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Fidélité et actions militaires du Bourguignon, conditions de sa « promotion »

PREMIÈRE PARTIE : LA GENÈSE D’UN LIGNAGE(XI e – XIIIe

1. La concession de la seigneurie de Craon à Robert le Bourguignon : l’enracinement dans une terre

1.2 La constitution d’un bloc territorial conséquent, base matérielle de l’identité familiale familiale

1.2.2 La concession de la seigneurie de Craon à Robert le Bourguignon vers 1054

1.2.2.3 Fidélité et actions militaires du Bourguignon, conditions de sa « promotion »

Renaud le Bourguignon (†1101) ∞ Agnès de Vitré

Maurice Ier (†1116) Henri Robert Mahaut Raoul sire de Créquy (†1181)

Première "maison" de Craon

Le nouveau lignage issu de Robert le Bourguignon

Tableau 8 : Habileté et bon sens de la nouvelle « maison »nobiliaire issue du mariage de Renaud le Bourguignon avec Agnès de Vitré : le maintien des liens matrimoniaux

traditionnels créés par la première « maison » de Craon

Le lignage issu de Robert le Bourguignon comprit l'intérêt de maintenir et renforcer les liens matrimoniaux traditionnels créés par la première "maison" de Craon. En effet, Mahaut, la fille de Renaud le Bourguignon et d'Agnès de Vitré, épousa Raoul de Créquy. Or, la première « maison » de Craon avait déjà noué une alliance avec les Créquy : Guérin Ier de Craon avait en effet épousé Anne de Créquy, fille de Beaudoin Ier et de Marguerite de Louvain. Par le biais de cette alliance avec les Créquy, le lignage issu de Robert le Bourguignon poursuivait l'orientation matrimoniale de la première « maison » de Craon, consolidant son assise et sa légitimité.

Quoi qu’il en soit, jusque dans les années 1070, Robert avait eu entre les mains l’honor de Craon, ce qui constituait avec le fief de Sablé un bloc territorial important, lui permettant d’agir sur la vie politique et militaire du comté et de constituer un réseau de relations d’ampleur désormais intéressante.

1.2.2.3 Fidélité et actions militaires du Bourguignon, conditions de sa « promotion »

Les ambitions territoriales de Robert ne s’arrêtèrent pas là, puisque les successeurs de Geoffroy Martel, mort en 1060, ne cessèrent de lui manifester de la bienveillance et d’accroître son patrimoine. La présence de Robert le Bourguignon dans les chartes et les

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M. Du Brossay, Cartulaire d’Azé et du Généteil, Archives historiques du Maine, t. III, Le Mans, 1903, p. 55, acte IV, daté du 15 février 1098.

notices nous donne l’impression d’un personnage envahissant, toujours à l’affût d’opportunités, mais particulièrement apprécié par les comtes d’Anjou et il est incontestable que Robert bénéficia de la protection comtale tout au long de sa vie, quel que soit le comte. Dans une notice issue du cartulaire de l’abbaye de Saint-Aubin d’Angers54

, le comte Foulques le Réchin lui donna la seigneurie de Durtal, en commun avec Macouard de Daumeray, en raison des droits qu’il y avait, sans que nous sachions quelle était leur origine ni leur nature. Afin de restituer à Robert ses droits sur Durtal, le comte d’Anjou usa de fermeté envers Renaud de Maulévrier, le chassant sans complaisance. Sans doute peut-on penser qu’une intervention militaire fut nécessaire pour s’emparer de la place et soumettre Renaud de Maulévrier, mais nous n’avons aucun renseignement complémentaire sur cette affaire, ni sur la façon dont le comte procéda pour chasser Renaud, ni sur les sanctions portées à l’encontre du seigneur de Maulévrier. Mais l’intervention comtale prouve l’intérêt porté par Foulques le Réchin à Robert le Bourguignon, qui paraît être un personnage essentiel de la cour angevine. Il est vrai que le neveu de Geoffroy Martel, Foulques, devait connaître Robert depuis sa plus tendre enfance. Neveu par alliance du comte Geoffroy, proche conseiller de ce dernier souvent présent à sa cour, Robert bénéficiait de la confiance des comtes, que venait conforter une solide assise territoriale, et dont le soutien était recherché notamment par Foulques, qui n’avait pas hésité à écarter son frère, Geoffroy le Barbu, de la succession comtale.

En se faisant reconnaître par les membres influents de la cour de Geoffroy Martel, tel Robert, personnage respecté et écouté, Foulques le Réchin usait d’habileté politique et espérait légitimer ses actions.55 D’ailleurs, le roi de France, Philippe Ier, ne s’y trompa pas, puisqu’il fut l’instigateur du revirement passager de Robert le Bourguignon en faveur de Geoffroy le Barbu en juillet 1067. Quelques semaines plus tard, le 7 août, le roi honorait Robert en confirmant une donation qu’il avait faite et rassembla les protagonistes angevins, Geoffroy le Barbu et Foulques le Réchin, dans le but de les réconcilier. Pourtant, en 1068, Foulques réussissait une nouvelle fois à s’emparer de son frère et à porter le titre comtal, jusqu’à sa mort en 1109.

Conscient de sa puissance, Robert le Bourguignon avait ainsi manifesté une plus grande liberté d’action et de décision dans une difficile période de transition. Le changement d’attitude de Robert, moins soumis, plus libre de ses mouvements, révèle aussi une modification des rapports qu’il entretenait avec le pouvoir comtal. Avec Geoffroy Martel, un

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Cartulaire de Saint-Aubin d’Angers, charte CCLXXXIX, p. 334-335.

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En avril 1067, Foulques le Réchin suscita un soulèvement à Angers contre son frère Geoffroy le Barbu. Celui-ci lui fut livré et fut emprisonné au château de Sablé, sous la surveillance de Robert le Bourguignon, qui avait pris le parti de Foulques (L. Halphen, opt. cit., p. 146).

homme faisant preuve de sens politique et proche de ses intérêts, Robert se sentait totalement dépendant et redevable envers son protecteur. Avec les neveux de Geoffroy Martel, Robert maintenait des rapports moins contraignants et disposait d’une marge de manœuvre beaucoup plus large, d’autant qu’un nouvel acteur intervenait dans le comté, le roi de France, obligeant le comte d’Anjou à intégrer la hiérarchie féodale et à se reconnaître vassal du roi. Même le revirement de Robert n'avait pas nui au rapport qu'il entretenait avec les différents comtes d'Anjou. Ces derniers lui avaient assuré une place importante au sein du baronnage angevin lui permettant d’étendre sa puissance foncière : il reçut également la seigneurie de Noyen, en Haut-Maine, comprenant la paroisse de Saint-Germain et le fief d’Amnée. Enfin, en plus de ses domaines dans le Loudunois, Robert s’occupa de la gestion de la seigneurie de Mathefelon, en tant que tuteur d’Herbert de Champagne, ce qui lui permit de retirer un certain nombre d’avantages financiers.

Robert le Bourguignon était ainsi parvenu à se constituer un bloc territorial important – ce qui est assez paradoxal, puisque ces projets étaient généralement combattus par les comtes – réparti en Anjou (Craon, Lion d'Angers, Genneteil, Durtal, Baugé, Brion) et dans le Maine (Sablé, Brûlon, Noyen, Malicorne), grâce à la protection comtale, qui ne cessa de se manifester en donation foncière et certainement en émoluments de tout genre, quelle que soit d’ailleurs la personne à la tête du comté. Quelle signification accorder à ces donations ? Les comtes devaient-ils payer leurs alliés ou s’agissait-il de récompenses versées au bon vouloir des comtes ? En tout cas, l’accroissement de son patrimoine foncier avait été une préoccupation constante pour Robert, qui nous apparaît comme un homme soucieux de ses intérêts, opportuniste, mais attaché aux valeurs de son époque.

Ses faits de guerre attestent en effet de l’importance des activités militaires dans la vie de ses contemporains et nous montrent qu’ils étaient la condition d’une réussite et d’une reconnaissance sociales bien que, faute de documentation, nous ne puissions suivre que ses opérations militaires les plus importantes. Robert le Bourguignon se trouva présent dans les principales opérations menées entre les comtes d’Anjou et les ducs de Normandie, des années 1050 aux années 1098, ce qui en fit un personnage incontournable, respecté des barons angevins et reconnu de ses adversaires.

Le Maine représentait un enjeu fondamental56 pour les deux principautés, celle de Normandie et d’Anjou, dont le contrôle était indispensable pour exercer la prépondérance dans la région. Depuis 1060, l’influence angevine y avait perdu de son éclat et engendré une situation politique fort confuse, les seigneurs du comté n’hésitant pas à louvoyer au gré de leurs intérêts. C’est dans ce contexte agité, favorable aux revirements politiques que la rivalité entre comtes d’Anjou et ducs de Normandie trouva un écho favorable, avec, pour arbitre, le roi de France, alternant les alliances suivant la conjoncture militaire.

Robert participa ainsi à la campagne que mena le comte d’Anjou contre Guillaume de Normandie en 1051–1052, mais sans parvenir à contrer la puissance montante du duc, même avec l’aide du roi de France, qui avait signé un traité d’alliance avec le comte en octobre 1052. Le duc de Normandie réussit, de ce fait, à prendre le contrôle de la frontière sud de son duché et à agrandir son territoire de la région autour de Domfront, le Passais, qui ne relevait pas de la Normandie. De plus, la mort de Geoffroy Martel et la crise de succession qui s’ensuivit avaient ouvert pour Guillaume de nouvelles perspectives d’expansion vers le sud. Le prestige que Guillaume de Normandie avait acquis aux dépens du roi de France et du comte d’Anjou était considérable, si bien que la famille comtale du Maine, pourtant vassale de l’Anjou, n’hésita pas à pratiquer une politique opportuniste et fluctuante : le comte HerbertII prêta hommage au duc et, par testament, lui céda son comté. Cependant, ses vassaux, qu’il n’avait certainement pas consultés avant de prendre cette décision, refusèrent cette « annexion » et firent appel à Gautier, comte de Mantes, oncle d’Herbert II, soutenu par Geoffroy le Barbu. Fidèle serviteur du comte d’Anjou, Robert fut présent à cette nouvelle campagne, prenant parti pour Gautier de Mantes et Geoffroy de Mayenne, l’adversaire le plus déterminé de Guillaume de Normandie. Il était d’ailleurs doublement concerné par cette opération, agissant d’une part comme vassal du comte d’Anjou, mais aussi comme seigneur

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Pour plus de renseignements sur la politique des comtes d’Anjou dans le Maine, voir les ouvrages de L. Halphen, Le comté d’Anjou au XIe siècle, Paris, 1906 et O. Guillot, Le comte d’Anjou et son entourage au XIe siècle, Paris, 1972.

de la seigneurie de Sablé, fief situé dans le Maine. Dans cette affaire, on retrouve le trait caractéristique de Robert : la fidélité ; il aurait pu en effet profiter de l’ascension politique du duc de Normandie et du déclin de l’Anjou affectée par une crise successorale pour offrir ses services au duc; or son soutien au comte d’Anjou fut sans faille, même si son intervention fut insuffisante puisque Guillaume de Normandie soumit Geoffroy de Mayenne, puis Gautier de Mantes, qui accepta la victoire des Normands et renonça au comté du Maine. Afin de légitimer sa conquête, le duc de Normandie maria son fils aîné Robert Courteheuse à Marguerite, sœur et plus proche héritière d’Herbert II. En tant que possesseur de la terre de Sablé, Robert le Bourguignon se trouvait désormais vassal du Conquérant57, ce qui ne l’empêchait pas de conserver ses attaches avec le comté d’Anjou, comme il le prouva, fort habilement, dans une fondation faite sur l’église de Bouchamp en l’honneur de son bienfaiteur, Geoffroy Martel, le 16 juillet 1067.

Le Maine était devenu un théâtre d’opérations militaires incessant et bien que nous ne disposions pas d’informations suffisantes sur la participation de Robert le Bourguignon à ces expéditions militaires, nous pouvons supposer qu'il fut présent auprès de Foulques d’Anjou lors du siège de Dol (septembre-octobre 1076) contre Guillaume de Normandie ou de la Flèche, dont le seigneur Jean était le principal défenseur de la cause normande dans le Maine. L’état de guerre contre Robert Courteheuse était permanent dans la région mancelle : un soulèvement des grands seigneurs se produisit sous la direction d’Hubert, vicomte de Beaumont, Fresnay et Sainte-Suzanne en 1082 puis, quelques années plus tard, à la mort de Guillaume le Conquérant. Robert le Bourguignon participa à ces mouvements de révolte, puisqu’il fut contraint de se soumettre au duc Robert Courteheuse, de la même manière que Geoffroy de Mayenne et Hélie de la Flèche.58 Cependant, la campagne ne permit pas à Robert Courteheuse de rétablir son autorité sur le Maine : dès 1089, les Normands furent chassés des châteaux du Maine et Hélie prenait le titre de comte du Maine, qui retombait sous la suzeraineté angevine. Cela ne signifiait pas une fin des hostilités puisque Guillaume le Roux entreprit une nouvelle expédition militaire en 1098 contre le comte d’Anjou, qui bénéficiait toujours du soutien du Bourguignon comme l’atteste une charte indiquant le départ à la croisade de Robert le Bourguignon, une fois passées les menaces pesant sur le comté.

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Dans une charte, confirmant l’acte de fondation du prieuré de Brûlon par Geoffroy Bouchard, Robert le Bourguignon est qualifié fidelissimus de Guillaume le Conquérant et de Robert Courteheuse, son fils, comte du Maine (Cartulaire des abbayes de Saint-Pierre de la Couture et de Saint-Pierre de Solesmes, publié par les Bénédictins de Solesmes, Le Mans, 1881, p. 22).

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Archives de Maine-et-Loire, H 110, n°113, 1090-1092 : dans cet acte, il est dit que Robert le Bourguignon était au service du comte Robert de Normandie.

La fidélité dont il avait fait preuve vis-à-vis des comtes d’Anjou et son action militaire ont été sans aucun doute à l’origine de l’affection et de la protection comtales qu’il reçut et qui se manifesta par des gratifications financières et des donations territoriales. Doté d’une forte personnalité et de talents militaires indiscutables, Robert le Bourguignon disposait d’atouts précieux le prédestinant à une carrière accomplie, facilitée, il est vrai, par ses origines familiales.