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Identité et engagement en formation

I.1 Définitions de l’identité

L’identité, c’est ce par quoi une personne, un groupe, un peuple, se reconnaissent eux-mêmes et se voient reconnus par les autres. L’identité est une construction sociale de l’individu. Elle constitue un système qui est « une nécessité positive de développement » (Tap, 1988, p.293). S’appuyant sur les travaux de Berger et Luckman (1966) sur la socialisation secondaire, Dubar

la présente comme le fruit de socialisations successives. La socialisation primaire correspond aux relations en jeu dans la petite enfance et le cercle familial. La socialisation secondaire intervient dans les différents groupes sociaux que l’individu croise ou intègre au cours de sa vie (Dubar, 1991).

Dubar, reprenant les apports des grands noms de la psychanalyse (Freud, Lacan, Laing), insiste sur la division interne de l’identité : identité pour soi et identité pour autrui :

« Je ne puis jamais être sûr que mon identité pour moi-même coïncide avec mon identité pour Autrui. L’identité n’est jamais donnée, elle est toujours construite et à (re)construire dans une incertitude plus ou moins grande et plus ou moins durable. » (Dubar, 1991, p. 111).

Il distingue les actes d’attribution renvoyant à un processus social/relationnel et qui visent à définir l’identité pour autrui et les actes d’appartenance qui expriment le type d’homme ou de femme que l’on veut être, autrement dit l’identité pour soi. Il s’agit dans ce cas du processus biographique. Ces processus utilisent des types identitaires, c’est-à-dire « un nombre limité de modèles socialement significatifs pour réaliser des combinaisons cohérentes d’identifications fragmentaires. » (Erikson cité par Dubar, 1991, p.117).

Cette distinction implique l’idée d’une « double transaction » (Dubar, 1991) pour articuler deux processus : une transaction interne subjective par laquelle l’individu anticipe son avenir à partir de son passé et une transaction externe objective où l’individu doit négocier avec les autres la reconnaissance ou le déni de l’identité attribuée.

La construction identitaire est d’autant plus importante dans le champ du travail et de la formation que la reconnaissance de l’identité sociale y est directement liée. Dubar appelle « identité professionnelle de base » ou première « identité professionnelle pour soi » l’identité que l’élève se construit en formation et qui comprend non seulement l’identité au travail, mais aussi la « projection de soi dans l’avenir, l’anticipation d’une trajectoire d’emploi et la mise en œuvre d’une logique d’apprentissage. » (Dubar, 1991, p. 121). Cette première identité professionnelle est confrontée à la pratique du terrain.

Pour le chercheur en psychologie sociale, Tap, la construction de l’identité passe par un besoin d’identification à d’autres modèles avant d’affirmer sa propre identité. L’identification est le phénomène par lequel l’individu tendrait à se reconnaître des ressemblances avec son ou ses groupes d’appartenance, mais il doit pouvoir revenir sur lui-même et affirmer sa singularité dans un mouvement parallèle, s’il veut construire son identité personnelle. L’identité se

caractérise ainsi autant par la gestion des ressemblances que par l’affirmation de différences. (Tap cité par Lecomte, 1997)

I.2 La construction identitaire un facteur-clé de l’engagement en

formation ? Revue de littérature.

L’engagement en formation est une notion largement étudiée dans le champ de la formation des adultes (Fenouillet, 2011). Qu’est-ce qui décide des personnes ayant terminé leur scolarité et intégré le monde du travail à se remettre dans un contexte formateur ?

La question de l’engagement dans le contexte scolaire ou des études supérieures est moins fréquente, c’est d’abord celle de la motivation qui est traitée. Ces deux notions ne sont pas équivalentes et celle de l’engagement présente un certain intérêt dans le cadre des études supérieures. Tâchons de les définir.

La notion de motivation a fait l’objet de nombreuses recherches, en psychologie notamment. Pour William et Burden (1997), elle est « un état d’éveil cognitif et émotionnel qui mène à une décision consciente d’agir et qui provoque une période d’effort intellectuel et/ou physique, pour atteindre un but fixé au préalable. ». La motivation dans l’apprentissage s’exprime ainsi par l’implication et la persévérance des élèves dans leur formation. Plusieurs travaux scientifiques confirment que la motivation des élèves est un des principaux facteurs de réussite de l’apprentissage (Forner, 1999 ; Chappaz 1996 ; Aubert 2012). Appliquée à la formation des adultes, elle a peu fait l’objet de modèles spécifiques, à l’exception de celui de l’autoformation (Carré, 2015).

L’engagement en formation est rarement traité sous l’angle motivationnel (Fenouillet, 2011). Il s’agit plutôt d’explorer des parcours biographiques pour comprendre ce qui a déterminé le choix de reprendre des études ou un apprentissage.

C’est pourquoi il convient de faire preuve de prudence pour traiter l’engagement en formation initiale tout en s’inspirant de l’engagement dans la formation des adultes. Dans le cadre de notre recherche, il s’agit de formations dans l’enseignement supérieur, la construction de savoirs pouvant donner lieu à l’acquisition d’un métier et à l’intégration dans une classe de métiers. Il y a donc un enjeu identitaire d’acquisition d’une identité professionnelle pour les élèves dans la continuité de leurs études secondaires. Nous ne nous situons pas dans le cas d’une reconversion professionnelle (minoritaire pour les formations étudiées). Pourtant, nous ne sommes plus non plus dans le cadre du système scolaire (primaire et secondaire). Les élèves

choisissent d’entrer dans une formation donnée et une école donnée. Ce n’est pas a priori une étape en parfaite continuité logique avec celles de leur scolarité précédente, mais un choix délibéré (conditionné à n’en pas douter par le système, leurs proches, etc.). Il s’agit donc d’une situation hybride, au carrefour entre engagement scolaire et engagement adulte, situation particulière que nous devons considérer dans le cadre de ce travail.

Bourgeois (1998), dans un article de synthèse sur les traits communs de la motivation pour l’engagement en apprentissage (formation initiale et formation d’adulte), insiste sur l’importance de la valeur attribuée par le sujet à la formation envisagée et sur l’espérance de réussite dans cette tâche (Bourgeois, p.102). Il distingue deux approches pour traiter la question de la motivation et de l’engagement en formation : celle qui va catégoriser les facteurs de motivation et celle qui la traite comme relevant de dynamiques propres à un sujet, compréhensibles par une approche intégrative longitudinale.

Reprenant d’abord les travaux de Biggs et Moore (1993), il cite quatre catégories de motivation : motivations extrinsèques, sociales, motivations liées à l’accomplissement de soi et les motivations intrinsèques.

Mais cette catégorisation comporte des risques et raccourcis sur le plan scientifique (risque de fragmentation artificielle du processus de motivation), Bourgeois propose d’utiliser plutôt une vision en trajectoire de vie afin de comprendre la construction de la motivation chez un sujet. L’engagement en formation y est alors vu, soit comme une réponse à des événements biographiques, soit comme une dynamique identitaire particulière dans laquelle le sujet est engagé. Cette dynamique identitaire permet de gérer les tensions identitaires du sujet entre identité d’appartenance et identité visée (p. 105). Il insiste sur le fait que l’individu en s’engageant en formation accepte tacitement de remettre en cause ses croyances, ses savoirs et conceptions sans savoir clairement où cela le mènera (p.106). Cette approche est suivie notamment par des chercheurs comme Cross (1982), Fond-Harmant (1995) et Barbier (1996). Ainsi, l’importance de la construction identitaire du sujet comme moteur de la motivation et de l’engagement en formation est reconnue explicitement.

Barbier, fondateur du Centre de Recherche sur la Formation au CNAM, s’intéresse aux différents savoirs (savoirs théoriques et savoirs en action) et aux enjeux de la construction identitaire lors de la formation. Il expose une approche de l’identité comme un état qu’un individu est susceptible de mobiliser dans une pratique à un moment donné. Cet état est évolutif : l’identité est un processus puisque ses composantes identitaires peuvent se modifier

sans cesse au fur et à mesure que se développent de nouvelles pratiques et de nouvelles expériences :

« Une pratique aussi bien individuelle que collective peut être analysée à la fois comme une situation de mobilisation et une situation de production d'identité. » (Barbier, 1996, p.19)

Dans leur recherche qui concerne la compréhension des rapports entre sujets et formation, Neuville et van Dam, en partant du postulat que l’engagement en formation est lié à des stratégies identitaires, ont mis en évidence à travers une étude de cas : 1) que la prédominance d’idéaux est plus favorable que des obligations morales, 2) que les stratégies d’approche (comme viser un soi idéal) sont plus bénéfiques pour l’engagement que les stratégies d’évitement (Neuville & van Dam, 2006).

Sébastien et de Villers travaillent la question du sens que revêt la formation pour les sujets et de son rapport avec la dynamique identitaire. Dans le cadre d’une analyse approfondie d’entretiens, ils montrent l’existence de deux types d’engagement : un type A où l’engagement identitaire est clair, le sujet s’engage dans un processus d’apprentissage qui va lui apporter une reconnaissance et la place qu’il estime devoir avoir ; un type B où le sujet est pris dans des contraintes et joue alors un rôle secondaire sans quête pour lui-même et où l’engagement est moindre (Sébastien & de Villers, 2006).

Kaddouri montre en s’appuyant sur des recherches empiriques que plusieurs stratégies liées à la question identitaire ont lieu en formation, certaines allant jusqu’au retrait ou au désengagement si les tensions entre l’identité visée et le modèle proposé se révèlent trop fortes (Kaddouri, 2011).

Dans le cadre de notre travail, nous retenons de ces études les conclusions suivantes :

1. L'identité est composée d'une identité pour soi et d'une identité pour autrui (Dubar). C'est une construction sociale de l'individu qui utilise des types identitaires et repose sur une double transaction. Tap parle de processus d'identification à des modèles pour gérer les ressemblances et affirmer ses différences.

2. L'identité professionnelle est l'identité de base que l'élève construit pendant sa formation (Dubar, Tap). Barbier ajoute à la reconnaissance identitaire du présent la projection identitaire du futur. Bourgeois parle d'identité d'appartenance et d'identité visée.

3. La construction identitaire et l'engagement en formation sont liés. Bourgeois voit l'engagement en formation comme une trajectoire de vie, qui répond à une dynamique

identitaire dans laquelle le sujet est engagé. Elle devient alors un levier sur lequel les enseignants peuvent s’appuyer. La construction d’une identité professionnelle peut être un outil d’aide à l’engagement pour les formateurs.