternance changement/stabilité que supposent les temps cycliques : nous allons plus loin ici en posant la catastrophe comme symbole du changement violent. La catastrophe n’est pas seulement un événement violent : c’est aussi un événement qui conduit au changement. Après la catastrophe, les « règles changent ». Après les dinosaures, c’est le règne des mammifères ; après la

surrection des montagnes, c’est l’érosion ; après le Déluge, la « re-naissance » :

« Ce déluge, qui dura quarante jours eut aussi ses survivants grâce à une arche construite par Noé et que Dieu libéra "au bout de cent

cinquante jours" lorsque "les sources de l’abîme et les écluses du ciel furent fermées". La fin de cet épisode diluvien donne le départ d’une véritable re-création puisque humains et animaux recolonisent la terre et que s’instaure une nouvelle cyclicité : "Tant que durera la Terre, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus" »(Babin, 2005, p. 61).

La pensée cyclique imprègne de nombreux textes mythologiques en les ponctuant de catastrophes qui viennent troubler la tranquillité des Hommes et rétablissent ensuite une stabilité au monde.

Catastrophes et théories de la Terre

Les différentes Théories de la Terre qui ont parsemé l’histoire de la géologie ont fortement stimulé la pensée catastrophiste. Ces textes qui sont pour la plupart, des « constructions hypothétiques ambitieuses » (Ellenberger, 1994, p 12) sont l’œuvre de savants qui cherchent avant tout à reconstituer une « embryogenèse » de la Terre (Gohau, 1990). Ces textes ont la particularité de s’accorder relativement bien avec les récits bibliques, même si en général les auteurs ne montrent pas nécessairement que tel était leur objectif. Descartes propose en 1644 sa théorie de la terre, dans laquelle il fait preuve d’une certaine « laïcité ». Il tente, avec quelques efforts de concilier sa théorie avec le récit de la création, en disant « qu’il ne doute pas que

le monde ait été créé au commencement avec autant de perfection qu’il en a »

(Gohau, 1987, p. 56). Burnet a construit, dans sa Théorie sacrée de la Terre, une histoire de la Terre « brutale et sommaire, [...] qui impose l’idée de changements

radicaux de son état et de bouleversements irréversibles »Ellenberger (1994, p.

116). La démarche de Burnet, pourtant considérée comme rationnelle par Gould (1990), se met en place en opposition avec celle de Newton et mobilise très peu l’observation des registres de la nature. Burnet cherche avant tout à construire une réflexion à partir des saintes Écritures : invasion par les eaux du Déluge, cataclysme final par le feu qui transforme la Terre en une étoile. Woodward, quant à lui, est un hypercatastrophiste (Babin, 2005) par sa vision de l’origine des fossiles et par sa façon de mobiliser les eaux internes du globe, qui, grâce à une intervention divine, sont responsables d’une « surprenante dissolution ». La catastrophe est d’origine extra-terrestre pour Whiston, considéré comme le parrain de la catastrophe (Gould, 1993a, p. 337).

Ces pensées catastrophistes, du fait de leur proximité avec les textes sacrés, conduisent à un sérieux problème quant à la formation des montagnes. Ellenberger évoque ainsi ce dilemme de la géologie naissante à la fin du XVIIe siècle :

« En un mot, à la fin du XVIIe siècle et durant tout le XVIIIe siècle, la science naissante de la Terre s’est trouvée prise au piège du dilemme

suivant : expliquer les montagnes par le Déluge, ou renoncer à expliquer les montagnes. Les temps n’étaient pas mûrs pour accéder à notre vision actuelle de la genèse lente des montagnes. Il faudra attendre Lyell et Marcel Bertrand ». Ellenberger (1994, p. 44)

Mais une génération avant celle de Lyell, les discordances de Hutton, qui séparent des cycles différents, renvoient à l’idée de changements qui surviennent dans un monde stable (alternance changement/stabilité). Les observations de Hutton sur l’affleurement de Siccar Point vont le conduire à rejeter les catastrophes universelles, mais il admet par contre, pour construire ses explications sur les discordances, des phénomènes violents localisés :

« [...] des strates, qui avaient été formées de façon régulière sur le fond

de la mer, ont été violemment ployées, brisées, et déplacées de leur situation originelle » (in Babin, 2005, p. 86)

La vision cyclique des phénomènes géologiques par Hutton, le conduit à reconstituer des phases qui s’articulent autour de changements successifs. Mais ce savant ne les considérera pas pour autant comme des épisodes catastrophiques. Pourquoi ? Pour quelle raison Hutton met-il de coté des événements catastrophiques ? C’est probablement la pensée du temps profond, qui a joué un grand rôle chez Hutton quand il a imaginé des processus géologiques de grande ampleur, sans avoir à recourir au catastrophique. L’invention du temps profond est donc un élément fondateur de la géologie : il a permis la prise de distance d’avec les textes sacrés, et il a fait jouer à la durée des processus un rôle prépondérant. Hutton a ainsi posé les bases d’une opposition au catastrophisme en initiant le « principe d’uniformité ». Dès lors, le XIXe siècle s’engage dans la « tourmente polémique » (Babin, 2005) qui verra s’affronter catastrophisme et uniformitarisme. De quoi se nourrit ce catastrophisme ? Étonnement, ce sont les fossiles qui vont apporter les indices le plus pertinents.

Les fossiles : témoins du Déluge

Parmi les grands acteurs du catastrophisme, les fossiles ont joué un rôle de grande importance. Ces fossiles, plutôt délaissés durant l’Antiquité, seront davantage considérés au Moyen-Age et durant la Renaissance. Léonard de Vinci qui, mieux que quiconque « comprend l’intérêt des fossiles » (Gohau, 1987, p. 41) postule que ce sont d’anciens êtres vivants. Ainsi les « glossopètres », identifiées par De Vinci et Gesner comme des dents de poisson, alimenteront les commentaires les plus étonnants (Babin, 2005). Sténon en fera une analyse poussée et déclarera que

« les corps qui ressemblent aux plantes et aux animaux trouvés dans la terre, ont même origine que les plantes et animaux auxquels ils ressemblent » (in Gohau,

les principes) Sténon pose les bases ici d’un actualisme qui concerne les terrains sédimentaires. Ainsi, malgré le cadre étroit de la Bible dans lequel il pose sa réflexion, Sténon parvient à instaurer « les bases de la géologie du XIXe siècle, car

le rôle qu’il assigne aux fossiles est celui de déterminer le faciès des formations géologiques » (Gohau, 1987). Ce mode de pensée semble donc pousser vers une

toute autre conception que celle du catastrophisme. Ces premières études sur les fossiles paraissent mener à un actualisme assez spontané ; mais les textes religieux empêchent l’accès aux temps longs, imposent le déluge et construisent un obstacle majeur à la compréhension, que Ellenberger (1978, p. 47) définit par « le mur

conceptuel de la succession des faunes ». Ainsi le suisse Deluc, géologue de terrain,

s’enfermera dans une pensée apologétique de l’Histoire de la Terre (Babin, 2005). Saussure reconstitue un récit véritablement cataclysmique du Globe. Blumenbach décrit des révolutions catastrophiques « calées » sur le Déluge biblique. Dolomieu considèrent les montagnes comme « d’antiques monuments des catastrophes du

globe... » (Babin, 2005).

En fait, ce sont les fossiles de vertébrés, qui donnent naissance à de véritables animaux de légende, des races de géants, des animaux fabuleux, qui vont fortement stimuler la pensée catastrophiste avec des récits d’extinctions massives lors d’événe-ments cataclysmiques. C’est Georges Cuvier (1769-1832), considéré par Le Guyader comme le « père du catastrophisme moderne » (in Lecourt, 2006, p. 164) qui a posé les bases d’un « catastrophisme paléontologique » très influent, notamment concernant la crise Crétacé/Tertiaire. Cuvier travaille en « vrai naturaliste », selon une méthode empirique qu’il revendique. Bien qu’approuvant un non-actualisme, il le relativise cependant, en affirmant qu’il fait « imaginer à ses auteurs "tant de

sup-position extraordinaires" »(Hooykaas, 1970, p. 19). Il présente en 1796, ses travaux

sur le mammouth, qu’il distingue de l’éléphant et entend prouver ainsi « l’existence

d’un monde antérieur au nôtre, détruit par une catastrophe quelconque » (in Babin,

2005). Plus tard, dans son ouvrage « Recherches sur les ossements fossiles de

quadrupèdes... » Cuvier confirme l’usage du terme de « révolution » (déjà utilisé

par ses prédécesseurs) pour désigner les grands changements de faunes qui se sont produit dans le passé. Le texte passe désormais pour un véritable manifeste du

catastrophisme scientifique(Babin, 2005), notamment du fait que l’argumentation y

est solide et étayée. Cuvier démontre ainsi que ces révolutions ont été nombreuses, subites et que les causes actuelles diffèrent totalement de celles qui prévalaient dans le passé :

« La vie a donc souvent été troublé sur cette terre par des événements

terribles » (Cuvier, 1992, p. 55)

L’accueil qui est fait à l’ouvrage de Cuvier est dithyrambique, et pas seulement en France ; les géologues « diluvianistes » anglais (Sedgwick, Buckland, Murchisson) placent leurs conceptions sous l’autorité du savant français. Il en est de même

des géologues nord-américains pour qui le déluge expliquent les blocs erratiques abondant sur leur territoire (Babin, 2005).

En France, Elie de Beaumont, élève de Cuvier, reprend ses théories catastrophistes et « ne reconnait pas de causes anciennes » (Hooykaas, 1970, p. 23). Il confirme le rôle joué par les révolutions dans les phénomènes géologiques : « chaque chaine de

montagne, caractérisée par une certaine direction, a été produit d’un seul jet entre deux périodes de tranquilité » (Elie de Beaumont (1829) , in Babin, 2005, p. 104).

D’orbigny va même plus loin que Cuvier en répertoriant en périodes et étages les diverses révolutions ayant affecté le globe.

En Suisse, c’est le zoologiste Agassiz, ultra-catastrophiste qui voit dans les révolutions de Cuvier des étapes d’une progression vers un perfectionnement progressif des êtres vivants.

Mais ces conceptions catastrophistes se confrontent assez rapidement à des obstacles infranchissables, qui ne relèvent d’ailleurs pas forcément de la science : les incompatibilités sont davantage en lien avec la Bible. Ainsi Sedgwick et Buckland, face aux incohérences dans le récit du déluge mosaïque deviennent providentialistes : pour eux l’intervention divine est présente à tous moment sur le globe.

Lamarck : opposition à Cuvier

En France Delamétherie est un adversaire sérieux de Cuvier : s’il admet les révolutions localisées, il refuse par contre les catastrophes universelles. Mais c’est Lamarck qui sera le plus grand adversaire de Cuvier : en s’appuyant sur des analogies entre espèces passées et espèces actuelles, Lamarck entend montrer que les espèces perdues sont des variétés des espèces vivantes. En reprenant le concept d’« espèces

analogues » de Bruguières (1750-1798), il fonde les bases de son « transformisme ».

Cuvier reste enfermé dans le catastrophisme qui est un moyen « pour lui de sauver

le fixisme menacé par l’irruption des fossiles »(Pellegrin in Babin, 2005, p. 110). De

nombreux savants français se rangent aux cotés de Lamarck. Ainsi, Patrin précise que :

« Les divers faits géologiques peuvent s’expliquer d’une manière simple,

par la marche journalière des agents de la nature, et sans avoir recours à aucun de ces moyens violents qui ne me paroissent pas analogues à sa constantes uniformité » (Patrin in Corsi, 2001, p. 107)

Constant Prévost (1787-11856) sera le plus actif des anti-catastrophistes : il remet en question les causes extraordinaires et surnaturelles de Cuvier et repousse l’idée d’un renversement des lois de la physique pour expliquer les disparition de faunes. Le catastrophisme est donc bel et bien ébranlé en France dès le début du XIXe siècle. C’est assez différent en Grande-Bretagne où les catastrophistes sont très majoritaires (Babin, 2005). Mais le sujet polémique devient difficile à défendre

dans les années 1830 à 1833, dates auxquelles sont publiés les trois volumes des

Principles of geology de Charles Lyell.

1.3.1.2 La pensée uniformitarienne et l’actualisme L’uniformitarisme de Hutton et Lyell

« Comment pouvons-nous parvenir à décrire un processus que personne n’a vu

se dérouler ? » C’est la question fondamentale que se pose Hutton quand il tente

de comprendre les opérations naturelles des temps passés (Hooykaas, 1970, p. 49). Il refuse le mystérieux et l’occulte dans les « opérations terrestres accomplies par

le moyen de l’eau » (Hooykaas, 1970, p. 49) et considère que les mouvements de

soulèvements des continents ne sont pas des événements catastrophiques et sont encore en jeu actuellement :

« [...] ces opérations du globe conservent encore actuellement une

activité non diminuée et restent en possession de toute leur puissance »

(Hooykaas, 1970, p. 50)

Hutton imagine dès lors un système régissant la nature. Sa vision des processus est cyclique et s’il envisage une histoire, c’est pour construire le récit d’une Terre engagée dans des cycles infinis. Il repousse ainsi la recherche d’une origine, per-suadé que l’on ne peut trouver « aucun vestige d’un début – aucune perspective

d’achèvement » (Hooykaas, 1970, p. 51). Sa pensée uniformitarienne se confronte

au cadre biblique qui fixe l’âge de la Terre a 6000 ans. Le problème est que pour expliquer les surrections des montagnes, soit il faut des catastrophes « rapides » soit il faut des temps suffisamment longs pour que ces processus — très lents — se réalisent. Le temps profond , invention de Hutton est donc un corollaire inséparable de son uniformitarisme.

Lyell reprend l’uniformitarisme de Hutton et de ses prédécesseurs, parfois très an-ciens : certains historiens remontent à Hérodote, Aristote ou Straton et retrouvent des traces d’un « raisonnement en tout point fidèle à la plus stricte logique

unifor-mitariste » (Ellenberger, 1988, p. 320). Mais ce sont également des géologues moins

connus qui ont porté avec force la pensée actualiste : Guettard, Darcet, Giraud Soulavie, Palassou et surtout Desmarest ; mais ce sont Hutton, Playfair, Scrope et Lyell qui ont accédé à la postérité (Ellenberger, 1982).

Le principe des causes actuelles : origine historique

Le principe de l’actualisme et de l’uniformitarisme se confondent souvent dans les