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Quatre dispositions issues de la législation des XII Tables contiennent la formule noxiam sarcire, expression qui, prise littéralement, signifie « réparer, raccommoder la faute ou le mal »161. L’étymologie162 du terme noxa ou de noxia163 a donné lieu à différentes interprétations qui ne semblent toutefois pas déterminantes pour tenter de comprendre cette notion. L’analyse de ce terme s’effectuera dans le cadre juridique des quatre fragments relatifs aux XII Tables qui nous sont parvenus.

La table VIII,9164 se base sur un texte de Pline l’Ancien165 et sanctionne le fait de porter atteinte à la récolte d’autrui:

Frugem quidem aratro quaesitam furtim noctu pauisse ac secuisse puberi XII tabulis capital erat, suspensumque Cereri necari iubebant [grauius quam in homicido conuictum], impubem praetoris arbitratu uerberari noxiamue duplioneue decerni.

Celui qui avait fait paître ou avait coupé de nuit avec une charrue un champ cultivé, était punissable de la peine capitale si l’auteur était pubère, et il était condamné à être pendu et mis à mort en l’honneur de Cérès, [car il était plus grave d’être condamné pour cela

161 Kaser, Altrömische Ius, p. 223, emploie l’expression « den Schaden ausbessern, ausflicken ».

162 Liebs, Damnum, p. 194, fait découler ce terme du verbe nocere.

163 Hägerström, Obligationsbegriff, p. 231, discute en détail la distinction des deux termes et parvient à la conclusion que ces deux notions n’ont pas le même sens juridique, noxa représentant plutôt l’acte fautif, et noxia le résultat matériel dommageable; selon Ernout/Meillet, p. 440, le radical nex employé n’a pas d’équivalent sûr en dehors du latin, et soulignent le côté hypothétique de toute tentative de reconstruction étymologique. Ils définissent alternativement le terme de noxa, en tant que « faute » et « dommage causé ».

164 FIRA I, p. 56, reprend mot pour mot le texte de Pline en supprimant les termes grauius quam in homicido conuictum que nous préférons reproduire afin de rester le plus fidèle au texte de Pline ; Crawford, Roman Statutes II, p. 684, conteste que les termes noxiamue duplioneue decerni soient originaux et propose de les remplacer par damnum decidito en raison d’une prétendue erreur de Pline qui aurait mal retranscrit le texte : « Pliny will have substituted noxiam for damnum. » ; nous préférons suivre la tradition, car nous ne voyons pas pourquoi il conviendrait de s’écarter d’un texte clair au profit d’hypothèses de nature purement conjecturale.

165 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre XVIII,3,12, p. 62.

que pour un homicide], le mineur impubère était battu selon le bon plaisir du préteur et était tenu de réparer au double.

La seconde de ces dispositions se trouve dans la table VIII,10166. Elle a été reconstituée sur la base du Digeste, par un fragment issu du 4e livre sur la loi des XII Tables et attribué à Gaius :

Gaius, D. 47,9,9 :

Qui aedes acerumue frumenti iuxta domum positum combusserit, uinctus uerberatus igni necari iubetur, si modo sciens prudensque id commiserit. Si uero casu, id est neglegentia, aut noxiam sarcire iubetur aut, si minus idoneus sit, leuius castigatur.

Appellatione autem aedium omnes species aedificii continentur.

Celui qui aura mis le feu à une maison, ou un tas de céréales près d’une maison, devra être enchaîné, battu et tué par le feu, s’il a commis cet acte de manière réfléchie et à dessein. Si l’acte est arrivé par cas fortuit, c’est-à-dire par négligence, qu’il soit condamné à réparer le mal, ou, si cela paraît moins approprié, qu’il soit battu de manière plus légère. En effet, par la dénomination de maison, on entend toutes les sortes d’édifices.

Crawford167 a tenté, à notre sens avec un certain succès, de reformuler cette disposition et en a dégagé les éléments constitutifs suivants:

Si aedes aceruumue frumenti iuxta domum positum combuserit, uinctus uereberatus igni

… si casu …, noxiam sarcito.

S’il a brûlé une maison ou un tas de grains posé près d’une maison, qu’il soit attaché, battu et brûlé, s’il l’a commis par cas fortuit, que le mal (noxa) soit réparé.

166 FIRA I, p. 56.

167 Crawford, Roman Statutes II, pp. 685-686, même si nous n’approuvons pas totalement la suppression lors de la reconstruction de si minus idoneus sit leuius castigatur, qui nous semble témoigner de l’attachement encore fort, dans la législation des XII Tables, de la volonté de punition de l’auteur et de la confusion de la punition avec la réparation du préjudice ; Girard, Texte de droit romain, pp. 18-19, de même que l’édition FIRA I, p. 56, se contentent de reprendre les termes d’Ulpien sans oser, peut-être à raison, se risquer à formuler une règle hypothétique.

La difficulté principale d’interprétation repose sur le fait, d’une part, que ce fragment de Gaius est la seule source disponible qui mentionne une action de la loi des XII Tables pour cause d’incendie. D’autre part, Gaius, jurisconsulte de l’époque classique, fait référence à un passé qu’il ne peut avoir connu. Toute la problématique est de savoir si les termes de noxia et de sarcire peuvent désigner des concepts qui étaient présents dans la discussion juridique de l’époque archaïque.

Une troisième table, la VIII,14168, traite de l’obligation de réparer le dommage pour le mineur qui a commis un vol, alors que l’adulte est battu de verges et/ou adjugé à la personne lésée. La tradition de reconstruction se base sur un passage du onzième livre des Nuits Attiques d’Aulu-Gelle169 :

Ex ceteris autem manifestis furibus liberos uerberari addicique iusserunt et cui furtum factum esset, si modo id luci fecissent neque se telo defendissent ; seruos item furti manifesti prensos uerberibus adfici et e saxo praecipitari, sed pueros inpuberes praetoris arbitratu uerberari uoluerunt noxiamque ab his factum sarciri.

Mais, en revanche, pour les autres auteurs pris en flagrant délit, ils ordonnèrent que les hommes libres soient battus et adjugés à celui qu’ils avaient volé, s’ils avaient commis leur acte de jour, et sans s’être défendus au moyen d’une arme; de même ils ordonnèrent pour les esclaves pris en flagrant délit qu’ils soient châtiés par les verges et jetés du haut de la Roche [Tarpéienne] ; mais, pour les enfants impubères, ils voulurent qu’ils soient battus à la discrétion du préteur, et qu’ils soient tenus de réparer ce qu’ils avaient fait.

La table VIII,14 illustre ainsi le principe selon lequel le mineur se voit réserver un traitement moins sévère lui permettant d’échapper à la peine capitale, s’il répare les conséquences de son acte170.

168 FIRA I, p. 59 ; pour une paraphrase reconstructrice identique voir Crawford, Roman Statutes II, pp. 613-615.

169 Aulu-Gelle, Les Nuits Attiques, livre XI,18,8.

170 Sur la responsabilité des impubères, ainsi que son évolution en droit classique, voir Girard, Manuel, N. 2, p. 218.