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2 - L’accueil évolutif de l’amicus curiae par l’Organe d’appel

À travers une interprétation vaste des articles 13 et 17.9 du Mémorandum et de l’article 16.1 de ses procédures de travail, on constate que les organes de l’OMC jouissent de divers droits et devoirs et que l’Organe d’appel a consacré l’ouverture de principe de l’amicus curiae devant les groupes spéciaux et devant elle (a). Bien que trouvant ses origines dans le droit romain, l’amicus curiae peut aujourd’hui être considéré comme une institution influencée par la pratique courante des pays de la commun law, ce qui ne contribue pas à établir une jurisprudence équilibrée et cohérente (b).

a - L’Organe d’appel et l’adoption des mémoires de l’amicus curiae

La question de l’amicus curiae demeure l’un des sujets les plus controversés dans le système de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce. Elle porte en effet sur la participation d’acteurs privés à ce système et, plus généralement, sur la légitimité globale de l’OMC.

L’institution de l’amicus curiae permet à une personne privée, ne jouissant pas d’un intérêt juridique ou d’une capacité aussi importante, d’intervenir dans un différend au niveau national ou même international. Autrement dit, elle constitue une voie processuelle détournée d’un grand intérêt pour les acteurs privés ne jouissant d’aucun accès formel aux juridictions427.

À travers l’article 13.1 du Mémorandum, la possibilité était octroyée aux groupes spéciaux de demander à toute personne ou à tout organisme les renseignements et avis techniques jugés nécessaires428. Selon cet article, les groupes peuvent également solliciter des renseignements de toute source utile et consulter des experts afin de bénéficier de leurs avis. Mais sont-ils tenus de les prendre en considération ?

427

CÔTÉ (C. E.), op. cit., p. 4 et 401.

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L’Organe d’appel a affirmé dans l’affaire CE – Hormones429

que le groupe spécial jouissait d’un pouvoir discrétionnaire à ce sujet. Ainsi, il revient au groupe spécial de s’adresser aux personnes privées afin de collectionner des informations. Par contre, la question de savoir si et sous quelles conditions les personnes peuvent soumettre des informations au groupe spécial est plus délicate à résoudre. Dès les premières affaires soumises au système de règlement des différends de l’OMC, plusieurs organisations non gouvernementales et entreprises privées avaient demandé la permission de fournir des communications aux groupes spéciaux, sous la forme d’amicus curiae, mais l’OMC a refusé leurs demandes suivant la pratique antérieure du GATT430.

Ultérieurement, dans l’affaire États-Unis – Crevettes431

les États-Unis avaient soutenu la demande de différentes ONG pour présenter des mémoires devant le groupe spécial. Ce dernier avait estimé que, à moins que ces renseignements ne soient intégrés dans les mémoires d’une partie, les informations non demandées ne pouvaient pas être admises, l’acceptation n’étant réservée qu’aux renseignements sollicités. Au contraire, l’Organe d’appel avait considéré qu’une telle manière de procéder découlait d’une interprétation trop restrictive de l’article 13 du Mémorandum. Selon l’Organe d’appel, le terme « demander » ne doit pas être entendu de manière trop étroite de façon à l’assimiler à une « interdiction d’accepter »432

.

Or, un groupe spécial, selon l’Organe d’appel, possède le pouvoir de manipuler les informations fournies par les privés, qu’elles aient été sollicitées ou non. Cela signifie d’une autre coté que le groupe spécial est devenu maître dans l’attribution ou non d’une information ou d’un renseignement pendant le règlement du litige433. D’après l’Organe d’appel, mêmes les communications découlant d’ONG attachées au mémoire d’une partie peuvent être acceptées par le groupe spécial434.

429

Communauté européenne – Mesures concernant les viandes et les produits carnés (hormones) (WT/ DS26/AB/R; WT/DS48/AB/R). Rapport d’appel commun aux deux affaires mis en circulation le 16 janvier 1998 et adopté le 13 février 1998, §§ 146-148.

430

STERN (B.), « L’intervention des tiers dans le contentieux de l’OMC », Revue Générale de Droit

International Public, 2003, n° 2, p. 260.

431

États-Unis - Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, Rapport du groupe spécial (WT/DS58/R) du 15 mai 1998 et Rapport d’appel (WT/DS58/ AB/R) du 12 octobre 1998.

432

Ibid., Rapport d’appel, §§ 107-108.

433

ZAMBELLI (M.), « L’amicus curiae dans le règlement des différends de l’OMC: état des lieux et perspectives », Revue Internationale de Droit Économique, 2005, n° 2, p. 201.

434

À priori , l’Organe d’appel n’est juridiquement obligé d’accepter et d’examiner que les communications émanant de Membres de l’OMC qui sont parties ou tierces parties au litige.

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L’Organe d’appel a également consacré l’ouverture d’un principe dans la procédure d’appel : l’intervention de l’amicus curiae. En effet, permettre l’amicus curiae exclusivement devant le groupe spécial présentait un intérêt limité. Toutefois les intérêts en jeu et l’importance de pouvoir soumettre des renseignements et des avis sont encore plus importants au stade de l’appel. Dans ce contexte, nous rappelons que l’Organe d’appel a un rôle spécifique par rapport au groupe spécial : alors que ce dernier se prononce sur les faits et le droit, le premier voit son pouvoir d’examen limité, selon l’article 17.6 du Mémorandum, aux seules questions de droit.

Si, dans l’affaire États-Unis - Crevettes, l’Organe d’appel a rarement fait appel aux soumissions d’amicus curiae435, il est apparu déterminant dans l’affaire États-Unis - Acier britannique436 en affirmant qu’il possède un pouvoir comparable à celui du groupe spécial sur la base de l’article 13 du Mémorandum. Il indique notamment qu’il dispose d’un large pouvoir et est « habilité légalement à décider de l’opportunité d’accepter et d’examiner ou non les renseignements [qu’il estime] pertinents et utiles dans le cadre d’une procédure d’appel »437

. Portant, si le pouvoir est identique pour les deux organes, la base juridique est différente : afin de pouvoir accepter ou refuser des renseignements d’amicus curiae, l’Organe d’appel s’est fondé sur l’article 17.9 du Mémorandum438

et sur la disposition 16.1 de ses procédures de travail439.

La pratique adoptée par l’Organe d’appel au sein de l’OMC quant aux mémoires de l’amicus curiae n’est en fait pas une réelle nouveauté. Elle est largement inspirée par le droit anglo-saxon (b), qui a une forte influence sur le droit international.

435

STERN (B.), « L’intervention des tiers dans le contentieux de l’OMC », op. cit. pp. 250-266.

436

États-Unis - Imposition de droits compensateurs sur les produits dérivés de l’acier au carbone, plomb et

bismuth laminés à chaud originaires du Royaume-Uni (WT/DS138/AB/R). Rapport d’appel du 10 avril 2000,

p. 42.

437

Ibid., § 39.

438

Article 17.9 du Mémorandum d’accord : L’Organe d'appel, en consultation avec le Président de l'ORD et le Directeur général, élaborera des procédures de travail qui seront communiquées aux Membres pour leur information.

439

WT/AB/WP/6,16 août 2010, Procédures de travail pour l'examen en appel, l’article 16.1 dispose que : « Pour assurer l'équité et le bon déroulement d'une procédure d'appel, dans les cas où se pose une question de procédure qui n'est pas visée par les présentes règles, une section pourra adopter une procédure appropriée aux fins de cet appel uniquement, à condition que celle-ci ne soit pas incompatible avec le Mémorandum d'accord, les autres accords visés et les présentes règles ».

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b - L’Organe d’appel et le courant anglo-saxon en droit international

L’effet du courant anglo-saxon sur les procédures du système de règlement des différends à l’OMC est évident. Ces procédures des panels et de l’Organe d’appel, bien qu’elles soient largement inspirées des systèmes de droit civil, ressemblent au fonctionnement des tribunaux relevant de la commun law440. Th. Chritoforou constate : « Les panels se reposent sur les parties en ce qui concerne la recherche des preuves, ce qui situe dans la tradition de la

Commun Law, dans laquelle les parties effectuent la plus grande partie de l’établissement des

faits, conformément à ce que l’on appelle le système accusatoire »441

. Bien que trouvant ses origines dans le droit romain, l’amicus curiae peut aujourd’hui être décrit comme une institution influencée par la pratique courante des pays de la « commun law »442.

Des pays d’origine anglo-saxonne comme les États-Unis furent les acteurs pionniers au stade de la négociation des accords de Marrakech et au processus de préparation des juristes du secrétariat de l’OMC443

. Cette présence remarquable va amener M. V. Pace à solliciter un changement de la composition de l’Organe d’appel « afin de réduire l’influence anglo-saxonne et de mieux prendre en compte toutes les dimensions de l’environnement international »444. L’intense participation des États-Unis à l’élaboration des procédures de l’ORD a conduit d’une façon ou d’une autre à influencer indirectement le système. De plus, il s’avère important de mentionner, depuis la mise en œuvre des accords de l’OMC, une implication accentuée des cabinets d’avocats « Law Firms » de culture anglo-saxonne auprès des organes de règlement des différends ; d'ailleurs, on peut noter une abondance de la littérature spécialisée en langue anglaise en comparaison du faible nombre d’études en langue française par exemple445.

440

KIEFFER (B.), L’organisation mondiale du commerce et l’évolution du Droit international public, op. cit.,

p. 514.

441

CHRISTOFOROU (Th.), « L’expertise scientifique au service du commerce international : analyses, perspectives », in MALJEAN-DUBOIS (S.), Droit de l'Organisation Mondiale du Commerce et protection de

l'environnement, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 477.

442

ASCENSIO (H.), « L’amicus curiae devant les juridictions internationales », Revue Générale de Droit

International Public, 2001, n° 4, p. 897.

443

PAUWELYN (J.), «The Limits of Litigation: « Americanization » and Negotiation in the Settlement of WTO Disputes ». Ohio State Journal on Dispute Resolution. 2003, p. 121 et suiv. L’auteur a utilisé dans cet article le terme « américanisation » dans un sens proche de « rationalisation » ou même de « juridictionnalisation ».

444

PACE (V.), « Cinq ans après sa mise en place : la nécessaire réforme du mécanisme de règlement des différends de l’OMC », RGDIP, n° 3,2000, p. 627.

445

Durant notre recherche successive auprès des différentes bibliothèques universitaires, de l’OMC, et la consultation des sites internet, on a remarqué que les études concernant l’OMC en langue française sont assez

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Nous remarquons la même tendance auprès de la CIJ qui mentionne dans son article 59 que « la décision de la Cour n’est obligatoire que pour les parties en litige et dans le cas qui a été décidé ». Selon cet article, la CIJ, comme c’est l’habitude des systèmes de « Common Law »

, a exclu l’application en droit international du principe de « stare decisis » 446. Pourtant, cela n’a pas empêché la Cour de recourir aux précédents, même s’agissant de ses propres décisions et avis antérieurs, à plusieurs reprises afin de consolider sa propre autorité et pour réaliser une cohérence globale de sa jurisprudence447. L’Organe d’appel a aussi recouru souvent aux précédents, ce qui n’était pas le cas des panels qui préféraient plutôt l’autocitation448

. H. Ruiz Fabri a souligné que « le souci (jurisprudentiel) est manifeste chez l’Organe d’appel qui pratique énormément les références à la doctrine et aux décisions antérieures »449.

La réussite de la technique du recours aux précédents provient du confort évident du juge qui lui permet de se reposer sur les décisions antérieures et de la sécurité juridique qui rassure les États. Pourtant, on trouve que l’appui par le courant de la « Common Law » seulement n’est pas suffisant afin d’établir une jurisprudence équilibrée et cohérente.

Malgré l’admission de principe de l’amicus curiae par l’Organe d’appel, les Membres de l’OMC restent plutôt réservés. La soumission spontanée des mémoires s’avère difficile à mener sur le plan juridique, voire même politique. Ainsi le rôle réel de l’amicus curiae reste toujours modeste. Il nous semble peu probable que les Membres vont solutionner à court terme la question de l’intervention de l’amicus curiae. Afin de ne pas se trouver dans une situation de vide juridique et en l’absence d’accord des Membres concernant ce sujet, des conditions bien encadrées doivent êtres stipulées par l’Organe d’appel (B) afin de les convaincre de l’efficacité de l’intervention de l’ami.

restreintes surtout en recourant aux bibliothèques en ligne comme amazon.fr/.com. (JAYME E., éd., langue et

Droit, XV Congrès International de Droit Comparé, Bristol 1998, Bruxelles, Buylant, 1999, 373 p).

446

La règle du précédent ou stare decisis (latin: rester sur la décision) est une règle de droit s'appliquant

particulièrement dans les pays de common law. www.Fr.wikipedia.org

447

KIEFFER (B.), L’organisation mondiale du commerce et l’évolution du Droit international public, sous dir. PETIT (Y.), Univ. Robert Schuman ; Strasbourg III, 13 juillet 2006, p. 515.

448

L’autocitation signifie la citation de passage de rapports antérieurs auprès le même panel.

449

RUIZ FABRI (H.), « L'appel dans le règlement des différends de l'O.M.C.: trois ans après, quinze rapports plus tard », Revue Générale de Droit International Public, n°1, 1999, p. 54.

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