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L’OUVERTURE DE L’ÉCOLE NORMALE POUR LES INSTITUTRICES (1850)

La loi sur l’Instruction publique de 1849 précise bien, dans son premier article, que les établissements d’instruction publique comptent, parmi les cours permanents, l’École normale pour former les régents « et les institutrices »des écoles primaires. Celle des institutrices est virtuellement établie en 1848. Une laïque, issue d’une famille traditionnellement radicale, s’en voit confier alors la direction : « Mlle Marie Cornut de Vouvry pour l’École normale des maîtresses qui s’ouvrira à Sion le 17 août prochain » (Prot. ord. CE, 1101/47, séance du 29.7.1848 ).

Biollay (1996, pp. 32-33) se base sans doute sur cette affirmation lorsqu’il donne 1848 comme date d’ouverture de cette institution. Nous savons cependant que ce n’est pas cette année-là que les premières institutrices sont formées. Le Bulletin Officiel du 11 août 1848 annonce que « l’École normale pour les élèves-régents s’ouvrira à Sion le 17 de ce mois. Celle des élèves institutrices est ajournée ». Farquet (1949, p. 35) le relève : nous ignorons tout des raisons de ce renvoi. Lui-même, se basant sur le rapport de gestion du Conseil d’État pour 1850, donne 1849 comme date d’ouverture de cette école. Cependant, le rapport de gestion du Conseil d’État pour 184999 mentionne largement l’activité des Frères de Marie et les résultats des normaliens, mais ne consacre pas un mot à l’École normale des institutrices. En outre, le budget prévu pour 1849 ne mentionne aucune rubrique pour l’École normale des institutrices.100 Cet « oubli » a-t-il retardé l’ouverture de l’école ? Enfin, le budget de 1850 prévoit une rubrique à cet effet.101 D’autre part, le rapport de gestion pour cette même année donne quelques détails sur l’École normale des institutrices :102 ouverte le 1er août, des cours ont été dispensés jusqu’au 5 octobre,

99 Prot. GC, 1001/38, mai, août 1850, RG CE , 1849, annexe litt. W.

100 Prot. GC, 1001/35, annexe litt. Q. Traitement des professeurs de L’École normale : 500.- Traitement des professeurs des trois collèges : 13’000.-.

101 Prot. GC, 1001/37, budget pour 1850, annexe DD. Onze mille deux cents francs sont prévus pour les trois collèges. Mille francs sont destinés aux inspecteurs des écoles primaires et des collèges. L’École normale des garçons reçoit trois mille quatre cents francs, et celle des filles mille neuf cents francs

102 A partir de 1850, les rapports de gestion du Conseil d’État sont imprimés et publiés selon l’année de gestion. Pour le sujet qui nous concerne ici : Rapport sur la gestion du canton pour l’année 1850.

alors que celle des régents cesse son activité le 29 septembre déjà (RG CE, DIP, 1850, p. 15). Le DIP se déclare totalement satisfait du fonctionnement des deux institutions, en mentionnant dûment celle des futures institutrices.

Nous basant sur ces documents, nous avancerons donc 1850 comme étant la date d’ouverture de l’École normale des institutrices pour le canton du Valais.103

Douze élèves institutrices, de langue française uniquement, y ont été admises aux frais de l’État. Cinq aspirantes ont été brevetées après avoir suivi les cours en 1850, une l’a été sans avoir suivi les cours estivaux et huit autres ont été autorisées provisoirement (RG CE, DIP, 1850, p. 16). Avec cette possibilité de formation s’ouvre la première école valaisanne permettant aux femmes de poursuivre quelque peu leurs études dans le canton. Et pour plus d’un siècle encore, l’École normale des institutrices restera un moyen privilégié pour les femmes des zones rurales du canton,104 de se former au-delà de l’école obligatoire.

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ES DÉBUTS

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RIGUE Il eût été intéressant, comme pour l’École normale des jeunes gens, de raconter les tractations qui ont accompagné l’ouverture des Écoles normales pour les jeunes filles. Mais les archives n’ont pas conservé de traces de cette histoire-là, pas plus que Marie Cornut, la première directrice de l’École normale, n’en a laissées. Ne nous sont parvenues que l’inscription de sa nomination dans les protocoles des décisions prises du Conseil d’État, deux très brèves nécrologies105 et une photographie de groupe, 106 où, austère, elle figure avec quelques élèves. Quelques mots laissés en 1913 par la première directrice religieuse de l’École, Sr Hélène Ruedin, Ursuline de Fribourg cherchant à écrire l’historique de L’École normale des institutrices alors que la congrégation des Ursulines de Sion se forme et va reprendre la direction de l’institution, nous en apprennent à peine davantage (Ruedin, 1913).

103 En France, la première École normale accueillant les jeunes filles s’ouvre en 1838 (Prost, 1968, p.

139). Cependant, c’est la loi du 1er août 1879, dite loi Paul Bert-Ferry, qui en impose la généralisation à tous les départements (Gontard, 1975, p. 2 ; Nique, 1991,1994). En Belgique, c’est en 1848 que l’Etat confie à des congrégations méritantes le soin d’éduquer les futures institutrices (Grootaers, 1998 ; Querton, 1991).

104 Le rapport de gestion du CE pour 1857 relève, pp. 53-54, qu’à Sion, « la principale institutrice de l’école des filles françaises, donne, avec beaucoup de succès, à un certain nombre de jeunes personnes un cours spécial, embrassant la plupart des matières enseignées dans les écoles moyennes de filles. Nous y voyons le germe d’un établissement secondaire pour les jeunes personnes du chef-lieu et des autres districts, et appelons de nos vœux l’instant où il sera possible de lui donner de l’extension. Le Valais est sous ce rapport, tributaire de l’étranger : les familles aisées envoient fréquemment leurs jeunes filles achever leur éducation dans les contrées voisines. Nous croyons que le pays peut donner, à des conditions abordables au plus grand nombre, les connaissances que l’on va ainsi demander, à grands frais, dans les pensionnats de la Suisse ou de la Savoie ».

105 « Nous avons perdu coup sur coup deux personnes très-sensibles en M et Mme Mabillard, décédés dans les premiers jours qui ont suivi l’ouverture de l’école des institutrices françaises, qu’ils avaient longtemps dirigée avec un rare dévouement ». RG CE, DIP, 1875, pp. 10-11. La nécrologie publiée par le journal libéral le Confédéré n° 31 du 18.4.1875, p. 2, n’est guère plus prolixe : « La mort continue à faire de nombreuses victimes à Sion. Parmi celles-ci, nous devons signaler la perte de Madame Mabillard née Cornut, directrice de l’École normale des filles et celle de M. M. Fumey, capitaine d’artillerie. » Cet entrefilet paru dans l’organe libéral du Valais montre cependant que Mlle Cornut, de Vouvry, nommée en 1848 par le gouvernement radical, était bien issue de famille libérale ou radicale.

106 Livre rouge de l’histoire de l’École normale des institutrices de langue française, commencé par Sr Hélène Ruedin, 1913. ACUS.

Sr Hélène n’a pas non plus recueilli d’autres renseignements que la décision du Conseil d’État nommant Mlle Cornut le 29 juillet 1848. Elle décide alors de recourir à des sources orales : « Force nous a été de recourir à la tradition, car il existe encore des maîtresses formées à l’origine de l’œuvre ; leur verte vieillesse en a conservé fidèlement le souvenir et elles nous ont aidées dans ce travail » (pp. 1-2).

Ainsi, nous apprenons que Mlle Cornut, dont nous ne savons rien de la formation initiale, épouse en 1852 ou 1853107 le secrétaire de l’Instruction publique. M.

Mabillard prend immédiatement « le titre de Directeur de l'école ».

D’après le compte rendu de la gestion du Conseil d’État pour 1850, seules des étudiantes de langue française sont inscrites à l’École normale des institutrices. Alors que les congrégations de Sœurs Ursulines sont reconnues affiliées aux Jésuites et que celle de Sion doit quitter le canton en 1848,108 celle de Brigue peut demeurer.109 Sous la surveillance de l’État, leur institut devra désormais accueillir l’École normale pour les institutrices de langue allemande. En 1851, les jeunes Haut-valaisannes semblent avoir été associées au cours donné à Sion.110 Mais, contrairement à leurs collègues de langue française, « immédiatement placées » (RG CE, DIP, 1851, p.

31), ces institutrices de langue allemande ne trouvent aucune place de travail faute, nous est-il rapporté, « d’écoles communales particulières pour les jeunes filles » (RG CE, DIP, 1852, pp. 15-16). Le Conseil d’État estime alors inutile d’en former pour l’année 1852 : le cours de l’École normale pour les jeunes filles de langue allemande reprendra lorsque les communes se seront conformées à la loi et auront ouvert des écoles pour les filles.111

Les jeunes filles de langue française formées à l'École normale ont donc immédiatement l’occasion de mettre en pratique l’instruction reçue puisque les communes se voient obligées d’ouvrir des écoles pour les filles. Mais la formation reçue à l’occasion du cours estival est brève. En 1851, le Conseil d’État déplore que sa durée ne soit que de deux mois, du 20 juillet au 20 septembre. Mais, se défend-il, les finances ne permettent hélas guère davantage :

Ce temps n’est en rapport qu’avec l’état de la caisse, et non point avec les besoins de l’instruction primaire. [Pendant ce court laps de temps] on ne peut que passer en revue les matières prescrites, et par un tour de force sur les élèves, leur inculquer les notions fondamentales. Après ce travail de courte haleine, ces jeunes intelligences ne sont qu’ébauchées ; les matières ne sont pas digérées ; il n’a rien été fait pour mettre le régent en rapport moral avec l’enfance (RG CE, DIP, 1851, p.31).

107 Les rapports de gestion du CE de 1850 à 1852 parlent de Mlle Cornut. Celui de 1853 nomme M. et Mme Mabillard.

108 Prot. GC, 1001/32, session extraordinaire de janvier 1848, annexe litt. W, réunion des biens du clergé, art. 27.

109 « Le couvent des dames religieuses de Brigue est maintenu, en vue seulement des services qu’il peut rendre à l’humanité et à l’instruction publique. Indépendamment des écoles de la localité pour les enfants de sexe féminin, il y sera établi un institut pour former des institutrices par mode d’Ecole normale, le tout sous la surveillance et la direction de l’État. Le nombre des religieuses sera réduit à dix ». Prot. GC, 1001/32, session extraordinaire de janvier 1848, annexe litt. W, réunion des biens du clergé, art. 21.

110 Exceptionnellement, aucune statistique n’a été publiée cette année-là.

111 Loi sur l’Instruction publique de 1849, article 9 : « Il y a dans chaque commune au moins une école primaire publique. Les enfants des deux sexes y sont instruits séparément ».

Dix heures par jour sont déjà employées à l’étude de la langue, de l’arithmétique et autres branches prescrites par la loi. Le temps d’études est très soigneusement organisé. Le programme, qualifié de « forcément élémentaire », se conforme à la loi de 1849 : religion, langue maternelle, arithmétique, géographie, histoire nationale, ouvrages manuels, écriture. Le zèle de ces modestes jeunes filles est souligné, leur courage vanté. Grandeur d’âme, générosité, ardeur au travail, vocation, condition rurale brossent un portrait des vertus de l’institutrice.

Les maîtresses suppléaient à cette préparation sommaire par une généreuse ardeur au travail et un amour de la vocation que j’ai retrouvé vivace dans le cœur de mes vénérables collègues. Elles n’étaient pas savantes, elles ne subtilisaient point en psychologie, mais elles avaient le respect du devoir et se dépensaient sans compter auprès de leurs élèves pendant leurs cinq mois de classe. Si nous avons pu constater souvent chez de simples paysannes, aïeules ou mères de nos élèves actuelles, des sentiments élevés et une culture souvent supérieure à leur condition, c’est à ces vaillantes qu’elles le doivent (Ruedin, 1913).

La formation, conçue initialement pour cesser dès que les classes auront à leur tête un régent ou une maîtresse brevetée, n’aborde qu’à peine les problèmes directement liés à l’enseignement. Seuls les huit derniers jours sont destinés à la méthode : le Département reconnaît que c’est fort peu, et qu’aucun enseignement réfléchi ne peut en être issu. En 1852, le Département songe déjà à transformer la formation initiale donnée dans les Ecoles normales « en école de répétition où les régents brevetés viendront se perfectionner dans l’enseignement et ajouter de nouvelles notions à celles qu’ils auront précédemment acquises » (RG CE, DIP, 1852, p. 16).

En 1853 le DIP déchante : « En comparant le nombre d’écoles avec celui des régents et des institutrices brevetés, on voit que nous sommes loin d’être arrivés à l’époque où le pays pourra fermer les Écoles normales » (RG CE, DIP, 1853, p. 22).

D’autant qu’une comparaison avec la formation dans les autres Écoles normales de Suisse démontre que dans les cantons les plus importants, la formation s’étend déjà sur trois ans (RG CE, DIP, 1854, p. 12). Une réelle augmentation de la durée de l’enseignement « pour que notre personnel remplisse toutes les conditions d’aptitude désirables » est souhaitée. La formation des institutrices, nécessitée par l’ouverture des classes pour les filles dans les villages, n’est dès lors plus remise en question. De plus, si, une fois mères de famille, les enseignantes quittent leur classe puisque les maîtresses d’école sont vouées au célibat,112 ce n’est que bénéfice pour la société. La bonne et nécessaire éducation que dispensent les institutrices, soigneusement éduquées dans la très conforme École, à leurs propres enfants soutient avec bonheur l’ordre social traditionnel.

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ES QUALITÉS DE L

ÉLÈVE INSTITUTRICE Les normaliennes sont chargées de l’éducation des jeunes filles : elles doivent elles-mêmes prouver les qualités qu’elles exigeront des fillettes placées sous leur

112 « Les embarras qui accompagnent la mère de famille, les soins qu’elle doit donner à son intérieur peuvent difficilement se concilier avec la constante sollicitude que réclame la tenue d’une classe » (RG CE, DIP, 1854, p. 10).

responsabilité. A l’École normale, ces qualités font partie intégrante de la formation éducative, intellectuelle et religieuse des futures institutrices.

L’ordre et la discipline de la maison sont relevés par le DIP. Les étudiantes font preuve de zèle, de discipline et de dévouement et persévérante assiduité à l’étude.

Leur conduite religieuse et morale est assurée comme étant constamment exemplaire.113 Et, bien que l’école publique soit désormais séculière, le Département n’oublie pas de faire jouer son rôle à l’Église. Ainsi, à la prière du Département, l’évêque assiste aux examens de clôture et interroge lui-même les élèves. « En leur donnant sa bénédiction pastorale, le vénérable prélat a engagé ces jeunes institutrices à se rendre dignes par leur conduite et leur dévouement, de la confiance que les pères de famille mettront en elles » (RG CE, DIP, 1854, p. 16 ). L’on voit bien, dans cet exemple, que si le gouvernement radical a placé l’école publique sous son contrôle, ce n’est pas pour la soustraire totalement à l’influence religieuse. Au contraire : le gouvernement sollicite le pouvoir ecclésiastique et l’invite à exercer un contrôle certain sur l’âme de la jeunesse et donc sur les institutrices en formation.

Une autre forme de contrôle social est en vigueur dans la maison, conformément à la tradition de l’éducation en internat, soit le contrôle par les pairs.

Les jeunes filles vivent ensemble pendant toute la durée du cours, sous l’œil aiguisé d’une surveillante qui ne les quitte jamais. Elles sont en outre débitrices de leur formation : la grande majorité des élèves a été alors admise aux frais de l’État, même si « leur pension a été fixée à un prix raisonnable » (RG CE, DIP, 1853, p. 20).Rares sont en effet les jeunes filles dont la famille a été à même de payer leur instruction et leur pension : les normaliennes sont en grande majorité issues de milieux fort modestes. Ordre, discipline, aptitude, dévouement, zèle, persévérante assiduité, conduite religieuse et morale constamment exemplaire, vie communautaire, économie : telles sont les qualités attendues des élèves institutrices de l’École normale sous le gouvernement radical. Rien de bien différent, en somme, des attentes formulées quelques années plus tôt par le régime théocratique à l’égard des jeunes gens aspirants au métier. D’ailleurs, sur la formation de ces derniers, le changement de majorité gouvernementale n’aura pas grande incidence.