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Para II les obstacles à la transmission universelle du patrimoine

1. L’intransmissibilité des contrats conclus intuitu personae

165. La question qui mérite d’être posée est celle de savoir ce qu’il advient des

contrats conclus en considération de la personne ? Les solutions doivent être abordées séparément. Si en droit français, la jurisprudence

abondante considère que concernant certaines conventions pour lesquelles la qualité du cocontractant est un élément essentiel, l’absorption est une cause de caducité, même en l’absence de stipulation en ce sens (a)127

, le droit OHADA semble ne pas se prononcer sur la question (b).

126

BENABENT A., droit des obligations, 14ème édition, Domat droit privé, LGDJ 2014, n° 100, p.79.

127

DUBERTRET M, l’intuitu personae face aux fusions des sociétés Rév. Sociétés 2006, p. 721. L’auteur affirme que l’universalité de la transmission suppose nécessairement l’impossibilité de distinguer contrat par contrat, droit par droit, ceux qui seraient transmis de ceux qui ne le seraient pas. Le patrimoine de l’entreprise

a. l’intransmissibilité affirmée des contrats intuitu personae en droit français

166. En droit français, le principe demeure l’intransmissibilité des contrats conclus intuitu personae. A cet effet, la jurisprudence et la doctrine française affirment incontestablement à titre d’illustration que les contrats conclus intuitu personae ne pouvant être transmis en cas de fusion de sociétés, un contrat de concession exclusive ne peut être transmis par la voie de la fusion sans l’accord du cocontractant128

.

167. La transmission universelle du patrimoine principe sacrosaint du droit des fusions est heurtée par la liberté des parties de sorte qu’en cas de fusion, la règle de la transmission universelle du patrimoine s’oppose à celle de la liberté contractuelle. En effet, tandis que la liberté contractuelle conduit à ne pas transmettre les contrats conclus intuitu personae pour respecter le choix des parties, le mécanisme de la transmission universelle du patrimoine commande au contraire de transmettre tous les contrats sans distinction en raison de la continuité de la personnalité de la société absorbée dans la société absorbante.

168. Toutefois, ces deux règles opposées ayant toutes deux vocations à s’appliquer de manière générale, il est admis en doctrine et en jurisprudence, la primauté de l’une tantôt la primauté de l’autre. Pour certains auteurs, la liberté contractuelle et l’article 1134 du code civil autorisent à affirmer la primauté du contrat sur le principe de la transmission universelle du patrimoine129.

169. D’autres considèrent au contraire que l’affirmation législative du principe de la transmission universelle du patrimoine a conféré à cette règle un caractère d’ordre public 130 et qu’il n’est pas possible que le « principe de la transmission universelle du patrimoine dans son ensemble est apprécié comme un tout, une unité et le respect de l’intuitu personae doit s’effacer devant le mécanisme de transmission universelle du patrimoine essentiel à l’opération de fusion.

128 CA Paris, 2 nov. 1982, BRDA 15 févr. 1983 p.12. 129

VIANDER A., les contrats conclus intuitu personae face à la fusion des sociétés, Mélanges Chr. MOULU LITEC 1998, TII, p.193, spéc. n° 28, p.201.

130

JEANTIN M., la transmission universelle du patrimoine d’une société, in les activités et les biens de l’entreprise, Mélanges J. Derrupé, Joly et Litec 1991, n° 33, p.299.

considéré comme d’ordre public, voit son application limitée par le seul effet d’une stipulation statutaire 131».

170. En réalité, pour ce qui nous concerne, nulle primauté ne permet a priori de trancher cette opposition et de déterminer aisément le sort des contrats conclus intuitu personae en cas de fusions. Malgré l’absence de solution évidente, une majorité d’auteurs sur la position desquels nous nous alignons considère aujourd’hui que les positions contractuelles qui résultent des contrats conclus intuitu personae échappent à la transmission universelle du patrimoine au motif emprunté à la jurisprudence que : « la transmission universelle du patrimoine telle que prévue à l’article L.236 du code de commerce, demeure étrangère aux relations de confiance personnelle et aux conventions conclues intuitu personae qui échappent aux règles patrimoniales. ».132

171. Si cette position en toute hypothèse se justifie, elle est tout de même isolée au niveau international. En effet, tous les systèmes juridiques ne connaissent pas la notion de contrat intuitu personae et chez ceux qui en ont connaissance, ledit critère n’entraîne aucun traitement particulier.

172. Dans la législation Belge par exemple, aucune exception n’est prévue pour les contrats conclu intuitu personae dans le cadre d’un transfert de patrimoine133

. Cette position est d’ailleurs conforme aux 3ème

et 6ème directives européennes qui organisent le transfert de l’ensemble des contrats conclus par la société absorbée sans en excepter les contrats conclus intuitu personae.

173. Il reste que les directives sont particulièrement claires sur ce point et ne semblent laisser aucun choix aux Etats membres134.D’ailleurs en l’absence de précision

131

JEANTIN M., op.cit., n° 31, p.298 et il poursuit à propos du contrat de cautionnement que « s’agissant d’un principe d’ordre public, les arguments relatifs à la volonté d’assurer la protection de la caution ne sont en l’espèce par recevable, ibid. n° 32, p.298.

132 JASPAR et METAIS, les limites à la transmission universelle du patrimoine, les contrats conclus intuitu

personae :Bull.Joly 1998, p.448, VIANDER A., les contrats conclus intuitu personae face à la fusion de sociétés :Mél. C. Mouly, LITEC 1998, T II, p.193.

133

art.174/10, 174/22 al.2, 174/38§1 et 174/50 al.2, lois coordonnées. Comme le rappelle un auteur dans l’exposé des motifs, le transfert englobe même les contrats conclu intuitu personae TILQUIN T, traité des fusions et des scissions, Kluwer, 1993, n° 430, p.292.

relative à l’intuitu personae en droit interne, le respect du principe d’interprétation conforme devrait conduire la jurisprudence nationale à interpréter en droit français les textes relatifs aux fusions à la lumière des 3ème et 6ème directives sans que l’intuitu personae ne fasse l’objet d’un traitement particulier.

174. Dans ce contexte, l’affirmation traditionnelle de l’intransmissibilité des contrats conclus intuitu personae en cas de fusion peut surprendre. Cette position anachronique du droit français qui s’oppose aux exigences de directives désormais anciennes est d’autant plus étonnante qu’elle ne présente quasiment que des désavantages contre lesquels certains organes spécialisés se sont déjà élevés par le passé.

175. Toujours est il que la jurisprudence est claire : les contrats conclus intuitu personae sont intransmissibles. Cette position de principe qui n’a rien d’évident, vient fragiliser de manière regrettable le mécanisme des fusions en rendant leurs effets incertains. Il peut alors paraître important de résoudre le conflit entre transmission universelle et intuitu personae afin de permettre au droit des fusions de gagner en cohérence et en sécurité.

176. A toutes fins utiles, comme les solutions jurisprudentielles concernant la transmission des contrats conclus intuitu personae en cas de fusion sont aujourd’hui bien plus incertaines que ne le prétend en général la doctrine, l’idée vient d’inverser la proposition traditionnelle en affirmant la transmission automatique de tous les contrats, seraient ils intuitu personae, ce qui aurait l’avantage de faciliter l’opération de fusion en la rendant plus prévisible et donc plus sûre.

177. Toutefois, cette hypothèse ne semble pas celle adoptée et l’essence de la règle de l’intransmissibilité des contrats conclus intuitu personae trouve son fondement dans le principe de la liberté contractuelle prévue à l’article 1134 du Code Civil qui autorise la primauté du contrat sur le principe de la transmission universelle du patrimoine135.

178. Dès lors que le contrat aura été conclu en considération de la personne, il ne pourra être transféré en cas de fusion. C’est tout le sens de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 décembre 2005 dans lequel il a été jugé que le

135 Voy. VIANDER A., les contrats conclus intuitu personae face à la fusion des sociétés, Melanges Chr. Mouly,

caractère intuitu personae du contrat de concession exclusive bloque la transmission universelle en cas de dissolution sans liquidation de société136.

179. Cette position de principe qui est celle défendue par la majeure partie de la doctrine semble affirmer expressément que les positions contractuelles qui résultent des contrats conclus intuitu personae échappent à la transmission universelle du patrimoine. Pour autant cette affirmation n’apparaît pas évidente et la jurisprudence comme la loi semblent aujourd’hui préférer la règle de la transmission universelle du patrimoine à celle de la liberté contractuelle.

180. Dès l’abord, il est difficile d’ignorer que certains contrats ou certains droits dont l’intuitu personae ne fait aucun doute, sont pourtant transmis en cas de fusion. Le contrat de travail par exemple archétype de ces contrats, se transmet de manière automatique en cas de fusion de sociétés ce qui vient directement contredire le prétendu principe de non transmission de ces contrats.

181. L’intuitu personae ne triomphe pas nécessairement de la transmission universelle comme cela est traditionnellement affirmé. Toujours est il que l’analyse de nombreuses solutions jurisprudentielles révèle que les contrats conclus intuitu demeurent intransmissibles.

182. A titre d’exemple le contrat de distribution qui constitue un contrat passé en considération de la personne ne se transmet. A leur sujet, la cour de cassation a décidé que le caractère intuitu personae du contrat de concession exclusive bloque la transmission universelle en cas de dissolution sans liquidation de société137. Mais, cette solution a subi un revirement de jurisprudence car la chambre commerciale de la haute juridiction a affirmé la primauté et l’efficacité de la transmission universelle du patrimoine en décidant le transfert d’un contrat de distribution sans l’accord préalable du distributeur. Elle a décidé que publiée au registre du commerce et des sociétés, l’opération de dissolution sans liquidation d’une société (fournisseur), conduisant à la transmission universelle du patrimoine à un associé unique, est opposable au distributeur. Elle entraîne le transfert du contrat de distribution dès

136

LE CANNU P., Obs sous Cass. Com 13 déc. 2005. RTD com 2006, p.429.

137

LE TOURNEAU Ph., contrat intuitu personae, JCl. Contrat et distribution, Fasc. 200. Voy également MONNET J., note sous Cass. Com. 13 décembre 2005, Dr. Sociétés 2006, n° 23.

lors que le contrat ne prévoyait d’intuitu personne qu’à l’égard du distributeur et qu’aucune stipulation ne prévoyait l’accord du distributeur concernant la cession du contrat138

.

183. Au surplus, à côté du contrat de concession, il existe d’autres types de contrat notamment le cautionnement qui a subi des revirements jurisprudentiels qui se sont effectués en trois temps.

184. A l’origine, il a été question de protéger la caution avant tout. Ainsi dans un arrêt du 20 janvier 1987139 concernant la fusion ayant donné naissance à la BNP, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé dans un attendu de principe que : « en cas de fusion de sociétés donnant lieu à la formation d’une personne morale nouvelle, l’obligation de la caution qui s’était engagée envers l’une des sociétés fusionnées n’est maintenue pour la garantie des dettes postérieures à la fusion que dans le cas d’une manifestation expresse de la caution de s’engager envers la nouvelle personne morale ». Cette règle a par la suite été étendue aux opérations de fusion absorption sans création d’une société nouvelle140

.

185. En conséquence, au départ de ce premier mouvement jurisprudentiel, il est retenu que l’apparition d’une personne morale étrangère au rapport triangulaire initial n’affecte pas l’obligation de règlement mais entraîne la disparition de l’obligation de couverture de la caution, dès lors que celle-ci ne s’est pas expressément manifestée. La jurisprudence prend donc clairement partie pour la protection des cautions au détriment du principe de la transmission universelle du patrimoine.

186. Ainsi la société issue de la restructuration, en dépit de sa substitution sans novation au lieu et place de la société dissoute, est privée d’un élément du patrimoine, qui selon la loi, lui est transmis à titre universel.

187. Mais cette jurisprudence de principe a subi un revirement dans un arrêt du 8 novembre 2005141 dans lequel la cour de cassation a décidé « qu’en cas de fusion absorption d’une société propriétaire d’un immeuble donné à bail, le cautionnement garantissant le

138

ARMIEL COSME L., note sous cass.com., 4 février 2014, n° 12-22.404, revue des sociétés 2014, p.657.

139

Cass.com., 20 janvier 1987 : Rev.soc.1987, p.401.

140

Cass.com., 25 novembre 1997 : RJDA 1998, n° 597.

paiement des loyers est sauf stipulation contraire transmis de plein droit à la société absorbante ».

188. Ce revirement a été un espoir pour un retour au premier plan de la transmission universelle du patrimoine, mais également une excellente nouvelle pour les établissements bancaires qui y ont vu une sécurité dans l’application des contrats de cautionnement dont ils bénéficient.

189. Cette prééminence de la transmission universelle du patrimoine a toutefois été atténuée par un arrêt du 30 juin 2009142 rendu par la chambre commerciale de la cour de cassation qui dans le cadre d’une affaire opposant un gérant de société en sa qualité de caution solidaire à une banque ayant été absorbée a affirmé que : « l’obligation de la caution qui s’était engagée envers la société absorbée n’est maintenue pour la garantie des dettes nées postérieurement à la fusion que dans le cas d’une manifestation expresse de volonté de la caution de s’engager envers la société absorbante ».

190. Il résulte de cette dernière décision la prédominance du contrat de cautionnement sur le principe de la transmission universelle du patrimoine. Cette prédominance a même été affirmée dans un récent arrêt rendue par la chambre commerciale de la cour de cassation en ces termes : « La fusion, entraînant la disparition de la société créancière, limite le cautionnement d’une banque aux sommes dues à la date de la fusion. Le seul engagement de la caution de garantir à l’égard de la société absorbante de nouvelles dettes de la société débitrice ne peut, faute d’accord établi de celle-ci ou de son liquidateur, transférer la garantie du cautionnement antérieurement consenti en faveur de la société absorbée »143.

191. Face à cette incursion jurisprudentielle, force est de constater qu’une position commune concernant la transmission des contrats intuitu personae n’a pas été adoptée. Leur transmission est soumise à l’appréciation souveraine des juges qui décideront de leur transfert. En toute hypothèse, la majeure partie des décisions affirment incontestablement l’intransmissibilité des contrats conclus intuitu personae. Cette solution relativise le mécanisme de transmission universelle du patrimoine et démontre que l’intuitu personae est un frein à son efficience.

142

Cass.com., 30 juin 2009, n° 08-10179.

b. Un droit OHADA imprécis sur l’intransmissibilité des contrats conclus intuitu personae

192. En droit OHADA, comparativement au droit français, le principe en matière de restructuration par voie de fusion demeure la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée vers la société absorbante ; et la jurisprudence OHADA ne s’est pas encore prononcée sur la question de la transmissibilité des contrats intuitu personae.

193. Est ce à dire que lesdits contrats conclus en considération de la personne sont transmissibles dès l’instant où intervient une restructuration par voie de fusion? La réponse positive pourrait s’imposer et se justifierait par le fait que le principe en droit OHADA étant la transmission universelle du patrimoine, le transfert de tout contrat quel qu’il soit devrait s’opérer sans en rechercher son caractère intuitu personae.

194. Cette hypothèse pourrait être attestée par l’une des rares décisions du droit OHADA en la matière qui a été rendue par le Tribunal d’instance Hors classe de DAKAR. Dans cette espèce, le Tribunal a décidé que la fusion opère la transmission universelle de patrimoine de la société absorbée à la société absorbante. Il en résulte la transmission de l’ensemble des éléments de l’actif et du passif à la société bénéficiaire. La société nouvelle ou existante se substitue à la société absorbée dans tous les biens, droits ou obligations de cette dernière. Il n’en est autrement qu’en cas de dérogation expresse prévue par les parties, dans le traité d’apport, de communauté ou de confusion d’intérêts, ou de fraude. Lorsque les deux sociétés sont unies par une communauté ou une confusion d’intérêts, la société bénéficiaire pourra être poursuivie en paiement des dettes transmises par la société absorbée, car elle s’est personnellement obligée en créant aux yeux des tiers l’apparence de son engagement. Cette transmission universelle intervient de plein droit et porte même sur les biens de la société absorbée qui par suite d’une erreur, d’un oubli ou pour une autre cause, ne figuraient pas dans le traité de fusion. La société absorbante devient débitrice des créanciers non obligataires de la société absorbée, aux lieux et place de celle-ci. Cette substitution n’emporte pas« novation » de la créance, c’est-à-dire que celle-ci est reprise sans aucune modification. La société absorbante vient activement et passivement au lieu et place de la société absorbée et en conséquence, les règles concernant les cessions de créance (article 1690 Code civil) ne sont

pas applicables aux apports fusions portant sur de tels biens144. Les sociétés qui fusionnent, formant une entité juridique unique, sont mal venues de demander la distraction des objets saisis ». Il résulte de cette décision en droit africain que tous les biens de la société absorbée doivent être transmis dans leur intégralité à la société absorbante. Cette transmission étant par ailleurs de plein droit, les contrats conclus intuitu personae devraient être transmis à la société absorbante.

195. Si cette solution semble donner au mécanisme de fusion toute sa valeur et son efficience, il reste que la doctrine OHADA ne semble pas aller dans le même sens. Elle adopte la position de la doctrine française sus citée et considère que les contrats intuitu personae ne peuvent être transmis sans l’accord préalable sur ledit contrat145

. Cette position à l’instar de celle qui a cours en droit français est tout de même critiquable. Aussi estimons nous que l’intransmissibilité du contrat intuitu personae est à relativiser.

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