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L'offre commerciale des sites, entre conformité et originalité

Une rue-symbole et des lieux transparents

B. Structures spatiales de l'offre commerciale

1. L'offre commerciale des sites, entre conformité et originalité

Les centres commerciaux ont une réputation d'uniformité, qui veut qu'à quelques détails architecturaux prêts ils soient ressemblants, tant dans leur structure que dans leur offre commerciale, composés toujours des mêmes boutiques. La question mérite d'être étendue à tous les sites d'étude. Ces cadres sont-ils commercialement identiques ou se différencient-ils ? Quels espaces sortent de l'ordinaire et proposent une offre originale à l'échelle de l'agglomération ?

La question de l'uniformité est surtout une question de conformité. Les transformations de la structure économique de la commercialisation dans l'équipement de la personne ont pour résultat une concentration extrême des « marques » (non pas de la propriété des boutiques), dont quelques-unes, visant les budgets et les goûts conventionnels (mais soucieux de la mode) des classes

Deuxième partie - Chapitre 4

moyennes, paraissent omniprésentes sur tout le territoire. Qu'en est-il dans l'agglomération bordelaise ? Le centre-ville échapperait-il à cette conformité ?

Dans quelle mesure succursales et franchises, du bon marché au luxe, prennent-elles le pas sur un commerce totalement indépendant ? L'offre « centrale » est-elle hétérogène ou homogène ? Est-elle semblable à cEst-elle qu'on trouve en périphérie ? Les rues piétonnes et galeries marchandes proposent-elles les mêmes choses ?

a. La question de « l'indépendance »

Au-delà de l'indépendance juridique et comptable des boutiques, la plupart des points de ventes sont intégrés à des coopératives ou franchises qui les maintiennent dans la dépendance commerciale d'une politique, d'un approvisionnement, d'un management extérieur et commun à tous.

« Ces conditions nouvelles entraînent par ailleurs une dépendance accrue à l'égard des structures semi-intégratrices des groupements d'indépendants, coopératives ou franchises, avec lesquelles s'instituent des liens de sujétion qui affectent la conception des magasins (taille, enseigne, façades, aménagements intérieurs), la liberté d'approvisionnement (leur regroupement étant l'affaire de centrales communes), la marche quotidienne des campagnes de publicité, des promotions, les tarifications, elles aussi décidées par le centre, la gestion financière. Les associés doivent financer des investissements communs, éventuellement rémunérer des participations financières extérieures, lorsque le groupement a dû faire appel à du capital pour développer le réseau de vente. Il n'est jusqu’à la propriété commerciale des murs et fonds, autre pilier de l'indépendance traditionnelle, qui ne se trouve entamée dans certaines localisations et dans certaines chaînes. » (4. Péron, 2000 : 95).

Le système d'intégration poussée d'une multitude de points de vente locaux à des réseaux de franchises (ou de succursales) constitue une centralisation strictement contrôlée des questions commerciales, de l'offre dans toutes ses dimensions (produits, slogans, images, marque) accompagnée d'une décentralisation des budgets et des responsabilités de chaque point de vente. De même, la localisation des magasins relève d'arbitrages et de stratégies envisagés à de toutes autres échelles, par exemple par la recherche d'une saturation intensive de l'offre (dont le but est d'éliminer la concurrence), ou bien selon une implantation extensive (afin de représenter une marque dans chaque polarité), ou encore selon un partage territorial entre quelques concurrents (4. Klein, 2001). Au-delà des effets de mode et de mimétisme, ce sont ces mécanismes qui expliquent les impressions d'homogénéité tant des objets vendus que des paysages commerciaux.

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Ainsi, la question de l'indépendance doit-elle être revisitée selon d'autres critères que l'indépendance comptable actuellement retenue dans les annuaires commerciaux.

b. L'organisation spatiale de l'uniformité

Il existe plusieurs formes d'intégration des acteurs économiques que sont les « commerçants » aux réseaux de grandes entreprises structurées autour d'un marketing fort.

Commerce intégré Les gestionnaires des points de ventes locaux sont dépendants d'une propriété globale de tous les établissements : ce sont des succursales.

Commerce « indépendant »

Indépendant organisé

lorsqu'il s'agit de franchises (la franchise est un contrat entre un distributeur et un exploitant indépendant, où ce dernier fournit la mise de fond et assure la gestion d'un établissement local, en échange de la marchandise, de services, et de l'ensemble du marketing associé) (désigne dans le

vocabulaire

Indépendant organisé

lorsqu'il s'agit de commerce associé où les commerçants sont associés en coopératives (il n'y a pas de distributeur décisionnaire distinct des exploitants).

Dans ces cas, le point de vente et ses gestionnaires

dépendent de la conception d'une marque, de ses

« valeurs » idéelles en étendard et des déclinaisons matérielles de ces valeurs dans les produits qu'elle propose, la conception des supports publicitaires, l'organisation de la communication interne et externe au magasin. Chaque point de vente est semblable aux autres points de vente de la même marque, produisant ainsi une uniformisation de l'offre et du paysage

commerçant d'un lieu à l'autre.

commercial tout ce qui n'est pas le commerce intégré)

« Indépendant isolé »

désigne le commerce non tributaire d'aucune marque ou entreprise ou ligne de conduite, dont l'approvisionnement (souvent alors « multimarque ») est décidé individuellement.

Tableau 11. Nomenclature usuelle du statut des commerces

Réalisation : Mélina Germes, 2007

Quelle est donc la relation entre localisation des sites de commerces et la nature de l'offre proposée ? Quelle est la place des commerces non autonomes dans l'agglomération ? Où se situent les commerces autonomes : au centre, à la périphérie ? Quelle est l'originalité du paysage de chaque site : les centres commerciaux sont-ils les seuls à reproduire un paysage commercial uniforme ? Dans quelle mesure le reproduisent-ils ?

De façon à répondre à ce questionnement, huit lieux très différents de l'agglomération ont été retenus, regroupant chacun de 15 à 34 boutiques. Une première question cherche à évaluer l'originalité (ou non) de l'ensemble des magasins : combien parmi ces magasins sont déjà présents n'importe où ailleurs dans l'agglomération ? Une seconde question s'interroge sur la dépendance : combien parmi ces magasins relèvent d'une franchise, succursale ou dépendance à une marque ?

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Lieu boutiques* Nombre de Originalité (en %) * Dépendance (en %) *

Des magasins plutôt rares dans l'agglomération, une offre originale – mais des degrés de dépendance très divers.

Av. de la Libération

(Le Bouscat) 16 88 19

Rue des Remparts 23 96 43

Cours Clémenceau 26 92 77

Rue Sainte-Catherine

(sud : V. Hugo - Victoire) 25 76 32

Des magasins déjà présents dans l'agglomération,

appartenant en grande majorité à des franchises ou succursales ou marques internationales

Rue Porte-Dijeaux 25 36 88

Rue Sainte-Catherine

(nord : Comédie - St Projet) 20 30 95

Centre Rives d'Arcins

(Bègles) 34 12 94

Centre Rive Droite

(Lormont) 31 6 97

Tableau 12. Évaluation de l'originalité et de la dépendance aux réseaux de l'offre dans quelques lieux de l'agglomération.

Sources : Annuaire professionnel et Annuaire des franchises, Internet, 2006. Réalisation : Mélina Germes, 2007.

* Boutiques : équipement de la personne, vente au détail.

* Originalité : Pourcentage des boutiques ayant une enseigne unique dans l'agglomération. * Dépendance : Pourcentage de boutiques intégrées ou semi-intégrées à un réseau de distribution.

Les centres commerciaux sont caractérisés par une faible originalité et une forte dépendance. L'avenue de la Libération, au Bouscat, affiche une offre peu dépendante et assez originale : il s'agit d'un noyau ancien de commerces de proximité, destiné à une clientèle locale d'habitués et de haut niveau social. Ensuite, les rues du centre-ville, piétonnes ou non, se partagent selon les deux profils : la rue Sainte-Catherine appartient, dans ses deux tronçons les plus éloignés, aux deux profils distincts.

L'originalité de l'offre et la forme urbaine du site (centre commercial ou rues centrales) ne sont pas corrélés. Les modes de gestion des centres commerciaux ne facilitent pas l'implantation de commerçants hors réseau, or le même système est à l'œuvre dans une partie des rues piétonnes les plus fréquentées. La constitution (par la piétonnisation dans les rues, par les galeries dans les centres) d'un espace de déambulation piétonne sans contrainte, fluide, attractif, entraîne des loyers commerciaux très élevés. En effet, l'attractivité d'un « flux piéton » est une ressource, une véritable rente de situation pour le commerce que les propriétaires fonciers font payer à leurs locataires commerçants. Le coût des loyers écarte donc les petites structures, plus fragiles, plus autonomes, au profit de magasins certes parfois économiquement indépendants mais bénéficiant du soutien et de la logistique d'une « marque ».

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Le coût n'est pas seul en cause. Les entreprises qui gèrent les « marques » de magasin (et non pas les marques de vêtement) font des études de marché poussées afin de garantir que tant les objets proposés, que l'esthétique et la structure des lieux, que l'image de la marque (avec les investissements publicitaires) soient efficaces sur le type de clientèle qu'elles prennent pour cible. La politique commerciale et le marketing assurent une consommation maximale, et donc un fort chiffre d'affaire. La plupart des commerçants hors-réseaux n'ont pas la capacité financière ni stratégique d'entreprendre de telles études.

Enfin, le « concept » même de centre commercial s'accommode mieux de la présence de

magasins de marque90, facilement identifiables, connus et reconnus par le consommateur qui n'est

pas déboussolé, où qu'il aille. Le fait que les mêmes noms de magasins se retrouvent dans de nombreux sites de shopping quel que soit le contexte, quelle que soit la ville, produit des effets cognitifs et spatiaux sur la consommation. L'offre, mais aussi la boutique, son ambiance, le style de vêtements proposé, sont identifiés par une marque (et soi-disant « garantis » par un souci de réputation).

Il existe donc tout un système socio-économique qui explique la structure de l'originalité et de la dépendance des boutiques. Le centre-ville est de ce point de vue un espace dual, dont le cœur est semblable à un centre commercial, dont les espaces moins connus sont plus originaux. Une pièce fondamentale de ce système socio-économique est l'effet de marque.