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La figure de l'innovateur : un idéal-type ?

L’innovateur semble correspondre à l’émergence d’une nouvelle figure emblématique de l’homme au XXIème siècle, de même que :

- l’honnête homme du XVIIème, - le philosophe du XVIIIème, - l’inventeur du XIXème,

- l’entrepreneur-manager du XXème.

On s'accorde souvent à dire que la capacité d'innovation demande certaines qualités innées. Tous les individus ne sont pas destinés à devenir des innovateurs hors pair. Néanmoins nous pouvons nous poser la question vis à vis des modèles emblématiques proposés au cours de l'histoire : toutes les femmes et les hommes du Moyen Age n'étaient pas des saints, mais tous étaient appelés à l'être, n'en va-t-il pas de même pour les innovateurs aujourd'hui ?

L’innovateur, plus que tout précédent modèle, n’est pourtant pas une figure facile à définir en termes d’individualité : l’innovation étant un processus complexe dont la dimension sociale implique nécessairement plusieurs acteurs, voire une équipe. Cependant l'imaginaire collectif fait référence à une seule et unique personne pour la représenter. Pour cerner cette figure, nous allons d'abord analyser deux figures proches : celles de l'inventeur et celle de l'entrepreneur.

I.1. Les figures proches de l’innovateur :

de l’inventeur à l’entrepreneur.

I.1.A Figure de l’inventeur

La figure de l’inventeur fait également référence, dans l’imaginaire collectif, à une seule et unique personne. Se pourrait-il que l’invention soit contrairement à l’innovation un acte purement individuel ? Nous allons définir et préciser cette figure afin d’étoffer et d’enrichir, comme un portrait en creux, celle de l’innovateur.

Qu’est-ce qu’un inventeur ? La réponse varie selon les époques et notamment la définition des rapports entre science et technique. Le mot inventeur procède de deux sens issus des deux sens du verbe inventer. Il signifie d’abord « créer ou trouver quelque chose de nouveau » puis à partir du XVIème siècle : « trouver des idées grâce à son imagination » (Rey, 1998).

De même que les écrivains reconnus à la Renaissance étaient loués pour leur capacité à traduire ou imiter en langue française les œuvres retrouvées des auteurs de l’antiquité (Ronsard, Du

Bellay et les autres poètes de la Pléiade reprenant Pétrarque notamment…), l’inventeur n’est pas à l'origine du terme, celui qui met au point quelque chose de neuf. Il est plutôt la personne capable de redécouvrir un dispositif mécanique ancien pour l’améliorer en le retravaillant (Margolin, 1994).

Au cours du XIXème siècle, les révolutions industrielles et le développement de l’industrialisation permettent l’émergence de la figure héroïque de l’inventeur. En Grande-Bretagne notamment, la personne de l’inventeur a fait l’objet d’un véritable culte. Dans une histoire encore traumatisée par les dernières guerres, l’économie semble la réponse aux conflits belliqueux entre les puissances européennes. L’inventeur est vu alors comme l’artisan de la paix de par les opportunités commerciales que ses inventions ouvrent (MacLeod, 2007). Si la figure de l’inventeur français dans la seconde moitié du XIXème siècle n’a pas reçu un culte aussi fervent que celui de la « perfide Albion », les inventeurs ont néanmoins été célébrés par divers supports, dans les programmes scolaires ou discours d’Etat. Peu de grands noms sont cependant arrivés jusqu’à l’époque contemporaine. Cette figure malgré son rôle primordial, tant sur le plan du développement économique que pour les intérêts politiques et stratégiques du pays, ne réussit pas aujourd'hui à égaler le prestige de celle du savant. Il s’est pourtant développé dans la France du XIXème une certaine mythologie autour de la figure de l’inventeur-martyr, laquelle s’est parée des attributs du créateur, au sens laïque et religieux du terme. Le martyre détermine alors le caractère héroïque d’une figure. Il s’agissait de remplacer l’idée de Dieu et de destin, par la science, nouvelle religion positiviste. Ainsi, c’est logiquement que, dans le catéchisme positiviste d’Auguste Comte, publié en 1852, est adjoint aux figures de saints, celles des artistes, savants et inventeurs : tous sont des créateurs dont les attributs sont comparés à celles des saints : martyre, individualité, opiniâtreté, travail, rigueur et discipline, sacrifice et dévouement.

« L’inventeur est d’abord un être unique – dans tous les sens du terme -, ce statut lui étant conféré par le brevet d’invention (qui admet un seul auteur-propriétaire) et par sa création même, unique, singulière, reconnue comme différente de ce qui existe déjà : c’est aussi un être d’exception capable, malgré les vicissitudes qu’il partage avec les autres mortels, de concevoir ou de faire advenir, ce qui n’est pas conçu par les autres. » (Frizot, 1997, p.129)

A propos de la trilogie inventeur-saint-artiste, Frizot explique « ces figures sont également animées par des desseins, des espérances qui tiennent de la révélation (…) Ce qui motive leur

stature de héros (à l’image du héros de l’Antiquité), c’est le mystère (entretenu comme tel) de l’acte créateur et de l’acte d’innovation. » (Ibid, p.131)

Ainsi, l’acte d’invention semble relever d’une inconnue qu’on essaye d’expliquer par l’idée d’une prédestination ou d’une vocation.

« Le mystère de l’instant créatif et l’irrationalité du processus réel de création technique sont préservés par l’identification de l’inventeur à un être d’exception, voué à l’intercession, et qui mérite de ce fait la gloire héroïque, celle des intermédiaires entre les hommes et les dieux. » (p.133).

Frizot conclut sur le fait que l’inventeur « semble s’être satisfait de cette reconnaissance déjà exceptionnelle (…) au détriment d’un statut disruptif dont son invention aurait dû être investie. »

La théorie du génie se développe à cette même période. Mais elle est alors reliée au seul domaine artistique. Selon Zilsel, auteur d’un essai sur le génie, le sens du mot « ingenium » comme qualité innée va cristalliser la découverte de l’individualité à la Renaissance (Zilsel, 1993).

Le trait de génie est conçu comme acte ou performance du sujet souverain et autonome. Le philosophe Kant (1985) le définit comme « la disposition innée de l’esprit (ingenium) par le truchement de laquelle la nature donne à l’art ses règles. ». Par opposition à l’artisan, l’artiste ne saurait concevoir la règle de son œuvre et donc l’art n’est pas du domaine de la raison ou du calcul. Le principe qui préside à l’œuvre d’art est donc le génie, engendré par la nature. Le génie est un talent et non pas une aptitude, il dépasse la volonté du sujet, car c’est un don naturel. Ce talent se manifeste par l’originalité ou la nouveauté des œuvres. Mais il comprend aussi une part de créateur maudit, qui aboutira à associer durablement le génie à un imaginaire de la grandeur sacrifiée, notamment avec le mouvement romantique.

Il est intéressant de faire le parallèle entre le développement social d’un mythe de l’inventeur martyr et celui de l’artiste maudit. Dans les deux cas, c’est la transgression liée à la création et à ce qu’un homme devienne lui-même créateur, qui est magnifiée. Cela était demandé par l’imaginaire héroïque de la période, la grandeur de la figure atteignait alors un apogée : l’inventeur, le technicien ou l’homme de métier seul dans son atelier imaginant et mettant au point son invention, n’était pas a priori une figure héroïque, il fallait y adjoindre l’élément épique. Cela fut fait avec la fabrication d'un mythe historique autour de la figure de Jacquart, l’inventeur du métier à tisser, imaginant une tentative d’assassinat par les ouvriers, mais

également sa pauvreté (Jarrige, 2010). La mythologie de l’inventeur mêle l’image de l’ascète avec celle du martyr : sacrifice, labeur, rigueur pour le bien de la Nation française. La célébration de l’inventeur modeste et besogneux acquiert une fonction politique qui renvoie parfaitement aux discours d'Etat de cette époque.

Comment définir plus prosaïquement l’inventeur ? Il est d’abord un artisan, un technicien doué. Son talent lui vient de sa maîtrise technique, plutôt que de ses connaissances ou d’un certain niveau d’études. C’est toutefois par l’entremise des acteurs de la société civile et leur capacité à créer un collectif, qu’il atteint une certaine reconnaissance. La création de la Société des Inventions et Découvertes à la révolution française (1790), grâce à laquelle les inventeurs font l’expérience du collectif, va avoir un rôle politique décisif sur les discussions autour du brevet d’invention. Les membres de cette Société sont majoritairement issus de l’artisanat parisien. Ce sont des « gens de métier » qui se démarquent des sociétés savantes. Le savant est l’homme de sciences qui va par ses théories et expérimentations faire avancer la connaissance humaine. L’inventeur crée à partir de contingences. En cela, il se rapproche de la démarche initiale de l’innovateur.

La loi de 1791 sur les brevets d’invention va permettre la personnification de l’invention par la figure de l’inventeur. L’invention n’est plus anonyme puisque son auteur est alors encouragé à revendiquer sa paternité par la protection juridique des brevets. Une représentation de l’inventeur comme autonome et possesseur d’un certain capital émerge alors et qui obscurcit la distinction entre inventeur et entrepreneur (Galvez-Behar, 2008).

Pour résumer, notons les traits caractéristiques de la figure de l’inventeur :

- un artisan, un technicien d'un milieu social bourgeois qui va trouver une idée et aboutir à une réalisation pratique, un prototype.

- la dynamique individuelle, solitaire. On ne peut que trouver une idée seul (!). Cette figure renvoie également à un processus intellectuel se plaçant dans une certaine autonomie vis à vis du reste du monde et de la vie des idées (à l'inverse de l'innovateur).

- la dimension de contingence liée à l’invention.

- la dimension de hasard, de sérendipité, presque une notion de destin. La figure de l’inventeur se situe dans une certaine mythologie de la science. L’homme (essentiellement masculin) seul qui trouve une idée de génie presque par hasard22.

22 En ce sens, la figure de l’inventeur correspond plus à la logique du Progrès, à la vision du monde déterministe et linéaire, que la figure de l’innovateur. L’inventeur est le pendant appliqué du savant.

- l’idée de nouveauté. Il invente une chose nouvelle, une idée que personne n’a eu avant lui ; d’où le droit des brevets pour protéger une invention dont on revendique seul la paternité. - la mythologie autour d’une figure d’ascète, voire de martyr (bien loin de celle de

l’entrepreneur).

Cette figure valorisée, si ce n'est héroïque, va être progressivement remplacée au XIXème et XXème siècles par celle de l'entrepreneur.

I.1.B. Figure de l’entrepreneur

Etymologiquement, le verbe entreprendre signifie « s’engager dans l’action ». Il a deux sens à l’origine : « attaquer » (action guerrière) et « interpeller, accuser » (action juridique), sens disparus aujourd’hui. A partir du XVIIème siècle, le mot va se spécialiser dans les rapports marchands, puis dans le domaine économique. Notons que l’action d’entreprendre implique toujours un risque et de l’audace. Au XVIIIème siècle, R. Cantillon dans l’Essai sur la nature

du commerce en général, caractérise la classe des entrepreneurs comme la classe de ceux qui vivent dans l’incertain (cité par Vérin, 2011, p.12). Vérin montre l’importance de la notion de risque dans la naissance du concept d’entrepreneur, risque inhérent au côté hasardeux de toute

action :

« Ce n’est qu’en assumant ce hasard que l’entrepreneur peut être le premier moteur du commerce en général. » (Vérin, 2011, p. 150).

Morin parle de l'entrepreneur comme « un personnage insaisissable » qui finalement serait plus représentatif d'une « fonction décisive » que nécessairement incarné par une personne unique (Morin, 1999). En effet, l’entrepreneur n’est ni nécessairement celui qui détient les capitaux, le

capitaliste, ni celui qui administre l’œuvre de production, ni le créateur de l'entreprise.

Dès lors, l’entrepreneur se distingue des autres acteurs économiques par ses talents et capacités ainsi que l’activité qu’il exerce (Say, 1803). La notion de génie personnel issue des Lumières fait résonance avec cette vision. L'identité de l'entrepreneur semble ainsi reposer sur une fonction de responsabilité qu'il porte vis-à-vis de la société dans laquelle il vit (Verzat & Toutain, 2015).

L’entrepreneur est par la suite incarné au XXème siècle par la figure définie par Schumpeter. Il est cet être d'exception qui détruit l'ordre établi en introduisant l'innovation (Schumpeter, 2004). De fait, le capitalisme pour survivre doit être régulièrement dans des phases d’innovation, ce que Schumpeter appelle le processus de la destruction créatrice, permettant la

croissance et l’expansion infinie du système. En son centre, se trouve la figure de l’entrepreneur qui est le moteur du processus :

« L’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d’organisation industrielle – tous ces éléments créés par l’initiative capitaliste » (Schumpeter, 1990, p.106).

Ainsi, l’entrepreneur se caractérise par sa capacité à détecter des opportunités de marchés, c’est-à-dire « les capacités cognitives inaliénables de l'individu » (Verzat &Toutain, ibid, p.5). A partir du milieu du XXème siècle et jusque dans les années 80, l’approche par les traits, développée notamment par Stogdill (1948), est prépondérante pour théoriser le leadership de l’entrepreneur. Stogdill s’intéresse aux traits de personnalité des entrepreneurs. Il établit une liste de traits ou caractéristiques, parmi lesquelles l’esprit de domination, le sens de la décision, l’énergie, l’affirmation de soi, la persistance, le sens de la responsabilité. Cette théorie est critiquée car elle tend à montrer que les caractéristiques du leadership sont universelles et relèvent plus de personnalités, presque héréditaires, que de capacités à acquérir. En 1988, Gartner affirme que la question : « qui sont les entrepreneurs », n’est pas intéressante, mais c’est ce que font les entrepreneurs qu’il convient d’étudier pour comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la création d’entreprise (Gartner, 1988). Une approche par les actions et les comportements des entrepreneurs va alors être préférée dans les recherches en management dans les années 90. Elle met l’accent sur les compétences en tant qu’indicateurs de la performance des entrepreneurs.

La même année, le courant de la sociologie de la traduction émerge pour critiquer une vision de l'innovation centrée sur une figure unique plutôt que sur un ensemble de réseaux menant à un résultat nouveau (théorie de l'acteur-réseau) :

« L’entrepreneur est cet être d’exception, qui jouant sur deux tableaux, celui de l’invention et celui du marché, sait amener une intuition, une découverte, un projet au stade commercial. (…) Une économie ne saurait cependant dépendre entièrement de l’inspiration de quelques hommes providentiels. Progressivement, et c’est une des grandes créations du début du siècle, l’entrepreneur schumpétérien a été remplacé par une foule d’intervenants diversifiés. » (Akrich, Callon, Latour, 1988, p.2)

I.2. La figure de l’innovateur - revue de littérature scientifique

Trois disciplines scientifiques traitent de la question de l’innovation en termes d’individus. La difficulté consiste à traduire la question de l’individualité en lois et en résultats généralisables. Les trois courants ont dépassé, chacun à leur manière, cette difficulté.

Le courant du management ou des sciences de gestion décompose l’innovateur en compétences et préconise des « techniques » pour augmenter ces dites compétences chez une personne donnée (cf. Le gène de l'innovateur par Christensen, Dyer, Gregersen, 2013). L’approche est très pragmatique. L’analyse de la figure de l’innovateur a pour objectif de favoriser l’innovation dans les organisations.

La liste de différentes compétences permettant l’identification d’un innovateur est établie à partir des observations des profils innovants (provenant essentiellement du monde économique, mais aussi de quelques grandes figures ayant marqué l’histoire de la modernité) ainsi que des analyses centrées sur les différentes tâches et activités à mener afin d’aller jusqu’au bout du processus de l’innovation (en général la mise sur le marché, ou la diffusion de l’innovation). Deux phases distinctes de l’innovation sont identifiées : la phase amont où l’accent est mis sur la gestion de la créativité et une phase aval qui conduit à la mise sur le marché (Deschamps, 2012). Chacune de ces phases correspondant à des compétences distinctes, parfois réunies en une même personne, mais pas toujours. Il s’agit de développer dans un premier temps des compétences pour devenir plus créatif, puis il faut ensuite favoriser les compétences plus pragmatiques liées à la gestion de projets.

Ainsi la figure de l’innovateur23 est caractérisée par une double capacité : capacité à voir, notamment les aspirations futures des usagers et les opportunités qui se présentent, et capacité à faire (Martinaud, 2012). En termes de compétences/qualités, on obtient la liste suivante (non exhaustive) : curiosité, sens de l’observation, non conformisme, investissement fort, visionnaire, capable d’apprendre des erreurs et des échecs, capable d’établir des associations entre différents domaines, capacité à mobiliser différents réseaux et personnes, optimisme, passionné, patient, confiant, bon communicant, charisme, idéaliste et réaliste, opiniâtre, etc.

23 ou les figures d’innovateur (les différentes capacités pouvant être prises en charge par deux personnes distinctes selon la phase d’innovation considérée).

Favoriser l’innovation, revient alors pour les entreprises à recruter des profils présentant un certain nombre de ces qualités, mais aussi à encourager leur développement chez les salariés déjà en place.

La deuxième approche, assez pragmatique également, est celle des neuro-sciences et de la psychologie cognitive. Ces sciences s’intéressent à certains traits caractéristiques de l’innovateur et tentent d’expliquer les mécanismes à l’œuvre au niveau individuel. Elles utilisent les nouvelles technologies issues du progrès technique pour réaliser des expériences relevant des sciences exactes plutôt que des sciences humaines. Par exemple, les découvertes de Damasio (1995) sur les zones neuronales impliquées dans le processus des émotions ont ouvert un nouveau champ de recherche : la neurobiologie des sentiments. Dans cette approche, les sentiments (directement issus des émotions) sont vus comme des outils dont les humains disposent pour faire face à leur environnement. Des expériences permettent de préciser les connexions neuronales impliquées dans le processus décisionnel : à partir des imageries médicales, il est possible d’identifier la façon dont le cerveau est irrigué lorsqu’il reçoit un certain type de stimulus. Cela permet d’expliquer et de rationaliser les processus inconscients. Les travaux déjà effectués portent surtout sur la question du leadership : quelle est la part de l’intuition dans les processus de décision des managers ? (Coget, Haag, Bonnefous 2009). Le chercheur américain en neuro-économie Shiv mène actuellement une étude sur l’innovation et le leadership dans différentes entreprises, de startups de la Silicon Valley aux très grandes compagnies américaines (Shiv, 2016). Citons également Lubart, Besançon et le laboratoire LATI de l’université Paris-Descartes dont les nombreux travaux et expérimentations sur la créativité tentent de montrer que celle-ci peut être analysée en différentes chaînes d’activités causales et évaluée par des critères qui pourraient être aussi rigoureux que ceux du QI (Besançon & Lubart, 2015).

La dernière discipline scientifique traitant de la question de l’innovateur est celle de la sociologie : la sociologie s’intéresse surtout à l’innovation, en tant que processus collectif dont les différents acteurs représentent un ou des maillons d’une dynamique d’ensemble. La figure de l’innovateur en tant que telle y est donc souvent plus ou moins éludée, pour ne pas dire suspectée :

« Prendre un seul individu comme point focal d’une trajectoire innovatrice expose au risque d’une vision eschatologique : un jour une découverte naquit, et la suite mirifique était déjà écrite… » (Gaglio 2011, p.36)

Ainsi dans le Que-sais-je ? consacré à la sociologie de l’innovation, l’auteur renvoie le traitement de la figure de l’innovateur aux cinq dernières pages précédant la conclusion de l’ouvrage :

« L’innovateur n’est pas intemporel. Nous défendrons toutefois l’idée qu’il renvoie toujours à des traits communs, quels que soient sa sphère d’intervention, son moment et son lieu d’exercice. » (Gaglio 2011, p.117)

L’important courant de la sociologie de la traduction, après avoir expliqué l’intérêt d’une vision collective de l’innovation plutôt que l’acception d’une paternité renvoyant à un seul individu, présente le rôle des différents acteurs du processus surtout comme des « porte-parole » (Akrich, Callon, Latour 1988) : ces acteurs vont tour à tour s’emparer du projet et le promouvoir auprès des autres. C'est la théorie de l'acteur-réseau. Elle prend en compte des actants humains et non-humains (objets, discours, etc.) en tant que participant au processus d'innovation. Ce processus s'appuie sur un réseau relationnel dont les différents membres vont devoir faire des opérations de traduction pour se comprendre et poursuivre le procès. Le social est alors appréhendé comme