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LA CONTRE-RÉVOLUTION ET LE RÉGIME THÉOCRATIQUE (1844- (1844-1847)

Curés veillaient à leurs postes de la stricte exécution de ces dispositions : la loi leur assurait l’appui du pouvoir civil.

L’esprit progressiste mais équilibré de la loi met l’administration des écoles sous la haute surveillance du gouvernement. Il serait détruit par ces corrections : «les amendements qui ont été introduits dans la loi détruisent cette économie, établissent une confusion de pouvoirs, paralysant l’action de la haute surveillance et anéantissent l’effet de la loi ». La loi est adoptée par le parlement sans les amendements souhaités par les députés conservateurs (Prot. GC, 1001/23, 1843, p.

151). Cette victoire facile des libéraux au Grand Conseil sonne pourtant le glas de leurs succès politiques. Les temps sont désormais favorables au clergé et à leurs alliés conservateurs.

LA CONTRE-RÉVOLUTION ET LE RÉGIME THÉOCRATIQUE (1844-1847)

Au printemps 1844, il semble que le pays appartienne aux associations politiques qui ne cessent de se battre autour de la définition des pouvoirs civils et religieux (Arlettaz, 1979, pp. 136-137). La situation empire de jour en jour. Le Bas-Valais est secoué de troubles civils alors que le Haut s’arme. Les conservateurs reviennent au pouvoir à la faveur des armes et contraignent à l’exil les chefs du Bas.

Ce régime conservateur théocratique64 de 1844 attendait sa revanche depuis 1839.

Il donne la tonalité définitive de ce projet de loi scolaire, légitimé à parachever selon son idéologie le travail initié par le gouvernement libéral de 1843.

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A LOI SCOLAIRE DE

1844 S

OUS LE CONTRÔLE DU CLERGÉ Lorsque les délibérations reprennent en mai 1844, le pays est en état de guerre, le parlement se réunit parfois en comité secret (Prot. GC, 1001/24, 1844, p.

16). Dans cette atmosphère belliqueuse, le Conseil d’État, présidé par celui-là même

63 Prot. GC, 1001/23, 1849, annexe litt KK, message du CE au GC du Canton du Valais.

64 Ainsi nommé par Arlettaz, 1979, pp. 139-147. L’auteur parle encore de ce régime en termes de : dictature populaire et théocratique, régime de fer, hiver du Valais, normalisation engagée par les classes conservatrices, système totalitaire.

qui refusa en décembre 1843 les amendements conservateurs, accepte à présent de les y intégrer. Le projet modifié en faveur du clergé, l’œuvre est achevée.

La loi définit les établissements publics concernés par l’instruction primaire et les autorités de contrôle. L’École normale« destinée à former des régents et des maîtresses d’école » est première citée, suivie par les écoles primaires, obligatoires et« destinées à donner l’instruction primaire aux enfants ». Les autorités scolaires sont désignées, balayant le projet séculier des libéraux : « le Rdme Évêque, les Rds Curés et les conseils de commune interviennent dans l’administration des écoles ».

Devançant les autorités communales, les écoles sont placées en priorité sous la plus haute autorité religieuse. En outre, l’Évêque obtient d’exercer sa vigilante surveillance sur tous les livres qui instruiront les enfants puisqu’il « admet ou rejette, sous le rapport de la morale et de la religion, les livres destinés à être mis à l’usage des écoles ». Les plaintes sur la moralité et la conduite religieuse des régents aboutissent chez l’Évêque. Après avoir entendu le régent et la commission d’école, lui seul décide de la révocation des régents reconnus irréligieux ou immoraux. Ainsi l’avait voulu le clergé en 1828, ainsi le maintient-il dans cette loi de 1844 qui est sienne, après avoir toutefois concédé l’audition des parties.

Si le Conseil d’État possède la haute surveillance des écoles, le président et les membres du conseil d’éducation sont nommés « conjointement » avec l’Évêque, de même qu’ils délibèrent « conjointement » pour le règlement des écoles et sur les propositions soumises par la direction. La confusion des pouvoirs redoutée des libéraux est ici réalisée.

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COLE NORMALE POUR DES INSTITUTEURS MORALEMENT CONFORMES Le président du Conseil d’éducation, nommé directeur général des écoles, reçoit également la direction de l’École normale dont l’organisation est prévue par le chapitre IV de la loi. Son contenu est demeuré inchangé par rapport au projet de 1843. Des cours seront organisés tous les ans,« s’il se présente un nombre suffisant d’élèves ». L’enseignement y est dispensé dans les deux langues du pays et comprend

« un cours de pédagogie et un cours des matières les plus utiles et les plus nécessaires aux régents » sans qu’il soit précisé quelles sont ces matières les plus utiles et nécessaires. Un certificat de bonnes mœurs délivré par le Rd Curé et par le Conseil de la commune permet d’être admis à l’examen d’admission, unique chemin pour accéder à l’école. Le quart des élèves, pris parmi les plus capables, reçoit une gratification de l’État. A la fin des études, le brevet de capacité ou, à défaut des connaissances et aptitudes suffisantes, la licence, sanctionnent les études. Ces deux attestations peuvent s’obtenir sans avoir à passer par les cours de l’École normale, simplement en se soumettant à l’examen prescrit.

La conformité morale des enseignants est attestée par l’Évêque seul habilité à approuver la délivrance des brevets de capacité ou de licence. Cette disposition ne s’applique cependant pas aux « prêtres qui enseignent en vertu d’une fondation et aux religieux appartenant à des corps enseignants » (art. 27). Ainsi rédigé dans le projet libéral de 1843, ce pouvoir laissé à l’Évêque d’approuver seul les brevets permettant l’exercice du métier laisse entrevoir la part non négligeable que les libéraux réservaient à l’emprise cléricale sur les instituteurs chargés de l’éducation et de l’instruction du peuple, à défaut de l’appeler explicitement sur l’école primaire en général.

Est-ce la marque d’un compromis acceptable, ou, celle, moins avouable, du souci qu’aurait aussi eu le gouvernement libéral de reproduire une société rurale soumise à l’ordre moral catholique, dont l’une des vertus se trouve être le respect de la hiérarchie et des autorités religieuses et civiles ?

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NE LOI QUI CONVIENT AU PEUPLE

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DANS UN CORTÈGE DE MESURES RÉPRESSIVES Proposée en référendum populaire le 28 juillet 1844, cette loi est acceptée.65 Une loi sur l’Instruction publique peut enfin entrer en vigueur dans le Valais démocratique. Alors que les textes précédents ont connu l’oubli ou le rejet, combattus qu’ils étaient par les conservateurs catholiques, celui-là est agréé par les hommes d’Église et par le peuple.

Mais le contexte qui entoure cette adoption donne la couleur politique du Valais théocratique. En effet, plusieurs lois acceptées par le peuple trahissent la répression exercée par le régime clérical.66 Ainsi, la loi sur la presse du 28 mai 1844, condamne « quiconque aura, par délit de presse, outragé la religion catholique, apostolique et romaine, ou les bonnes mœurs » ; la loi du 5 juin 1844 sur les associations politiques interdit« toute société politique non autorisée par le Grand Conseil et punit [les contrevenants] d’une amende de cinquante à cinq cents francs, et de la privation de leurs droits politiques de deux ans au minimum et de dix ans au maximum » ; la loi du 24 mai 1844, « portant sur l’établissement d’un tribunal central pour la répression des délits de la presse et des délits politiques ou se rattachant à la politique » est rendue exécutoire au 1er juillet de la même année. Un décret du 24 mai supprime le journal libéral « L’Écho des Alpes »,« considérant les maux incalculables qu’a produits [ce] journal ». Et le 21 août, un arrêté prohibe « les réunions d’individus tant valaisans qu’étrangers sous un signe quelconque de ralliement, comme drapeau, etc. non approuvées par les lois ».

Le nouveau gouvernement ne badine pas avec la circulation des idées et le rassemblement des personnes ne partageant pas son idéologie. Toutes les formes de libertés d’expression sont supprimées dans ce canton pourtant démocratique.

L’article premier de la Constitution de la République et canton du Valais de 1844, comme les précédentes, ne déclare-t-il pas que, « au nom de Dieu Tout-Puissant »,

« la forme du gouvernement est celle de la démocratie représentative » ?67 Mais au 19e siècle, le terme de démocratie semble ne représenter qu’un mode d’élection garantissant la représentation de la population en fonction de son nombre, en lieu et place de la perpétuation des anciens privilèges abolis en 1838 (GVSH, 1979, p. 316).

Le recours à la censure et à la répression n’en est pas exclu. Au contraire, l’exercice même de la démocratie les justifie.

Cette Constitution cantonale, comme celles qui l’ont précédée depuis 1815, assure à la religion catholique, apostolique et romaine, son soutien total. Religion de l’État, elle seule y a un culte. Et l’éducation du peuple, que l’exercice de la démocratie rend obligatoire, relève ici de la logique catholique. Les théocrates tiennent enfin dans leur main le pouvoir d’organiser l’instruction publique et le gouvernement des

65 Recueil des lois, décrets et arrêtés du canton du Valais de 1839 à 1844, tome VI, pp. 364-365.

66 Recueil des lois, décrets et arrêtés du canton du Valais de 1839 à 1844, tome VI, pp. 346-366.

67 Recueil des lois, décrets et arrêtés du canton du Valais de 1839 à 1844, tome VII, pp. 1-23.

jeunes âmes valaisannes. Ils font advenir une revendication formulée en 1839 par le gouvernement de Sierre, et écartée alors du cadre législatif par les libéraux. Ils confient par la loi l’enseignement supérieur exclusivement « à des personnes vouées à l’état ecclésiastique » (art. 11). L’École normale des instituteurs, encore à organiser, n’échappe pas à cette intention politique transformée en obligation légale.