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La concession de Renaud le Bourguignon à l’ermite Robert d’Arbrissel : la mise en avant d’une nouvelle religiosité en avant d’une nouvelle religiosité

PREMIÈRE PARTIE : LA GENÈSE D’UN LIGNAGE(XI e – XIIIe

2. La fondation de l’abbaye de la Roë : un élément fondamental de la mémoire familiale des Craon ? des Craon ?

2.2 La fondation de la Roë : un acte de bonne politique

2.2.1 Une abbaye au cœur de la forêt-frontière de Craon

2.2.1.1 La concession de Renaud le Bourguignon à l’ermite Robert d’Arbrissel : la mise en avant d’une nouvelle religiosité en avant d’une nouvelle religiosité

À la fin du XIe siècle, l'Église était en situation de crise. En effet, les textes nous montrent les difficultés rencontrées par une grande partie du clergé paroissial et les abus du haut clergé angevin : les deux-tiers au moins des desservants demeuraient encore soumis à des laïcs, et cette situation traditionnelle donnait désormais lieu à des soupçons de simonie. Face à « l’avilissement » du clergé séculier, le renouveau du monachisme apparaissait être une solution : gagnant l’ouest de la France dans le dernier quart du XIe siècle, il fut des plus brillants en Anjou.95 Cet effort de redressement fut l’œuvre des ermites et des prédicateurs itinérants : ils allaient chercher au fond des bois une vie sanctifiée par le silence et l’austérité. Œuvrant dans le sens de la réforme, Robert d’Arbrissel était devenu un acteur important pour le pape dans une région en crise, d’autant que l’attribution d’un mandat de prédication officiel le plaçait, en principe, sous contrôle pontifical et hors d’atteinte des pressions de l’épiscopat local. De plus, l’objectif premier de la visite du pape à Angers était la consécration de la basilique Saint-Aubin. Or, les moines de ce sanctuaire, vraisemblablement sous la pression comtale, s’opposèrent avec véhémence à cette consécration papale96 ; cela traduisait la fragilité de la réforme grégorienne en Anjou. Robert apparaissait alors pour Urbain II comme

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Ce lieu dit la Roë relevait du comté d’Anjou et de l’évêché d’Angers.

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D’après L. Raison et R. Niderst, « Le mouvement érémitique dans l’ouest de la France à la fin du XIe siècle et au début du XIIe siècle », Annales de Bretagne, t. LV, 1948, les ermites étaient forts nombreux dans l’ouest de la France : Guillaume Firmat, itinérant, qui n’a cessé de bouger, Bernard de Tiron, devenu prieur puis abbé à Saint-Cyprien de Poitiers), Vital de Mortain, qui entra en rapport avec Robert à Craon, Raoul de la Futaie ou Fustaye, qui embrassa la vie érémitique dans la forêt de Craon et resta attaché à Robert ainsi que des disciples de Robert d’Arbrissel : le plus important, Giraud de Salles, compagnon dans la forêt de Craon, Renaud, le religieux de l’abbaye de Saint-Jean-des-Vignes, près de Soissons, qui le suivit à Craon et Quintinus qui succéda à Robert à la tête de la communauté de la Roë et devient abbé.

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Pourquoi ce refus ? Il semble que le comte d’Anjou, Foulques le Réchin, n’ait pas été étranger à ce refus car le pape avait mis en cause l'ingérence du comte dans les affaires de l’abbaye. Urbain II condamnait en effet toute intervention du comte dans les élections abbatiales (refus d’investiture comtale) et protégeait le patrimoine abbatial contre tout spoliateur. La consécration de l’abbaye de Saint-Aubin par le pape aurait eu pour conséquence son exemption, ce que refusait le comte. L’exemption monastique retirait la juridiction du monastère à l’évêque diocésain et la rattachait directement à Rome. Or, cette juridiction était primordiale pour le comte, elle lui ouvrait le contrôle du sacre de l’évêque d’Angers (Guillot, t. 1, p. 195). Le refus apposé par les moines serait donc un refus comtal, ce qui signifiait un échec diplomatique pour le pape. Cet échec est tout de même relatif, car l’ingérence comtale disparaît vers 1100-1102 et l’élection de Renaud de Martigné au siège épiscopal d’Angers en 1101-1102 ouvrira le diocèse à la réforme grégorienne.

un personnage essentiel et un relais précieux face au comte. Pour Robert d’Arbrissel, l’aide pontificale confortait une position fragile : sa prédication commençait à subir les critiques d’Yves de Chartres, pourtant de formation monastique (mais bénédictin à la différence de Robert). De plus, Robert était assuré de ne pas recevoir la consécration abbatiale pour son église de la Roë et donc de rester libre, sans attache juridique avec un groupe déterminé. Ses prises de position et le soutien du pape ne tardèrent pas en effet à générer des oppositions et des rancœurs de la part de ceux qui entendaient conserver leurs privilèges97

et qui dénonçaient les pratiques de Robert d’Arbrissel98

comme douteuses.

L’acte de fondation et la double confirmation de la donation d’un bois par Renaud le Bourguignon le 12 février 1096 à Angers et le 20 mars 1096 au concile de Tours revêtaient donc une dimension religieuse de premier plan, dépassant des enjeux purement châtelains, puisque cette fondation participait à l’essor de la réforme en Anjou, souhaitée par le pape et menée par Robert d’Arbrissel. De plus, ces cérémonies furent également l’occasion, pour le seigneur de Craon, de s’afficher devant un parterre d’évêques, d’abbés et une foule de grands seigneurs.

Au départ, Robert et ses disciples avaient construit un domicile commun. L’acte de « fondation » qui décidait de la construction d’une église et de l’instauration de la règle des chanoines réguliers de Saint Augustin fut obtenu à l’occasion de la visite du pape Urbain II à Angers. Celui-ci demanda d’ailleurs à Robert d’Arbrissel de se rendre à Angers pour la dédicace de l’abbaye Saint-Nicolas, le 10 février 1096, en présence de Renaud le Bourguignon. Or, la fondation d'un groupe canonial nécessitait l'établissement de bases sans lesquelles il ne pourrait exister et se développer. Trois modes de fixation avaient présidé à l’installation du nouveau groupe :

- la concession d’un bois par le seigneur de Craon, ce qui les attachait à un lieu ;

- la consécration d’un bâtiment par un représentant de l'Église, transformant ce lieu en un centre officiel de vie et de prière ;

- le respect d’un code de vie, la règle de Saint Augustin.

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Notre propos n’est pas d’analyser les arguments avancés par les « traditionalistes » et ceux dégagés par les réformateurs, mais d’insister sur le fait que l’action de Robert connaissait des oppositions. C’est ainsi que nous avons conservé deux lettres (Migne, Patrologie latine, t. 157, col. 181 ss. ; et t. 171 col. 1480 ss.) de dignitaires ecclésiastiques qui s’opposaient aux pratiques de l’ermite : la première émane de Marbode, évêque de Rennes et la seconde a été écrite par Geoffroy, abbé de la Trinité de Vendôme. Au XVIIe siècle, la propagande fontevriste s’était attachée à en nier l’authenticité, mais elles sont reconnues authentiques aujourd’hui exprimant les réactions scandalisées de traditionalistes devant certaines pratiques et les menaces que constituait l’extension de la Réforme.

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Y était notamment dénoncée la pratique consistant à rechercher, en passant ses nuits parmi des femmes, la tentation charnelle pour mieux la surmonter (J. M. Bienvenu, Robert d’Arbrissel, l’étonnant fondateur de

Il est d'ailleurs tout à fait remarquable que les trois expressions employées dans l'acte pour définir les chanoines soient les suivantes : loci fratres, clerici in prefata ecclesia ... degentes,

canonici canonice.

Que nous apprend cet acte de « fondation » quant à l'identité de ses bénéficiaires et qu'en est-il de leur passé pré-canonial ? Ces derniers sont au nombre de six et sont tous clercs. Nous sommes même renseignés sur le nom de quatre d'entre eux: « Robert, Quintin et deux Hervé».99 Mais l'acte n° 1 ne nous permet pas d'avoir d'autres précisions à leur sujet. L'acte n° 2 (12 février 1096-25 avril 1097), proche chronologiquement de l'acte de « fondation », nous fait connaître les noms des deux autres chanoines : Humbert et Gautier le Petit. Il nous permet également de pouvoir affirmer que le chanoine Robert mentionné dans l'acte n° 1 est Robert d'Arbrissel. De plus l'acte n° 3 (25 avril 1097) nous précise le nom d'un des deux Hervé, à savoir Hervé de la Sainte-Trinité. Ainsi, les six premiers chanoines de Notre-Dame-du-Bois sont les suivants : Robert d'Arbrissel, Quintin, Hervé de la Sainte-Trinité, Hervé, Humbert et Gautier le Petit.

La notice n° 2 nous apporte des renseignements essentiels : avant le donum du seigneur de Craon, les chanoines menaient une vie érémitique dans sa forêt, «... après le don de Renaud le Bourguignon les forestiers voulurent avoir sa villicatio et toutes les coutumes qu'ils avaient dans tout le reste de la forêt tant avec les ermites qu'avec ses autres hommes».100 Dans l'acte n° 3, nous trouvons même le terme « désert» - heremum - pour désigner le bois concédé aux chanoines en février 1096. Ce terme appartient au même champ sémantique que «ermite» -

heremita -. Il marque bien la recherche de solitude propre à tout ermite. En février 1096,

Renaud a donc concédé à des ermites la partie de sa forêt qu'ils occupaient jusqu'alors, pour qu'ils y vivent canonice. Ces six ermites, comme nous l'avons vu, étaient tous clercs, ce qui n'est pas étonnant, l'érémitisme de l'Ouest grégorien étant surtout clérical.101 L'acte n° 2 nous indique, par ailleurs, que le chanoine Humbert était le premier ermite de la forêt de Craon et l’acte n° 3, daté du 25 avril 1097, nous apporte une précision intéressante, soulignant que le premier autel avait été consacré « en l'honneur de la très glorieuse Vierge Marie et de saint

Jean l'Évangéliste son serviteur ».102 Outre que la dédicace d'une église à la Vierge et à un autre saint soit d'un usage très répandu dans les fondations de l'époque, il est remarquable,

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A.D. Mayenne, Cartulaire de la Roë, n° 1: Robertus et Quintinus et duo Hervei.

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Ibidem, n° 2 : ... post donum domni Raginaldi Burgundi forestarii voluerunt habere villicationem suam et

omnes cosdumas quas habebant in tota alia foresta tam cum heremitis quam cum aliis hominibus suis.

101

Dom J. Becquet, « L'érémitisme clérical et laïc dans l'Ouest de la France » dans L'eremitismo in Occidente nei

secoli XI e XIl, Milano, 1965, p. 188.

102

A.D. Mayenne, Cartulaire de la Roë, n° 3 : in honorem gloriosissime Virginis Marie necnon et sancti

souligne J. M. Bienvenu103, que l'on retrouve cette même dédicace quelques années plus tard pour les oratoires des prieurés fontevristes établis par Robert d'Arbrissel. Cette constante marque bien la dévotion toute spéciale de Robert envers la Vierge et saint Jean l'Évangéliste. La consécration de l'église n'ayant eu lieu qu'un peu plus d'un an après la fondation du groupe canonial, il est fort probable que le bâtiment fut construit en bois, du moins en grande partie. D'ailleurs, le conflit rapporté par l'acte n° 2 (12 février 1096-25 avril 1097) semble bien avoir pour origine le défrichement du bois canonial dans le but d'édifier l'église, défrichement portant atteinte aux droits des forestiers sur le bois des chanoines; ceux-ci ne pouvant abattre librement les arbres nécessaires à la construction de l'église, celle-ci serait compromise : «... après le don de monseigneur Renaud le Bourguignon, les forestiers ont voulu conserver sa villicatio et toutes les coutumes qu'ils avaient dans tout le reste de la forêt tant avec les ermites qu'avec ses autres hommes. C'est pourquoi les forestiers Bernard et Renaud ont pris la hache des mains d'Humbert, le premier ermite, qui abattait un seul tronc d'abeilles [...] D'où Humbert et d'autres, très tristes, ont prié monseigneur Renaud, seigneur de Craon, lui disant de défendre son don contre les forestiers sinon ils ne construiraient pas davantage en son aumône mais ils fuiraient vers une autre terre ».104