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L’importance des conséquences attachées à la disparition : la perte de la personnalité morale

Para I Le caractère exceptionnel de la disparition d’une des sociétés parties à l’opération

B. L’importance des conséquences attachées à la disparition : la perte de la personnalité morale

74. La dissolution de la société absorbée ou scindée engendre d'importantes conséquences. À l'inverse des autres cas de dissolution, il n'y a pas lieu de procéder à la liquidation de ladite société, ce qui implique l’inapplication de plein droit des règles relatives à la liquidation. Il est donc tout à fait inutile et juridiquement critiquable de nommer un liquidateur. La règle de la survie de la personnalité morale pour les besoins de la liquidation ne reçoit pas d'application.66

75. En tout état de cause, l’opération de concentration des entreprises entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires dans l’état où il se trouve à la date de la réalisation définitive de l’opération67

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76. Tant que la société dont le patrimoine va être transporté est encore en vie, la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à l’absorbante ne peut s’opérer.

66

Cass. com., 11 févr. 1986 : Bull. civ. 1986, IV, n° 15.

Ce transfert étant consubstantiel de la disparition de la société absorbée dont il est indissociable et ne peut se réaliser tant que sa personne morale n’est pas dissoute. Ce principe a été consacré par un important arrêt 68 qui, même s’il concerne l’hypothèse somme toute assez confidentielle d’un comité interprofessionnel agricole, revêt une grande importance théorique et pratique du point de vue du droit des sociétés mais également du point de vue du droit commun des groupements comme de la théorie des personnes morales.69

77. En l’espèce, visant « le principe selon lequel le patrimoine est indissociablement lié à la personne », principe qu’elle force pour l’occasion, la chambre commerciale de la cour de cassation apporte dans le silence de la loi une pierre essentielle à la construction de solutions cohérentes dans l’hypothèse plus fréquente en pratique que l’on pourrait le penser de restructurations de groupements autres que les sociétés commerciales. Le Conseil interprofessionnel du vin d’Anjou et de Saumur, groupement interprofessionnel habilité à percevoir des cotisations auprès des membres des professions constituant l’organisation, a été absorbée par l’association interprofessionnelle des vins de Loire. La personne morale absorbante déclarant venir aux droits du comité absorbé a agi en justice en vue d’obtenir la condamnation sous astreinte d’un professionnel à lui communiquer les déclarations nécessaires à l’établissement de ses cotisations. La difficulté est née du fait que le comité créé par la loi ne peut être dissout que par une loi qui en l’espèce n’est pas intervenue. Était-il possible d’envisager en l’absence de dissolution de la personne morale absorbée, une transmission universelle de son patrimoine à la personne morale absorbante ? Les juges d’appel ont répondu par l’affirmative en considérant que la dissolution du comité n’était pas une condition de l’existence et de la réalisation du traité de fusion, mais une conséquence de celles-ci ; aussi le fait qu’il continue d’exister en tant que personne morale ne rendait il pas sans effet la subrogation dans les actions en justice intervenue au profit de l’association. Se basant sur le principe selon lequel le patrimoine est indissociablement lié à la personne, la chambre commerciale a cassé l’arrêt d’appel au motif que « la transmission universelle du patrimoine à la personne morale absorbante du patrimoine de la personne morale absorbée est indissociable de la dissolution de cette dernière et ne peut se réaliser tant que cette personne morale n’est pas dissoute ». La portée pratique de la solution selon laquelle toute transmission universelle du patrimoine d’une personne morale suppose la dissolution préalable du groupement personnifié est loin d’être négligeable. La Cour étend ainsi le principe posé par l’article L.236-3 du code de commerce en cas de fusion et de scission de

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Cass. Com. 12 juill. 2004 : Juris Data n° 2004-024688.

sociétés commerciales à toutes les autres personnes morales à commencer par les sociétés civiles ce, dans la mesure où l’article 1844-4 du code civil qui envisage l’hypothèse de la fusion et de la scission d’une société étant à cet égard muet pour ce qui concerne les associations déclarées. Cette extension analogique est pleinement justifiée dans la mesure où la règle exprimée par l’article L.236-3 n’est que la manifestation d’un principe plus général, au demeurant parfaitement formulé dans le visa, selon lequel le patrimoine est indissociablement lié à la personne.

78. Il s’ensuit que le patrimoine ne peut exister sans le support d’une personne physique ou morale ; mais encore que la personne ne peut exister sans patrimoine. En conséquence, dans le cas d’une personne physique, la transmission de l’ensemble du patrimoine ne peut s’opérer qu’après son décès. De la même façon, dans le cas d’une personne morale, la transmission universelle du patrimoine ne peut s’opérer qu’après son décès, ce qui suppose qu’elle est liée à la disparition préalable de la personne morale laquelle suppose une dissolution du groupement. En tout état de cause, la disparition de l’absorbée est la condition posée par le législateur pour enclencher la transmission du patrimoine de celle-ci vers l’absorbante. A défaut, l’opération de fusion ne peut valablement se réaliser.

79. Cette solution a été étendue également à une autre décision dans laquelle, la cour de cassation a décidé que la transmission universelle à une association du patrimoine d’une association absorbée est indissociable de la dissolution de cette dernière et ne peut se réaliser tant que cette personne morale n’est pas dissoute. En conséquence, et en l’espèce, l’association absorbante ne peut se subroger dans les droits de l’absorbée au motif que la dissolution de cette dernière ne figure pas parmi les conditions suspensives de la fusion70. La cour se situe en amont pour refuser à l’absorbante la transmission d’une créance à l’absorbée ; elle lui répond qu’elle ne pourrait se prévaloir d’une transmission universelle si l’organisme d’origine avait pu lui transférer son patrimoine, ce qui aurait supposé qu’il fut dissout. Ce faisant, la cour applique le principe classique du patrimoine tel qu’Aubry et Rau l’avaient dégagée à la fin du 19ème siècle dans une approche personnaliste71. Elle accrédite ainsi un peu plus son application généralisée à toutes les personnes morales. D’un point de vue purement intellectuel, on pourrait discuter cette assimilation parce que la philosophie personnaliste qui sous tend la conception classique du patrimoine n’a de sens que pour les personnes

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Cass.com., 31 Janv.2006, n° 04-14576, BJS 01 Juin 2006, n° 6, p. 814.

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Voy., dictionnaire de la culture juridique, sous la direction de D.Alland, et F.T. Rials, LAMY, PUF, v° « patrimoine » par P.L.Frier.

physiques. En outre, la malléabilité infinie de la personnalité morale, qui est utile mais pure création de l’esprit, rend difficilement assimilable l’un à l’autre. Mais, d’un point de vue réaliste, rien ne s’oppose vraiment à la transposition dès lors qu’elle présente un intérêt pour les personnes morales et leurs métamorphoses. La théorie classique du patrimoine peut elle cependant être appliquée telle quelle, alors qu’elle ne relève plus en cas d’une conception philosophico politique de l’être humain, mais d’un besoin pratique ? est il vraiment nécessaire de conditionner le transfert universel du patrimoine à la disparition de la personnalité juridique de la personne morale absorbée ? le patrimoine n’est pas de l’essence de la personne morale, des entités pouvant ne pas en avoir, au premier chef les associations. La preuve en vient du droit des sociétés, qui attache également le transfert universel du patrimoine au simple apport partiel d’actif placé sous le régime des scissions, ce qui a également été discuté mais a été définitivement confirmé. La raison en vient de la fictivité de la personnalité morale qui lui confère une formidable souplesse et adaptabilité. Il n’en reste pas moins que la jurisprudence maintient le cap, ce que confirment les arrêts étudiées et n’admet le transfert universel de patrimoine en matière de fusion que lorsque le groupement absorbée a juridiquement disparu.

80. A l’instar du décès d’une personne physique, c’est le patrimoine tout entier qui se transmet et non les biens sociaux envisagés isolément. Par conséquent, la société absorbante ou nouvelle acquiert tous les biens et toutes les créances de la société absorbée ou scindée et prend en charge le passif de celle-ci selon les modalités prévues au contrat de fusion ou de scission et sans que l’on doive respecter les formalités de l’article 1690 du code civil ou celles de la cession de fonds de commerce72. La société absorbante devient l’ayant cause à titre universel de la société absorbée, tenue de toutes les obligations de cette dernière non réservées lors de la fusion73. Elle vient par voie de conséquence aux droits de la société et requiert l’ensemble du patrimoine de l’absorbée tant dans sa phase active que dans sa phase passive. Elle se substitue à l’absorbée dans tous ses droits, biens et obligations74

même si cette règle connait des tempéraments au nom de la liberté contractuelle et de l’autonomie de la volonté ainsi qu’en raison de l’existence de droits extrapatrimoniaux telle la responsabilité pénale.

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DAIGRE J.J., note sous cass.com.1er juin 1993 : BJS 1993, p.892.

73

Com. 13 février 1963,: Bull. civ.III, n° 104.

74

Cass. Com., 8 novembre 2005, p. 2875, rappelant que la fusion absorption d’une société propriétaire d’un immeuble donné à bail entraîne le transfert de plein droit du cautionnement garantissant le paiement des loyers.

81. En résumé, la transmission ne peut s’opérer tant que la société n’est pas dissoute. Cette hypothèse se trouve aux antipodes de la théorie de madame Yvonne CHEMINADE75 qui invite à constater combien le sort de la société absorbée est confus : la fusion opère t’elle dissolution ou transformation ? S’agit-il d’un terme ou d’une évolution qu’imposent des nécessités économiques ? Pour cet auteur, la fusion n’étant qu’une simple transformation, le critère de dissolution doit être abandonné. Elle continue en s’interrogeant si une dissolution qui n’a pas pour but de mettre un terme aux opérations sociales est une dissolution véritable. Le fondement de cette idée pour l’auteur est que sous l’empire de la loi du 24 juillet 1966, « la société est en liquidation dès l’instant de sa dissolution pour quelque cause que ce soit ». En déclarant que la fusion entraîne « la dissolution sans liquidation ... », on aurait pu s’attendre à ce que le législateur reprenne le premier principe en ajoutant une exception pour la fusion. Or, en l’absence d’une telle exception, la restructuration par voie de fusion devrait plus s’apparenter à une transformation.

82. Nous partageons difficilement cette idée de madame CHEMINADE pour la raison toute simple que si, d’une part, la transformation de la société est analysée comme une mesure autonome de restructuration par l’ensemble de la doctrine, au même titre que les fusions, elle consiste à changer la forme c'est-à-dire de « vêtement » juridique de la personne76. D’autre part, dans le cas de la transformation, il n’y a pas de disparition de la personne morale en d’autres termes, de dissolution. Or, en matière de fusion, comme il vient d’être démontré, il est obligatoire pour que la transmission universelle du patrimoine s’opère que l’une des sociétés en l’occurrence l’absorbée, disparaisse. Au surplus, cette impérativité nous amène à nous interroger sur une autre finalité de la restructuration à l’instar de la croissance : celle d’assurer la disparition des entreprises ? Cette finalité de la restructuration résulterait des articles L.236-3 du code de commerce et 189 alinéa 2 de l’acte uniforme OHADA relatif aux sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique qui imposent la disparition de le la société absorbée. Ce principe a été posé par la haute juridiction77. En affirmant que « le terme fusion suppose la réunion d’au moins deux sociétés préexistantes, soit que l’une absorbe l’autre, soit que l’une et l’autre se confondent pour constituer une société unique », la cour de cassation laissait entendre que l’une au moins des sociétés parties à l’opération devait disparaitre. Cette position classique est également admise par la doctrine qui est unanime pour considérer qu’une véritable fusion implique la disparition

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CHEMINADE Y., nature Juridique de la fusion de sociétés anonymes, RTD Com., 1970, p.15.

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RIASSETTO I., typologie des transformations, BJS 2010, p.3890.

d’une au moins des sociétés parties à l’opération. Il n’est pas certain, cependant qu’une telle affirmation rende pleinement compte de la réalité. Si une société transmet à une autre la quasi-totalité de son actif, si son personnel, ou la quasi totalité de celui-ci est mis au service de la dite société, si en un mot, la substance de l’entreprise est transmise à une autre entreprise, est il raisonnable d’affirmer qu’il n’a pas de fusion au seul prétexte que la première conserve une certaine vie juridique ?

83. Il est difficile de le penser et l’examen de certains articles laisse entrevoir une évolution du droit positif sur ce point. Dans cette perspective a été proposée, l’opportunité d’un régime alternatif aux fusions par voie de disparition de l'une des sociétés en cause. Les inconvénients inhérents à la fusion traditionnelle amènent à s'interroger sur l'opportunité d'un modèle alternatif, qui pourrait s'inspirer, mais en les simplifiant, des techniques déjà utilisées dans d'autres pays et qui viennent, par exemple, de permettre la « fusion entre égaux ».

84. Ainsi, à côté de la fusion-dissolution de la société absorbée que le droit positif connaît, la « fusion-filialisation » devrait être prévue. Les actionnaires de sociétés parties à une fusion devraient avoir le choix entre, d'une part, dissoudre la société absorbée et transférer à titre universel son actif et son passif à la société absorbante, d'autre part, ne pas dissoudre celle-ci et maintenir son patrimoine en l'état. Dans les deux cas, les actionnaires de la société cible deviendraient actionnaires de la société initiatrice. Dans le premier cas, leurs actions disparaissent lors de la dissolution sans liquidation de la société absorbée. Dans le second, leurs actions seraient automatiquement transférées à la société initiatrice, la société cible devenant sa filiale. Les sociétés souhaitant fusionner (économiquement) auraient alors une modalité alternative à la fusion (juridique) traditionnelle. La souplesse apportée, évitant les inconvénients de la fusion-absorption, laisse penser que cette forme, si elle venait à être prévue , sachant que peu de modifications seraient nécessaires et des protections équivalentes à celles du régime de la fusion traditionnelle existeraient, pourrait connaître succès.

85. Quoiqu’il en soit, la dissolution de la personne morale est la condition de la transmission universelle du patrimoine dont le régime emprunté mérite d’être précisé.

Para II la transmission universelle du patrimoine, mécanisme emprunté : l’utilisation

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