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Vocation: régent, institutrice : jeux et enjeux autour des Ecoles normales du Valais romand, (1846-1994)

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(1)

Thesis

Reference

Vocation: régent, institutrice : jeux et enjeux autour des Ecoles normales du Valais romand, (1846-1994)

PERISSET BAGNOUD, Danièle

Abstract

Les écoles normales, institutions centralisées de formation des instituteurs et institutrices des régions essentiellement rurales, ont été érigées au 19ème siècle par des gouvernements soucieux d'éduquer les citoyens que la démocratie rendait souverains. L'histoire des Ecoles normales du Valais romand participe à ce mouvement social et politique. Le développement, l'âge d'or et la délitescence de ces instituts de formation suivent assez fidèlement l'évolution de cette société qui, homogène et traditionnelle jusque dans les années 1960, devient alors pluraliste, séculière, soucieuse du bien-être matériel individuel. Les Ecoles normales valaisannes ont tenté de s'ajuster à cette évolution moderne. Mais, définitivement entachées de leur ancienne mission idéologique, leur temps est révolu. Elles disparaissent avec le siècle, en juin 2000. Le monde politique leur préfère désormais une formation professionnelle pointue, ajustée à la complexité contemporaine et dispensée par une école de degré tertiaire, la Haute Ecole Pédagogique du Valais.

PERISSET BAGNOUD, Danièle. Vocation: régent, institutrice : jeux et enjeux autour des Ecoles normales du Valais romand, (1846-1994). Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2000, no. FPSE 285

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:92

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:92

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(2)

Université de Genève

Danièle P

ÉRISSET

B

AGNOUD

Vocation : régent, institutrice

Jeux et enjeux autour des Écoles normales du Valais

romand (1846-1994)

T

HESE

présentée à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education (FPSE) de l’Université de Genève pour obtenir le grade de Docteur en Sciences de l’Education

JURY

Prof. Philippe PERRENOUD, FPSE, Directeur de thèse et Président du Jury Dr Rita HOFSTETTER, FPSE; Prof. Antonio NOVOA, Université de Lisbonne;

Prof. Charles MAGNIN, FPSE; Dr Philippe THEYTAZ, Directeur des écoles de Sierre-VS

Thèse n° 285 Genève, mai 2000

(3)

Liminaire

Cette thèse serait incomplète si, en liminaire, mes remerciements les plus sincères n’étaient adressés à ceux qui m’ont aidée à mener à bien cette entreprise.

Je remercie à M. Philippe PERRENOUD, professeur à la FPSE de Genève, directeur de thèse et président du jury, pour la confiance qu’il m’a accordée.

Ses remarques pertinentes, son encouragement permanent ont permis à mon questionnement d’avancer, de se préciser pour enfin aboutir.

Un merci tout particulier est adressé à Mme Rita HOFSTETTER, maître d’enseignement et de recherche à la FPSE de Genève. Ses apports et invitations au travail scientifique ont été des plus précieux. Sans sa présence discrète, stimulante et exigeante, sans ses invitations à aller toujours plus avant, ce travail ne serait ce qu’il est.

Ma reconnaissance s’adresse également à Mme Mireille CIFALI, professeure à la FPSE, à M. Philippe THEYTAZ, directeur des écoles de Sierre (VS), qui m’ont accompagnée dans l’élaboration de ce long travail. Merci à M.

Philippe THEYTAZ, à M. Charles MAGNIN, professeur à la FPSE, et à M. Antonio NOVOA, professeur à l’Université de Lisbonne (Portugal), membres du jury de thèse.

Je remercie M. Serge SIERRO, Conseiller d’État, chef du Département de l’éducation, de la culture et du sport; M. Jean-François LOVEY, ancien directeur de l'École normale du Valais romand, actuel chef du Service de l’enseignement du Valais; M. Bernard TRUFFER, archiviste cantonal (VS); M. Jean-Pierre SALAMIN, directeur de l’ORDP (VS); les MARIANISTES et les religieuses du Couvent de STE-URSULE, de Sion. Avec leur autorisation, j’ai pu consulter les archives de l’État du Valais, de l’ORDP, de l’ENVR et celles des congrégations sans limitation temporelle. Les données recueillies m’ont permis de parcourir d’un bout à l’autre l’histoire des Écoles normales de Sion.

Merci à tous ces COLLÈGUES, anciennes, anciens et jeunes enseignantes, enseignants, professeurs, responsables pédagogiques et administratifs, liés à divers niveaux aux Écoles normales de Sion, qui ont accepté de me recevoir. Ils m’ont offert sans fard, avec générosité, tendresse et pudeur, leurs souvenirs et m’ont ainsi largement introduite dans ce monde de la formation des régents, des institutrices, des enseignantes et enseignants des degrés primaires et enfantines.

Un grand merci encore à Mme Jocelyne GAGLIARDI, à M. Jean-François LOVEY, à M. Francis KLOTZ, lecteurs et correcteurs attentifs.

Je remercie enfin, Nicolas, mon époux, Damien, Marie-Charlotte, Simon et Régis BAGNOUD, mes enfants. Leur soutien me fut chaque jour précieux. Ils ont accepté que je vole du temps familial pour le consacrer à ce long travail de recherche et d’écriture. Son résultat leur est tout entier dédié.

(4)

Vocation : Régent, institutrice.

Jeux et enjeux autour des Écoles normales du Valais romand (1828-1994)

Les Écoles normales, institutions centrales de formation des instituteurs et institutrices des régions essentiellement rurales, ont été érigées au 19e siècle par des gouvernements soucieux d’éduquer les citoyens que la démocratie rendait souverains. Les Écoles normales du Valais romand, légalement érigées dès 1828 mais effectives à partir de 1846, participent à ce mouvement occidental. Puis, au 20e siècle, elles sont soutenues par un gouvernement conservateur et catholique, dans le dessein politique explicite de maintenir la structure d’une société mise à mal par les progrès séculiers de la modernité. Dans ce sens, le développement, l’âge d’or et la délitescence de ces instituts de formation des jeunes filles et des jeunes gens suivent fidèlement l’évolution sociale de ce canton agricole et montagnard. Homogène et traditionnel jusque dans les années 1960, le « Vieux Pays » devient alors pluraliste, séculier, soucieux du bien-être matériel individuel. Chaque École normale, de son côté, tente de s’ajuster à cette évolution. Mais, définitivement entachées de leur ancienne mission idéologique, en 1994, le monde politique les ferme. Elles disparaîtront avec le siècle, en juin 2000, remplacées par une formation professionnelle pointue dispensée par une école de degré tertiaire, la Haute école pédagogique du Valais. Le statut d’école supérieure de la nouvelle institution et la caution scientifique de son curriculum formel la dégageront-elles des enjeux politiques qui ont fait les Écoles normales de Sion, dans le Valais romand ?

(5)

TABLE DES MATIERES

PRÉMICESETMÉTHODE 15

L

A

T

RAD TION CONTRE LA MODERNITÉI

,

UN OUTIL DE LECTURE DES DÉBATS POLITIQUES

18

De la tradition 18

De la modernité 21

Un concept mal défini 21

Une marche forcée vers le futur 21

Une société moderne est une société mobile 22 L’abandon des formes religieuses traditionnelles ou Du pluralisme

philosophique de la modernité 23

De la dynamique des tensions entre tradition et modernité 24

M

ÉTHODOLOGIE

27

Mini ego-histoire : du « nous » au « je », provisoirement 27

Issue du sérail 27

Chargée de responsabilités de formation 28

Sources écrites et archives 29

Temps masculin, temps féminin 32

La culture orale, une culture féminine ? 33

Témoignages oraux 35

Écrire un récit véridique 37

M

ENU

39

CHAPITRE1.LESÉCOLESNORMALES,UNEINSTITUTIONPUBLIQUEPOURUNEMISSION

NATIONALE,ICIETAILLEURS 43

D

ANS LA

B

ELLE PROVINCE D

OUTRE

-

ATLANTIQUE

43

Des Écoles normales à l’Université : une histoire de la laïcisation de la société

catholique et francophone du Canada 43

L’éducation et l’instruction : des questions féminines 45

(6)

L

A

B

ELGIQUE

:

UN COMPROM S NATIONAL UNIQUEI

47

I

U

NE ÉDUCATION LAÏQUE POUR UNE NATION LAÏQUE

,

LA

F

RANCE

49

L’école publique française du 19e jusqu’en 1945 : un enjeu politique dominant

49 Une institution modèle pour gouverner les esprits 50

Au service de l’idéal républicain 52

Former à un idéal républicain, en Algérie française 52 De la délitescence de la formation « normale » dans le second 20e siècle 53

Des Écoles normales aux IUFM 54

D

E L

INSTRUCTION POPULAIRE ET DES

É

COLES NORMALES EN

S

UISSE ROMANDE AU

19

E

SIÈCLE

55

Le pari de la culture générale : l’exemple de Genève 56 L’émergence des Écoles normales dans les cantons réformés de Suisse romande

58 Dans les cantons catholiques de Suisse romande 60

L

E

V

ALAIS

:

CONTEXTE POLITIQUE

,

RELIGIEUX ET SOC AL

62

Une société profondément catholique 62

Histoires du Valais 63

Histoires de l’école valaisanne 64

Former les élites cantonales et les élites populaires 67 La femme, vestale chrétienne de la société traditionnelle 69

P

ROBLÉMATIQUES CONVERGENTES

71

Questions transversales 71

Les Écoles normales du Valais, échographie d’une société en mouvement 72

(7)

CHAPITRE2.ENAMONTDE1846:PROJETSETRÉALITÉS 75

L'

ÉCOLE VALAISANNE JUSQU

EN

1815 76

L

A QUESTION SCOLAIRE EN

V

ALAIS DÈS

1815 78

Les luttes autour de l’enseignement mutuel 79

Le décret sur l’Instruction publique de 1828 81

Former les régents et les maîtresses d’école 82

L

E GOUVERNEMENT L BÉRALI ET L

INSTRUCTION DU PEUPLE

(1838-1843) 84

Les Constitutions cantonales libérales de 1839 85

La médiation fédérale 86

L

A LOI SUR L

’I

NSTRUCTION PUBLIQUE DE

1840 87

La Constitution : une base légale pour développer l’instruction publique 87

Le peuple Valaisan 88

Des régents brevetés par le gouvernement pour les écoles du peuple 89

Le projet de loi de 1840 89

L’Évêque conteste la répartition des pouvoirs 90 Le gouvernement en quête d’École normale 91

L

E PROJET DE LOI SCOLAIRE DE

1843 92

Compte tenu de la société valaisanne 92

Séparer les pouvoirs 93

Du ressort du pouvoir civil 93

Une place réservée au clergé 94

Certifier les régents déclarés compétents 95

Deux amendements pour lier à nouveau les pouvoirs 96

L

A CONTRE

-

RÉVOLUTION ET LE RÉGIME THÉOCRATIQUE

(1844-1847) 97

La loi scolaire de 1844 97

Sous le contrôle du clergé 97

Une École normale pour des instituteurs moralement conformes 98 Une loi qui convient au peuple, dans un cortège de mesures répressives

99

(8)

L’

APPEL AUX MARIANISTES

100

Éducation religieuse et démocratie 101

Où il est affirmé que l’instruction relève de l’éducation religieuse 101 Les Frères de Marie offrent toutes les garanties requises 103 Pas de dépense superflue pour l’instruction du peuple 104

C

ONCLUSION

105

L’éducation et l’instruction du peuple, enjeux politiques 105 La formation des enseignants au service de la moralité publique 106

CHAPITRE3.LECOURSESTIVAL(1846-1872) 109

D

U RÉGIME CONSERVATEUR AU RÉGIME RADICAL

: L

ES ECOLES NORMALES

,

UNE HISTOIRE

D

AMOUR ET DE NECESSITÉ

110

Les premières œuvres marianistes de Sion 110

L’ouverture du cours estival de l'école normale 112 Le gouvernement radical expulse les Jésuites : les Frères de Marie en question

115

L'école publique d’après la loi de 1849 : une affaire d’État 118 Des régents que le règlement de 1849 veut exemplaires 119

L’

OUVERTURE DE L

’É

COLE NORMALE POUR LES NSTITUTRICES I

( 1850) 121

I

Les débuts, à Sion et à Brigue 122

Les qualités de l’élève institutrice 124

L’É

COLE NORMALE DES INSTITUTEURS SOUS LE RÉG ME RADICAL

125

Les causes du retard des écoles primaires 127

La vocation en guise de rémunération 129

La décentralisation de l’École normale 130

L

ES

É

COLES NORMALES ET LE GOUVERNEMENT CONSERVATEUR DE

1857

À

1873 131

L’École normale des régents et celle des institutrices : des limites et des mérites

132

Le traitement des régents 132

(9)

Un budget modeste pour un usage social déterminé 132 La difficile sélection des aspirants régents 135 La religion pour l’émancipation des filles ? 136 Deux mois, et des résultats pourtant remarquables 138

C

ONCLUSION

139

Les Écoles normales : un instrument d’éducation populaire, quel que soit le

régime au pouvoir 139

Les Écoles normales : des systèmes indépendants 140

La naissance d’une classe sociale 141

L’enseignement : une place faite aux femmes 142

De la définition du rôle des pouvoirs civils et religieux sur l’instruction

publique 143

CHAPITRE4.L'ORGANISATIONANNUELLEDESÉCOLESNORMALES(1873-1906) 145

U

NE FORMATION ANNUELLE POUR LES RÉGENTS

148

La loi sur l’Instruction publique de 1873 : élever le niveau d’instruction du

peuple 148

La sécularisation de l’instruction 149

Le renforcement de la formation des enseignants 150

La condition faite aux régents 150

La réorganisation des Écoles normales 150

De 1874 à 1906 au parlement : des ajustements constants 152

La durée des Écoles normales 152

Le traitement des régents : une source de dépenses à maîtriser 153

U

NE MISSION BIEN IDENTIFIÉE POUR LES INSTITUTEURS

155

La campagne, une place assignée par la Providence 155 Les vertus religieuses et civiques de l’instituteur 158 Les attitudes professionnelles et les valeurs éducatives 159 Les moyens mis à disposition : les conférences 160

La revue pédagogique du DIP 161

L’É

COLE NORMALE

,

UN INSTRUMENT CONÇU POUR RÉGULER L

EXODE RURAL

162

Les régents pionniers de l’agriculture 162

(10)

Les contenus de formation 164 La république de l’École normale des instituteurs 166

Une vie en système clos 166

Des directeurs étrangers 167

Des relations ambivalentes avec le DIP 168

Les locaux de l’École normale : selon les finances cantonales 171

Les mécontents du système « École normale » 172

Du côté des normaliens 173

Des instituteurs dissidents 174

Avec l’accord du gouvernement 175

C

ONCLUSION

176

Le catholicisme : une stratégie identitaire 176

L’ajustement à la demande sociale d’instruction 178 Les instituteurs, une classe sociale modeste et dévouée à éduquer 178 Les Écoles normales et la classe politique : l’histoire d’une autonomie apparente

et d’une idéologie partagée 179

CHAPITRE5.LETEMPSDELACONSOLIDATIONIDÉOLOGIQUE(1907-1946)

181

L

ES LÉGISLATIONS DU

20

E SIÈCLE NAISSANT

:

UNE TRADITION EN ÉVOLUTION CONSTANTE

182

La loi sur l’Instruction publique de 1907 182

Une loi qui sécularise l’école ? 182

Des exigences pour devenir instituteur 183

Les Marianistes, étrangers désignés 184 L’École normale : un développement inscrit dans la continuité 185 Le statut économique et social du régent et de l’institutrice 185

Une revalorisation modérée 185

Une élite villageoise à maintenir dans sa vocation de modestie 187 Un statut mal défini pour un être amphibie 187 La loi sur l’engagement du personnel enseignant de 1930 189

Une situation nécessiteuse 190

Une si juste inégalité 190

Une innovation : la péréquation financière 191

Une mission éducative confirmée 192

(11)

L’É

COLE NORMALE

,

UN INSTRUMENT ÉDUCATIF CONF RMÉI

193

Une évolution qui suit l’évolution socioéconomique du canton 193

Vers l’exclusivité de la formation du personnel enseignant 193 Une section administrative à l’École normale des instituteurs ? 195 Une quatrième année d’études pour les instituteurs 195

Des élèves bénévoles 197

Du fonctionnement de l’École normale des instituteurs 199 les bâtiments : une lancinante question économique 199 La lutte contre le socialisme : une mission patriotique pour les régents

201

L’internat : discipline et soumission 202

Une vie recluse 202

D’après la volonté du politique 204

Les contenus de la formation professionnelle 205

Quelques concessions à la modernité pour les jeunes gens 205 Une formation au catholicisme patriotique 206 Une part de formation pratique hors les murs est concédée 208 Le cours agricole, fleuron de la formation des instituteurs 209 Vers un renforcement du rôle traditionnel de la femme 210

C

ONCLUSION

211

Une élite locale modestement considérée 211

La centralisation cantonale, pour l’avancement de l’instruction publique 212

L’École normale, fidèle et mobile 214

CHAPITRE6.LAVIEDELCOLENORMALEDESINSTITUTRICESESTUNLONGFLEUVE

TRANQUILLE(1875-1969) 217

L

E

19

E SIÈCLE

,

SOUS LE SIGNE DE LA DÉVOTION

218

Une vie exemplaire pour une vocation céleste 218

Toute de moralité, de charité, de dévouement 221

Afin que l’instruction ne pervertisse pas la femme 221 Le cours de pédagogie et les qualités de l’institutrice 224 Un règlement à observer consciencieusement 225 Des jeunes filles vertueuses de l’école… 226

… aux adolescentes facétieuses 228

(12)

L

ES

S

ŒURS

U

RSULINES DE

F

RIBOURG

( 1901-1919) 229

L’humble apprentissage des vertus de l’institutrice 230

Les contenus de formation 234

De la formation professionnelle 235

De diverses chansons 236

A la recherche d’un logement décent 238

L’appel aux congrégations religieuses 238

Le parlement conteste 241

L’

ŒUVRE DE L

’É

COLE NORMALE DES INSTITUTRICES DE LANGUE FRANÇAISE DÈS

1919 242

Le trousseau et l’hygiène 242

Des distractions officielles au rire comme exutoire 243 Sœur Angèle, la sérénité de la tradition (1935-1969) 245

Une connivence politique explicite 245

L’éducation ménagère, mesure politique contre l’exode rural 246 Nées pour demeurer injustement inférieures 246 Entre mission politique et contraintes libératrices 248 L’institutrice valaisanne, telle qu’éduquée à l’École normale 248

L’uniforme, une vertu vestimentaire 248

L’internat, une vie toujours autarcique 249

La création de l’école ménagère 251

La psychologie spécifique de la femme 252

C

ONCLUSION

254

La force tranquille de la tradition et de la foi pour un modèle éducatif séculaire 254

Des religieuses entrepreneurs par la force des choses 255

Une histoire de politique au féminin 256

CHAPITRE7.L'ÂGED'ORDESÉCOLESNORMALES(1947-1964) 259

L

A LOI SUR L

ENSEIGNEMENT PRIMAIRE DE

1947 259

Vers une prudente reconnaissance socio-économique du statut de l’instituteur

259

Une loi qui ménage les intérêts modernes et traditionnels 260

(13)

L’École normale en question 261

Former les instituteurs au collège ? 261

Soustraire l’École normale aux mains marianistes ! 262 Une formation des instituteurs à la mesure du pays 264

L

A RÉORGANISATION DES

É

COLES NORMALES

(1955) 265

Augmenter le traitement des instituteurs et réformer leur formation 265 La motion Moulin impose une réflexion sur la formation du personnel

enseignant 267

Le rapport du directeur R. Lorétan 269

Pourquoi (ne pas) supprimer l’École normale 269

Des esprits pratiques avant tout 270

Améliorer les procédures d’admission 271

Les avantages d’ordre moral de la formation des instituteurs par des religieux

273

L

A LOI SUR L

’I

NSTRUCTION PUBLIQUE DE

1962 275

L’explosion de la demande sociale d’instruction 275

D’incontestables innovations 276

Quelques idées-forces 277

La loi du siècle : une très bonne loi 278

L’École normale, un chapitre sensible 278

Une idéologie à préserver 278

La coéducation : un danger pour les mœurs 279 Former des éducateurs chrétiens par l’internat 280

La maturité pédagogique 281

Les exclusivités offertes aux Écoles normales 282 Reconduire les Écoles normales par prudence politique ? 284 Des conditions différentes pour les instituteurs et les institutrices 284

Le règlement de 1964, déjà suranné ? 285

Politiquement correct 287

C

ONCLUSION

:

À LA RECHERCHE D

UN ÉQUILIBRE ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ

289

Un mouvement né après la Seconde Guerre mondiale 289 La loi sur l’Instruction publique de 1962, un équilibre nécessaire entre

idéologie et économie 290

Une apothéose apparente pour un déclin programmé 291

(14)

CHAPITRE 8. LE TEMPS DES TURBULENCES (1964-1974) 295

L

ES VALEURS OCCIDENTALES ET CHRÉTIENNES

296

La lutte contre le communisme : un bouc émissaire 296 Les Écoles normales garantes des valeurs traditionnelles ? 297

Nous ne pouvons plus vous confier… 298

R

ÉORGANISER LE CURRICULUM DE L

’ENG 301

Les normaliens expérimentent la cogestion 301

Deux cycles pour apprendre 303

Le cours agricole est supprimé 304

Une réalité en mi-teinte 305

Une image qui ne satisfait pas le DIP 306

L

A MUE DE L

’É

COLE NORMALE DES INSTITUTRICES

308

Rejoindre la société civile 308

La fin de l’internat obligatoire et de la section ménagère 308

Une offre spécifique sans cesse ajustée 311

A travail égal, salaire longtemps inégal 313

L

ES

É

COLES NORMALES EN QUESTION

315

Une vocation délaissée par les meilleurs 315

L’introduction de cours rapides 315

Des enseignants à former rapidement 315

Un enracinement moins profond ? 317

L’École normale des institutrices, une école de la facilité ? 319 Le parti majoritaire s’insurge contre les innovations 320 Les socialistes réclament la suppression de l’école normale 321 Les Écoles normales risquent de disparaître pour cause… 323

…de dispersion, disent les uns 323

… d’assimilation, rétorquent les autres 324

Et si c’était … la faute à Voltaire, la faute à Rousseau ? 326

C

ONCLUSION

327

Seulement dix ans, deux siècles pourtant 327

Les Écoles normales en quête d’identité 328

(15)

CHAPITRE9.LESÉCOLESNORMALESNESERENDENTPOINT(1975-1983) 331

D

ES ÉTABL SSEMENTS PROFESS ONNELS AVANT TOUTI I

332

Un nouveau projet pédagogique pour les instituteurs 332 L’École normale des filles, tranquille continuité 333

L’accès aux universités 334

D

ES POLITICIENNES ET DES POLITICIENS DÉCIDÉS

335

Faire respecter la loi pour déstabiliser l’institution 337 La motion Kalbfuss veut supprimer l’École normale 339 Une question dérangeante… et pertinente 339

Pour une École normale chrétienne 341

La Commission Luisier 343

Former les instituteurs : deux voies pour un même titre 344

L

A LOI MORT

-

NÉE DE

1983 345

Une loi qui se veut en accord avec son temps 345

Le rapport des vingt-neuf et la formation des enseignants 347 De la commission au parlement : un projet édulcoré 348

U

NE CAMPAGNE DE PRESSE ENFLAMMÉE

350

Les enseignants pour la réforme de leur formation 350 Contre une réforme qui met en danger la stabilité sociale 352 Les Écoles normales mènent une lutte héroïque 352 L’Institut pédagogique, un encombrant canif à multiples lames 354 Une campagne « d’information » orientée 355 L’école valaisanne sous la coresponsabilité de l’Église ? 356 Une politisation totale des débats 357

Le peuple n’en veut pas 360

C

ONCLUSION

362

Dans l’obligation de repenser la formation des enseignants 362 La formation des enseignants valaisans peut-elle s’émanciper du champ

politique ? 362

Une inquiétante politisation des débats professionnels 364

Un sursis pour les Écoles normales 365

(16)

CHAPITRE10.LECHANTDUCYGNE(1984-1994) 367

A

MÉLIORER LA FORMATION DES ENSEIGNANTS

:

VOIX DIVERGENTES

368

Une motion urgente pour une révision sectorielle 368

Prolonger les études en École normale 369

Revaloriser la profession d’enseignant ? 370

L

E REGROUPEMENT DES ÉCOLES NORMALES

371

Une première commission d’étude 371

Les Ursulines renoncent à leur mandat 372

L’École normale des instituteurs est mise hors jeu 374 Trois phases pour regrouper les Écoles normales 374

Deux phases au goût amer 374

Quand des locaux sont aussi des symboles 376

Une troisième phase escamotée 377

L’École normale du Valais romand est dirigée par un laïc 378

L’École normale ferme 380

La sécularisation de la direction, passage obligé ? 380

V

ERS L

’É

COLE PÉDAGOGIQUE SUPÉRIEURE

381

Née de l’échec de la loi de 1983 381

Instaurer une École pédagogique supérieure 382

Un second rapport laisse ouverte la question du système de formation 383 La voie fractionnée, pour des raisons économiques 385

Une consultation largement favorable 386

Requiem pour l’École normale 388

Feu l’École normale et vive l’EPS ! 390

C

ONCLUSION

391

Une évolution sociale avant d’être institutionnelle 391 Une certaine permanence dans les représentations du monde politique ? 393

(17)

CONCLUSION 397

L

A RELIG ON CATHOLIQUE POUR CIMENT NATIONALI

397

L'É

COLE NORMALE

,

INSTRUMENT GOUVERNEMENTAL

398

Pour former de fidèles et pieux serviteurs 400

Le rayonnement pédagogique des œuvres marianistes, placées sous

dépendance économique 401

L’École normale des institutrices, doublement autonome 402

É

VOLUTIONS EN PALIMPSESTE

403

La dynamique transformante des Écoles normales 403 Le temps d’une institution idéologique est passé… 404

Place à une institution du tertiaire 406

O

UVERTURES

409

BIBLIOGRAPHIE

L

ES

É

COLES NORMALES ET LA FORMATION DES ENSEIGNANTS

411

Fribourg 411 Genève 412 Jura 413 Neuchâtel 413

Vaud 413 Belgique 414 Québec 414 France 415

B

IBL OGRAPHIE GÉNÉRALE JUSQUI

EN

1960 416

B

IBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE DÈS

1960 418

(18)

B

IBL OGRAPHIE VALAISANNEI

420

Sources manuscrites 420

Sources imprimées 421

Monographies, essais et publications diverses 421

M

ÉTHODOLOGIE

426

ANNEXES 431

Q

UELQUES DATES CLÉS

433

D

IRECTRICES ET DIRECTEURS DES

É

COLES NORMALES DE

S

ION

435

C

HEFS DU

D

ÉPARTEMENT DE L

'I

NSTRUCTION PUBLIQUE

(1848-1999) 436

S

IGLES ET ABRÉVIATIONS

437

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Prémices et méthode

A l’heure où, en Valais comme en Suisse1, en Europe et dans le monde occidental2, la formation des enseignantes et des enseignants vit une transformation structurelle fondamentale, un regard rétrospectif sur l’institution « École normale », fleuron de l’instruction populaire valaisanne, s’impose.

Canton dont l’autarcie culturelle et religieuse est érigée en valeur politique et sociale et en finalité sociale supérieure, le Valais n’en participe pas moins aux courants européens de formation des enseignants. Dans la première moitié du 19e siècle, alors que la plupart des pays européens renforcent leur instruction publique et se dotent d’Écoles normales dans un dessein ouvertement patriotique d’éducation

« nationale », de stabilité et de contrôle sociaux, le Valais, lui aussi, ouvre son École normale. Au tournant du 21e siècle, quand les formations supérieures sont transférées dans les écoles de degré tertiaire, le canton suit ce mouvement ascensionnel et institue sa propre Haute école pédagogique (loi du 17.11.1994 modifiant la loi du 4.7.1962 sur l’Instruction publique et loi concernant la Haute école pédagogique (HEP) du 4.10.1996).

Le rideau tombe sur les Écoles normales du Valais : émerge alors l’occasion de s’interroger sur l’identité et la fonction de ces institutions, et spécifiquement sur celles du Valais romand, autour desquelles tant de jeux se sont faits et défaits, enjeux de tant de débats et de combats. Couvrir leur histoire, dans une diachronie courant sur l’ensemble de leur vie, est possible à présent que se sont tues les passions dont son histoire mouvementée est traversée. Histoire scolaire à écrire dans un souci de respect de la parole des divers acteurs d’antan, couplée à un essai d’analyse de la société valaisanne telle que les élites politiques l’ont voulue du début du 19e siècle à la fin du 20e, tel est le défi de cet objet de recherche que personne encore n’a investi.

Cent cinquante-deux volées de régents-instituteurs et cent cinquante classes d’institutrices auront été formées dans les Écoles normales de Sion, de 1848 pour les jeunes gens et 1850 pour les jeunes filles jusqu’en juin 2000 pour tous. Ce ne sont pas moins d’institutrices et d’instituteurs qui auront participé à la construction, à la reproduction, et finalement à la production d’une société spécifique. Ses dirigeants ont cru aux valeurs ainsi générées et les ont défendues ardemment. Les régents et les institutrices3 y ont été étroitement associés, eux dont l’éducation a été parachevée dans les Écoles normales. Ces individus ont servi un idéal social défini par les institutions politiques cantonales et communales, et ces institutions ont elles aussi été

1 Altrichter, 1990, 1995 ; Probleme und besondere Aspekte […], 1998 ; Cattin, 1993 ; CDIP, 1993, 1995 ; Criblez & Hofstetter (Éd.) Périsset Bagnoud (coll.), 2000 ; FPSE, 1996-1997 ; Forum HEP, 1997, 1998 ; Maradan, 1997 ; Perrenoud, 1994b, 1997 ; Stauffer, 1998 ; Tschoumy, 1991, 1996, pour ne citer qu’eux.

2 Bouvier, 1997, 2000 ; Criblez & Hofstetter (Éd.) Périsset Bagnoud (coll.), 2000 ; Dahringer, 1996 ; Delors, 1996 ; Gaborieau, 1994 ; Hamel, 1991 ; Mellouki, 1989 ; OCDE, 1998 ; Revue des sciences de l’éducation, XIX, 1, 1993 ; Vonk, 1992 ; là aussi, pour ne citer qu’eux.

3 Il est à relever que, si les termes de régent et celui de régente sont couramment utilisés dans les campagnes valaisannes et parfois jusqu’à ce jour, dans les documents officiels (Grand Conseil, Département de l’Instruction publique) les instituteurs sont nommés « régents » jusque dans la première moitié du 20e siècle alors que les jeunes filles ont, elles, eu toujours droit – à quelques exceptions près – au titre d’institutrices, ou à celui de maîtresses d’école.

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actives et éminemment présentes sur la scène de l’enseignement. Tels sont les acteurs de cette histoire, elle-même tentative de mise en sens d’histoires que l’écriture, travail de re-naissance et de re-constitution, extrait de la torpeur silencieuse des archives.

Nous avons tenté, dans ce travail historique, de souligner « les caractères essentiels, expliquer les processus complexes » de cette histoire locale, tentative pour

« maîtriser le jeu des contradictions d’une réalité historique » dans des « analyses, réflexions, discussions et interprétation », lors d’un exercice « intellectuel rigoureux et exigeant » (Saly, Scot, Hincker, L’Huillier & Zimmermann, 1994). Découvrir l’histoire, c’est aussi concevoir la possibilité de la réaliser. Donner du sens à l’histoire, c’est admettre que ce sens « représente le centre de convergence, le support des aspirations, des espérances et des anxiétés aujourd’hui : besoin de cohérence interne et de solidarité» (Léon, 1984, p. 101). Une analyse rétrospective telle que conçue ici devrait permettre la reconstitution d’une ambiance populaire et sociale et la mise en évidence d’un contexte politique auquel ont appartenu des questions précises, dans les limites du cadre « qui fait vraiment problème pour l’acteur historique, à savoir son propre temps » (Nerhot, 1995, p. 88). A charge du présent d’écrire le sens donné à ce passé désormais sans voix. A l’orée de nouvelles orientations dans la formation des enseignantes et des enseignants primaires du Valais, le besoin se fait sentir de reconnaître, en prémices, les héritages culturels, sociaux et politiques incontestablement reçus. Une reconstitution minutieuse du temps inexorablement échu et des paroles définitivement posées en permet une analyse que nous avons voulue fondée.

Lorsque, en 1994, les Écoles normales valaisannes – celle du Haut et celle du Bas-Valais – meurent, le fait anime peu les débats politiques et professionnels. Il est dans l’ordre des choses, et ne soulève aucun débat. Pourtant, de nombreux auteurs ont relevé le destin intrinsèquement social et politique de la formation des enseignants, question centrale de notre recherche. L’éducation professionnelle des institutrices et des instituteurs semble étroitement liée au contrôle et à la

« production des conditions qui contribuent à l’intégration sociale et au maintien des conditions culturelles, la « société » produisant l’éducation dont elle a besoin pour se reproduire » (Petitat, 1982a, p. 8) selon le concept de « Reproduction » introduit par Bourdieu et Passeron (1970). Pour ces derniers, la reproduction, issue de l’autonomie relative du système éducatif, sert elle-même de « façon spécifique et irremplaçable les structures sociales » (p. 237). Toute action pédagogique exerce une efficacité différente sur les sujets selon leur héritage familial et culturel en particulier. Dès lors, en sanctionnant les différences « comme s’il s’agissait de différences purement scolaires, l’enseignement contribue à la fois à reproduire la stratification sociale et à la légitimer en assurant son intériorisation et en persuadant les individus qu’elle n’est pas sociale mais naturelle » (Prost, 1970, p. 852).

Pourtant, l’école contribue également à la production de la société, ainsi que le démontre Petitat (1982a, 1982b). Perçue d’abord comme une articulation sélective entre la culture dominante et les groupes sociaux, destinée à reproduire de l’intégration sociale ou des rapports de domination tout en s’ajustant aux nouvelles demandes sociales, l’école produit, finalement, d’autres rapports de classes. Cette production inattendue est consommée par la révolution industrielle et ses besoins inédits en formation, fort éloignés des exigences classiques de la reproduction traditionnelle des élites. En faisant œuvre de « production » de conditions nouvelles et parfois innovantes, « l’école contribue à la transformation de la structure des rapports sociaux » (Petitat, 1982b, p. 18).

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Parce qu’ils sont autonomes, le système éducatif et l’institution École normale, déforment et modifient ce qu’ils reproduisent (Prost, 1970). Cette tendance ambivalente est nettement perceptible dès qu’une période un peu plus longue est interrogée. A chaque fois, l’importance stratégique, politique et sociale de l’école, les jeux toujours passionnels qui ont opposé ou lié Église et État, État et collectivités locales à ce sujet, ont surgi et produit, à terme, de nouveaux rapports. Les Écoles normales, ainsi, ont activement été appelées à participer à la reproduction des normes sociales et des valeurs consacrées par l’élite dirigeante. Mais par cette production destinée à reproduire, elles ont admis les transformations professionnelles nécessaires à leur adaptation à la demande sociale et, s’étant éloignées du champ politique pour rejoindre celui, scientifique, des sciences humaines, elles ont finalement contribué à leur propre disparition.

Ceux qui fréquentaient les Écoles normales avaient, disait-on, la « vocation ». Sans cette qualité innée, point de salut dans le métier, ni auprès des enfants, ni face aux autorités. Mais, sur cette « vocation », nulle précision sémantique complémentaire : la vocation ne se définit pas. Elle se vit, elle s’impose. Elle est partie constituante de l’élu-e. Pourtant, malgré son apparence individuelle, la vocation recouvre un dessein social et collectif, une « mission »4. La volonté singulière leur échappe : « Ce que l’on appelle la vocation : le recouvrement d’un projet personnel par un enjeu collectif et la reconnaissance de soi dans les œuvres de la culture.

Chacun a le libre projet d’être ce que le destin lui impose »(Rops, 1992, p. 82). De la mission patriotique dévolue aux institutrices et aux régents-instituteurs, identifiée par eux comme étant leur « vocation », à l’analyse du fonctionnement de l’institution École normale : de son institution législative effective en 1841 à sa disparition que consacre la loi sur la formation des enseignants de 1994, dans ses dimensions politiques, sociales, professionnelles, humaines, notre questionnement est récurrent.

Quelles sociétés politiques, cantonales et locales, ont érigé et contrôlé les Écoles normales ? Quelle mission sociale leur fut confiée ? Comment les Écoles normales de Sion ont-elles accompagné leur société ? Comment ont-elles traversé ces cent cinquante années de mutations et d’évolution intenses ? Quels furent leurs rapports avec les autorités religieuses et civiles, cantonales et communales, qui les soutiennent et parfois les combattent, à l’intérieur de l’autonomie concédée ? Comment ont-elles gagné leur autonomie professionnelle, et, de ce fait, ont-elles contribué à leur propre disparition ? Avant de plonger dans ce lieu de batailles idéologiques et d’affrontements rhétoriques, un exposé des clés de lecture par nous utilisées est nécessaire. Il nous faut encore éclaircir notre propre position dans le champ de la formation des enseignants valaisans, et relever quelques points relatifs à notre propos historique : «Pas de méthodologie pour la méthodologie, mais une réflexion nécessaire sur l’histoire qui se fait et sur l’histoire à faire » (Le Goff, 1987, p. 233).

4 La coïncidence entre « vocation » et « mission » est analysée par Bourdieu (1980, p. 9) Pour lui, la coïncidence plus ou moins parfaite entre la « vocation » et la « mission » rend difficile à distinguer entre ce qui tient aux exigences du poste et des pratiques et ce qui tient de ce que les agents ont apporté, soit les inclinations inscrites dans leur habitus.

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LA TRADITION CONTRE LA MODERNITÉ, UN OUTIL DE LECTURE DES DÉBATS POLITIQUES

Pour appréhender au plus juste l’évolution diachronique de la lente et irrésistible transformation des Écoles normales de Sion, la référence à la tradition et à la modernité frappe par sa récurrence dans les discours qu’émet le monde politique lorsqu’il évoque ses intentions éducatives.

En Valais, les valeurs « traditionnelles » dans le discours politique valaisan, qu’analysent entre autres Antonietti, 1995; Chappaz-Wirthner et Dubuis, 1999;

Courthion, 1903/1979; Crettaz, 1993; Dubuis, 1995 et Kilani, 1984, le renforcement de l’identité cantonale à travers le catholicisme et la « vocation » agricole et montagnarde du pays, l’horreur suscitée par les abus du « modernisme » que dénoncent nombre de députés au Grand Conseil des deux siècles parcourus ici, imposent un questionnement sur chaque partie de « ce binôme qui joue un rôle central dans l’identité valaisanne depuis plus de cent ans » (Antonietti, 1995, p.

175). Des tensions, résultant de l’apparente opposition entre tradition et modernité, traversent incessamment le canton et forcent ses transformations. Pour nous, la question est bien de préciser les champs que couvrent la « tradition » et la

« modernité », de les mettre en sens et de construire à partir d’eux une grille de lecture pertinente pour notre objet, empruntant, quand nécessaire, quelque définition à des disciplines voisines de l’histoire, telles la sociologie et l’ethnologie.5

D

E LA TRADITION Pour Balandier (1968), la tradition peut être envisagée comme un système, soit « l’ensemble des valeurs, des symboles, des idées et des contraintes qui déterminent l’adhésion à un ordre social et culturel justifié par référence au passé, et qui assure la défense de cet ordre contre l’œuvre des forces de contestation radicale et de changement. Certaines sociétés traditionnelles sont obsédées par le sentiment de leur vulnérabilité, par la crainte des ruptures; elles sont engagées dans une lutte permanente contre les déviations et les déséquilibres qui les menacent » (p. 7). La tradition peut encore être plus simplement «vue comme pratique sociale et régulatrice des conduites », sans perdre de vue l’opposition des sociétés régies par la tradition à la société occidentale moderne. La continuité régit la tradition : elle permet de « se protéger contre des bouleversements répétés, contre un avenir dont la configuration reste imprécise ». Sa « fonction sécurisante, d’autant plus efficace que l’individu s’adapte difficilement aux situations instables» (p. 10) joue bien en faveur de la pérennité de l’ordre traditionnel.

Keller (1994), quant à lui, reprenant les propos de l’ethnologue Mead, rappelle que dans les sociétés traditionnelles « le changement est si lent et imperceptible que les grands-parents, tenant leurs petits-enfants nouveau-nés dans leurs bras, ne peuvent concevoir pour eux un avenir différent de leur propre passé »

5 Prost (1996a, p. 137) précise que « l’histoire ne cesse d’emprunter des concepts aux disciplines voisines et de s’approprier les concepts des autres sciences sociales ». Nous avons été d’ailleurs été frappée à la lecture des ouvrages de Prost (1996a) et de Carrard (1998) de voir avec quel naturel certains sociologues, dont Bourdieu, étaient cités sans réserve aucune concernant leur discipline.

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(p. 77). Ce que chacun a vécu, les suivants le vivront, sans modification : « Leur passé leur semblait appartenir à l’éternité, à un endroit où chaque rocher et chaque arbre témoignaient de ce passé inchangé. Le vieillard, l’homme dans la force de l’âge, l’adolescent recevaient et transmettaient le même ensemble de messages : ce que signifie d’être un homme, d’être un garçon ou une fille » (p. 77). Ricoeur (1983) va dans ce sens lorsque, à la continuité de l’existence sociétale, il fait correspondre « le lien entre générations qui entrelace l’amour et la mort et donne aux vivants non seulement des contemporains, mais des prédécesseurs et des successeurs » (p. 349).

Les parlementaires conservateurs valaisans du 19e siècle, nous le verrons, n’auront de cesse de revendiquer le legs d’une terre intacte pour leurs enfants, telle qu’ils l’ont reçue en héritage de leurs parents, dans l’obéissance catholique à la sainte Église romaine et à ses préceptes.

Janne (1968) dresse l’inventaire des forces conservatrices à l’œuvre dans toute société. Toutes garantissent sa tradition : la religion chrétienne, les idéologies, les organisations et leur fort besoin de sécurité né du changement même, la nation et la patrie. Cette tradition « qui marque les rapports familiaux, sociaux et sexuels de l’homme et de la femme reste très puissante dans la mentalité de nombreux individus »(pp. 17-19). L’éducation, dans ce cas, a puissamment imprimé sa marque avec le succès reproducteur escompté. Hameline (1977), précise à ce propos que

« toute sphère d’élevage, toute instance d’éducation, tout terrain de formation ont toujours joué ce rôle, à quelque époque que ce soit. Toute société, en tant qu’elle est l’institution même de sa propre survivance, met en œuvre, afin d’assurer l’accueil et l’intégration des générations montantes, des moyens qui ne sont jamais quelconques, jamais livrés à la simple initiative, au simple bon vouloir » (p. 10). Hameline (1995) relève encore le rôle social de l’école et les exigences de sa fonction de transmission d’une culture donnée à un humain en devenir. Celui-ci se construit en prenant élan dans la civilisation qui le précède. Le fait d’apprendre est inévitablement tourné vers le passé. La contrainte sociale de l’éducation, menée par l’école, la famille et d’autres instances encore, justifie la tradition des valeurs et de la question morale : l’éducateur agit au nom d’une société, en tant que médiateur des instances sociales qui lui délivrent un mandat nécessairement orienté. Il n’enseigne pas seulement, ne vise pas uniquement à transmettre des savoirs. Au contraire, il forme, dans une visée d’évolution générale des pratiques et des personnes.

Altermatt (1994) définit lui aussi la tradition en regard de la modernité :

« Dans ce conflit à propos de la modernisation, les régions rurales, paysannes et catholiques se sont révélées être de véritables réserves pour la conservation des modes de vie traditionnels». Une lutte anime « la population de tendance conservatrice », où le facteur religieux, très présent permet de « préserver leur individualité menacée […], mais également pour sauvegarder des valeurs culturelles » (pp. 141-142).

Kilani (1984) analyse la double utilisation, contradictoire, des références au passé, surgies dès lors que la montagne et ses habitants sont l’objet d’interventions constantes. La montagne se retrouve prisonnière « dans un discours et un système de représentations qui la jugent et l’évaluent à partir de critères propres à la société urbaine et industrielle » (p. 27). Le passé, encore très proche, doit être extirpé; le présent, en train de s’accomplir, n’est pas tout à fait assuré. Diverses images du montagnard, pris dans un processus de bouleversement de ses réalités sociales et économiques, sont ainsi efficacement élaborées et convoquées à différents usages dans une dualité exacerbée jusqu’à la contradiction intrinsèque du concept

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même de « tradition ». Pour Kilani, il s’agit de « préserver une identité locale menacée par les excès de la modernité »(p. 27). Mais, par ailleurs, l’indigence de la montagne indomptable, l’insuffisance de sa domestication par le paysan, ainsi que les temps de pénurie et de misère globale sont rappelés afin de « justifier l’intervention extérieure [étatique]» (p. 37) et de « rassurer sur les conséquences d’un développement économique parfois outrancier » (p. 28). La centralisation scolaire menée par le gouvernement valaisan au 19e siècle est un bon exemple de premier terme de la proposition. D’autres études portant sur le développement économique du 20e siècle finissant explicitent le second (par exemple Cordonier, 1997).

Organisant efficacement les modes de travail et de production des populations agricoles et montagnardes, sortant le paysan de sa léthargie et palliant son manque d’outillage et sa trop grande dépendance de la nature contre laquelle sa lutte incessante apparaît particulièrement inefficace, l’État se fend d’une action réformatrice, « par des lois, mais aussi par l’éducation, le contrôle des mœurs et la réduction du nombre de fêtes et autres occasions de dépenses inconsidérées, bref par un encadrement très étroit » (Kilani, 1984, p. 41, citant le RG CE, 1868). L’État apparaît alors comme le promoteur et, dans un même temps, le garant de la modernité et de la rationalité, lesquelles sont fondées sur l’utilisation optimale des ressources naturelles et sur un mode d’organisation efficace du travail et de la production (p. 43).

Les instituteurs, nous le verrons, seront explicitement chargés de cette double injonction, pendant plus d’un siècle après l’ouverture du cours normal : reproduisez les normes traditionnelles, gardez vives les valeurs de la campagne, l’amour de la terre, la moralité des baptisés, mais produisez de la modernité acceptable en injectant quelque science agricole afin de tirer meilleur revenu du labeur paysan.

L’alliance du discours « tradition-modernité », pour Antonietti (1995), est intrinsèque parce que typique des phases de changements sociaux rapides.

L’ethnologue souligne que «la société traditionnelle ne connaissait pas de tradition […]. La valeur de la tradition (cultivée de manière consciente) dans les sociétés pré- industrielles jouait un rôle très limité et était plutôt le fait d’une sorte de routine.

[…]. La ’’tradition’’ est, par conséquent, un produit de la modernisation » (p. 178). Et de rappeler encore qu’une réévaluation de la tradition et sa valorisation dans le discours politique n’intervint qu’au moment de l’industrialisation véritable du canton :

Le couple tradition-modernité devint donc porteur d’une image historique antagonique qui enferme le passé dans la stagnation et ne retient la notion de progrès que pour le seul présent (Antonietti, 1995, p. 178).

Ainsi, le concept de « tradition » serait indissolublement lié à celui de la

« modernité », lui-même joint à ceux de « progrès » et de « présent ». Mais, si la tradition paysanne évoque rapidement une imagerie plus ou moins romantique et heureuse, le concept de la modernité, si souvent utilisé, demande quelques précisions, du moins dans le contexte de la présente étude.

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D

E LA MODERNITÉ

U

N CONCEPT MAL DÉFINI Pour le Petit Robert est moderne « ce qui est du temps de celui qui parle. […]

Actuel, contemporain ». C’est cette acception qu’emprunte le marianiste Claret (1997) pour parler de la « modernité du père Chaminade », fondateur de la Société de Marie, première responsable de l’œuvre de l’École normale des instituteurs de Sion : « On est moderne quand nos œuvres sont encore actuelles cinquante, cent ans ou plus après notre mort… » (pp. 47-48). Parce que cette définition de la modernité sonne comme une apologie de la tradition telle que décrite plus haut, nous ne saurions nous en contenter.

L’historien du catholicisme helvétique, Altermatt (1994), relève l’ambivalence du concept de la modernité. Pour lui, « il n’y a pas de modèle de la modernisation généralement admis. Mais on peut admettre que la modernisation est un formidable processus de transformation qui a commencé en Europe occidentale avant d’entraîner le monde dans sa dynamique. En ce sens, ce concept est synonyme d’occidentalisation et d’européanisation du globe »(p. 35). Plus loin, il ajoute encore, à propos du Kulturkampf, que ce dernier est bien « un combat mémorable opposant la tradition à la modernité, tel que l’a vécu la Suisse lors du passage de la société agraire à la société industrielle » ( p. 141). La modernité, dès lors, se caractériserait par le passage d’une société agraire, donc traditionnelle, à une société industrielle.

Mais, signale-t-il ailleurs, la sécularisation globale de la société serait un signe caractéristique de la modernité (pp. 85-86). Et « nombreux sont ceux qui ressentent la modernité comme une colonisation du monde où l’on vit (J. Habermas) et comme un assujettissement social. La société moderne, dans cette perspective, est synonyme d’aliénation et de perte d’identité » (p. 17). Mises bout à bout, ces bribes de définitions laissent entrevoir la modernité comme le passage de la société traditionnelle à une société marquée par la sécularité industrielle dépersonnalisante.

Complexe et multiforme, le concept demande cependant encore quelques éclaircissements supplémentaires, afin d’être lisible pour notre problématique.

U

NE MARCHE FORCÉE VERS LE FUTUR Keller (1994), en historien de l’art, oppose la modernité à la durée. Il souligne la fuite en avant que sous-tend le concept. « La modernité nie le temps cyclique : les choses ne se produisent qu’une fois, elles sont sans retour […]. Interdiction d’avoir des regrets pour ce que l’on quitte ou de la compassion pour ceux que l’on abandonne au bord de la route. Interdiction absolue de regarder dans le rétroviseur » (pp. 78-81). La conscience de la fuite du temps, de son aspect irrévocablement unique a, d’après lui, poussé les hommes à provoquer l’événement, dans une lecture historique faite par anticipation : « Aujourd’hui, plus que jamais, l’avenir nous observe » (p. 127). La préoccupation historienne tourne alors à l’obsession : les faits présents sont évalués du point de vue des historiens à venir, de l’impact probable qu’en retiendront les livres, du regard critique qui, demain, sera posé sur eux, dans une marche forcée vers un « avenir d’autant plus fascinant qu’il recule sans cesse et qu’il est donc inatteignable ». Le futur est le temps de la modernité sûre d’elle : « Telle

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est la loi de la modernité : seule importe la première fois, car elle seule annonce ce qui sera » (p. 81).

Janne (1968) constate, lui aussi, l’irrémédiable avancée provoquée par la modernité. La religion chrétienne est ébranlée, les structures sociales modifiées par le développement des sciences et du capitalisme : « Les sciences et les techniques font un ensemble intégré dont chaque facteur fait progresser l’autre : la science demande de plus en plus de technique et la technique de plus en plus de science » (p. 14).

L’espace scolaire en est irrémédiablement transformé : l’éducation sociale et globale de la personne, comprenant l’instruction utile au rôle dévolu à chacun prôné par la tradition, ne peut plus avoir cours. L’instruction scolaire et technique, utile à l’individu pris dans une économie de marché et dans un processus d’émulation permanente, appartient à la modernité.

U

NE SOCIÉTÉ MODERNE EST UNE SOCIÉTÉ MOBILE La société en changement aurait dès lors tendance à détruire ses structures antérieures, dont la stratification sociale stable, pour y substituer, « comme facteur dominant, la mobilité sociale »(Janne, 1968, p. 14). Dans ce sens, Balandier (1968) relève encore que « c’est la première fois, au cours de son histoire, que l’humanité connaît en l’espace d’une génération une série de mutations aussi étendues » (p. 3). Janne(1968) précise qu’un «type sociétal est né dès lors [que] les sociétés d’Europe occidentale sont entrées dans un processus de changement dont le rythme rendait les modifications sensibles à l’échelle d’une vie humaine » (p. 13).Meirieu et Guiraud (1997, pp. 24-26) relèvent eux aussi l’accélération historiquedu renouvellement des connaissances qu’a connu le 20e siècle, renouvellement si rapide que la « filiation généalogique » et « le lien transgénérationnel » en sont rompus (voir aussi Meirieu, 1998, p. 18). Dans cette optique d’une société de mobilité généralisée, Balandier (1968) constate que l’intensité des changements « risque de masquer les permanences reconnues dans les formules d’usage comme obstacles contrariant l’action des forces modernisantes » (p. 4). La modernité, dès lors, est généralement conçue comme impliquant une rupture éminemment crainte et contre laquelle la société traditionnelle lutte : débat inachevé, nous dit le sociologue, entre conservateurs et radicaux.

L’école, prise dans ces tensions, de par les illusions égalitaires qu’elle a créées et l’amélioration de l’ordinaire qu’elle a offert au peuple, néglige alors sa fonction de contrôle social et bouscule l’ordre social qu’il lui revenait pourtant de perpétuer. La tutelle exercée par le système éducatif sur des millions d’éducables est pesante, précise Hameline (1977). Une conscience a émergé, après la Seconde Guerre mondiale, quant au caractère conservateur et reproducteur des grands systèmes d’éducation. L’école y a participé : seul lieu d’acculturation du peuple, seul chemin de son émancipation, au bout du compte, elle a produit de la modernité, dans son mouvement reproducteur. L’école domestique et affranchit dans le même mouvement. Les instituteurs sont les acteurs de ces affranchissements furtifs, « là même où le système d’enseignement les avait agencés et appareillés à leur place de domestiques » (p. 181).

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L’

ABANDON DES FORMES RELIGIEUSES TRADITIONNELLES OU

D

U PLURALISME PHILOSOPHIQUE DE LA MODERNITÉ Les acceptions posées plus haut convergent et donnent un tableau de la modernité telle qu’elle a pu être ressentie en Valais. Y manque encore une pièce maîtresse : les relations entre modernité et catholicisme, explicitement comprises dans les tensions qui secouent le Valais pris entre modernité et tradition.

Se penchant sur cet antagonisme qui touche toutes les sociétés catholiques, Le Bouëdec (1998) prend en compte la dimension a-religieuse de la modernité : « La modernité est caractérisée notamment par le fait que la société est pluraliste et sécularisée : y coexistent diverses options philosophiques, spirituelles, éthiques du fait que les repères traditionnels que sont Dieu, la Nature, le Bien se sont effondrés ».

La culture du progrès technique et scientifique y prévaut : « Le progrès scientifique est devenu la figure emblématique de la société, avec la conviction qu’il sous-tend un progrès de l’humanité, et donc lui confère une dimension messianique. » De nouveaux repères éthiques sont adoptés. Ils renient toute référence aux croyances et valeurs du passé : « La modernité a pour caractéristique de croire qu’elle invente le monde, que toutes les questions sont neuves; ce qui a pour conséquence de rendre illégitime toute référence à la tradition philosophique et religieuse […]. La liberté de choix individuel est la plus haute valeur; il y a prééminence de l’individu sur la communauté, de l’autonomie du moi sur le bien commun » (pp. 152-154). Dans ce contexte, la sécularisation de la société se généralise. La religion ne peut plus prétendre concurrencer la connaissance. Définie par la communauté scientifique et devenue valeur essentielle, celle-ci est appelée à résoudre tous les problèmes. La doctrine chrétienne est écartée, la dignité humaine se fondant désormais sur d’autres critères que ceux que définissait son éthique.

Hameline (1998), dans un effort de clarification de ce concept très large, pose un regard aigu sur le couple sécularisation et modernité, dont les querelles remontent aux sources du millénaire. La conscience collective religieuse cède progressivement le pas à la conscience libertaire, dans un processus initié très tôt :

Pour Dubarle6, la modernité n’est pas différenciable de la sécularisation de la société occidentale. Et ce mouvement irréversible, accompagné du désenchantement à l’égard de la sacralisation chrétienne du monde, s’amorce très tôt, dès Canossa (1077), malgré les apparences contraires, dès la querelle du Sacerdoce et de l’Empire. Une compétition, progressivement, s’instaure […].Un nœud se défait, un autre se forme. Le nœud de la conscience croyante se défait au profit de la « conscience libertaire ». Ce nœud va peu à peu se renforcer au point de faire cause commune avec l’institution séculière de la société, aux temps où cette dernière instruit le procès de sa propre émancipation (pp. 215-219).

L’avènement de la société moderne, comme société scientifique, n’est dès lors pas seulement marqué par le renouvellement de la possession matérielle du monde, des techniques. Le caractère « spirituel » de la sécularisation importe puisque la science devient, « pour cette société séculière, la référence singulière de son entendement ». Hameline (1986) relève ailleurs que si le courant de la modernité emporte avec lui les concepts de progrès, d’éducabilité et de démocratie égalitaire, s’il valorise la primauté de la science et remet à l’État la scolarisation de sa jeunesse,

6 Le père Dominique Dubarle fut doyen de la Faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris.

Hameline, 1998, p. 216.

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dans un culte de l’intellectuel, s’il place la pédagogie sous l’influence de l’essor des sciences humaines, les parents eux aussi, ont changé dans leurs demandes et attentes vis-à-vis de l’école mise en demeure d’assurer la réussite de chaque élève. Et c’est à la modernité que les femmes occidentales doivent leur émancipation.

Tenter de comprendre le phénomène religieux qui traverse le Valais et que l’avènement de la modernité exacerbe, c’est aussi le questionner ailleurs que sur la doctrine chrétienne et catholique. C’est, dans une posture moderne, scientifique, « [l’]

interroger sur ce qu’[il] nous apprend d’un statut social à travers les formes collectives ou personnelles de la vie spirituelle; c’est entendre comme une représentation de la société ce qui, de [son] point de vue, fondait la société » (de Certeau, 1975, p. 148, souligné par l’auteur). C’est aussi identifier ce que la sécularisation - modernisation de la société valaisanne transforme, insensiblement, irrémédiablement, définitivement, dans les mentalités; c’est percevoir les implications de ce processus sur l’institution scolaire en général et sur les Écoles normales de Sion en particulier.

D

E LA DYNAMIQUE DES TENSIONS ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ Décidément tournée vers le futur, mobile, avide de réussite économique, séculière, nourrie à des sources philosophiques et éthiques désormais pluralistes et plurielles, la société valaisanne du second 20e siècle7, s’inscrit nettement dans la dialectique de la tradition et de la modernité. Les enjeux éducatifs que les Écoles normales cristallisent en portent les indéniables traces, de leur initiation à leur fermeture8.

Tour à tour utilisée pour maintenir le stratification sociale, pour mieux vanter le progrès ou pour s’en protéger, la tradition est construite contre la modernité, pôle négatif ou positif, selon le rôle attendu de l’image projetée. Réflexions et marchandages, action et réaction, retenue et audace : de lentes et longues transformations ont conduit irrésistiblement la société valaisanne à intégrer et désirer les valeurs modernes du monde occidental. Et par dessus ce travail inconscient, invisible, la tradition lui fut peut-être imposée de manière artificielle, ainsi que le suggère Crettaz (1993):

7 Le premier 20e siècle court jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le second en naît. Voir Prost 1996a, p. 128.

8 En 1994, en effet, le Conseiller d’État chef du Département de l’Instruction Publique (DIP) harangue les députés appelés à voter la loi qui fermera définitivement les Écoles normales en des termes opposant la tradition qu’elles représentent à la modernité d’une formation de degré tertiaire :

« Je redis aussi le grand mérite qu’a eu jusqu’à ce jour l’École normale pour la mission qu’elle a exercée et qu’elle exerce encore. Cependant, il y a un risque très grand que l’on court à se reposer sur ses lauriers […].

Nos Écoles normales, ne l’oublions pas, ont été créées au siècle passé pour une mentalité qui a pu répondre, avec les évolutions successives, jusqu’à ce jour. Durant ces quarante dernières années, nous avons sans doute assisté à la plus rapide et à la plus fantastique accélération de l’Histoire, c’est-à-dire des technologies, des moyens de communication, qu’il s’agisse des personnes, des biens ou de la pensée et de l’information. En moins d’un demi-siècle, nous avons parcouru, dans bien des domaines, un chemin plus important qu’en trois cents ou quatre cents ans précédemment. Et rien ne permet d’imaginer que ce rythme va baisser à partir de maintenant ou à partir de l’an 2000. Vivre dans le monde d’aujourd’hui, dans le monde de demain, c’est être capable de tisser des ponts entre les idées, de relativiser des points de vue, d’établir des relations entre les faits, les informations, les idéologies, les subjectivités; c’est aborder les problèmes dans toute la complexité de leur multiple dimension […]. Nous n’avons pas crainte de l’affirmer : l’École normale actuelle, malgré ses incontestables mérites, n’est plus à même dans une situation présente de faire acquérir cette double et indispensable formation aux enseignants » (BGC, séance du 17.11.1994, p. 611).

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