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La crédibilité des décisions de la politique monétaire

Section III : Conduite et stratégies de la politique monétaire

1. La conduite de la politique monétaire (la règle ou la discrétion)

1.2. La crédibilité des décisions de la politique monétaire

Les études de Kydland et Prescott (1977) ont montré qu’une politique monétaire de règle est appréciable que la politique discrétionnaire, et concluent que la politique monétaire discrétionnaire était susceptible de génère de mauvaise résultat sauf si les décideurs politique s’engagent à suivre des règles. Selon eux, la politique monétaire discrétionnaire engendre des biais inflationnistes2 liés aux problèmes d’incohérence temporelle3.

Ainsi, certains économistes à l’instar de Barro et Gordon (1983) soulignent qu’une politique fondée sur des règles de conduite est plus crédible qu’une politique discrétionnaire. Ils ont montré que l’optimisation discrétionnaire conduit à un taux d’inflation élevé. De ce fait, ils posent les bases d’une théorie de la politique monétaire crédible. Dans ce contexte, S. Brana (2016) souligne que « pour éviter ce biais inflationniste les autorités doivent être crédibles. Pour cela, elles doivent se fixer des règles de politique monétaire (règles versus discrétion) ; Règle d’objectif ; Engagement de change fixe ; Règles institutionnelles (indépendance de la Banque centrale) »4.

La crédibilité des décisions de la politique monétaire prend une importance considérable dans la lutte contre l'inflation. Cette dernière est considérée comme un objectif principal. N. Yamani (2012) montre que le concept de crédibilité est souvent utilisé pour « qualifier une politique ; et désigne le degré de confiance que manifeste le public envers la Banque centrale dans sa capacité d’atteindre les objectifs annoncés. La crédibilité de celle-ci dépend de la réalisation de la politique annoncée »5.

De nos jours, la notion de la crédibilité de la banque centrale représente un intérêt de haute importance pour les banquiers centraux. Elle est considérée comme l’une des stratégies nécessaires pour atteindre les objectifs de la politique monétaire. De même, elle est considérée comme l’avantage que l’on met pour justifier l’autonomie de la banque centrale. D’après M. Gripon (2015), « une banque centrale est crédible si les agents économiques du pays

1 A. Aguir (2012), Op.cit. p 29.

2 La notion de " biais inflationniste" désigne dans les travaux de Kydland et Prescott (1977) et Calvo (1978) l’écart entre le niveau de production jugé « optimal » par les pouvoirs publics et le niveau « naturel » correspondant à l’équilibre des marchés.

3 A. Aguir (2012), Op.cit. p134.

4 S. Brana, " Politiques économiques " , Université Montesquieu Bordeaux-IV Avenue Léon Duguit, 33608 Pessac Cedex, p 24. Document en ligne : disponible à l’adresse : lare-efi.u-bordeaux4.fr/IMG/pptx/Politiques_eco_2_PM.pptx. Consulté le : 04/07/2016.

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n’anticipent pas le retour de l’inflation. Ceci rend la lutte contre l’inflation plus facile, puisqu’elle n’est pas accrue par son anticipation »1.

De ce fait, Pour mieux comprendre l’importance des anticipations dans la crédibilité de la politique monétaire, nous présentons les anticipations adaptatives et les anticipations rationnelles.

1.2.1. Les anticipations adaptatives

Friedman (1968) défend l’idée selon laquelle la règle de politique monétaire domine sa discrétion à partir d’une relecture de la courbe de Phillips sur la base de l’hypothèse des anticipations adaptatives. Il a montré que les agents ont toujours un temps de retard dans leurs comportements, ce qui explique les effets réels des variations de la masse monétaire sur le court terme2.

Dans la théorie monétariste, les anticipations sont considérées comme adaptatives, les individus les forment en regardant l’évolution passée de la variable (Par exemple : le taux d’inflation), c’est-à-dire que les anticipations des individus se fondent sur l’observation des taux d’inflation des années antérieures. En d’autre terme, le mot adaptatif signifie que les individus corrigent progressivement leurs erreurs d’anticipations. Les anticipations des individus deviennent fonction de la différence entre leurs anticipations passées et les valeurs effectivement réalisées des anticipations passées. Donc, la valeur anticipée d’une variable dépend de ses valeurs passées.

C. Rispal et S. Piffeteau (2013) cité que les anticipations adaptatives corrigent les erreurs passées, ce qui suppose une certaine maîtrise de l’information par les agents économiques. Selon eux, « les monétaristes, dont Friedman, ne pouvaient s’accommoder d’une relation qui justifiait les politiques de relance ; c’est pourquoi ils vont s’attacher à démontrer, en s’appuyant sur le concept d’anticipations adaptatives, que l’arbitrage entre inflation et chômage existe à court terme mais disparaît sur le long terme. Le concept d’anticipation adaptative s’appuie sur l’idée qu’un agent, en contexte d’information imparfaite, effectue une anticipation adaptative lorsqu’il adapte ses prévisions en tenant compte de l’information dont il dispose sur les grandeurs observées dans le passé ainsi que des erreurs d’anticipations commises sur ces valeurs passées. La valeur future d’une variable est prévue à partir de sa valeur présente et de l’erreur de prévision faite à la période passée »3.

1 M. Gripon, "les éditos du griffonaute", Document en ligne, disponible à l'adresse: (https://www.lulu.com/: 2015), 2015, p 64.

2 J. Bailly, «économie monétaire et financière ", éditions Bréal, Paris, 2006, p.55

3 C. Rispal et S. Piffeteau, « Politique économique et rôle des anticipations », support de cours en ligne : La politique budgétaire, 2013, p 2. Disponible à l’adresse : http:/www.perso.crans.org. Consulté le 20/03/2017.

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Par ailleurs, les travaux de T. Sargent et N. Wallace (1976) ont montré que, lorsque les agents connaissent la fonction de réaction de la Banque centrale, ils révisent leurs anticipations en tenant compte de leurs erreurs passées sans utiliser l’information présente dont ils disposent. À cet effet, ils ont considéré que l’hypothèse des anticipations adaptatives n’est pas satisfaisante1.

Donc, on peut dire que ces anticipations adaptatives peuvent présenter plusieurs inconvénients puisque les individus peuvent se tromper lorsque les causes de l’inflation changent, l’utilisation inefficace de l’information disponible et induction des erreurs de prévision systématiques2. Et de ce fait, les limites de ce concept d’anticipations adaptatives expliquent le recours au concept d’anticipations rationnelles.

1.2.2. Les anticipations rationnelles

En 1977, les travaux de Kydland et Prescott confirment cette intuition de Friedman et l’étendent à toute politique économique en général à partir d’une relecture de la courbe de Phillips sur la base de l’hypothèse des anticipations rationnelles. Selon ses travaux, les agents sont rationnels : ils anticipent le comportement de la Banque centrale et anticipent la création d’inflation3.

Le concept d’anticipations rationnelles conduit les économistes de la nouvelle économie classique à contester l’efficacité des politiques conjoncturelles même à court terme. Cette nouvelle économie classique a été développée aux États-Unis dans les années soixante-dix. Elle a prolongé la remise en cause de la courbe de Philips en montrant que si les anticipations des agents sont rationnelles, l’espérance de l’erreur aléatoire des agents économiques est nulle, Donc une politique monétaire de relance devient inefficace, même en courte période.

En plus, La nouvelle école classique a proposé une version moderne de la théorie quantitative de la monnaie. Selon cette école, la nouvelle version de cette théorie est caractérisée par la rationalité des anticipations. Le principe de cette théorie est que la formation des anticipations change quand le comportement des variables anticipées se modifie. G. Mankiw (1999) définit les anticipations rationnelles par « l’hypothèse selon laquelle le public utilise l’ensemble des informations disponibles et utiles pour se faire une idée de l’avenir, y compris celles concernant les politiques suivis par le gouvernement dans le futur »4. De son côté J.

1 S. Brana (2016), Op.cit. p 28.

2 H. Fekir, "la crédibilité et l'indépendance des banques centrales: d'algérie, du maroc et de tunisie", memoire de magister en analyse économique et developpement: université d'oran, 2007/2008, p 45.

3 S. Brana (2016), Op.cit.p30.

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Stiglitz (2004) souligne que, « les anticipations des individus sont rationnelles s’ils tiennent pleinement compte de toutes les données pertinentes disponibles »1.

Jean-Luc Bailly (2006) souligne qu’il y a incohérence temporelle lorsque « les autorités monétaires annoncent leur décision de prendre certaines mesures dans le future et que, le moment venu, l’action prévue apparaissant plus pertinente aux autorités, elle n’est pas appliquée et ce, sans que les opérateurs en soient informés à l’avance »2.

En plus, Sami Ben Mim (2004) montre que Kydland et Prescott (1977) apportent quelques modifications à la théorie du choix optimal afin d’écarter le problème d’incohérence temporelle. Selon lui, « en étudiant le problème de décision de la banque centrale à l’aide de cette nouvelle technique, Kydland et Prescott constatent que la politique temporellement cohérente conduit à un taux d'inflation excessif sans réussir pour autant à réduire le taux de chômage. Une telle stratégie est sous optimale, dans la mesure où un taux d'inflation plus faible pouvait être atteint sans détériorer le volume de l'emploi. Pour permettre la transition vers un équilibre plus satisfaisant, les auteurs recommandent l’abandon du mode de décision discrétionnaire en faveur d'un régime plus transparent »3.

D’autre part, Barro et Gordon (1983) ont introduit les notions de crédibilité et de réputation dans ces travaux. Ils ont montré que le décideur public est obligé de se conformer à une règle de politique monétaire pour éviter à l’économie d’être piégée dans un équilibre sous-optimal4.

De même, Barro et Gordon (1983) concluent qu’ « une utilisation discrétionnaire de la politique monétaire enfreignant la règle existante serait certainement entravée par les réactions des agents économiques et produirait l’effet inverse de celui escompté. Autrement dit, en présence des préférences asymétriques, les autorités monétaires finissent par produire systématiquement un biais inflationniste et provoquent des « surprises d’inflation »5.

En revanche, les économistes de la nouvelle économie keynésienne, tout en reprenant l’hypothèse d’anticipations rationnelles, considèrent que la monnaie n’est pas neutre à court terme et accordent une place importante à la politique monétaire comme instrument de

1 J. Stiglitz, "principes d'économie moderne", édition de boeck, Belgique , 2004, p 145.

22 J. Bailly, " Économie monétaire et financière ", éditions Bréal, 2006, p.268.

3 S. Mim, " L’efficacité de la politique économique : le rôle du marché du travail et des marchés financiers ", Thèse de doctorat en sciences économiques, université paris Val-de-Marne de sciences économiques et de gestion, 2004, p 150.

4 A. Attioui, " La politique monétaire dans les modèles ´économétriques : primat de la théorie sur l’empirie ", économies et finances. Université de Grenoble, 2014.p 214.

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régulation conjoncturelle. Cette nouvelle économie est développée à partir des années quatre-vingt.

C. Rispal et S. Piffeteau (2013) indiquent que les nouveaux classiques affirment que les anticipations rationnelles supposent une maîtrise parfaite de l’information par les agents économiques. Selon eux, « pour John Muth (1961), puis Robert Lucas & Sargent (1972), les anticipations sont rationnelles ; cela ne signifie pas que les agents ne commettent jamais d’erreurs, mais qu’ils ont une connaissance parfaite du fonctionnement de l’économie et qu’ils utilisent toute l’information disponible. Sauf comportement totalement erratique de l’Etat ou événement imprévisible, les agents anticipent correctement les conséquences des politiques discrétionnaires, qui peuvent devenir inefficaces. Les agents forment des anticipations rationnelles dès lors qu’ils tirent parti de toute l’information disponible (et non plus seulement des informations passées) pour établir leur prévisions ; en conséquence, les agents ne font pas d’erreurs systématiques de prévision, comme dans les cas d’anticipations adaptatives. On suppose ainsi que les agents connaissent et appliquent le « bon » modèle de l’économie, en l’occurrence le modèle néoclassique (économie à l’équilibre, prix flexible, etc.) : ils savent par exemple qu’un accroissement de la masse monétaire doit – toutes choses égales par ailleurs – se traduire par une hausse équivalente du niveau général des prix. On note ici le caractère auto réalisateur des anticipations rationnelles : si les agents croient à la théorie quantitative… cette dernière est validée par le comportement »1.

Aujourd’hui, la plupart des banques centrales se réfèrent à l'hypothèse que les anticipations sont rationnelles, c'est-à-dire que les individus utilisent toute l'information disponible pour faire leurs plans de l’avenir. Selon cette hypothèse, les agents utilisent rationnellement toute l’information disponible pour former leurs anticipations. Ainsi, ces anticipations ne peuvent être systématiquement en retard. Ils sont censés connaitre le fonctionnement de l’économie et les effets prévisibles des politiques conjoncturelles. En d’autres termes, les anticipations rationnelles reposent sur l’idée que les individus prennent des décisions de manière optimale, en utilisant toute l’information disponible. Dans ce contexte, P. Krugman (2009) montre que « les estimations de l’inflation future ne prendront pas seulement en compte les taux d’inflation passés, elles tiendront également compte de toute l’information disponible concernant la politique monétaire et budgétaire »2.

De tous ce qui précède, l’intégration de l’hypothèse d’anticipations rationnelles conduit à faire admettre que les politiques monétaires sont plus efficaces si elles sont crédibles pour les

1 C. Rispal et S. Piffeteau (2013), Op.cit. p 4.

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agents économiques. La crédibilité de la politique monétaire peut être définie comme la cohérence observable entre la mise en œuvre présente et passée de la politique monétaire et le programme annoncé par les responsables de celle-ci.