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B - L’irrecevabilité de la demande des personnes privées devant les tribunaux arbitraux

L'arbitrage est un moyen alternatif de résolution des conflits, dans lequel un arbitre intervient, souvent en vertu d’un accord ou d’un contrat, pour prendre des décisions juridiques qui engagent les deux parties124 demanderesse de ses services. L’arbitrage est donc fondé sur le consentement des parties125, il peut être considéré comme un prolongement du contrat entre les parties en cas de litige ou comme un contrat lui-même126. En général, un tribunal arbitral est composé d'un ou plusieurs arbitres. Dans le cadre de cette procédure, l’arbitre est un véritable juge dont la décision s'impose aux plaideurs.

Il s’agit d’un mode non étatique de règlement des litiges, très utilisé en matière commerciale car il offre plusieurs avantages comme la rapidité de la procédure ou aussi la souplesse de ses règles. Par principe, l’arbitrage exclut généralement les tiers même si la complexité des questions posées, le croisement et la connexité des contentieux, la technicité croissante des dispositions impératives et l’émergence d’un ordre public international demandent leur participation. Classiquement donc, il exclut les tiers, ce qui est vu come une des raisons de sa réussite. En effet, les parties désirent soulever et régler leurs litiges loin des regards indiscrets et veulent que les procédures se déroulent dans un climat caractérisé par le secret des interférences et le huis clos127. Ces procédures ont un effet relatif aux parties contractantes et l’intervention de tierce demeure indésirable128. Cette politique de l’exclusion reste toujours très présente sauf en matière d’investissement.

124

Dans notre raisonnement, on s’intéresse en priorité aux arbitrages qui impliquent des États.

125

« L’arbitrage est l’institution par laquelle un tiers règle le différend qui oppose deux ou plusieurs personnes en exerçant la mission juridictionnelle qui lui a été confié par celles-ci » (JARROSSON CH., La notion

d’arbitrage, Paris, LGDJ, 1987, p. 372.).

126

N’étant pas obligatoire par principe et devant être admise par toutes les parties, on retrouve l’intervention devant les tribunaux arbitraux qui englobe le même risque de « fuite » en défaveur des parties si tel tribunal accueille des amici curiae contre la volonté de certaines parties et non pas contre d’autres. En autorisant la participation de tiers, le tribunal arbitral évaluera ce qu’il va gagner ou ce qu’il va perdre dans le jeu concurrentiel qui existe entre les différentes places d’arbitrage (LA PRADELLE G., « La société civile internationale et l’accès au contentieux international », in GHERARI H., et SZUREK S., dir., L’émergence de la

Société civile internationale : vers la privatisation du droit international ?, Actes du colloque du CEDIN des 2 et

3 mars 2001, Paris, PEDONE, pp. 125-139, p. 135) .

127

MENÉTREY (S.), op. cit, p. 142.

128

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L’auteur Patrice Level précise dans son article que « la source contractuelle de l’arbitrage limite le pouvoir – et pour un litige donné- la compétence de l’arbitre aux seuls litiges visés par la convention d’arbitrage et concernant les seuls personnes physiques ou morales parties à cette convention. C'est-à-dire qu’un tiers à la convention d’arbitrage, fut-il intéressé au contrat litigieux ou plus précisément au litige ou aux conséquences des solutions qui peuvent lui être apportées ne peut intervenir dans un procès soumis à des arbitres à l’investiture desquels il n’a pas été convié, hormis le cas où les parties en litige et le tiers consentent tous à cette intervention et que le tribunal arbitral ne s’y oppose pas »129.

La conception restreinte de l’arbitrage se limite à l’instauration d’un mode de règlement des différends sans toute sa dimension juridictionnelle. La doctrine traditionnelle se montre hostile à l’idée d’accepter des tiers dérangeants qui portent volontairement atteinte au caractère contractuel de la procédure130. Elle invoque également les obstacles des arbitrages multipartites quant à la composition du tribunal ou à l’égalité des parties131

. La participation des acteurs privés dans le cadre du processus de l’arbitrage n’est pas séduisante132, bien qu’elle se manifeste en des termes différents parce que le tiers privé ne veut pas être admis comme partie au contrat ou à l’arbitrage, mais seulement être considéré comme un éclaireur pour le tribunal dans un contexte plus général dans lequel ceux-ci s’inscrivent. L’arbitrage, qui dispose d’un lourd fondement contractuel, serait vu « par essence rebelle à ce type de pratique »133.

La réticence exprimée par certains auteurs à l’égard de la participation d’amicus curiae sous l’égide de l’arbitrage est avant tout évidemment préventive. En dehors des arbitrages en matière d’investissement, la participation d’amicus curiae134

n’est pas encore posée. C. Nisser

et G. Blanke se sont montrés dès le départ favorables à la participation en qualité d’amicus

129

LEVEL (P.), « La jonction de procédures, intervention de tiers et demandes additionnelles et reconventionnelles », Bulletin de la cour internationale de l'arbitrage de la CCI, vol. 7, n° 2,1996, p. 37.

130

Ibid., p. 39.

131

GRAVEL (S.), « Arbitrage multipartite et pluralité d’arbitrages », Bulletin de la cour internationale de

l'arbitrage de la CCI, 1996, n° 2, p. 45.

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Mêmes les arbitres se montrent réticents à l’égard de la participation de tiers en tant qu’amicus curiae et à l’idée d’adopter un tel mécanisme dans la procédure arbitrale. Les praticiens de l’arbitrage se montrent mécontents quant à la participation des tiers, à cause de la confidentialité de ce mode de règlement des différends et aussi pour ne pas accorder trop d’importance à la notion de jurisprudence arbitrale (Discussions lors du colloque des jeunes praticiens de l’arbitrage à Genève le 26 mars 2004 et discussions avec P.Tercier Président de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI).

133

BERNHEIM (L.), « La pratique uniforme de l’arbitrage commercial international, mythe ou réalité ? », Rev.

Arb., n° 2, avril 2004, p. 493.

134

L’expression amicis curiae est d’autant plus mal choisie pour décrire la participation de tiers à l’arbitrage qu’il « n’y a pas de Cour et qu’ils n’en sont pas les amis », (PRUJINER A., « L’arbitrage unilatéral : un coucou dans le nid de l’arbitrage conventionnel ? », Rev. Arb., 2005, n° 1, p. 86).

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curiae de la Commission européenne dans les procédures arbitrales en droit de la

concurrence malgré le silence du Règlement 1/2003135. Par ailleurs, les deux auteurs proposent de limiter les conditions dans lesquelles la Commission européenne disposerait du droit d’intervenir dans des procédures arbitrales en relation avec le droit de la concurrence communautaire 136. Cette proposition, qui a fait l’objet d’une polémique au sein de la Task Force sur l’arbitrage et le droit de la concurrence constituée au sein de la Commission internationale de l’arbitrage de la CCI, n’a finalement pas été retenue, affirmant la méfiance des arbitres à autoriser une participation extérieure.

De même, A. Mourré137 estime que le projet de Nisser/Blanke est inutile, voire risqué138. Il se demande si sa volonté est de judiciariser l’arbitrage en lui octroyant des règles spécifiques au contentieux interétatique et de « communautariser le droit de l’arbitrage en Europe, fragmentant ainsi le droit international de l’arbitrage »139

. La critique concerne notamment l’autonomie de la procédure arbitrale qui empêche toute possibilité de réflexion concernant l’opportunité d’autoriser les amici curiae140

dans les tribunaux arbitraux sans laisser à la Commission le pouvoir d’assister l’arbitre dans son office et ainsi éviter une mise en œuvre faussée du droit communautaire141. En appliquant les principes généraux de l’arbitrage, A. Mourré conteste que les institutions d’arbitrage et les arbitres se permettent d’organiser les modalités de l’intervention de la Commission dans le cadre de l’amicus curiae142. L’avis d’A.

135

NISSER (C.), BLANKE (G.), « Reflections on the role of the European Commission as Amicus Curiae in International Arbitration proceedings», European Competition Law Review, 2006, vol. 27, Issue 4, 2006, pp. 174-179.

136

Le projet Nisser/Blanke prévoit les informations qui doivent être communiquées à la Commission et réserve à cette dernière le droit de demander des précisions additionnelles. Dans l’intérêt public communautaire et afin de remplir son rôle d’autorité garante de la concurrence, la Commission peut participer aux audiences et apporter toutes les informations qu’elle juge utiles. Inversement, le tribunal arbitral peut demander l’assistance de la Commission lorsqu’il est confronté à une difficulté. Le projet indique les droits et obligations de la Commission en qualité d’amicus curiae et notamment son obligation de respecter la confidentialité. Par. 21 à 48 des « ICC Draft Best Practice Note on the European Commission Acting as Amicus Curiae in International Arbitration Proceedings» reproduits in European Business Law Review, 2008, p. 198.

137

A. Mourré est membre de la Commission internationale de l’arbitrage et de la Commission internationale de la concurrence de la CCI.

138

MOURRÉ (A.), « Projet de lignes directrices sur la Commission européenne intervenant en tant qu’amicus curiae dans les procédures d’arbitrage international : Opinion dissidente sur un projet inutile et dangereux (à propos de l’intervention de la Commission comme Amicus curiae dans les procédures arbitrales) », Revue Lamy

de la Concurrence, 2007, vol. 12, pp. 158-164.

139

Ibid., par. 5.

140

Malgré cela, il n’exclut pas qu’un tribunal arbitral ait le pouvoir de demander des informations à la Commission.

141

KOMONINOS (A.), « Assistance to Arbitral Tribunal in the application of EC Competition law», in EHLERMANN (C. D.), ATANASIU (I.), dir., European Competition Law Annual 2001 : Effective Private

Enforcement of EC Antitrust Law, Oxford/Portland, Hart Publishing, 2003, pp. 363-385.

142

« Faut-il vraiment, alors, se montrer plus royalistes que le roi, et introduire des règles nouvelles là où la Commission, le fait est assez rare pour être salué, a eu la sagesse de ne pas intervenir ? Appartient-il vraiment à une institution arbitrale comme la CCI de se faire l’avocat d’une plus grande soumission des arbitres aux

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Mourré n’est pas en conformité avec la réalité, notamment face au mouvement d’ouverture des procédures arbitrales débuté par les tribunaux arbitraux soumis à des litiges relatifs aux investissements.

Le domaine de l’investissement présente des caractéristiques multiples qui amènent à s’interroger sur sa nature juridique et son rapport avec l’arbitrage conventionnel143

. Dans ce domaine, ce type d’arbitrage se transforme ipso facto en un arbitrage « unilatéral » dominé par l’inexistence de lien contractuel ordinaire144. Alors que l’arbitrage classique est fondé nécessairement sur le consentement mutuel des parties manifestées par une convention d’arbitrage qui peut prendre la forme d’un contrat ou d’une clause contractuelle, les tribunaux arbitraux en charge d’investissement acceptent volontiers une conception du consentement plus large et plus moderne, un accord de volontés s’exprimant dans deux instruments différents et de manière différenciée145.

Cette nouveauté mérite d’être approfondie. En premier lieu, un État s’engage dans des traités bilatéraux d’investissement (TBI) à recourir obligatoirement à l’arbitrage dans l’hypothèse d’un litige qui pourra l’opposer à un investisseur ressortissant de l’État cosignataire du traité. En second lieu, tout investisseur actif sur le territoire de l’État d’accueil peut bénéficier des offres générales, permanentes et non individualisées d’arbitrage soit en exprimant explicitement son intention, soit en saisissant directement un centre d’arbitrage afin de constituer un tribunal146. Il convient donc d’en déduire que l’argument fondé sur la nature contractuelle de l’arbitrage pour refuser l’intervention de tiers auprès des tribunaux arbitraux n’est plus recevable dans le domaine de l’investissement, ce qui montre qu’il est possible d’espérer que cette conception soit étendue à d’autres domaines.

Cet espoir, bien qu’encourageant reste quand même relatif, surtout lorsqu’on observe une certaine méfiance des traités d’intégration économique vis-à-vis des operateurs privés malgré

exigences du droit communautaire, et d’un contrôle plus strict de sentences ? Personnellement, je ne le crois pas », MOURRÉ (A.), Op.cit. par. 8.

143

PRUJINER (A.), « L’arbitrage unilatéral : un coucou dans le nid de l’arbitrage conventionnel ? », op. cit., pp. 63-70.

144

C’est ce que la doctrine qualifie d’arbitrage « Without privity », (PAULSON J., « Arbitration Without privity », ICSID, vol. 2, 1995, pp. 232-257).

145

Cela signifie qu’il existe maintenant plusieurs types de contrats d’État à État ou d’État à investisseur.

146

Les arbitres reconnaissent leur compétence même en l’absence de clause d’arbitrage directement conclue entre les parties sur la base d’acceptation par l’investisseur d’une offre générale et impersonnelle faite par l’État de recourir à l’arbitrage en cas de litige avec un investisseur étranger. Il y a bien accord des parties puisque l’État consent dans un Traité d’investissement à recourir à l’arbitrage et que l’investisseur saisit sur ce fondement un arbitre en cas de litige, mais ce consentement est dissocié dans le temps et dans l’espace. (MENÉTREY S.,

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les évolutions juridiques et politiques considérables obtenues ces dernières années (Section II).

Section II - La fermeture à l’égard des personnes privées

dans les traités d’intégration économique régionale

Traditionnellement, les traités d’intégration économique se préoccupent d’encadrer les activités économiques dans la région de manière à améliorer la coopération et faciliter le rapprochement des législations applicables. Ils sont donc destinés à gérer les relations entre États pour servir les intérêts publics communs. Les personnes privées peinent à trouver une place dans ces accords comme c’est le cas en Europe (Paragraphe I) et en Amérique du nord

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