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La fin Amor : un capital culturel familial

PREMIÈRE PARTIE : LA GENÈSE D’UN LIGNAGE(XI e – XIIIe

FONTAINE – DANIEL

3.1 Dans le sillage des Plantagenêts : des seigneurs fidèles et courtois

3.1.1 Une prise de position à contre-courant de l’aristocratie angevine mais relevant d’un système de valeurs familiales système de valeurs familiales

3.1.2.1 La fin Amor : un capital culturel familial

À l’intérieur de l’espace Plantagenêt, nombre de seigneurs de l’importance des Craon se faisait remarquer aussi bien sur le champ de bataille et les tournois que dans la composition d’œuvres poétiques exaltant la vaillance chevaleresque. Nous pouvons supposer que ces personnages se connaissaient, voire se fréquentaient, rentrant en compétition physiquement l’épée à la main mais aussi de manière indirecte et à distance en composant des poèmes courtois. Loin de s’opposer, ces deux activités mettaient en valeur des vertus identiques : la prouesse et la loyauté, concepts fondamentaux du code chevaleresque, encouragé par les pouvoirs politique et religieux. Dans l'introduction de son ouvrage La vielle et l'épée, Martin Aurell démontre, à travers trois exemples, l'intérêt exceptionnel de la poésie politique et invite à dépasser le cliché romantique du troubadour « languissant devant une dame idéale pour laquelle il interprète de tendres chansons »258, ne correspondant pas toujours à la réalité médiévale. Le fait de composer signifiait que l’on faisait partie de cette élite de chevaliers preux et cultivés : c’était affaire de renommée et il était de bon ton d’être à la fois un compagnon d’armes fidèle et courageux et un poète courtois, combattant ses ennemis, maniant l'épée d'une main et composant des chansons contre eux de l'autre. Au temps de la croisade albigeoise, le troubadour Gui de Cavaillon, nous dit M. Aurell259, était aussi l'homme de confiance de Raimon VI de Toulouse et de son fils et se montrait un protagoniste actif des luttes de ses contemporains, « assumant d'importantes responsabilités dans sa terre natale, ravagée par Simon de Montfort et ses guerriers, combattant les Français en Languedoc et intervenant dans le traité de Paris (1229) qui sonnait le glas de la domination de son maître».260 Guilhem de Baux, le rival de Gui de Cavaillon, composait également des poèmes, dans lesquels il affichait son soutien envers les Capétiens et sa haine envers le vicomte de Cavaillon. « Les hommes les plus en vue de l'actualité politique des années 1209-1229

257

C. Taittinger, Thibaud le chansonnier, comte de Champagne, Paris, Perrin, 1987 ; Y. Bellenger et D. Quérel dir., Thibaud de Champagne, prince et poète au XIIIe siècle, Lyon, La Manufacture, 1987 ; M. Bur, La Champagne médiévale, recueil d’articles, Langres, Dominique Guéniot éditeur, 2005.

258

M. Aurell, La vielle et l'épée, troubadours et politique en Provence au XIIIe siècle, Aubier, collection

historique, 1989, p. 11.

259

M. Aurell, opt. cit., p. 40-46.

260

aimaient à composer des chansons ».261 C’est la raison pour laquelle il est probable que certains seigneurs se soient vus étiquetés poètes sans avoir jamais composé et les Craon faisaient partie de ces grands seigneurs auxquels l’historiographie a attribué plus d’œuvres qu’ils n’ont sans doute composées. Outre leur valeur militaire reconnue, les Craon brillaient aussi par leurs qualités courtoises, du moins a-t-on prêté à ces grands seigneurs d’assez nombreux poèmes. Nous devons donc procéder à un « décorticage » critique de nos recueils avant d'effectuer l'analyse de ce qui peut leur être attribué avec une quasi certitude.

3.1.2.1.1 Une renommée de preux

Dans la Bibliographie des chansonniers français, Gaston Raynaud262 présente trois seigneurs de Craon : Amaury, Maurice, Pierre comme auteurs de cinq poèmes, numérotés de cette manière dans son recueil : 14, 26, 207, 1503 et 1387. Il s'agirait de Maurice II, né vers 1135 et seigneur de Craon de 1150 à 1196, époux d'Isabelle de Meulan, veuve de Geoffroy de Mayenne et de leurs fils Amaury, seigneur de 1207, à la mort de son frère aîné, jusqu'en 1226 et marié à Jeanne des Roches vers 1212 et de Pierre, leur troisième enfant, qui rentra dans les ordres.

Cependant, les attributions liées à la compilation de recueils poétiques vers 1300 semblent reposer sur des bases fragiles ; certaines sont contradictoires, d’autres moins invraisemblables et force est de constater qu’en confrontant un certain nombre de données, telles que la date des poèmes, leurs auteurs présumés, les figures de style utilisées, il nous reste peu de poèmes composés par les Craon. Dans son analyse critique, Arthur Langfors revient sur les auteurs de ces récits.263 Selon lui, rien ne nous permet d’affirmer avec certitude que ces cinq pièces sont l’œuvre d’un seigneur de Craon. D’ailleurs, nous ne possédons pas les compositions manuscrites de ces poèmes : il n’existe pas de manuscrit littéraire du XIIe siècle dans ce domaine ; la traduction manuscrite est beaucoup plus tardive et il a pu y avoir des adaptations, des rajeunissements de la langue. C’est ainsi qu’il paraît difficile de désigner un auteur précis à la pièce portant le numéro 14 dans la Bibliographie de Gaston Raynaud : les interprétations sont partagées et les sources s’opposent. Onze documents tardifs transmettent ce poème : dans l’un d’eux, le manuscrit de Berne264

; l’auteur serait Amaury de Craon, mais il s’agit d’un

261

M. Aurell, opt. cit., p. 236.

262

G. Raynaud, Bibliographie des chansonniers français, 1884. Ces analyses sont anciennes mais nous n'avons trouvé aucune étude récente.

263

A. Langfors, Les chansons attribuées aux seigneurs de Craon. Édition critique, dans Mémoires de la Société

néophilologique d’Helsingfors, t. 6 (1917), p. 41-87.

264

In - 4°, (29,5 x 21,7cm), fragment de vélin composé de huit feuillets, fin XIIIe – début XIVe siècle. Le chansonnier renferme 20 chansons de trouvères, toutes anonymes, dont treize sont attribuables au roi de Navarre.

témoignage isolé. D’ailleurs, Brakelmann265

l’attribue à Pierre de Molaînes. La pièce n° 207 ne se trouve que dans quatre manuscrits, dont un est fragmentaire et sans nom d’auteur. D’après deux manuscrits, l’auteur serait Hugues de Berzé ; le dernier l’attribue à Amaris de Creonne. La pièce n° 1503 se rencontre dans les quatre mêmes manuscrits que la chanson précédente : deux sont anonymes, l’un est supposé être l’œuvre de Guiot de Dijon et un autre serait d’Amaury de Craon.

Ainsi, nous ne possédons aucun témoignage sûr affirmant qu’Amaury de Craon serait un poète courtois. Or, le fait d’attribuer de nombreux poèmes aux seigneurs de Craon n’est pas anodin et mérite une attention particulière. Pourquoi en effet avoir inscrit Amaury de Craon sur plusieurs poèmes ? Est-ce une erreur involontaire ou bien une falsification calculée ? Il paraît difficile de répondre à ces questions. De plus, si les sources nous le permettaient, il faudrait établir deux niveaux d’analyse différents, selon la personne qui a attribué ces poèmes à Amaury de Craon et la date. Cela a pu être un moyen pour les Craon d'asseoir leur prestige et de renforcer leur identité familiale autour d'une œuvre culturelle. En effet, les poètes supposés sont nombreux dans cette famille, à commencer par Maurice II, un des membres les plus importants du groupe familial, suivi par Pierre de Craon, son fils : deux générations successives seraient ainsi concernées par l’amour courtois. Amaury, quatrième fils de Maurice II, a pu lui aussi se lancer dans la fin amor : il avait peut-être éprouvé le besoin de renforcer sa position depuis le décès de ses frères aînés en poursuivant l’œuvre familiale. En tous les cas, s’il n’est pas possible d’associer le nom d’Amaury à un poème particulier, il est cependant probable que ce nom circulait dans les sphères littéraires et qu’il était certainement connu pour autre chose, pour une autre œuvre.

La pièce n° 1387 est anonyme, sans nom d’auteur. L’auteur pourrait être Maurice de Craon : l’initiale ornée de M porte le blason de Craon, losange d’or et de gueules. Cependant, nous ne pouvons établir avec certitude qu'il s'agisse d'un document original : la forme du poème ne nous apparaît pas celle employée au XIIe siècle (pas d’inversion du sujet). De plus, la forme -oisial - exigée par la rime est une forme de l’est. Elle est particulièrement étonnante chez Maurice de Craon, et nous ignorons à la suite de quelles circonstances ce seigneur angevin aurait poétisé dans la langue de l’est, même si l’usage de cette rime n’est pas significatif dans la mesure où les poètes utilisaient ce qu’ils pouvaient, là où ils le trouvaient.

Édition diplomatique du manuscrit de Berne, Bibl. de la Bourgeoisie 231, effectuée par Ineke Hardy, Laboratoire de Français Ancien, Université d’Ottawa.

265

Trois seigneurs de Craon figurent comme auteurs possibles de la pièce n° 26 : Amaury, Maurice et Pierre. S’il est probable que l’auteur de cette chanson soit Pierre de Craon, il ne peut y avoir de doute sur la date de la composition, avant 1216, car un seul membre de la famille se nomme Pierre : il s’agit de Pierre, second fils de Maurice II. Le prénom de Maurice est au contraire très fréquent. Celui d’Amaury est porté par le troisième fils de Maurice II : Amaury Ier sire de Craon, qui, à la suite de son mariage avec la fille aînée et héritière de Guillaume des Roches, devient sénéchal héréditaire d’Anjou, de Touraine et du Maine et joua un grand rôle sous le règne de Louis VIII.266 Albéric de Besançon267, dans sa chronique, parle de lui en ces termes :

Anno Domini 1226 IV idus maii obiit Armoricus de Credone, Andegaviae senescallus : erat autem aetate juvenis, forma decens, nitore mirabilis, militia singularis, qui nisi senescalliam, pro qua Ecclesiam et pauperes opprimebat habuisset, si decere fas est, super omnes militias floruisset.

Le chroniqueur ne nous dit pas si cette « fleur de toute chevalerie » excelle aussi dans l’art de trouver, et nous ne pouvons tirer aucune conclusion de ce témoignage. Bertrand de Broussillon et Arthur Langfors attribuent donc cette chanson à Pierre, alors que Gaston Raynaud a renoncé à voir en lui l’auteur de la chanson Fine Amours, sans doute à cause de son état ecclésiastique et l’a remplacé par Amaury II, mort en 1270.

On a donc beaucoup attribué à ces personnages de la famille de Craon vivant fin XIIe - début XIIIe siècle, plus sans doute qu’ils n’ont composé, mais cela suggère fortement de leur part un goût pour la chanson courtoise et probablement quelques essais heureux. Nous connaissons de grands seigneurs qui ne dédaignaient pas de taquiner la muse : Guillaume d’Aquitaine268, Thibault de Champagne269, et Richard cœur de Lion mais aussi Conon de Béthune, qui

266

Ch. Petit Dutaillis, Étude sur la vie et le règne de Louis VIII, Bibliothèque de l'École des hautes études, fasc 101, Paris, 1894.

267

Le trouvère Albéric de Besançon est connu pour avoir composé vers 1120 une version française de la légende d'Alexandre, reprise par Lamprecht, un poète allemand de la région de Cologne vers 1170 (Histoire d’Alexandre

le Grand de sa naissance jusqu’à son adolescence, fin XIe

ou début XIIe siècle, fragment de 105 vers

octosyllabiques ; en édition moderne, Recueil d’anciens textes bas-latins, provençaux et français, accompagnés de deux glossaires publiés par Paul Meyer, Paris ; Lamprechts Alexander nach den drei Texten mit dem

Fragment des Alberic von Besançon und den lateinischen Quellen, éd. Karl Kinzel, Halle, Niemeyer, 1884).

268

Né en 1071 et mort en 1226, Guillaume IX d’Aquitaine est considéré comme le plus ancien troubadour connu. Son œuvre marque le début de l’âge d’or de la littérature occitane. Il invente des mots-clés et les règles du trobar, fixe les grands principes du lyrisme courtois, tel qu’il se perpétua parmi les générations suivantes de troubadours, et parmi les trouvères du nord de la France. Les pièces qui nous sont parvenues – seulement 11 – présentent des structures et une versification très riche et variée (notamment les strophes à rimes alternées). Sa poésie, parfois crue, reflète une époque où l'Église n’avait pas terminé son emprise sur la société. The

Troubadours. An Introduction, S. Gaunt and S. Kay eds. Cambridge, UP, 1999, p. 16, 19, 34, 67, 79-81.

269

Né en 1201, mort en 1253, il fut comte de Champagne sous le nom de Thibault IV de Champagne et roi de Navarre de 1234 à 1253, sous le nom de Thibault Ier de Navarre (C. Taittinger, Thibaud le chansonnier, comte de

appartient au même niveau social et à la même génération que Maurice II de Craon. Né vers 1150 en Artois, fils de Robert V de Béthune, il est renommé pour ses chansons d’amour et de croisade : il participe ainsi à la troisième et quatrième croisade dans lesquelles il tient un rôle politique important et introduit dans le cycle courtois l’image du croisé quittant celle qu’il aime. Il est également l’auteur d’une satire attaquant ceux qui s’approprient les fonds rassemblés pour financer les croisades.

3.1.2.1.2 Les poèmes des seigneurs de Craon et de leurs cousins : amour et vasselage

Deux poèmes, attribués unanimement aux seigneurs de Craon, sont l’objet de cette étude : il s’agit des pièces n° 1387 et n° 26 de Gaston Raynaud évoquées précédemment. Le premier, de la fin du XIIe siècle, est donné comme œuvre de Maurice II et le second, que l’on peut dater du début du XIIIe siècle, a vraisemblablement pour auteur Pierre de Craon.

Le premier texte semble être d’un intérêt limité ; très conventionnel270, il ne fait que reprendre un certain nombre de thèmes que l’on retrouve ailleurs, c’est-à-dire des motifs traditionnels de l’amour courtois. Par exemple, le verbe « servir », vers 2 de la strophe IV, est un thème classique des poèmes courtois et signifie dans ce vers « rendre un culte à une dame ». De la même manière, le désir, l’envie désignent l’exaltation qui s’empare du poète à la vue et à la pensée de la dame :

Strophe II vers 1 à 4

De li sunt tout mi consire, Ne de rien al,

A la bele en cui se mire Mon cuer loial

Strophe II, vers 1 et 2

Onques d’autre noi envie Ne ja n’avrai

Et ce désir « assaille » le poète lors du renouveau printanier, au moment où la nature reprend vie, ce qui est commun à de nombreux textes.271 Strophe I, vers 1 à 4 :

A l’entrant del douz termine Del tans novial,

XIIIe siècle, Lyon, La Manufacture, 1987 ; M. Bur, La Champagne médiévale, recueil d’articles, Langres,

Dominique Guéniot éditeur, 2005.

270

Au cours d’un entretien, J. Dufournet nous a confirmé l’absence d’originalité de ce poème. J. Dufournet exerce à l'université de Perpignan, il a écrit de nombreux ouvrages, dont La littérature française du Moyen Âge,

t. 1, Romans et chroniques, Flamarion, 2003 en collaboration avec C. Lachet.

271

Que naist la flours en l’espine Et cil oisial

Chantent par mi la gaudine.

La mesura (« mesure ») qualifie l’attitude idéale du poète aimant, faite de conformité aux normes et aux rites, de patience, de modération, d’humilité. Strophe II, vers 15-16 :

Hé las ! Je ne li os dire Pour nesun mal

Strophe III, vers 27 à 29 :

Hé las ! Ele nes set mie, Ne je ne sai

Se je ja maiz li dirai.

Bien qu’il semble avoir déjà assimilé les conceptions courtoises et les thèmes poétiques du lyrisme occitan, la versification de l’auteur, Maurice II de Craon, paraît malhabile.272

Il figure, cependant, avec Robert de Sablé, comme l’un des plus anciens trouvères de l’ouest qui nous soit connu.273

La référence à Robert de Sablé274 est intéressante à plusieurs titres : d’une part, il est l’auteur d’une curieuse chanson où les attaques contre l’amour alternent avec les protestations de repentir ; composée certainement avant son départ pour la croisade (1190), cette chanson dont il existe deux versions275 (la seconde certainement œuvre d’un remanieur maladroit) fait état d’une thématique différente de celle présente dans les poèmes des seigneurs de Craon. En effet, le thème récurrent des chansons des Craon – le vasselage – n’apparaît pas aussi nettement dans le poème de Robert de Sablé. D’autre part, Robert IV de Sablé est un cousin, au troisième degré, de Maurice II, dont l’ancêtre commun aux deux familles était Robert le Bourguignon. Parents, les Craon et les Sablé sont représentatifs de cette littérature courtoise de langue d’oïl émergente à la fin du XIIe

siècle ; il y a entre eux comme une gémellité courtoise, à égalité de rang. Les deux châtelains n’ont pas toujours pris les mêmes partis, ils

272

Dictionnaire des Lettres françaises, Le Moyen Âge, [1964], 1994, p. 356.

273

H. Petersen-Dyggve, Onomastique des trouvères, Hensinki, 1934, p. 31.

274

Robert IV de Sablé se croisa en 1189 avec le roi d’Angleterre, Richard cœur de Lion, qui lui confia une charge parmi les commandements de la flotte. Après la mort de sa femme, Clémence de Mayenne (1190 ou 1191), il entra dans l’ordre du Temple dont il devint le Grand Maître en 1191 ; il le resta jusqu’à sa mort en 1196. Il est renommé pour sa piété et son humilité. Œuvres : A) H. Petersen Dyggve, Personnage historique figurant dans la poésie lyrique française des XIIe XIIIe siècles. XX. Renaud de Sabloeil et la comtesse de Meulant, dans Neuphilologische Mitteilungen, t. 45 (1944), p. 61-91. B) Anthologie de la poésie lyrique

française des XIIe et XIIIe siècles, éd. bilingue, J. Dufournet, Paris, 1989, p. 92-95 (NRF Poésie).

275

sont certainement rivaux sur bien des points, mais participent de la même ambiance courtoise, peut-être dans une aimable concurrence pour s’illustrer.

SABLÉ Robert le Bourguignon (†c.1098) CRAON

Robert de Sablé (†1102) ∞ Hersende de la Suze Renaud (†1101) ∞ Agnès de Vitré

Lisiard ∞ Tiphaine Maurice Ier (†1116) ∞ Tiphaine

de Briolay de Chantocé

Robert III (†1152)∞Hersende Hugues (†1138) ∞ I Agnès de Laval ∞ II Marquise

Robert IV (†1195) ∞ Clémence de Mayenne Maurice II (†1196) ∞ Isabelle de Meulan Marguerite ∞ Guillaume des Roches Maurice III (†1207) Amaury I (†1226) Jeanne des Roches ∞ Amaury I (†1226)

Tableau 21 : Filiation Craon / Sablé : approche comparative

Le poème de Maurice II tourne autour du thème de la loyauté, qui est l’un des mots clefs du texte :

Strophe IV, v. 1-2.

A touz les jours de ma vie La servirrai.

Strophe II, v. 4 :

Mon cuer loial.

De plus, l’utilisation par l’auteur d’un vocabulaire féodal intégré dans le poème est intéressante et laisse entrevoir les préoccupations du seigneur. Les termes baillie (strophe IV, vers 3), seignorie (strophe IV, v. 5), nous amènent aussi à penser qu’il existait une corrélation étroite entre le politique et le culturel, ce que nous verrons dans le second récit.

Maurice II paraît ainsi être un homme doté d’un certain goût pour la culture : c’est un homme en vue à la cour des Plantagenêts, proche du miles litteratus276, mis en avant par Michael T.

276

« Guerrier et savant, courtisan et chevalier, administrateur et combattant, il participe à la construction d’un État (…) », M. Aurell, L’empire des Plantagenêts, p. 93. La courtoisie est d’ailleurs un programme, nous dit M. Aurell (L’empire des Plantagenêts, p. 88), destiné à pacifier les mœurs du guerrier. Voir aussi C. Stephen Jaeger.

Clanchy.277 En cela, il ressemble à Alphonse II d’Aragon à la fois grand poète et seigneur, ce qui permet de nuancer l’opposition généralement faite entre les seigneurs du nord, rustres et sans culture, et ceux du midi.

Le second, dont l'auteur supposé serait Pierre de Craon, est plus intéressant, plus original, comme le confirme le Dictionnaire des Lettres françaises.278 Les jeux rhétoriques présents dans les vers 38-40 nous invitent à dater le texte plus tardivement que le premier poème. Il s’agit d’une rhétorique que l’on commence à trouver à la fin XIIe

, début du XIIIe siècle ; elle est rare dans les textes du milieu du XIIe siècle. Au-delà des traditionnels motifs de la fin

Amor présents à l’intérieur du poème, nous pouvons constater un certain nombre de

singularités rhétoriques. En effet, l’auteur joue sur les figures étymologiques et se complaît dans l’art de la rhétorique, manifestant une maîtrise de l’exercice et montrant des qualités littéraires certaines. C’est ainsi que dans la strophe IV, vers 38 : Quar sens de ghille à ghiller

ghille avoie, ou le vers 40 de la même strophe : Est trahisons, trahir quidant, trahir, le

seigneur de Craon utilise un polyptote, c’est-à-dire un type de répétition multiple et fréquent d’un même mot et d’un même radical.279

Ce procédé ne commence à fleurir que dans la première moitié du XIIIe siècle où l’utilisation