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L’ÉCOLE NORMALE, UN INSTRUMENT CONÇU POUR RÉGULER L’EXODE RURAL

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ES RÉGENTS PIONNIERS DE L

AGRICULTURE Comme ailleurs en Suisse (Bourquin, 1996 ; Jelk, 1984 ; Junod, 1983 ; Fleury, 1996 ; Vuille, 1978) et en France (Ozouf, 1967 ; Prost, 1968), l’instituteur est paysan : « le corps enseignant du Valais se recrutait généralement jusqu’ici dans la montagne […]. Il convient de noter que le fonctionnaire est censé posséder du bétail comme tout autre citoyen et disposer de prés et de champs » (Courthion,1903/1979, p. 143).Le gouvernement souhaite perpétuer cet état, puisque le régent doit satisfaire aux besoins du peuple. Son éducation à l’École normale va le rendre capable d’éduquer les enfants à ces besoins populaires agraires.

Issu du même milieu, vivant en grande partie du labeur et des revenus de la terre,

148 l’École primaire, no 8, 1898/99, pp. 125-127 «Je suis instituteur. C’est-à-dire : j’ai reçu de Dieu, par l’intermédiaire de mes supérieurs, la mission d’élever les enfants dont l’éducation m’est confiée, de leur enseigner d’utiles vérités, de les conduire dans la voie de la sagesse et de la crainte de Dieu. Ma mission est donc à la fois noble et importante. »

l’instituteur des campagnes est reconnu apte à diriger l’enseignement tel que voulu et organisé par les élites politiques et à participer au « développement de [la] jeunesse en lui faisant aimer le sol natal et y chercher l’aisance que sa culture intelligente et rationnelle peut apporter dans un pays comme le nôtre » (RG CE, DIP, 1879, p. 6).

L’enseignement agricole fait partie intégrante de sa vocation. Il contribue « à répandre les vrais principes d’une culture rationnelle au milieu de nos populations alpestres, dont la seule ressource est la culture du sol et l’élève [sic] du bétail » (RG CE, DIP, 1888, p. 60). Le directeur de l’École normale des instituteurs, Georges Hopfner, membre honoraire de la Société sédunoise d’agriculture (RG CE, DIP, 1885, p. 6), souscrit entièrement à ce projet éducatif et souhaite s’acquitter au mieux de cette mission :

Nous mettons toujours les plus grands soins à enseigner à nos élèves l’agriculture en général, première industrie du canton ; car nous pensons que le développement des connaissances agricoles leur inspire le goût du travail champêtre, leur procure une foule d’innocents plaisirs, et les attache davantage au sol natal, outre qu’il les met en état de communiquer dans la suite quelques notions d’agriculture à leurs élèves, et les aide à répandre autour d’eux les principes d’une culture rationnelle, et à contribuer de la sorte au bien-être du canton (RG CE, DIP, 1888, p. 60).

La formation dispensée aux instituteurs est liée aux compétences nécessaires à améliorer l’exploitation des cultures. Des cours de greffe sont introduits en 1853, puis des vignerons professionnels149 accompagnent chaque année les normaliens pour des travaux pratiques dès 1879.150 En 1888, les futurs instituteurs subissent des examens leur délivrant un « certificat de vigneron, attestant qu’ils comprennent d’une manière suffisante la théorie et la pratique de tous les travaux de la taille et de l’ébourgeonnement de la vigne » (RG CE, DIP, 1888, p. 61). En 1880, des pépinières communales sont imposées par l’État par décret et « placées sous la surveillance et la direction […] du régent ou d’une personne compétente désignée par la commune » (BGC, mai 1880, p. 214). Le régent en est responsable puisque, l’arboriculture étant une branche de l’instruction publique, il « doit être l’homme par excellence de cette instruction » (BGC, mai 1880, p. 215). L’institutrice y participe aussi, parce que « c’est souvent la régente qui s’y entend le mieux en cette matière ». En 1902, des leçons pratiques d’arpentage sont données pendant une semaine par un géomètre aux élèves du cours supérieur. Vingt certificats d’arpentage sont délivrés en plus des dix-sept diplômes de viticulture et des vingt diplômes d’arboriculture (RG CE, DIP, 1903, p. 97). L’utilité de répandre l’enseignement de l’arboriculture dans le canton agricole est une priorité clairement établie par le Département qui tient « la main ferme à l’exécution du décret […] et applique les pénalités édictées aux communes récalcitrantes » (BGC, mai 1882, p.

35).

Les destinées de l’agriculture, « première source de prospérité de nos populations campagnardes »(BGC, mai 1905, p. 7) sont placées entre les mains des régents, formés à dessein : « Le seul moyen de faire progresser l’agriculture en Valais, c’est de donner, comme cela se pratique, des notions à l’École normale. Les régents deviendront les pionniers de l’agriculture » (BGC, nov. 1887, pp. 42-43). La

149 L’État paye chaque année 100 francs à la Société d’agriculture sédunoise pour que les élèves puissent suivre ses cours en arboriculture et en viticulture. RG CE, 1888, p. 8.

150 Rapports de gestion du CE, DIP, 1879, p. 45 ; 1882, p. 28.

formation agricole des régents fait désormais pleinement partie de son curriculum de formation, et ceci jusqu’à la fin des années 1960.

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ES CONTENUS DE FORMATION Le règlement pour les écoles primaires du canton du Valais du 24 octobre 1874, issu de la loi sur l’Instruction publique de 1873, précise en ces termes les buts premiers de l’école primaire : « L’école primaire a essentiellement pour but de former le cœur et l’esprit des élèves pour en faire des hommes religieux et moraux, et partant de bons citoyens ; de leur inculquer de bonne heure des idées d’ordre et de travail, et de leur communiquer les connaissances les plus nécessaires à la vie. » Pour réaliser ce but, un personnel enseignant « capable et dévoué » est nécessaire : sa formation à l’École normale y pourvoira. Le dispositif prévu soutient intensivement cette éducation, à commencer par les conditions d’entrée.151

Chaque candidat doit présenter quatre pièces avant de pouvoir accéder au concours d’entrée : un acte de naissance certifiant qu’il a 15 ans accomplis, mais 25 ans au plus ; un certificat de médecin certifiant qu’il a été vacciné et n’est atteint

« d’aucune infirmité ou d’aucun vice de constitution qui le rende impropre à l’enseignement »; l’engagement écrit de servir pendant huit années consécutives dans l’enseignement primaire ; des certificats de moralité délivrés par les autorités civiles ou ecclésiastiques des communes où il aura résidé depuis l’âge de treize ans.

Cette présélection permet évidemment aux communes de réguler les candidatures et de favoriser les plus adaptées, de leur point de vue, aux conditions socio-politiques locales. Une fois en possession des précieuses attestations, le candidat se présente à quatre épreuves écrites: une page d’écriture cursive, une dictée d’orthographe d’une page environ prise dans un livre classique, un récit tiré soit de l’Histoire sainte, soit de l’histoire suisse, des exercices pratiques de calcul et la solution raisonnée d’un ou de plusieurs problèmes d’arithmétique. L’épreuve d’orthographe est impitoyablement sélective. Un règlement très précis guide la correction de la dictée : si plus de six fautes sont comptées, cette épreuve sera considérée comme nulle. Et cette nullité entraîne l’exclusion du programme d’examen. Puis les épreuves orales, soit l’instruction religieuse, la lecture, les éléments de la langue maternelle, l’arithmétique, l’histoire et la géographie affinent la sélection. Les filles doivent encore montrer des compétences en couture.

Lorsque le candidat est admis, il deviendra régent, c’est-à-dire « l’âme de l’enseignement ». Son éducation est à parfaire dans le sens que les institutions civiles et ecclésiastiques en parfaite concomitance lui donnent : « Ce que l’Église et l’État doivent se proposer avant tout, ce qui doit les occuper sérieusement, c’est donc de former des instituteurs capables que l’on puisse, avec confiance et sans crainte, charger de l’éducation des générations naissantes » (L’École primaire no10, 31.3.1897/98. p. 149-150). Puis, il est admis que l’instituteur doit être instruit des branches qu’il enseigne : « Il faut que son esprit voie de haut la science qu’il professe, et qu’il en saisisse les rapports généraux et en distingue les points dominants ».Cette maîtrise, cependant, le fait demeurer modeste en toutes circonstances, en signe inaltérable de noblesse intellectuelle : l’instituteur doit exposer son enseignement

151 Règlement concernant les conditions d’admission et de promotion aux Écoles normales, ainsi que les examens pour l’obtention du brevet d’instituteur. Sion, 1875.

avec simplicité. Ce n’est que « lorsqu’on est savant qu’on est capable d’être simple » et que la supériorité de la culture permet d’acquérir un esprit de système et de méthode.

Ce rôle formateur incombe à l’École normale, parce que son programme

« embrasse tout ce qu’un régent doit savoir, ce qu’il a à faire » (L’École primaire no 10, 31.3.1897/98, pp. 149-150). Son plan d’études (1878) s’ouvre logiquement sur l’enseignement de la religion et du catéchisme diocésain. Les cahiers qu’un aspirant (Jules Frossard, 1873/1874, AEV, 4150-7/70) nous a légués donnent une consistance à cette intention éducative. Les titres des exposés soigneusement recopiés augurent de la rigueur de cet enseignement : « des notes ou caractères de la véritable Église, distinguée d’autres Églises d’origine plus modernes, lesquelles usurpent le nom d’Église ; unité de l’Église ; Sainteté de l’Église ; Catholicité de l’Église, Apostolicité de l’Église ; l’Église romaine seule est la véritable Église de Jésus-Christ ; l’Église romaine seule est sainte ; l’Église évangélique ou protestante; l’Église a-t-elle reçu de Jésus-Christ une autorité infaillible pour régler la foi et les mœurs des fidèles». L’infaillible doctrine catholique est dictée, précisément, afin de ne pas échapper aux régents. Ainsi, ils devront la diffuser exactement.

L’enseignement de la langue maternelle, seconde en importance dans l’instruction du régent, prend en compte la lecture, la récitation de morceaux choisis en vers ou en prose, l’orthographe, l’analyse grammaticale, l’analyse logique, la grammaire, la syntaxe et la composition. Des lettres et modèles de correspondance sont proposés et exercés. Toutes les situations dans lesquelles pourrait se trouver le futur régent, de la vie familiale à la vie commerciale en passant par la vie amoureuse, donnent droit à des modèles et conseils bien entendus (Cahiers de Jules Frossard, 1873/1874, AEV, 4150-7/70). Les enseignements de l’écriture et de l’arithmétique, de la géographie et de la sphère, de l’histoire et de l’instruction civique, du dessin, du chant (pour les élèves instituteurs seuls : l’enseignement du plain-chant ; pour les deux sexes : les principes de la musique vocale), de la pédagogie obéissent à un cadre précis, argumenté, toujours suivis d’observations sur la manière de conduire les leçons. Les garçons seuls ont droit à l’enseignement de la gymnastique, de la géométrie et de l’agriculture. Le cours d’agriculture comporte des notions de chimie agricole. Les différentes espèces de terrains et de cultures, les prairies naturelles et artificielles, les soins qu’elles exigent, les plantes fourragères, plantes racines ou sarclées, plantes textiles, oléagineuses, plantes tinetoriales, sont étudiées. Les assolements, les instruments agricoles, les engrais animal, végétal, minéral, l’élevage du bétail, les races suisses, laiterie, fromagerie, arboriculture et apiculture font aussi partie du programme : aucun aspect de la vie agricole n’est négligé.

Les futurs régents, confinés dans les murs de leur école, parviennent à voyager au loin et à philosopher tout en travaillant l’usage de l’orthographe française et la calligraphie. Les cahiers de François Fellay (élève en 1890, archives privées) parlent de ces voyages lointains auxquels les normaliens étaient invités à l’occasion des dictées : « L’ouragan dans le désert ; l’orage ; le Rhinocéros ; le Cheval ; la Science ; la mort ; le Juste et l’Injuste ; des Vœux ; Alexandre le Grand ; Sésostris ; Lettre relative à une succession ; de la statuaire antique ». L’Antiquité, ses auteurs et son art, la musique, l’histoire, la morale et la foi, l’exotisme sont au rendez-vous. Et si un député amer disait, au milieu du siècle, que l’École normale n’était guère davantage qu’une école primaire avancée, la qualité certaine du contenu et de la langue des

textes classiques proposés aux normaliens d’alors contraste avec l’illettrisme persistant des recrues valaisannes que mettent en exergue les examens fédéraux.

Dans ce contexte, il est certain que le régent sorti de l’École normale possède une culture générale bien plus étendue que celle de la plupart de ses contemporains des villages. Les Frères de Marie, c’est évident, voulaient donner des bases d’instruction classique aux instituteurs. Les textes choisis, les thèmes proposés dénotent un souci d’ouverture intellectuelle, quand bien même l’enfermement des corps, d’un point de vue institutionnel (avec l’internat obligatoire) et géographique (en regard de l’étroitesse des vallées), est une réalité incontournable.

Ces professeurs, Marianistes obéissant d’abord à leur hiérarchie congréganiste, bénéficient d’une liberté institutionnelle certaine quant à l’organisation des cours dispensés à l’École normale, dans les limites bien entendues des termes du contrat passé avec l’État du Valais.

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A RÉPUBLIQUE DE L

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COLE NORMALE DES INSTITUTEURS

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NE VIE EN SYSTÈME CLOS Les Marianistes, arrivés en Valais pour organiser le cours normal d’été de 1846, ne concentrent pas leurs forces sur cette seule œuvre.152 Ils sont conjointement engagés à reprendre les écoles primaires de la ville. Responsables en outre du pensionnat de Valère, ils sont chargés de l’école spéciale, de l’orphelinat des garçons de 1858 à 1869, puis de l’école moyenne de Sion que l’État leur confie à son ouverture en 1863. Leur œuvre s’étend rapidement aux écoles primaires de Brigue (1879), Monthey (1894), de Sierre (1903), au collège Ste-Marie de Martigny (1889), aux écoles primaires catholiques vaudoises de Lausanne (1887) et de Montreux (1901). Et bien que dotés d’un mandat éducatif émis par le Conseil d’État valaisan, les Frères restent fidèles à la règle interne de leur Congrégation et soumis à leur Supérieur provincial français. Leurs propres inspecteurs visitent régulièrement les écoles et remettent des rapports à leur hiérarchie. Les règles de la Communauté sont incontournables. Les contingences politiques locales ne semblent pas réellement infléchir la marche de l’institution. Les Marianistes sont entièrement dévoués à l’éducation des normaliens. Leur mission valaisanne, avant de répondre à un besoin local, répond au charisme religieux de leur ordre que le Sonderbund a mis à mal en Suisse153 : «Nous tâcherons de répondre à vos bons soins par notre amour pour la règle et notre ardeur à faire prospérer notre œuvre » (A. Mura, directeur au Supérieur de la province, lettre du 5.1.1900. AMAS, 9M1).

Le courrier des directeurs Hopfner et Mura (correspondance de Sion, AMAS, 9M1) indique les difficultés du ménage courant, lourdes ou insignifiantes, que les directeurs de « la république de l’École normale », selon les mots mêmes qu’utilise Georges Hopfner,154 doivent régler avec leur province dont les Supérieurs sont en

152 Pour plus de détails sur les œuvres suisses des Marianistes, voir Pugin, 1971.

153 Ne subsistent alors en Suisse que les maisons d’Altdorf et de Sion. Pugin, 1971, p. 162.

154 « Depuis trois jours, j’ai retrouvé un peu de repos la nuit, c’est pourquoi dès demain je m’en retournerai à Sion, sauver la république de l’École normale, me remettre dans le collier et essayer mes forces. » Lettre de G. Hopfner, le 21.9.1899. AMAS, 9M1.

France.155 Organisation complexe d’un système clos et autonome, l’École normale des instituteurs est soumise à des lois congréganistes françaises tout en s’insérant dans les desseins sociaux de l’État du Valais. Lorsque les cours de l’École normale deviennent annuels, leur mandat est confirmé. D’après Berclaz (s.d., p. 107), le Conseiller d’Etat Bioley, « ami sincère des Frères de Marie, [qui] appréciait hautement leurs aptitudes pédagogiques et leur dévouement, […] décida de [leur] remettre le soin de diriger le nouvel Institut ». A cette occasion, une nouvelle convention est signée entre l’État et les Frères de Marie (Prot. CE, 21.9.1875. Copie de cette convention dans AMAS, 9M1).

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ES DIRECTEURS ÉTRANGERS Engagés par convention envers l’État du Valais, chaque directeur est d’abord nommé par le Supérieur provincial des Marianistes. Le Conseil d’État valaisan ratifie la proposition qui lui est soumise, sans s’immiscer plus avant dans la conduite de la maison. Lorsque François David, le premier directeur de la Communauté de l’École normale des instituteurs de Sion nommé en 1845 quitte son poste en 1850 pour cause de maladie pendant neuf longues années, personne ne le remplace. En 1874, toujours malade, il demande à ses Supérieurs d’être déchargé du « fardeau un peu trop lourd pour son âge »(Berclaz, s.d., p. 93). En janvier 1875, enfin, son Supérieur provincial le rappelle et l’éloigne de Sion. A notre connaissance, l’État du Valais n’est jamais intervenu auprès des Supérieurs des Frères pour régler la situation ni pendant sa maladie, ni à la fin de son mandat. La province est reconnue libre de ses choix et de la gestion de l’établissement.

Augustin Lamon, né en 1838 en Valais, inspecteur scolaire fortement impliqué dans l’élaboration de la loi scolaire de 1873 et la rédaction des règlements qui en découlent (Pugin, 1971, p. 104. AEV, 4150-7/10), est nommé temporairement à la tête de l’École normale des instituteurs. Pugin (1971, p. 105) pense que sa non-maîtrise de la langue allemande a empêché sa nomination définitive en tant que directeur de l’École normale. Des religieux enseignants, de ce fait, sont disponibles pour venir renforcer la maison sédunoise. Georges Hopfner, né en Alsace en 1833, et jusque-là directeur du pensionnat de Strasbourg, est envoyé à Sion par ses Supérieurs en 1876156, en raison des troubles politiques qui retirent aux congrégations enseignantes leurs maisons (Berclaz, s.d., pp. 107 et 109). G. Hopfner conserve la direction de l’École normale des instituteurs jusqu’en décembre1899, soit jusqu’à son décès : personne, au DIP, ne semble trouver alors à redire à l’éviction du Valaisan au profit d’un Alsacien. De plus, les Marianistes alsaciens, que la laïcisation de l’enseignement en France rend inactifs dans leur pays, forment la totalité du personnel de l’École normale (Berclaz, s.d., p. 233). Mais au décès de Georges Hopfner, Augustin Lamon tente en vain de faire nommer un directeur suisse à la tête de l’établissement : ses Supérieurs alsaciens n’entendent pas la supplique. Antoine Mura, citoyen français né en 1841, est désigné par sa congrégation et nommé en 1899. Il reste à la tête de l’école jusqu’en 1908.

155 Les œuvres suisses dépendent de la Province française jusqu’en 1946, lorsque la Province suisse est créée. Pugin, 1971, p. 139.

156 Pour les dates auxquelles sont entrés en fonction les différents directeurs de l’École normale des instituteurs, nous nous référons à Pralong, 1997, p. 94.

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ES RELATIONS AMBIVALENTES AVEC LE

DIP

Les problèmes posés par la question de l’origine des responsables de la formation des instituteurs émergent de temps à autre. Lorsqu’ils le sont, l’enceinte parlementaire les relaie auprès du DIP et amplifie leur portée. Augustin Lamon, Valaisan et proche du DIP, au fait des affaires politiques locales, voit sans doute juste lorsqu’il réclame, dès 1899, un homme du pays à la direction de l’École normale.

Vaine supplique : il faudra attendre 1935 pour que Bernard Schenkel, né à Sion en 1869, devienne le premier Suisse à être nommé directeur de l’École normale des instituteurs. Malheureusement, il décède peu de temps après sa nomination (Pugin, 1971, p.187). Au 19e siècle déjà, les parlementaires, si actifs dans la surveillance qu’ils exercent auprès des régents indigènes en place, ne manquent pas l’occasion de relever l’origine exogène de leurs formateurs, tout religieux qu’ils soient.

Aussi, pour les Marianistes, concilier la position d’étranger et la vie politique locale n’est pas aisé, d’autant qu’est de mise la prudence, une qualité majeure des directeurs, relevée par Berclaz (s.d., p. 111 ; p. 325) et Pugin (1971, p. 188).

Pourtant, tout en se défendant de se mêler de politique, les Marianistes ne sont pas insensibles à la situation de leur pays d’adoption. Les événements du 19e siècle, qui ont meurtri leur congrégation, les rendent sans doute attentifs à la composition des gouvernements auxquels ils sont soumis :

Dimanche dernier ont eu lieu les élections municipales, les radicaux ont complètement triomphé, leur liste a passé avec une cinquantaine de voix de majorité. Ils gouvernent de nouveau la ville comme par le passé ; heureusement le gouvernement est mieux représenté, l’élément conservateur domine (lettre de G. Hopfner à son Supérieur. Sion, le 12.12.1876. AMAS, 9M1).

Pourtant, les Marianistes semblent régulièrement en délicatesse avec le gouvernement, et ce pour diverses raisons. Toutes les querelles, même mineures, les inquiètent parce qu’elles pourraient faire courir de fâcheux risques à leur « œuvre en Valais. Il ne faudrait pas nous aliéner Monseigneur et le clergé » (Mura, lettre du 27.10.1900. AMAS, 9M1). Certains Marianistes sont conscients des faiblesses de leur communauté et extrêmement lucides quant à leur situation, politiquement précaire en Europe. Trop contents d’exister encore en Valais au cours de ces années douloureuses pour les religieux enseignants et d’être autorisés à y poursuivre leur

Pourtant, les Marianistes semblent régulièrement en délicatesse avec le gouvernement, et ce pour diverses raisons. Toutes les querelles, même mineures, les inquiètent parce qu’elles pourraient faire courir de fâcheux risques à leur « œuvre en Valais. Il ne faudrait pas nous aliéner Monseigneur et le clergé » (Mura, lettre du 27.10.1900. AMAS, 9M1). Certains Marianistes sont conscients des faiblesses de leur communauté et extrêmement lucides quant à leur situation, politiquement précaire en Europe. Trop contents d’exister encore en Valais au cours de ces années douloureuses pour les religieux enseignants et d’être autorisés à y poursuivre leur