• Aucun résultat trouvé

LE GOUVERNEMENT LIBÉRAL ET L’INSTRUCTION DU PEUPLE (1838-1843)

Dès lors, les combats idéologiques emplissent la vie politique valaisanne. Le pays n’est plus gouvernable : « Les lois sont impuissantes en Valais : ce sont de vains fantômes qui épouvantent les gens timides, mais que les audacieux chassent devant eux comme une ombre légère qui à la fin s’évanouit » (Prot. GC, 1001/14, 1838, p.

59). Dans ce contexte tendu, les intérêts politiques séculaires de l’Église sont en jeu.

Les libéraux du Bas contestent l’injuste majorité du Haut-Valais cléricaliste à la Diète, issue de la tradition politique d’assujettissement du Valais occidental, et veulent imposer la représentation proportionnelle. L’instruction publique, mise en sourdine le temps d’en découdre, revient alors sur le devant de la scène. En mai 1838, la Diète examine le décret de 1828. Conformément aux intentions libérales, elle loue les bienfaits de l’instruction :

Que peut-il y avoir de plus élevé, d’un intérêt plus général que la Science qui apprend à l’homme sa dignité, qui lui apprend ce que la Créature doit à son Créateur, ce que l’individu doit à la Société, science qui donne la Connaissance de tous les principes, l’amour de tous les devoirs (Prot. GC, 1001/14, 1838, p.

300).

Conjointement aux autorités temporelles, « les destinées d’un peuple » sont confiées aux autorités spirituelles. Ces dernières sont soigneusement associées au projet destiné à procurer au peuple « les moyens de développer et de cultiver [ses]

facultés intellectuelles » (Prot. GC, 1001/14, 1838, p. 256). La nécessité d’améliorer l’état actuel de l’instruction et de l’éducation publiques dans le canton, selon les propos du gouvernement, est « généralement sentie par toutes les personnes éclairées et amies du bien et de la prospérité de la Patrie » (Prot. GC, 1001/14, 1838, p. 256).

Le gouvernement libéral valaisan promeut l’instruction populaire en tant qu’éducation patriotique. Pourtant, le catéchisme du diocèse reste le premier

enseignement institué. La morale, fondée sur les principes de la sainte religion et l’histoire sainte en abrégé, le suivent. Puis sont énumérés, dans l’ordre : la lecture, l’écriture et l’orthographe, les éléments de la Grammaire, les quatre premières règles de l’arithmétique, les fractions et la règle de trois. Le libéralisme valaisan de 1838 se nourrit bien de catholicisme, ce ferment du patriotisme valaisan. Malgré cela, les cléricaux se méfient de ces progrès trop rapides de la sécularisation de l’instruction que sous-tend la question de la représentation proportionnelle à la Diète. Les tensions partisanes issues de cet enjeu capital rompent l’unité cantonale en 1839.

L

ES

C

ONSTITUTIONS CANTONALES LIBÉRALES DE

1839

Et les événements politiques mettent à nouveau en veilleuse le projet de donner au Valais une loi sur l’Instruction publique. En 1839, deux gouvernements s’affrontent. Les conservateurs du Haut se retirent à Sierre, refusant le coup de force libéral qui impose la représentation proportionnelle à la Diète. Les libéraux du Bas, continuent de siéger à Sion. Ils adoptent successivement deux Constitutions cantonales en janvier, puis en août 1839.54 Conformément à leurs idéaux séculiers, ils partagent les pouvoirs et fondent leur société sur le développement d’une instruction populaire adaptée à ses besoins présumés:

L’esprit qui a présidé à la rédaction de la nouvelle Constitution n’est point un esprit de domination, mais celui de la réforme des abus existants, le désir d’améliorer notre position sociale. Nous avons voulu le maintien de la religion et des droits du clergé ; que le peuple reçoive une instruction appropriée à ses besoins ; que le pacte fondamental soit assis sur des bases équitables (Joseph-Hyacinthe Barman, président de la Constituante. Cité par Arlettaz, 1985, p. 76).

Cette révolution politique et culturelle passe par un retournement des anciennes structures valaisannes issues de la loi organique de 1826 qui règle de manière implacable le système politique communal, base de l’édifice constitutionnel, ce « chef-d’œuvre […] qui tend inexorablement à perpétuer la situation existante et transforme les élections en plébiscite » (Papilloud,1979, pp. 72-74). Les intérêts cléricaux et ceux du Haut-Valais sont garantis par la Constitution de 1815 que contestent bien évidemment libéraux et radicaux55. La lutte par presse d’opinion interposée est virulente.56 Les avantages de l’élite conservatrice sont fustigés dans la

54 Recueil des lois et arrêtés du canton du Valais, T. VI, 2e édition, 1889.

55 Pour plus de détails quant aux nuances idéologiques de ces deux partis, se reporter à Arlettaz, 1985.

56 A propos du pouvoir politique de l’évêque à la Diète : « Son vote est égal à celui d’un dizain et compte pour quatre suffrages (art. 19). Il faut de plus remarquer que l’évêque, étant nommé par la Diète, où les dizains supérieurs […] font la majorité, a toujours été et sera vraisemblablement toujours choisi dans le Haut-Valais. Voilà par conséquent un renfort de quatre voix au profit du Haut-Haut-Valais. Le clergé a donc en Valais le bénéfice de nous dicter des lois sans y être lui-même soumis » César Gross, in la Jeune Suisse, 6.1.1836, cité par Arlettaz,1985, p. 70. A propos des séances de la Diète qui ont lieu à huis-clos selon la Constitution de 1815 : « Les notaires, des docteurs en droit et en médecine, les officiers dans les troupes de ligne sont en Valais des êtres extrêmement privilégiés, car ces qualités suffisent pour les rendre éligibles à la Diète (art. 18) […].

Les séances de la Diète, pas plus que celles des Conseils de dizains et des communes, ne sont publiques en Valais. En diète, dès que le discours d’ouverture est prononcé par son président, la porte de la salle est fermée au public […]. Deux familiers et deux huissiers en gardent l’entrée. L’instruction n’y est pas libre non plus, confiée à les laïcs, elle ouvrirait les portes de l’enfer. Aucun changement à la Constitution de 1815 ne peut avoir lieu qu’après avoir été adopté dans deux Diètes consécutives, et décrété à la majorité de 39 suffrages (art.

37), condition qui, par le défaut de la représentation proportionnelle rend toute amélioration impossible » (César Gross, dans la Jeune Suisse du 6.1.1836, cité par Arlettaz, 1985, pp. 70-71).

presse libérale. Les anciens maîtres du pays sont rendus responsables du retard sévère et des inégalités sociales criantes qu’accuse la société valaisanne :

Ce que je dis ici sous le titre de démonocratie est une plainte faite contre la classe plus instruite de ne rien faire pour arracher au peuple ses préjugés, ses erreurs, ses fausses croyances et ses superstitions qui concourent à le dégrader et à empoisonner son bonheur domestique ; c’est un avis donné à ce bon peuple pour le prémunir contre de pareilles absurdités ; c’est enfin le triomphe de la vérité sur les superstitions qui le tiennent enlacé dans une crasse et pitoyable ignorance […]. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il faut au bon Dieu du Valais une fière dose de patience pour supporter tant d’absurdités qui se commettent en son nom par le clergé valaisan. Pauvre peuple du Valais ! Si tu es en arrière dans la civilisation, à qui la cause du retard, si ce n’est à ceux qui te conduisent dans la vieille ornière embourbée des préjugés ? A ceux qui dirigent ton éducation par des méthodes fausses et tortueuses, pour la retarder et faire perdre ainsi à la jeunesse un temps précieux et irréparable ? A ceux qui te font courir à l’église pour demander la pluie, tandis que d’autres demandent le soleil, et surtout à ceux qui te font assommer les patriotes tes frères au son lugubre du tocsin ! (cité par Arlettaz,1985, pp. 72-73).

Les députés César Gross puis Louis Gard dénoncent dans le Nouvelliste vaudois l’attitude de la classe politique dominante et ses manœuvres pour ménager la permanence de ses intérêts lors de la révision de la Constitution : « Le peuple est pauvre, mais qu’importe si ses hauts dignitaires nagent dans l’opulence ? » (cités par Arlettaz, 1985, p. 69) Les libéraux et les radicaux se font l’écho de la classe populaire et revendiquent pour elle le droit à la connaissance, à l’instruction et à la participation politique. Les sentiments religieux ne sont pas cependant pas réprouvés par les attaques des libéraux et des radicaux, seul le pouvoir clérical et ses abus le sont explicitement.

Ainsi dissociée, la religion catholique peut être reconnue religion unique de L’État par les Constitutions libérales de 1839. Sa présence n’empêche nullement la diffusion des connaissances permettant le progrès. Au contraire, en y alliant ses valeurs morales, elle est appelée à servir l’intérêt général et la réalisation des idéaux de démocratie et de prospérité matérielle. Les libéraux proposent une répartition des pouvoirs civils et religieux. De concert, les deux autorités soutiendraient la marche de la société valaisanne vers sa prospérité.

Mais cette vision harmonieuse et idéale n’est bien sûr pas partagée par ceux à qui la représentation proportionnelle ôte la majorité parlementaire, soit les catholiques de Sierre et du Haut-Valais.

L

A MÉDIATION FÉDÉRALE La Diète Fédérale envoie ses médiateurs57 auprès des représentants conservateurs des huit dizains orientaux retranchés à Sierre afin de régler le différend autour de la Constitution valaisanne (Prot. GC, 1001/15, 1839, pp. 217-220) et de concilier les intérêts communs des deux parties en fournissant des garanties « qui assureraient la conservation du principe religieux et ménageraient les intérêts matériels contre les atteintes qu’une représentation proportionnelle pourrait faire craindre » (séance du 30.11.1839).

57 Prot. GC, 1001/15, 1839, pp. 35, 62, 194, 217-220, 282.

Derrière cette sollicitation de garanties religieuses et matérielles se profilent les enjeux politiques des anciens dirigeants conservateurs du pays. L’évêque et son clergé s’y associent au nom de la religion, dans une concomitance d’intérêts qui prend ici l’aspect d’une saine complémentarité. Le bureau de la Diète de Sierre rédige ses propositions. D’accord avec l’article qui déclare la religion catholique, apostolique et romaine, unique religion reconnue dans le canton et ayant droit de culte, elle demande en sus que les directions des trois collèges soient confiées exclusivement aux corporations religieuses qui en sont alors chargées, tout comme l’école moyenne devrait également l’être : « Dans aucun cas, l’enseignement ne peut être confié aux civils ». Par ailleurs, il est demandé que les rds curés aient la surveillance des écoles des communes et des régents conjointement avec le conseil communal. Ces revendications, filles de celles qui ont ajourné les lois scolaires de 1828 et de 1840, démontrent l’importance stratégique et politique de l’instruction.

Sous la pression fédérale et forts des propositions ainsi avancées, les dizains du centre et du haut admettent le renversement possible de leur majorité dans l’enceinte de la Diète, tout en menaçant :

Dans le cas où ces propositions ne seraient pas accueillies, on demande :

ou unité du canton envers la Diète fédérale et la séparation de l’administration intérieure

ou séparation provisoire du canton (Prot. GC, 1001/15, p. 220).

Mais la Diète fédérale ordonne par arrêté la reconstitution du canton (Prot.

GC,1001/16, 1839, p. 112). Les armes règlent finalement la situation, et les troupes du Bas entrent à Sierre en avril 1840 pour imposer la Constitution libérale du 3 août 1839 (Biner, 1982, p. 9). Les conservateurs catholiques sont vaincus et se soumettent sans pouvoir imposer leurs amendements constitutionnels. Cependant, lorsque les débats autour de la loi sur l’Instruction publique reprennent en 1840, ils combattent fermement les propositions concoctées à Sion en leur absence et travaillent à faire échouer un projet qu’ils considèrent toujours comme étant contraire à leurs intérêts.

LA LOI SUR L’INSTRUCTION PUBLIQUE DE 1840